La compagnie vérifie ses comptes
Les relations entre le pointeau et l'ouvrier ont toujours été tendues. L'ouvrier cherche toujours à faire de la gratte et le pointeau est toujours persuadé que l'ouvrier essaye de le rouler. Evidemment, la personnalité du pointeau finit par s'identifier aux yeux des ouvriers avec la nature de son emploi et ils le considèrent plus ou moins comme un "salaud". Il épluche leurs feuilles de travail pour voir s'ils ne le roulent pas et les ouvriers lui en veulent. Néanmoins, ils trichent chaque fois qu'ils en ont l'occasion, soit en volant des pièces qui ont été déjà ramassées et comptabilisées, soit en trompant délibérément le pointeau sur le chiffre de celles qu'ils ont faites. Voler un panier de pièces à la compagnie est un art que nombreux pratiquent. Dans la matinée, un ouvrier volera un panier de pièces, mais si ce même ouvrier, dans l'après midi, se voit accidentellement frustré de quelques pièces par le pointeau, il deviendra furieux et exigera qu'elles lui soient comptées, bien qu'elles ne signifient que peu de chose. Sur certaines machines des compteurs ont été placés pour vérifier si l'ouvrier n'a pas volé des pièces. Ces compteurs déterminent le nombre de cycles opératoires qu'à fait la machine. Un cycle opératoire équivaut à une pièce de travail terminée. On voit que tous les moyens possibles sont mis en oeuvre pour tirer le maximum de ce que l'on peut obtenir des ouvriers.
La compagnie contrôle maintenant l'usage de la force électrique durant les quinze minutes qui précèdent l'arrêt de travail. De nombreux ouvriers ayant déjà atteint leur quota à cette heure, arrêtent leurs machines. Il semble donc que la compagnie désire évaluer la quantité de travail dont elle est frustrée.
L'ouvrier les vérifie deux fois
L'ouvrier devient un comptable et calcule avec soin le taux de son pourcentage quotidien, afin de contrôler les reçus de la compagnie pour voir s'il n'a pas été roulé. Il fait de même avec son bulletin de paie chaque semaine. Il est littéralement furieux si la compagnie ne lui a pas donner son dû.
Cette semaine on a fait l'inventaire à l'usine. De nombreux ouvriers, manœuvres, mécaniciens, chauffeurs, rectifieurs etc...Y participaient. Durant tous ces derniers mois les ouvriers ont volé des paniers de pièces afin de pouvoir satisfaire leurs bons de commande. De toute évidence il y aura un manque s'élevant à des dizaines de milliers de pièces à l'inventaire. Les ouvriers apprécient beaucoup l'humour de la situation.
Notre département est un département productif. La norme que nous devons atteindre est de 100%. Pour y arriver cela demande la journée entière. Généralement ce n'est que durant les trois derniers quarts d'heure que nous faisons du boni. Aussi arrive-t-il la chose suivante: le pointeau commence à passer parmi les ouvriers justement à cette heure pour boucler les comptes. Nombreux sont ceux qui perdent ainsi leur boni parce que le pointeau arrive trop tôt. Cela a souvent provoqué de violents éclats. Un jour, un ouvrier circula dans les travées pour dire aux autres de ne pas arrêter le travail avant la sonnerie de fin de journée. De toutes manières les ouvriers se trouvent en présence d'une contradiction: on leur dit de fermer leurs machines tôt, mais la perte de leur boni est une catastrophe pour eux. Voici comment ils tournent la difficulté: une fois que le pointeau est passé, ils remettent en marche leur machine pour le compte de l'ouvrier de l'équipe suivante de telle sorte que lorsque celui ci arrive, il trouve dans le panier le travail tout fait qu'il aurait normalement perdu lorsque seraient arrivées les dernières minutes de la journée. A son tour, ce dernier lui rend le même service. Ainsi certains ouvriers passent leur dernière demi heure à travailler pour l'ouvrier qui lui succède. Cependant, beaucoup d'autres ne le font pas. Coincés entre les exigences contradictoires qui découlent, d'une part, de l'inefficacité de la compagnie dans l'organisation du travail et des taux de rendement élévés du travail aux pièces, ainsi que de leur désir de faire du boni, d'autre part, ils se sentent trop épuisés à la fin de la journée pour changer les outils ou faire du travail supplémentaire pour le compte du camarade qui va prendre leur place. Fermer la machine aussitôt que possible et ne plus la voir est un désir que ne les quitte jamais.
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