samedi 19 février 2022

Socialisme ou barbarie L'ouvrier américain partie 6

 Chapitre III

La vie à l'usine depuis la fin de la guerre

L'intensification du travail

Au moment de la grève des téléphones au printemps 1947, nous avons obtenu une augmentation de 11 cents . Aussitôt la cadence des machines a été encore accélérée pour annuler cette augmentation. Lorsque nous l'avons obtenue, la plupart des ouvriers disaient que la compagnie nous la ferait recracher.

Avant, il arrivait que l'ouvrier ait la possibilité de fumer un peu plus souvent. Maintenant, il doit passer sa journée à surveiller la machine, changer et nettoyer les outils. Les pauses sont plus courtes. Si bien que c'est un ouvrier encore plus épuisé physiquement et moralement qu'il ne l'était auparavant qui quitte l'usine chaque soir. Les instants de détente sont de plus en plus rares.

D'un autre côté, cependant, plus la machine va vite plus l'ouvrier cherche à la quitter, bien que cela augmente les risques de bousillage du matériel.

Dans de nombreux départements les ouvriers doivent maintenant conduire trois ou quatre machines là ou auparavant, un ouvrier n'en conduisait qu'une seule. Aussi il leur faut continuellement sauter de l'une à l'autre. Il ne se passe pas de jour sans que quelqu'un ne se plaigne d'être complètement épuisé.

Un ouvrier qui travaille sur une machine automatique à grande vitesse disait : "Je suis forcé d'en mettre un drôle de coup pour conduire une machine rapide. Tout le temps occupé à ranger les pièces à alimenter la machine et monter de nouveaux outils. Si on me mettait sur une machine plus lente je ne pourrais me faire au changement de cadence et pourtant, ce serait des vacances pour moi en comparaison de la machine rapide que je conduis".

J'ai coulé mes temps

L'usine a un système de rémunération au rendement. Il se révèle que la compagnie vole à tout propos sur le boni des ouvriers. Beaucoup demandent : "Mais pourquoi donc font-ils cela?" Le calcul des bonis devient très compliqué, spécialement lorsque l'on donne aux ouvriers des cartons dressés par le bureau des temps élémentaires. On accuse couramment la direction de déchirer les cartons distribués aux ouvriers.

Voici un ouvrier qui se lance dans une discussion longue et passionnée sur le salaire au rendement. Il raconte comment il faut s'épuiser pour atteindre ou dépasser les normes imposées. Une journée normale de travail permettrait de relâcher un peu la tension à laquelle on est soumise et, de toute manière, on ne devrait pas en demander plus aux ouvriers. Il s'écrie avec véhémence qu'il aimerait bien étranger l'inventeur du boni ou du salaire au rendement.

Lorsqu'à la fin de la journée les conducteurs ne sont pas arrivés à faire leur boni, il leur échappe ce cri du coeur : "Je suis tombé mort" Cela veut dire que l'ouvrier s'est épuisé pour n'arriver à rien.

Produire ou ne pas produire

La vitesse des machines est accélérée d'environ 40%. Les ouvriers sont enfermés dans la contradiction suivante : continuer à ce rythme risque de leur faire rapidement perdre leur travail. Les ouvriers sont divisés sur cette question. Certains pensent que cela ne change rien; lorsque la grande dépression arrivera, disent-ils, de toutes manières nous ne serons pas épargnés. D'autres se mettent sans plus se troubler à réduire peu à peu leur production journalière. De plus, d'autres ouvriers sont poussés à diminuer leur quota au fur et à mesure que l'intensification du travail fait sentir ses effets. Produire ou ne pas produire, dans ces conditions, est la question qui se pose. Le coût de la vie monte en flèche, forçant l'ouvrier à produire pour augmenter un peu sa paye avec son boni, grâce auquel il pourra faire face à ses besoins quotidiens.

Lorsque les chronos surgissent, l'ouvrier trouve une foule de prétextes pour arrêter sa machine. Il sent en lui un profond ressentiment lorsqu'il voit arriver l'homme des bureaux avec sa montre à la main. C'est alors qu'il utilise toutes les ficelles du métier pour ralentir sa machine et aussi pour réduire sa propre activité. Le chrono est un indésirable à l'usine. Où qu'il aille se sont des yeux pleins de ressentiments qui le suivent. Il en a conscience et très souvent c'est tout juste s'il ne s'excuse pas; parfois, par contre, il est agressif.


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