Une leçon d’hygiène artistique
"Plus le travail intellectuel s’est conformé au mode de fonctionnement d’une industrie brutale, ignorante de la tradition et du goût, plus la science et l’école se sont appliquées à nous dérober notre liberté et notre personnalité en nous inculquant dès l’enfance l’idéal de l’effort imposé et constant, et plus l’art de l’oisiveté a dépéri, en même temps que maints autres arts démodés ; il est progressivement tombé en disgrâce et en désuétude. Et pourtant, ce n’est pas que nous ayons jamais atteint la perfection dans ce domaine. En Occident, l’indolence érigée en art fut toujours pratiquée par des amateurs sans prétention.
Ainsi semble-t-il d’autant plus surprenant de voir aujourd’hui tant de gens tourner leurs regards ardents vers l’Orient. Tous s’efforcent péniblement d’aller puiser un peu d’allégresse à Schiras et à Bagdad, un peu de culture et de tradition en Inde, un peu de gravité et de recueillement dans les temples de Bouddha ; cependant, on les voit rarement faire ce qu’il y a de plus évident, c’est-à-dire lire des contes orientaux afin de capturer une part du charme magique qui s’échappe des cours des palais mauresques où règne la fraîcheur des fontaines."
"Que représentent en effet les charmes magiques d’un Bacchus dissipant les soucis, les délices soporifiques du haschich, comparés au repos infini dont jouit celui qui a fui le monde, celui qui, assis sur la crête d’une montagne, observe le mouvement circulaire de son ombre et laisse son âme attentive se dissoudre dans le rythme constant, imperceptible, enivrant des soleils et des lunes suivant leur trajectoire en arc de cercle dans le ciel ? Dans notre pauvre monde occidental, nous avons découpé le temps en instants courts, infimes, qui n’ont chacun plus grande signification. Là-bas, au contraire, il s’écoule toujours intact en un flot continu, venant étancher la soif du monde, inépuisable comme le sel de la mer et la lumière des étoiles."
"Par le terme d’« artiste », j’entends tous ceux qui éprouvent le besoin et la nécessité de se sentir vivre et grandir, de savoir où ils puisent leurs forces et de se construire à partir de là suivant des lois qui leur sont propres. Ainsi, chez ces personnes, l’essence et l’impact de toute activité secondaire, de toute manifestation vitale, sont reliés au fondement de façon aussi claire et signifiante que la voûte au mur, que le toit au pilier dans un bâtiment bien fait.
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