Violation des règlements
Dans notre usine il existe un ensemble de règlements d'atelier. Si l'on enfreint l'une quelconque des règles prescrites on est passible d'un blâme. Trois blâmes donnent à la compagnie le droit de vous renvoyer. Il est facile à la compagnie d'user de ce droit quand elle le veut si elle cherche à renvoyer quelqu'un. Un ouvrier me disait un jour : "Ils peuvent te renvoyer quand ils veulent. Tout ce qu'ils ont à faire c'est de dire que tu as raté tes pièces à trois reprises, à moins qu'il ne leur suffise de te surprendre en train de fumer ou que tu sois arrivé en retard " (Tout cela cependant dépend de la force du syndicat.)
A Intervalles réguliers, un superintendant fait une descente dans la salle des lavabos pour surprendre les ouvriers en train de fumer ou venus s'asseoir un instant. Les numéros matricules sont relevés et un blâme est porté à votre dossier. Les ouvriers sont très sensibles à ces manœuvres sournoises.
Depuis peu les ouvriers sont forcés de rester à leurs machines jusqu'à ce que sonne la fin du travail. Auparavant, ils pouvaient quitter cinq minutes plus tôt, à midi, pour aller manger ou le soir pour se rendre aux vestiaires. Désormais, il sera ainsi interdit de casser la croûte dans les ateliers. Cependant, les hommes transgressent déjà ces règles. Aussi la compagnie fait-elle pleuvoir les blâmes. Le superintendant de l'usine se plaint d'être tombé sur un ouvrier en train de manger un sandwich alors que l'on venait tout juste de faire savoir que c'était interdit. Il ajoute que l'ouvrier a eu le toupet de lui demander s'il en voulait un bout. Un autre ouvrier que l'on réprimande et que l'on menace d'un blâme répond: "Autant me donner tout de suite trois blâmes et essayer de me faire renvoyer parce que je vais manger trois sandwiches".
Un ouvrier que je connaissais avait déjà deux blâmes. Voir traiter les ouvriers de cette manière le remplit d'amertume. Ce n'est pas un manière de traiter ses semblables disait-il. Je lui demandais pourquoi il avait accepté de signer ses blâmes alors qu'il aurait pu s'adresser au syndicat pour essayer de les contester. Il me dit que pendant qu'il était au bureau. Il bouillait intérieurement mais qu'il n'en transparaissait rien. S'il a signé, c'est pour montrer à la compagnie qu'il n'avait pas peur d'eux.
La compagnie ne se risque pas à se mesurer avec les ouvriers qui sont des faiseurs d'histoires. Il semblerait qu'ils estiment que lorsque ces sortes d'ouvriers en veulent à la compagnie, ils ne manqueront pas de lui causer des désagréments beaucoup plus graves. Aussi essayent-ils autant que possible de se les concilier.
La compagnie a le droit de renvoyer les ouvriers qui ont été passibles de blâmes. C'est-à-dire qui ont volé des pièces qui ont fait des ratages qui ont été pris en train de fumer etc...Bien que le renvoi, en l'occurrence, soit la sanction de ce qui est, pour ainsi dire, une loi, elle n'en fait que rarement état. D'ailleurs, dans la pratique il leur serait impossible de l'appliquer à la lettre. Ils se contentent d'énerver les ouvriers en s'obstinant à leur faire respecter les règles prescrites.
Un ouvrier fut pris un jour en train de voler un panier de pièces afin de pouvoir satisfaire aux normes exigées pour se faire un boni. Au moment d'être appelé au bureau il demande qu'on lui donne son compte et déclare que si on n'est pas satisfait de son travail, il est prêt à aller ailleurs. La compagnie refusa, mais pour le pénaliser quand même, lui infligea quelques jours de mise à pied.
La direction de l'usine a tenté à plusieurs reprises, d'empêcher les hommes d'utiliser la demi-heure d'arrêt du repas pour aller roupiller dans les vestiaires en s'étendant sur des bancs qu'ils disposent à cet effet. C'était une habitude que j'avais prise dans les autres usines. La combine consiste à manger subrepticement son repas avant la sonnerie et ensuite à s'échapper pour aller dormir une demi-heure. Cependant, cela n'en est que pire au moment où il faut se réveiller.
Les ouvriers disent souvent : "S'il fallait qu'ils nous renvoient pour toutes les infractions que l'on commet, il n'y aurait plus personne à l'usine".
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