"A d'autres l'univers parait honnête. Il semble honnête aux honnêtes gens parce qu'ils ont des yeux châtrés. C'est pourquoi ils craignent l'obcénité. Ils n'éprouvent aucune angoisse s'ils entendent le cri du coq ou s'ils découvrent le ciel étoilé. En général, on goûte les "plaisirs de la chair" à la condition qu'ils soient fades.
Mais, dès lors, il n'était plus de doute: je n'aimais pas ce qu'on nomme "les plaisirs de la chair", en effet parce qu'ils sont fades. J'aimais ce que l'on tient pour "sale". Je n'étais nullement satisfait, au contraire, par la débauche habituelle, parce qu'elle salit seulement la débauche et, de toute façon, laisse intacte une essence élevée et parfaitement pure. La débauche que je connais souille non seulement mon corps et mes pensées mais tout ce que j'imagine devant elle et surtout l'univers étoilé."
"Je me bornerai maintenant à raconter comment Marcelle se pendit: elle reconnut l'armoire normande et claqua des dents. Elle comprit alors en me regardant que j'étais le cardinal. Comme elle hurlait, il n'y eut pas d'autres moyens de l'arrêter que de la laisser seule. Quand nous rentrâmes dans la chambre, elle s'était pendue à l'intérieur de l'armoire.
Je coupai la corde, elle était bien morte. Nous l'installâmes sur le tapis. Simone me vit bander et me branla; nous nous étendîmes par terre et je la baisai à côté du cadavre. Simon était vierge et cela nous fit mal, mais nous étions contents justement d'avoir mal. Quand Simone se releva et regarda le corps, Marcelle était une étrangère et Simone elle-même l'était pour moi. Je n'aimais si Simone ni Marcelle et si l'on m'avait dit que je venais moi-même de mourir, je n'aurais pas été surpris. Ces événements m'étaient fermés. Je regardais Simone et ce qui me plut, je m'en souviens précisément, est qu'elle commença de se mal conduire. Le cadavre l'irrita. Elle ne pouvait supporter que cet être de même forme qu'elle ne la sentit plus. Surtout les yeux ouverts la crispaient. Elle inonda le visage calme, il sembla surprenant que les yeux ne se fermassent pas. Nous étions calmes tous les trois, c'était le plus désespérant. Toute représentation de l'ennui se lie pour moi à ce moment et au comique obstacle qu'est la mort. Cela ne m'empêche pas d'y penser sans révolte et même avec un sentiment de complicité. Au fond, l'absence d'exaltation rendit les choses absurdes; Marcelle morte était moins éloignée de moi que vivante, dans la mesure où, comme je pense, l'être absurde à tous les droits.
Que Simone ait pissé sur elle, par ennui, par irritation, montre à quel point nous étions fermés à la compréhension de la mort. Simone était furieuse, angoissée, mais nullement portée au respect. Marcelle nous appartient à tel point dans notre isolement que nous n'avons pas vu en elle une morte comme les autres. Marcelle n'était pas réductible aux mesures des autres. Les impulsions contraires qui disposèrent de nous ce jour-là se neutralisaient, nous laissant aveugles. Elles nous situaient bien loin dans un monde où les gestes sont sans portée, comme des voix dans un espace qui n'est pas sonore".
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