"Mais qu'était-elle, cette société, avec ses beaux principes et ses lois?
A vingt ans, elle m'avait envoyé faire sa guerre au nom des libertés, oubliant seulement de me dire que par mon action j'entravais celle des autres. Au nom de quoi m'avait-elle donné le droit de tuer des hommes que je ne connaissais même pas et qui en d'autres circonstances auraient peut-être pu devenir mes amis? Cette société s'était servie de moi comme d'un pion, profitant de ma jeunesse et de mon inexpérience. Elle n'avait créé qu'un faux idéal au nom de "l'honneur-patrie"...Elle s'était servie de ma violence intérieure et l'avait exploitée pour faire de moi un bon soldat, un bon tueur. Je la voyais, cette même société, indifférente à la mort des jeunes gars qui se faisaient tuer au nom de la patrie. Elle bouffait, rotait, baisait et dormait en toute quiétude. Sa guerre était loin, elle s'en foutait tant que l'éclaboussure ne la touchait pas de trop près. Qu'un homme meure pour défendre sa patrie contre l'envahisseur, j'arrivais à l'admettre mais qu'un gouvernement laisse crever sa jeunesse pour une guerre coloniale, tout en sachant l'inutilité de ce sacrifice, ça je n'arrivais pas à l'accepter et l'idée d'y penser m'était devenue insupportable. La société m'avait fait cocu en me faisant risquer ma peau pour une fausse cause. Elle m'avait rendu à la vie civile sans se soucier des séquelles que cette guerre avait laissé dans mon psychisme. J'allais donc m'attaquer à elle et lui faire payer le prix de ce qu'elle avait détruit en moi. Je savais qu'en refusant ses lois, en refusant de suivre le troupeau, j'allais tôt ou tard le payer très cher."
"J'allais devenir un tueur. Un de ces fauves criminels qui suppriment de sang-froid un être fait de chair et de sang, sans en ressentir le moindre sentiment de culpabilité. Ces hommes que j'allais tuer le seraient pour des raisons d'honneur, d'intérêt ou plus simplement pour défendre ma vie. Et même si jamais mon arme n 'a craché la mort à un innocent, avais-je le droit de décider qui devait vivre ou qui devait mourir? Le seul crime que je ne me suis jamais pardonné a été celui de ce petit oiseau aux reflets bleus que j'avais abattu dans notre jardin à l'âge de treize ans. Car je l'avais tué par bêtise, lui qui n'avait commis pour seule faute que de me bercer de son chant. C'est le seul remords que j'ai connu, aussi abominable que cela puisse paraitre."
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