jeudi 10 février 2022

Instinct de mort Par Jacques Mesrine

 Préface   par Roger Knobelspiess


"Ce jour-là, le 8 mai 1978...

"France inter 11 heures 

Ce matin, le gangster Jacques Mesrine, l’ennemi public numéro un, s’est évadé en compagnie de deux autres détenus. »

La partition immuable du châtiment social est arrachée ; Mesrine est parti, il est celui qui ose démesurément, une fois encore. Evadé, envolé, il détale avec la meute à ses trousses. Je l’imagine. Dans sa tête, des images du passé surgissent, il doit chantonner : « sur la route de Memphis, les flics ont perdu ! » Ce promptement évadé se souvient : en juillet 1969, loin de la France profonde, il sillonnait les routes US, fut arrêté au Texas, et extradé vers le Canada. C’est là que Jacques intensifie sa marche, sa raison d’être à lui. Au Canada, l’arme à la main il conquiert son premier titre : «  ennemi public ».

Revenu en France, deuxième titre, nouveau succès, au grand dam des tenants du pouvoir. Ce nouveau couronnement d’ « ennemi public » lui octroie l’enthousiasme du public. Jacques sera élu homme de l’année par un sondage paru dans Paris-Match en 1978. Sa notoriété renverra celle de Giscard d’Estaing au fond de la classe.

Carman Rives est mort libre : il a eu le temps d’espérer…le temps de rire aux assassins ! Le temps d’atteindre l’autre rive ! Le temps de courir vers la femme ! Il avait eu le temps de vivre (Boris Vian).

Le 18 mai 1977. On juge Jacques. En dépit de ce qu’il a dit et écrit, aucun meurtre ne peut lui être reproché et ce n’est pas faute du juge Hannoteau, en charge du dossier, d’avoir tout vérifié pour matérialiser les écrits et les déclarations de Mesrine.

Paris, audience cour d’assises. Tireurs d’élite sur les toits, chiens policiers, flics à toutes les portes et un parterre de journalistes. A côté du banc des avocats, le banc de la presse. Pour les journalistes, spécialistes du judiciaire, la misère qu’on juge dans les box n’a ni nom ni visage…Ils réécrivent les minutes du greffe avec un stylo d’obédience manichéenne. J’ai moi-même supporté cinq procès d’assises, les comptes rendus d’audience s’étalaient dans les journaux sans qu’un article retrace soit mes propos, soit la réalité d’où je venais…Le procès d’assise est un lieu de vérités sanctuaires, il affirme des certitudes bien pensantes. Les jurés demeurent silencieux et se laissent mollement asservir par les magistrats professionnels qui font le verdict, personne n’est dupe. Le débat public est soumis à la vindicte, il n’a d’autre raison d’être que « montrer pour mieux dissimuler ».

Jacques Mesrine, égal à lui-même. Pendant le procès, il multiplie les incidents avec le président Petit : « Je vais m’évader et je te rendrai visite. Pour l’instant, jubile, vas-y juge ! » Le magistrat : « On vous empêchera de vous évader ! On vous empêchera ! ». Le lendemain, dans le box, on lui enlève les menottes. Les regards convergent vers Jacques qui, tranquillement, dénoue son nœud de cravate et en extirpe les empreintes des clefs de sa paire de menottes, sourire aux lèvres, inversant les rôles : « Huissiers, veuillez transmettre à monsieur le président. Ceci est un acompte sur mon évasion ! » Verdict : vingt ans de prison.

Au cours de cette dernière évasion, il multiplie les interviews clandestines et dénonce les QHS. Le 10 novembre 1978, il essaie d’enlever le juge Petit pour donner de l’ampleur à sa lutte. Il échoue…

Ce livre est stratégique. En l’écrivant, Jacques ne se laisse aller ni aux confidences gratuites, ni à la complaisance. Il prépare sa future évasion. Il lance des pistes. Il se doit d’être redouté et redoutable. Tous les trois mois, on le change de QHS : Fresnes, Fleury et puis la Santé, d’où il s’arrachera peu après avoir mis le point final à l’instinct de mort

Rééditer L’instinct de mort – ce qui en terme freudien signifie –« instinct de vie » - est une bonne chose, au moment où la France sarkozienne fait basculer les espoirs des derniers hommes libres dans la cybernétisation policière. La France, pays devenu lui-même une grande prison.

Rééditer L’instinct de mort parce que, par principe de droit (sempiternellement mis en avant), on arrête les terroristes, les tueurs d’enfants et on les juge…Pour Mesrine, l’ordre social se transforma en « ordre des assassins ». Son combat contre l’enfermement était juste, il l’est encore, il est la part noble de Jacques Mesrine, ce dont je témoigne…

A propos de Jacques, lors d’une interview que Jean Genet accordait au plumitif Bertrand Poireau-Delpêche : « Et Mesrine, vous en pensez quoi ? »  Réponse du flamboyant écrivain : « Mesrine ? Mais chapeau ! ».

Porte de Clignancourt, il est 15 heures 15, ce 2 novembre 1979. Vingt et une balles de haute vélocité sont tirées sur Jacques, dix-neuf balles l’atteignent… Le corps demeure exposé aux caméras, la police souriante affiche sa lâcheté…Il était seul contre eux tous ! On exposa Cartouche et Mandrin en place publique. Même méthode, à cette différence que l’image médiatique et son voyeurisme ancré démultiplièrent l’effet funeste…

Mesrine a gagné, il a pris l’éternité d’assaut…Ô Mandrin ! Ô Cartouche ! N’est-il pas un des vôtres ?

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