Préface par Roger Knobelspiess
"Ce jour-là, le 8 mai 1978...
"France inter 11 heures
Ce matin, le gangster Jacques Mesrine,
l’ennemi public numéro un, s’est évadé en compagnie de deux autres détenus. »
La partition immuable du
châtiment social est arrachée ; Mesrine est parti, il est celui qui ose
démesurément, une fois encore. Evadé, envolé, il détale avec la meute à ses
trousses. Je l’imagine. Dans sa tête, des images du passé surgissent, il doit
chantonner : « sur la route de
Memphis, les flics ont perdu ! » Ce promptement évadé se souvient :
en juillet 1969, loin de la France profonde, il sillonnait les routes US, fut
arrêté au Texas, et extradé vers le Canada. C’est là que Jacques intensifie sa
marche, sa raison d’être à lui. Au Canada, l’arme à la main il conquiert son
premier titre : « ennemi
public ».
Revenu en France, deuxième
titre, nouveau succès, au grand dam des tenants du pouvoir. Ce nouveau couronnement
d’ « ennemi public » lui octroie l’enthousiasme du public.
Jacques sera élu homme de l’année par un sondage paru dans Paris-Match en 1978. Sa notoriété renverra celle de Giscard d’Estaing
au fond de la classe.
Carman Rives est mort libre :
il a eu le temps d’espérer…le temps de
rire aux assassins ! Le temps d’atteindre l’autre rive ! Le temps de
courir vers la femme ! Il avait eu le temps de vivre (Boris Vian).
Le 18 mai 1977. On juge
Jacques. En dépit de ce qu’il a dit et écrit, aucun meurtre ne peut lui être
reproché et ce n’est pas faute du juge Hannoteau, en charge du dossier, d’avoir
tout vérifié pour matérialiser les écrits et les déclarations de Mesrine.
Paris, audience cour d’assises.
Tireurs d’élite sur les toits, chiens policiers, flics à toutes les portes et
un parterre de journalistes. A côté du banc des avocats, le banc de la presse.
Pour les journalistes, spécialistes du judiciaire, la misère qu’on juge dans
les box n’a ni nom ni visage…Ils réécrivent les minutes du greffe avec un stylo
d’obédience manichéenne. J’ai moi-même supporté cinq procès d’assises, les
comptes rendus d’audience s’étalaient dans les journaux sans qu’un article
retrace soit mes propos, soit la réalité d’où je venais…Le procès d’assise est
un lieu de vérités sanctuaires, il affirme des certitudes bien pensantes. Les
jurés demeurent silencieux et se laissent mollement asservir par les magistrats
professionnels qui font le verdict, personne n’est dupe. Le débat public est
soumis à la vindicte, il n’a d’autre raison d’être que « montrer pour
mieux dissimuler ».
Jacques Mesrine, égal à
lui-même. Pendant le procès, il multiplie les incidents avec le président Petit : « Je
vais m’évader et je te rendrai visite. Pour l’instant, jubile, vas-y juge ! »
Le magistrat : « On vous empêchera de vous évader ! On vous empêchera ! ».
Le lendemain, dans le box, on lui enlève les menottes. Les regards convergent
vers Jacques qui, tranquillement, dénoue son nœud de cravate et en extirpe les
empreintes des clefs de sa paire de menottes, sourire aux lèvres, inversant les
rôles : « Huissiers, veuillez transmettre à monsieur le
président. Ceci est un acompte sur mon évasion ! » Verdict :
vingt ans de prison.
Au cours de cette dernière
évasion, il multiplie les interviews clandestines et dénonce les QHS. Le 10
novembre 1978, il essaie d’enlever le juge Petit pour donner de l’ampleur à sa
lutte. Il échoue…
Ce livre est stratégique. En l’écrivant,
Jacques ne se laisse aller ni aux confidences gratuites, ni à la complaisance.
Il prépare sa future évasion. Il lance des pistes. Il se doit d’être redouté et
redoutable. Tous les trois mois, on le change de QHS : Fresnes, Fleury et
puis la Santé, d’où il s’arrachera peu après avoir mis le point final à l’instinct de mort
Rééditer L’instinct de mort – ce qui en terme freudien signifie –« instinct
de vie » - est une bonne chose, au moment où la France sarkozienne fait
basculer les espoirs des derniers hommes libres dans la cybernétisation
policière. La France, pays devenu lui-même une grande prison.
Rééditer L’instinct de mort parce que, par principe de droit
(sempiternellement mis en avant), on arrête les terroristes, les tueurs d’enfants
et on les juge…Pour Mesrine, l’ordre social se transforma en « ordre des
assassins ». Son combat contre l’enfermement était juste, il l’est encore,
il est la part noble de Jacques Mesrine, ce dont je témoigne…
A propos de Jacques, lors d’une
interview que Jean Genet accordait au plumitif Bertrand Poireau-Delpêche :
« Et Mesrine, vous en pensez quoi ? » Réponse du flamboyant écrivain : « Mesrine ?
Mais chapeau ! ».
Porte de Clignancourt, il est
15 heures 15, ce 2 novembre 1979. Vingt et une balles de haute vélocité sont
tirées sur Jacques, dix-neuf balles l’atteignent… Le corps demeure exposé aux
caméras, la police souriante affiche sa lâcheté…Il était seul contre eux tous !
On exposa Cartouche et Mandrin en place publique. Même méthode, à cette
différence que l’image médiatique et son voyeurisme ancré démultiplièrent l’effet
funeste…
Mesrine a gagné, il a pris l’éternité
d’assaut…Ô Mandrin ! Ô Cartouche ! N’est-il pas un des vôtres ?
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