Lettre d Alexandre Jacob après son arrestation:
Messieurs,
Vous savez maintenant qui je suis: un révolté vivant du produit de ses cambriolages. De plus, j'ai incendié plusieurs hôtels et défendu ma liberté contre l'agression d'agents du pouvoir. J'ai mis à nu toute mon existence de lutte; je la soumets comme un problème à vos intelligences. Ne reconnaissant à personne le droit de me juger, je n'implore ni pardon ni indulgence. Je ne sollicite pas ceux que je hais et que je méprise. Vous êtes les plus forts; disposez de moi comme vous l'entendez. Envoyez-moi au bagne ou à l'échafaud, peu importe. Mais avant de nous séparer, laissez-moi vous dire un dernier mot.
Vous appelez un homme: voleur et bandit, vous appliquez contre lui les rigueurs de la loi sans vous demander s'il pouvait être autre chose. A-t-on jamais vu un rentier se faire cambrioleurs? J'avoue ne pas en connaitre. Mais moi, qui ne suis ni rentier ni propriétaire, qui ne suis qu'un homme ne possédant que ses bras et son cerveau pour assurer sa conservation, il m'a fallu tenir une autre conduite. La société ne m'accordait que trois moyens d'existence: le travail, la mendicité, le vol. Le travail, loin de me répugner, me plait. L'homme ne peut même pas se passer de travailler; ses muscles, son cerveau possèdent une somme d'énergie à dépenser. Ce qui m'a répugné, c'est de suer sang et eau pour l'aumône d'un salaire, c'est de créer des richesses dont j'aurais été frustré. En un mot, il m'a répugné de me livrer à la prostitution du travail. La mendicité, c'est l'avilissement, la négation de toute dignité. Tout homme a droit au banquet de la vie.
LE DROIT DE VIVRE NE SE MENDIE PAS, IL SE PREND.
Le vol, c'est la restitution, la reprise de possession. Plutôt que d'être cloîtré dans une usine, comme en un bagne, plutôt que de mendier ce à quoi j'avais droit, j'ai préféré m'insurger et combattre pied à pied mes ennemis en faisant la guerre aux riches, en attaquant leurs biens. Certes je conçois que vous auriez préféré que je me soumette à vois lois, qu'ouvrier docile et avachi je crée des richesses en échange d'un salaire dérisoire, et que, le corps usé et le cerveau abêti, je m'en aille crever au coin d'une rue. Alors vous ne m'appelleriez pas "bandit cynique", mais "honnête ouvrier". Usant de la flatterie, vous m'auriez même accordé la médaille du travail. Les prêtres promettent un paradis à leurs dupes; vous êtes moins abstraits, vous leur promettez un chiffon de papier.
Je vous remercie beaucoup de tant de bonté, de tant de gratitude, messieurs! Je préfère être un cynique conscient de ses droits, qu'un automate, qu'une cariatide!
Dès que j'eus possession de ma conscience, je me livrai au vol sans aucun scrupule. Je ne coupe pas dans votre prétendue morale qui prône le respect de la propriété comme une vertu, alors qu'il n'y a de pires voleurs que les propriétaires.
Estimez-vous heureux, messieurs, que ce préjugé ait pris racine dans le peuple, car c'est là votre meilleur gendarme. Connaissant l'impuissance de la loi, de la force pour mieux dire, vous en avez fait le plus solide de vos protecteurs. Mais prenez-y garde, tout n'a qu'un temps. Tout ce qui est construit, édifié par la force et la ruse, la ruse et la force peuvent le démolir.
Le peuple évolue tous les jours. Voyez-vous pas qu'instruits de ces vérités, conscients de leurs droits, tous les meurt-de-faim, tous les gueux, en un mot toutes vos victimes, s'armant d'une pince-monseigneur, aillent livrer l'assaut à vos demeures pour reprendre les richesses qu'ils ont crées et que vous leur avez volées? Croyez-vous qu'ils en seraient plus malheureux? J'ai l'idée du contraire. S'ils y réfléchissaient bien, ils préféreraient courir tous les risques plutôt que de vous engraisser en gémissant dans la misère. La prison...Le bagne...L'échafaud, dira-t-on! Mais que sont ces perspectives en comparaison d'une vie abruti, faite de toutes les souffrances? Le mineur qui dispute son pain aux entrailles de la terre, ne voyant jamais luire le soleil, peut périr d'un instant à l'autre, victime d'une explosion de grisou; le couvreur qui pérégrine sur les toits peut faire une chute et se réduire en miettes; le marin connait le jour de son départ, mais il ignore s'il reviendra au port. Bon nombre d'autres ouvriers contractent des maladies fatales dans l'exercice de leur métier, s'épuisent, s'empoisonnent, se tuent à créer pour vous; il n'est pas jusqu'aux gendarmes, aux policiers, vos valets, qui, pour un os que vous leur donnez à ronger, ne trouvent parfois la mort dans la lutte qu'ils entreprennent contre vos ennemis.
Entêtés dans votre égoïsme étroit, vous demeurez sceptiques à l'égard de cette vision, n'est-ce pas? Le peuple a peur, semblez-vous dire. Nous le gouvernons par la crainte de la répression; s'il crie, nous le jetterons en ^prison; s'il bronche, nous le déporterons au bagne; s'il agit, nous le guillotinerons ! Mauvais calcul, messieurs, croyez-m 'en. Les peines que vous infligez ne sont pas un remède contre les actes de révolte. La répression, bien loin d'être un remède, voire même un palliatif, n'est qu'un aggravation du mal.
Les mesures coercitives ne peuvent que semer la haine et la vengeance. C'est un cycle fatal. Du reste, depuis que vous tranchez des têtes, depuis que vous peuplez les prisons et les bagnes, avez-vous empêché la haine de se manifester? Dites? Répondez! Les faits démontrent votre impuissance. Pour ma party, je savais pertinemment que ma conduite ne pouvait avoir d'autre issue que le bagne ou l'échafaud. Vous devez voir que ce n'est pas ce qui m'a empêché d'agir. Si je me suis livré au vol, ca n'a pas été une question de gain, de lucre, mais une question de principe, de droit. J'ai préféré conserver ma liberté, mon indépendance, ma dignité d'homme, que me faire l'artisan de la fortune d'un maître. En termes plus crus, sans euphémisme, j'ai préféré être voleur que volé.
Certes, moi aussi, je réprouve le fait par lequel un homme s'empare violemment et avec ruse du fruit du labeur d'autrui. Mais c'est précisément pour cela que j'ai fait la guerre aux riches, voleurs du bien des pauvres. Moi aussi je voudrais vivre dans une société dont le vol serait banni. Je n'approuve pas le vol, et n'en ai usé que comme un moyen de révolte propre à combattre le plus inique de tous les vols: la propriété individuelle.
Pour détruire un effet, au préalable, en détruire la cause. S'il y a vol, ce n'est parce qu'il y a abondance d'une part et disette de l'autre; que parce que tout n'appartient qu'à quelqu'uns. LA LUTTE NE DISPARAITRA QUE LORSQUE LES HOMMES METTRONT EN COMMUN LEURS JOIES ET LEURS PEINES? LEURS TRAVAUX ET LEURS RICHESSES, QUE LORSQUE TOUT APPARTIENDRA 0 TOUS.
Anarchiste révolutionnaire, j'ai fait ma révolution, vienne l'Anarchie !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire