Tout le monde s’en souvient : ce matin-là au réveil la nouvelle tournait en boucle,
quelqu’un était tombé en dehors de la Terre.
Pas dans un trou, pas dans une crevasse, pas dans un abîme.
Non, en dehors, à l’extérieur, au-delà.
Et c’était la preuve matérielle, irréfutable, de ce qu’on observait déjà depuis un certain temps : la Terre n’était plus ronde, elle avait été aplatie,
l’aplatissement était déjà bien avancé,
et on était obligé de se demander jusqu’où ça irait.
Il y eut un mouvement de panique, mondial et compréhensible
Les gouvernements sonnèrent l’alarme et décrétèrent qu’ils prenaient toutes les mesures qui s’imposaient. Mais quelles mesures ?
D’abord les mesures évidentes. On se mit d’accord pour faire construire un mur immense autour de la Terre, c’était la protection minimum et nécessaire,
avec sur tout le long des hauts-parleurs gigantesques pour avertir que c’était la fin, le bout, l’extrémité.
L’économie des pays avancés, qui possédaient la technologie, en profita immédiatement, et on put se réjouir de la situation, " quand le bâtiment va, tout va ".
Compétition, concurrence, attributions de marchés, ententes internationales, guerres commerciales plus ou moins larvées…
Dans la foulée se posa le problème du travail, de la main-d’oeuvre, des salaires.
Du coup, développement du travail clandestin, avec des situations parfois proches de l’esclavage. Resurgissait la question du logement, les marchands de sommeils, les hôtels insalubres.
La construction du mur mondial allait prendre du temps,
en attendant chaque pays mit en place un confinement relatif,
pour combien de temps c’était difficile à dire,
mais c’était nécessaire pour prévenir les accidents, les chutes dans le vide, voire les suicides.
Organiser le pessimisme, le mot d’ordre fit fureur.
Mais on perdait de vue les causes, les raisons, les origines de l’aplatissement.
Il fallait pourtant s’attaquer aux racines du mal, et répondre à la question angoissante,
était-ce irréversible et jusqu’où ça irait.
Parce qu’en fait les causes étaient claires pour tous.
La Terre s’était aplatie, progressivement et de façon continue,
par la masse énorme dont on n’arrivait absolument pas à se défaire, de bêtises, stupidités, idées reçues, discours vides, mots creux, bref, de platitudes qui s’échangeaient à chaque instant et finissaient par avoir un effet. Les idées avaient une force matérielle, c’était prouvé depuis longtemps.
Toutes ces platitudes étaient en rapport avec l’actuel système qui dominait le monde, qui n’avait pas l’air de s’affaiblir et qui avait imposé depuis longtemps une façon de penser réductrice, binaire, sur le modèle unique : j’achète / j’achète pas, devenu la base des échanges humains. J’aime / J’aime pas. Oui / non. Point final.
Il y eut une vague de paralysies qui frappèrent le pays, les femmes surtout.
Et on appliqua sur la suggestion d’un professeur émérite des systèmes de redressement, des corsets. Des femmes malades se révoltèrent, exigèrent " Du soin, de l’écoute, du rêve ".
Ce mot d’ordre eut un grand succès, même si un médecin biologiste connu pour ses comportements sexistes à l’hôpital, les traita partout d’hystériques et expliqua avec arrogance que le rêve était une inflammation de la cervelle.
L’époque n’était pas à la polémique.
Quelques intellectuels protestèrent, avancèrent qu’on était en pleine régression générale,
un appel collectif, - il était intitulé " la vérité divise " fut lancé,
mais personne ne s’intéressa vraiment, il tomba à plat.
Comment ça se termina ? Eh bien, ça ne se termina pas.
On y est encore;
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