On oppresse un pays ; on
opprime un peuple ; on opprime ou on oppresse un ou plusieurs individus. Et
tous ceux qui, soit par la force, soit par la ruse, soit par l'éducation
faussée, font des victimes de leur méchanceté, de leur autorité, de leurs
instincts, de leurs vices, sont des oppresseurs.
Les oppresseurs sont ceux
qui, consciemment ou inconsciemment, font acte d'oppression. Et l'on fait cet
acte d'oppression quand on étouffe tout bon sentiment, toute initiative
généreuse, innés dans l'individu, par une influence quelconque : 1'autorité, le
mensonge, la calomnie, la perversité, l'intérêt.
L'oppression est l'acte
d'opprimer.
Toute guerre est un acte
d'oppression réciproque. Les conditions des vainqueurs imposées aux vaincus
sont toujours des actes d'oppression, conséquence de la guerre. Les
bénéficiaires et les victimes de la guerre sont les uns des oppresseurs et les
autres des opprimés. Le Père Lacordaire a dit, pour expliquer l'action
d'opprimer : « Toute guerre d'oppression est maudite » (Dict. Larousse). En ce
cas, comme toute guerre est une oppression, toutes les guerres sont maudites,
car il n'y a aucune distinction possible à faire si l'on se mêle de juger cette
honte : la guerre ! C'est du moins ainsi que nous pensons.
Toussenel définit ainsi
l'état de celui qui est opprimé : « La misère et l'oppression changent les
opprimés en brutes » (Dict. Larousse).
- Et ceux qui font la misère
et qui font les opprimés ? En quoi cela peut-il les changer ? Si l'oppression
fait des opprimés, de malheureuses brutes quand la misère s'y joint, nous
pouvons croire que Toussenel n'a pu exprimer ainsi toute sa pensée, par le
Dictionnaire Larousse, comme nous pouvons l'exprimer ici, sans quoi il eût, je
pense, traité d'ignoble brute l'individu cause de misère et d'oppression. A
moins que Toussenel n'ait pas étudié ce vil animal.
D'Alembert a écrit, en ce
qui concerne ces mots : « Je fais du genre humain deux parts : l'opprimante et
l'opprimée ». Cette définition est trop juste pour que nous y ajoutions quelque
chose. Certes, nous ne pouvons aimer ceux qui oppriment leurs semblables, mais
nous pouvons ne pas admirer ceux qui se laissent opprimer, alors que leur
dignité d'homme leur fait un devoir de se révolter ! Mais la révolte, parfois
spontanée, se rencontre trop souvent avec le misérable instinct de conservation,
dont on ne se débarrasse pas si facilement qu'on le fait de certains parasites
!
Il semble que l'on pourrait
au moins ne pas s'opprimer mutuellement, comme cela arrive si fréquemment dans
tous les groupements humains et presque partout à la surface du monde ...
Exemples : dans la famille, le père opprime la mère ; la mère opprime les
enfants ; les frères oppriment les sœurs ; les aînés oppriment les cadets ; les
grands oppriment les petits ; les forts oppriment les faibles, etc. Et cela se
passe à peu près dans tous les pays, sous tous les climats. Il est des
oppressions qui sont sacrées et consacrées, comme chez nous par le mariage. La
morale chrétienne comme la morale païenne n'est établie que sur des systèmes
divers d'oppression. Les mœurs des peuples sont remarquables par les façons
originales de chaque peuple à s'opprimer plus ou moins dans la nation ...
Mais, où l'oppression gagne
en puissance, c'est au point de vue de l'extension des Peuples ou plutôt des
nations en dehors de chez elles. Cela s'appelle la colonisation, c'est-à-dire
l'oppression inqualifiable sur des malheureux auxquels, par la guerre ignoble,
des guerriers capables de tout, imposent, sous le prétexte cynique de civilisation,
la pire des oppressions. Ces opprimés de la colonisation ont tout subi. On a
d'abord méprisé leurs croyances stupides pour leur en imposer d'autres qui ne
le sont pas moins. Puis, on a conquis leur pays pour les protéger en les
fusillant, en les mitraillant, en brûlant, en pillant tout chez eux. On n'a
tenu aucun compte de leurs mœurs, de leur religion, de leurs sentiments, de
leurs aptitudes. On a varié pour eux l'oppression dite sauvage, en leur
inculquant les bienfaits de la civilisation par l'exemple de l'injustice, et de
la cruauté. On leur a donné le goût de l'ivrognerie en les dotant de toutes
sortes de mixtures dénommées eaux-de-vie, pour les abrutir ou les faire mourir.
En plus de l'alcool, après s'être moqué de leurs mœurs privées, et avoir tourné
en ridicule leurs cérémonies naïves ou naturelles, on les a gratifiés de nos
vices et de nos maladies. Pour mieux les opprimer, on a pourri le corps et
l'esprit de ces malheureux dont on a fait des esclaves pour les travaux forcés,
au profit des civilisateurs et des soldats sanguinaires pour défendre et
protéger les biens et la vie de ceux qui les ont asservis et qui les oppriment.
Les oppresseurs,
pensons-nous, ont si bien accompli leur tâche de civilisation que tout ce qui
se passe actuellement est l'indice assez clair de transformations prochaines
dans le monde entier.
Les millions d'opprimés de
l'Inde, dans leur passivité, se montrent formidables à leurs ennemis : les
Anglais. Demain, peut-être, la classe des fonctionnaires et des colonisateurs
verra une forme nouvelle de résistance à l'oppression, qui ne sera plus celle
de Gandhi.
En Asie, couve une révolte
latente qui n'attend pour éclater qu'un animateur, un entraîneur, un Messie ...
Un homme ou une nation. Qui sait ?
En Afrique, l'oppression,
qui fait honte à l'homme opprimé de n'être pas de la même couleur que son
oppresseur, nous réserve sans doute une future guerre de races où les blancs
riront jaune.
Enfin, il n'est pas
jusqu'aux pays d'Europe et d'Amérique, las, épuisés par la dernière Grande
Guerre, subissant tour à tour des crises économiques, qui ne se demandent ce
que pourra bien être pour eux l'avenir, si menaçant !
La tyrannie financière
pourrait bien faire place à une autre tyrannie dont l'oppression ne serait
vraiment cruelle qu'aux oppresseurs de la veille. Ce ne serait pas encore la
perfection, mais ce serait peut-être un pas vers elle. Qui vivra, verra,
dit-on. Puissions-nous voir la fin de toutes les oppressions ! Pour cela,
soyons de tout cœur et de toute raison, les adversaires déterminés des
oppresseurs, les défenseurs ardents des opprimés !
Il est insensé de croire
qu'on peut s'affranchir soi-même en laissant subsister partout l'oppression. Il
faut anéantir celle-ci dans tous les domaines : politique, économique, moral,
social, national, international. Alors, seulement, la Liberté sera !
- G. YVETOT.
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