mercredi 8 février 2023

NOURRITURE (ALIMENT, ALIMENTATION) n. f. (du latin nutrire, nourrir) encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 


Substance comestible, non toxique, favorable à l'accroissement et à l'entretien des organismes vivants et génératrice des phénomènes énergétiques et vitaux dont ils sont le siège.

Conséquemment, toute matière impropre à satisfaire à ces obligations doit, pour chaque espèce déterminée, être exclue de son alimentation propre.

Malgré l'extrême complexité du régime alimentaire de l'homme et l'incomparable variété des substances comestibles qui constituent sa nourriture habituelle, solide et liquide, leurs principes de constitution se résument en sept types fondamentaux : les albuminoïdes, les graisses, les hydrates de carbone, les sels minéraux, les vitamines, l'eau, l'oxygène de l'air.

La ration alimentaire quotidienne idéale de l'homme doit donc former l'harmonieuse synthèse de tous ces éléments. Mais dans quelle proportion ? Et quelle devra en être la somme totale ? Le problème se révèle immédiatement d'importance.

La cellule constitutive de l'agglomérat humain est essentiellement albumineuse. Sa constitution préalable, son usure, justifient donc l'apport de matériaux azotés.

Pour si indiscutable que soit cet apport, l'importance en fut pendant longtemps exagérée. La diététique officielle et classique l'avait fixée à un taux que rien ne justifiait. C'est ainsi que Germain Sée, qui se ravisa par la suite, estimait de 130 à 160 grammes la ration journalière de protéiques nécessaire à un adulte de poids moyen. D'autres physiologistes, parmi lesquels Voit et Pettenkoffer, réduisirent leurs estimations à 120 grammes pour un total de calories voisin de 3.000 unités. A. Gauthier, Beaunis et Atwater établirent une ration alimentaire type se décomposant comme suit : 111 grammes d'albumine ; 84 grammes de graisse ; 337 grammes d'hydrates de carbone.

Koffer, Ranke et Benke obtenaient par une méthode différente : 110 grammes d'albumine ; 36 gr. de graisses ; 345 grammes d'hydrocarbonés, dégageant une somme totale de 2.532 calories.

Mais les méthodes employées par ces savants auteurs étaient entachées d'empirisme. C'est alors que les procédés d'investigations scientifiques furent substitués aux calculs fantaisistes. Armand Gautier, imité par d'autres physiologistes, revenant sur leurs évaluations premières, abaissèrent de quelques centaines d'unités le taux des calories primitivement établi, tout en réduisant sensiblement la portion azotée. Fauvel, soumettant pendant cinq années consécutives un sujet à un régime plus restreint et mieux ordonné, observa que 60 à 70 grammes, incorporés à une ration totale représentant 2.200 calories, suffisaient à le maintenir en bon état physiologique. Chittenden, poursuivant, en 1903 et 1904, cette expérience de réduction quantitative de la ration alimentaire appliquée sur 26 individus de professions, de races et d'âges différents, aboutit à la remarque que 45 à 55 grammes de substances protéiques suffisent quotidiennement aux exigences physiques d'un homme de poids moyen. L'un de ces sujets tira même un bénéfice physique et mental du fait que sa ration avait été abaissée pendant plus d'un an, au total quotidien de 1.600 calories avec 36 grammes 6 d'albumine seulement.

Lapicque ayant obtenu le chiffre de 54 grammes d'albumine et Labbé 44 grammes, Pascault, tablant sur ses expériences personnelles, aboutit aux chiffres de 53 grammes d'albumine exigible pour chaque individu d'un poids ordinaire. C'est cette conclusion qui lui fait affirmer que la question des albuminoïdes ne doit pas hanter quiconque se préoccupe de régime. « Je serais presque tenté, ajoute-t-il, si je ne craignais d'être accusé de cultiver le paradoxe, de dire de l'azote : on en à toujours assez,, on en à toujours de trop. »

Cette ration de sédentarité, réduite à une moyenne de 1.800 calories ne renfermant que 53 grammes de composés azotés, suffit-elle à réparer les forces d'un ouvrier astreint à un labeur pénible, épuisant ? N'y a-t-il pas lieu de l'amplifier tout en augmentant l'importance de la fraction azotée aux fins de réparation des tissus fort éprouvés ?

Le moteur humain, à l'instar des moteurs mécaniques, a des exigences restreintes, comme nous. le verrons plus loin, en matériaux de constitution. Ce qu'il lui faut pour fonctionner, c'est du combustible de bonne qualité, c'est donc, dans les composés ternaires, dans les hydrates de carbone particulièrement, comme de récentes expériences l'ont confirmé, que la machine humaine trouvera les principes de l'avitaillement qui lui conviennent le mieux. Ce sera donc aux aliments dynamogènes que le travailleur demandera exclusivement son supplément de ration.

En 1865, deux physiologistes, désireux de solutionner cette question, entreprirent de concert l'ascension méthodique du Faulhorn, d'une hauteur de 3.000 mètres. L'analyse de leur urine avant et après l'épreuve permit de constater que les déchets azotés demeuraient invariables. Voit, renouvelant l'expérience sur le chien et le cheval, obtint semblable résultat. Chauvet, expérimentant sur des animaux, aboutit à la conclusion que la consommation d'albumine ne subit aucune variation, que l'animal soit actif ou non.

D'ailleurs, les millions d'extrême-orientaux et d'africains qui demandent à la parcimonieuse ration de riz, d'orge ou de dattes une alimentation pauvre en éléments plastiques et qui sont pourvus d'une vigueur indéniable attestent le mal fondé de prétentions qui ne devraient plus subsister.

Outre qu'il est inutile de faire appel au concours massif d'aliments à forte teneur albumineuse, il est dangereux de leur réserver une place trop importante. Si la destruction par l'organisme des principes ternaires, lorsqu'ils sont en excès, ne l'expose pas à de sérieux mécomptes, l'apport excessif d'albuminoïdes, surtout lorsqu'ils sont d'origine animale, engendre, au cours de leur désintégration, une foule de déchets toxiques dont l'urée et l'acide urique sont parmi les plus importants. Il en résulte une acidification des humeurs qui, à la longue, instaure ce redoutable état diathésique : 1'arthritisme.

Une sévère sélection alimentaire s'impose donc pour ne pas compromettre le bon équilibre physiologique. Donner la préférence à une nourriture où les hydrocarbonés dominent constituera donc, pour l'économie, une politique idéale de la nutrition. Et l'homme n'aura jamais à redouter le danger d'une sous-alimentation, sa propension à la gourmandise étant le plus sûr garant de la suffisance.

Les graisses et les sels minéraux occupent, comme nous l'avons susmentionné, une place importante dans les apports indispensables. Les premières symbolisent le type de l'aliment thermogène par excellence. Nous les trouverons en quantité plus que suffisante dans notre ration, d'autant plus que l'adjonction habituelle des corps gras consacrée par les mœurs culinaires, souvent en surcharge, nous garantit de tout danger de pénurie. Il n'y a donc lieu de s'en préoccuper que pour en restreindre l'abus.

L'importance jouée par les sels minéraux mérite d'être signalée. L'alimentation moderne leur marchande trop une place qu'ils devraient occuper sans contestation. N'est-ce pas le phosphore qui préside à la construction des noyaux cellulaires ? Le fer ne joue-t-il pas un rôle particulier dans l'hématose ? Et la soude ne contribue-t-elle pas à neutraliser les effets toxiques des acides dont l'économie est généralement surchargée ? Il est donc maladroit de les frapper d'ostracisme et une part importante des manifestations pathologiques n'a pas d'autre origine. Restituons-leur donc la place qu'ils devraient occuper en nous adressant aux aliments qui en sont riches à la condition de ne pas les en débarrasser par un mode de cuisson intempestif et routinier.

La question des vitamines est encore une énigme. Non pas qu'on ignore leur manifestation. Les découvertes récentes ont mis en lumière leur intervention dans les phénomènes vitaux. Mais l'impuissance actuelle de la science à les identifier convenablement laisse subsister le mystère qui les couvre. Il n'en résulte pas moins que leur concours ne peut être récusé en matière biologique. Toute alimentation dépourvue de leur présence conduit à une mort inéluctable.

Des chiens soumis au régime de la viande cuite exclusive succombent invariablement avant un délai de deux mois, après avoir parcouru toute une série de phases morbides. Des pigeons alimentés de froment décortiqué connaissent les mortelles atteintes du béribéri du pigeon. Le citoyen du céleste empire qui demande au riz poli sa substance exclusive a tout à redouter de cet implacable béribéri. L'explorateur qui s'alimente de conserves s'expose aux atteintes du scorbut et du botulisme. Et la pellagre s'insinue dans le corps débilité du mangeur de polenta. Mais ajoutez, lorsqu'il est encore temps, à la ration du chien ainsi traité, des aliments crus ; à celle du pigeon le son exclu du blé dont il était nourri ; additionnez la pâtée de riz du fils de Soleil de quelques pincées de paddi, cette pellicule argentée qui enveloppe la graminée dont il s'est alimenté ; adjoignez aux conserves dévitalisées du coureur d'aventures quelques gouttes de citron ou quelques bouquets de cresson ; et agrémentez le menu du compatriote de Garibaldi de mets variés et vitalisés ; et vous verrez renaître à la vie ces moribonds dans un laps de temps plus ou moins long.

C'est que les aliments naturels contiennent en totalité ou en partie ces éléments mystérieux que la science n'a pu encore isoler et dont la carence absolue conduit infailliblement à ces curieuses et dangereuses avitaminoses, aux conséquences mortelles. Pour éviter ces graves conséquences il est donc essentiel de respecter leur intégrité en ne soumettant à la cuisson que ce qu'il est impossible de consommer cru et de ne pas débarrasser de leurs parties corticales ou sous-corticales les variétés alimentaires ou se trouvent justement inclus ces précieux éléments.

C'est en vertu de ce principe de conservation que le pain complet, pourvu des éléments péricarpiens, riches en vitamines, dont s'alimentaient nos pères, devrait être substitué à l'absurde pain blanc actuel. Et qu'il faudra composer des menus où figureront abondamment salades variées et fruits à l'état cru.

L'eau se trouve en abondance dans la plupart des comestibles. La teneur hydrique de certains atteint parfois le taux élevé de 95 %. Nous trouverons donc la plus grande partie du précieux liquide dans la ration quotidienne. En cas d'insuffisance justifiée par un travail musculaire intense (période de grande chaleur, etc.), nous ferons appel à son concours sous sa forme la plus simple qui est l'eau pure et nous dédaignerons les breuvages qui s'adornent du titre pompeux et mensonger « d'hygiéniques » et qui ne possèdent de cette qualité que le nom .

C'est grâce à l'eau que la circulation organique s'effectue, apportant aux cellules affamées les munitions nécessaires, véhiculant vers les émonctoires les déchets provenant d'usures constantes. Et bien des phénomènes d'osmose ne s'effectuent que par son intervention.

Nous clorons cette énumération alimentaire avec l'oxygène de l'air. Son importance est telle que l'homme qui en serait privé quelques minutes seulement ne pourrait échapper au sort fatal.

Ce précieux comburant pénètre dans l'organisme par les poumons et les pores de la peau qui sont, à ce titre, d'importants organes respiratoires. C'est lui qui, par sa combinaison avec le carbone, résultant de l'élaboration des autres aliments, libère l'énergie incluse thermo-dynamique qui assure son régulier fonctionnement. Il concourt également au mécanisme de la voirie organique en brûlant maints déchets toxiques qui perdent ainsi leur dangereuse causticité. Il convient donc de favoriser largement son intervention (à laquelle s' oppose malheureusement une pratique d'hygiène déplorable) en assurant une aération diurne et surtout nocturne des appartements (fenêtre largement ouverte pendant la nuit). Une vie physique active (culture physique, sport, etc.), s'impose également, favorisant une suroxygénation du sang qui répondra à ces desiderata. Cette intensive .oxygénation aux effets bactéricides trop connus interviendra de la plus heureuse façon.

Se superposant à toutes ces considérations, il en est une qu'il est. impossible de passer sous silence. Nous l'esquisserons brièvement.

Il ne suffît pas qu'une substance donnée possède toutes les qualités susénumérées pour justifier son introduction dans la diététique humaine. Il est indispensable qu'elle ne s'accompagne pas d'éléments perturbateurs et désagrégateurs.

Il n'est rien qui ressemble mieux à un champignon comestible qu'un de ses congénères vénéneux. Le caractère du deuxième, c'est qu'il contient, outre les éléments nutritifs du premier, un principe dangereux, souvent mortel.

Il est d'autres aliments aux apparences inoffensives recrutant tout au partie des qualités nutritives exigées et qui recèlent d'insidieux poisons dont les effets, pour lents qu'ils soient, n'en sont pas moins redoutables.

La viande est de ceux-là. Imparfaite déjà, parce qu'elle ne contient que quelques traces d'hydrates de carbone, cependant si nécessaires à l'effort musculaire, elle comprend, en outre, un surcroît d'albuminoïdes qui suffirait déjà à la déconsidérer. Son incompatibilité vient surtout de ce qu'elle est farcie de purines, ptomaïnes, leucomaïnes, poisons aux effets lents et néfastes pour l'homme, frugivore de nature, et dont les défenses organiques ne sont pas adaptées, comme c'est le cas des carnivores, à leur neutralisation. Les putréfactions intestinales qu'elle suscite au cours de la digestion, favorisant une formidable pullulation microbienne, s'additionnant aux autres méfaits dont elle est déjà chargée. L'imputation qui lui est faite, justifiée par les faits, d'engendrer ou de favoriser la naissance ou le développement des maladies telles que le cancer, l'appendicite, etc., suffit à imposer son exclusion d'un régime rationnel (voir végétalisme, végétarisme).

Voici, d'après le docteur Callière, par ordre de décroissance, l'importance toxique de certains aliments : thymus, foie, pancréas, cerveau, muscles, œufs, lait, légumes, salades. Les céréales, ces anti-putrides par excellence lorsqu'elles sont soigneusement mastiquées, sont incroyablement riches en hydrocarbonés, sels minéraux et vitamines ; les fruits peu acides, ces désintoxiquants parfaits dont la valeur alimentaire est aussi remarquable, peuvent figurer avantageusement au bas de cette échelle.

Soumis à l'expérience de la bombe calorimétrique, l'alcool dégage, en brûlant, un nombre respectable dé calories. C'est ce qui lui a permis de prendre figure d'usurpateur. Si, ingéré, il brûle dans l'organisme (sort que, dans le même cas, subit d'ailleurs l'éther, ainsi que le souligne le professeur Legris), c'est parce que sa présence dangereuse oblige celui-là à des mesures de voieries au premier plan desquelles figure sa destruction par la combustion. L'abaissement de température qu'il détermine chez des cobayes soumis au traitement du dangereux liquide, et les infériorisations et les insuccès des athlètes abreuvés de boissons fermentées infirment hautement la considération que des personnages abusés ou intéressés lui avaient concédée. Ni aliment, ni excitant, ses propriétés stupéfiantes et toxiques l'écartent systématiquement de l'activité alimentaire de l'homme (voir alcoolisme).

Nous abordons ici la gamme des excitants dont les rapports avec l'aliment véritable sont plus apparents que réels.

Si, par son corps gras de composition, le chocolat constitue exception, il ne mérite pas moins un ostracisme sévère, en raison de la présence en son sein d'un alcaloïde dangereux de l'ordre des purines; la théobromine, dont l'action excitatrice s'accompagne inévitablement d'influences funestes. A défaut d'une exclusion totale, une tolérance vigilante devra en limiter la consommation.

Le café et le thé s'apparentent, grâce à leur caféïne et à leur théïne, au chocolat. C'est assez dire qu'ils ne méritent pas meilleur accueil. Excitants de la cellule nerveuse, aussi néfastes qu'éphémères, ils l'épuisent par leurs interventions répétées. L'interdit qui les frappe est largement justifié et leur emploi ne devra être qu'exceptionnellement toléré.

Ce sévère élagage, ces coupes sombres atteignant mets et breuvages à la réputation parfois surfaite de « délicatesse incomparable » qui les ont fait situer au sommet de la hiérarchie gastronomique, ne peuvent manquer de susciter des émotions, de soulever même les contestations d'innombrables personnes qui placent au premier plan de leurs préoccupations les satisfactions du palais et ferment, consciemment ou non, les yeux sur leurs conséquences. Les plaisirs sensuels étant les seuls dignes de leur considération, tant pis si leur abus conduit aux catastrophes!... Cette conception de la vie par trop dépourvue de véritable philosophie conduit à l'aberration pure.

Il est manifestement faux, d'ailleurs, qu'une orientation unilatérale de la diététique procure, en les totalisant, toutes les satisfactions du goût. Une enquête consciencieuse exécutée auprès des groupements humains qui peuplent l'immense réseau des longitudes et des latitudes et qui se délectent de menus dont la composition souvent agréable, mais parfois repoussante pour le civilisé, infirme hautement ce concept enfantin. Quiconque est astreint dès sa prime enfance à une discipline alimentaire restrictive des variétés de constitution physico-chimique malsaine et qu'apprécient les prétendus gourmets aberrés, n'est pas pour cela exclu des plaisirs gustatifs. La finesse du goût atteint d'ailleurs chez lui une acuité qui lui permet d'apprécier bien des délicatesses inconnues du blasé, chez qui l'atrophie gustative est si souvent le résultat d'une alimentation corrosive exagérée.

Mais si, à la rigueur, l'alimentation simple et rationnelle s'accompagnait d'une réduction des agréments charnels, qu'y pourrions-nous ? Les lois qui régissent le métabolisme sont inflexibles et intransgressibles. Toute rébellion se traduit par des sanctions pathogéniques commandées par les fameuses lois de compensations.

« L'homme creuse sa tombe avec ses dents ». Ces paroles sentencieuses formulées il y a dix-neuf siècles, par le sage Sénèque, n'ont pas démérité. En un temps où triomphent des appétits de grossier matérialisme et où l'humanité s'achemine vers les pires déchéances physiques par sa routine meurtrière et ses passions incontrôlées, la sentence lapidaire nous rappelle vers quel lointain passé remontent les errements en la matière et qu'il est grand temps de réformer nos méthodes.

C'est à ceux qui se targuent de philosophie désintéressée de tout tenter pour l'arrêter sur la pente fatale et de lui montrer que les plaisirs de la table sont légitimes lorsqu'ils ne concourent pas à son avilissement physique et intellectuel ; et que, se superposant à eux, il y a des joies d'ordre supérieur susceptibles de l'élever et de le conduire au vrai bonheur.

J. MÉLINE.

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