Est officiel ce qui émane
d'une autorité reconnue, en particulier d'un gouvernement. Mais, alors que le
terme officiel s'applique de préférence à ce que tous savent et considèrent
comme indubitable, le terme officieux est réservé à ce qu'on n'a pas encore
rendu public et que le grand nombre ignore. Obéir aux sacrosaintes personnes en
qui s'incarne le commandement, les croire sur parole, telle est la suprême loi
dans nos sociétés. Vérité ou mensonge, bien ou mal n'existent qu'en fonction de
ce que veulent les maîtres de l'heure. Les enfants l'apprennent à l'école et
les tribunaux le rappellent sans douceur aux adultes qui s'avisent de
l'oublier. On ajoute, pour calmer défiances et scrupules, que, si les autorités
mésusent du pouvoir, elles en porteront la responsabilité. Fiche de consolation
pour les naïfs qui acceptent les pires avanies dans le fallacieux espoir d'être
vengés. En attendant, les chefs se prélassent ; et si tous n'ont pas la chance
d'être légalement infaillibles, comme le pape, beaucoup se croient tels ou, par
leur façon d'agir, le laissent du moins supposer. Dans les Etats démocratiques,
ils ne disent plus : « Tel est notre bon plaisir », mais ils parlent au nom de
l'intérêt national, dont ils s'affirment les représentants : le résultat ne
varie pas, seule change la formule de commandement.
Que de crimes incombent à la
vérité officielle qui, d'ordinaire, n'est que mensonge ! Parce que les
dirigeants rêvaient de prestige ou de rapine, n'a-t-on pas vu, récemment, des
millions d'hommes s'entretuer, au nom de l'honneur national et de la liberté ?
Dans la bouche des autorités qui commandent aux consciences, les ambitions de
la Haute Banque ne se transforment-elles pas, chaque jour, en devoir moral ?
Une savante alchimie du langage suffit à rendre vertueuse une action coupable
et mauvaise une action généreuse : houille, fer, pétrole acquièrent un prix
surnaturel et qui meurt pour leur conquête reçoit la couronne des héros ou des
saints ; mais c'est un affreux gredin celui qui sème, parmi les hommes, des
idées de fraternité. L' histoire nous l'apprend : maintes fois le sang coula
ponr de pures questions de mots, et l'on s'étonne, aujourd hui, que nos pères
aient pu prendre au sérieux des querelles où les deux adversaires, tout en
parlant un langage divers, avaient, au fond, même opinion ! Nos successeurs ne
s'étonneront pas moins à notre sujet ; ils s'apercevront aussi que la
terminologie officielle servit à camoufler les intérêts des puissants.
Dans le domaine
intellectuel, elle n'est pas moins néfaste, l'action des autorités. Pas besoin
de recherches, ni d'inventions pour faire figure de savant ; il faut seulement
détenir l'une de ces chaires ou prébendes officielles qui valent des revenus au
titulaire, même s'il s'endort. Et l'on rencontre, dans les plus hautes écoles,
à côté de quelques esprits vigoureux, une foule de médiocres toujours dressés
contre les jeunes dont ils devinent le talent. Quant à l'Académie, corruptrice
officielle, on remarque sans peine qu'elle joue un rôle prépondérant dans
l'achat des consciences. Citadelle du traditionalisme le plus borné, elle met
au service de la réaction ses immenses richesses et son influence. A ses yeux
l'art n'est admissible qu'à la remorque de la finance ou de l'Eglise ; la
franchise est une tare qu'elle ne pardonne pas. Pourquoi ce protestant, cet
israélite, ce Iibre-penseur saluent-ils si bas nos puissants prélats, pourquoi
une telle déférence à l'égard des plus sots préjugés ? Travail d'approche,
prélude d'une candidature ; l'échine doit être souple lorsqu'on fut rouge et
mécréant. On sait que l'artiste ne fait œuvre féconde que s'il se libère de
l'influence officielle. Dans leur domaine, les grands créateurs de beauté
furent tous d'insignes révolutionnaires ; d'où l'incompréhension que beaucoup
rencontrent de leur vivant. Comme il n'est pas de son époque et devance ceux
qui l'entourent, l'homme de génie obtient rarement les succès immédiats que
procure un talent servile et médiocre. Et les pontifes officiels le
pourchassent, car il se moque des maîtres en vogue, des cénacles et des
académies. Transmettre aux jeunes les techniques professionnelles, voilà
l'utile rôle des professeurs ; hélas ! ils cherchent surtout à recruter, parmi
leurs élèves, des partisans et des admirateurs. Certes, l'art dépend de la vie
collective et, sur les peuples, il exerce trop d'influence pour que les
officiels s'abstiennent de l'asservir ou de le museler. Mais ce n'est plus un
véritable artiste, celui qui abdique son indépendance, pour devenir le groom
des autorités.
Sur les méfaits de la morale
officielle, l'on pourrait aussi s'étendre longuement. Le critérium du bien, la
pierre de touche qui lui permet de séparer le vice de la vertu, c'est le
succès. Qui fit tuer des hommes par millions se voit comblé d'honneurs, mais
l'on condamne durement le meurtrier vulgaire ou le voleur de quelques francs.
Si Boulanger avait réussi, les encensoirs fumeraient toujours à son intention ;
s'il avait échoué, Bonaparte serait flétri par l'histoire officielle du nom
d'aventurier. L'Eglise a trouvé mieux : grâce à la Providence, bonne et muette
fille, elle légitime tout coup de force pour peu qu'il serve ses intérêts.
L'usurpateur, s'il réussit, trouve en elle une alliée : contre la dynastie
mérovingienne, elle appuya Pépin ; elle sacra Bonaparte, après avoir sacré les
Bourbons. Alors, que penser des règles morales que les autorités religieuses
déclarent officiellement intangibles ? Ne soyons pas étonnés que, dans les
couvents catholiques, moines et nonnes se fassent, sous prétexte de charité,
une guerre au couteau, fort édifiante pour qui la connaît. Espionnage et
délation mutuels s'y transforment en devoirs primordiaux ; chacun épie
intentions et murmures du voisin pour l'avertir des fautes commises, ou mieux,
le dénoncer au supérieur. Seulement coups de griffes ou de dents n'ont cours qu'à
l'intérieur, rien ne transparaît au dehors ; pour le public, ton doucereux,
allures patelines sont officiellement de rigueur. Arrogance des chefs, et
platitude des masses sont d'ailleurs courantes, même dans les partis, qu'on
dénomme avancés. Partout s'installe la tyrannie des bien-placés ; et, quoique
donné par des aristocraties contraires, le mot d'ordre à gauche comme à droite,
c'est d'obéir. Malheur au simple cotisant qui ne s'accorde avec les officiels
de son groupement ; dans sa propre faction, on le bafoue, on l'excommunie,
surtout s'il s'avise d'avoir pour lui la logique et le bon sens.
Justice officielle, vérité officielle,
art officiel, morale officielle méritent donc notre mépris. A l'inverse des
imbéciles que le terme officiel impressionne favorablement, défions-nous dès
qu'on le prononce.
- L. BARBEDETTE.
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