Lignes est une collection dirigée par Michel Surya
Article : Un fascisme sans nom Par Pierre-Damien Huyghe
« C’est dès lors une
question que de savoir pourquoi il n’est pas fait davantage référence à ces qualificatifs
disponibles : « fascisme », « nazisme », pour
qualifier le régime de violence qui tend à s’installer et pourquoi se trouve en
revanche manifestement préféré celui de « terrorisme ». A cela, trois
raisons au moins.
La première, c’est qu’n
retour éventuel à l’horreur est si redoutable qu’on parvient à peine à en
envisager la possibilité : on ne veut souvent pas voir le danger.
La deuxième, c’est que « terrorisme »
est un vocable avantageux pour tout pouvoir dont une vive politique déranger l’administration.
On a vu après le 11 septembre 2001 combien le mot, alors encore assez indéfini
en droit, a pu servir de pivot à la légitimation d’un état d’exception, c’est-à-dire
au devenir ordinaire d’un extra-ordinaire juridique. Pareille légitimation a
travaillé et travaille encore dans le sens d’une dépolitisation puisque les
mesures dites de « sécurité », loin de viser, comme dans la
signification historique du droit des citoyens, à la protection contre les abus
de l’état, loin même d’ouvrir une place pour le débat public, justifient au
contraire l’augmentation de puissance de ce dernier, allant jusqu’à lui donner
droit de contrôle sur les productions discursives des réseaux.
La troisième, la dernière
que je dirai, mais non la moindre, c’est que « fascisme » et « nazisme »
sont des mots européens. Considérer qu’ils sont capables de qualifier avec
pertinence ce qui se passe dans un ailleurs présupposé, c’est au fond admettre
que cet ailleurs n’est pas aussi étranger qu’on le voudrait et que son histoire
implique en fait elle-même quelque chose d’européen. C’est bien en l’occurrence
le cas. Aucun des espaces aujourd’hui concernés par le débordement politique
que j’aurai tenté de définir ne peut, à plusieurs niveaux (moyen-âge, siècle
des Lumières, entreprises impériales et colonisatrices depuis le temps de
Bonaparte jusqu’à celui des mandats d’après la première guerre mondiale), être
tenu comme indemme des menées européennes. Cela n’est certes pas tout à fait
tu, mais demeure assez flou. Au rebours, si j’ose dire, de ce flou, émerge dans
une lueur de clair-obscur le syntagme de « pensée arabe ». Plus
claire, plus politique serait l’expression de « pensée en langue arable ».
Si cette expression n’est pas adoptée, si, dans le même mouvement, circulent
aussi bien d’autres fixatifs d’identités ( par exemple, en tenant bien compte
des singuliers : « la pensée musulmane », « la pensée
chrétienne », etc), c’est que nous ne nous expliquons pas assez les uns
avec les autres quant à ce qui a pu se produire dans l’histoire tant au nom de
l’Europe qu’à ceux de telle ou telle de ces autres espaces d’existences qui,
tantôt de l’intérieur, tantôt par alliance, auront composé, ou dû composer,
avec ce nom d’Europe.
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