lundi 13 février 2023

Lignes N° 48 : Les attentats, la pensée

 Lignes est une collection dirigée par Michel Surya

Article :  Un fascisme sans nom    Par Pierre-Damien Huyghe

 

« C’est dès lors une question que de savoir pourquoi il n’est pas fait davantage référence à ces qualificatifs disponibles : « fascisme », « nazisme », pour qualifier le régime de violence qui tend à s’installer et pourquoi se trouve en revanche manifestement préféré celui de « terrorisme ». A cela, trois raisons au moins.

La première, c’est qu’n retour éventuel à l’horreur est si redoutable qu’on parvient à peine à en envisager la possibilité : on ne veut souvent pas voir le danger.

La deuxième, c’est que « terrorisme » est un vocable avantageux pour tout pouvoir dont une vive politique déranger l’administration. On a vu après le 11 septembre 2001 combien le mot, alors encore assez indéfini en droit, a pu servir de pivot à la légitimation d’un état d’exception, c’est-à-dire au devenir ordinaire d’un extra-ordinaire juridique. Pareille légitimation a travaillé et travaille encore dans le sens d’une dépolitisation puisque les mesures dites de « sécurité », loin de viser, comme dans la signification historique du droit des citoyens, à la protection contre les abus de l’état, loin même d’ouvrir une place pour le débat public, justifient au contraire l’augmentation de puissance de ce dernier, allant jusqu’à lui donner droit de contrôle sur les productions discursives des réseaux.

La troisième, la dernière que je dirai, mais non la moindre, c’est que « fascisme » et « nazisme » sont des mots européens. Considérer qu’ils sont capables de qualifier avec pertinence ce qui se passe dans un ailleurs présupposé, c’est au fond admettre que cet ailleurs n’est pas aussi étranger qu’on le voudrait et que son histoire implique en fait elle-même quelque chose d’européen. C’est bien en l’occurrence le cas. Aucun des espaces aujourd’hui concernés par le débordement politique que j’aurai tenté de définir ne peut, à plusieurs niveaux (moyen-âge, siècle des Lumières, entreprises impériales et colonisatrices depuis le temps de Bonaparte jusqu’à celui des mandats d’après la première guerre mondiale), être tenu comme indemme des menées européennes. Cela n’est certes pas tout à fait tu, mais demeure assez flou. Au rebours, si j’ose dire, de ce flou, émerge dans une lueur de clair-obscur le syntagme de « pensée arabe ». Plus claire, plus politique serait l’expression de « pensée en langue arable ». Si cette expression n’est pas adoptée, si, dans le même mouvement, circulent aussi bien d’autres fixatifs d’identités ( par exemple, en tenant bien compte des singuliers : « la pensée musulmane », « la pensée chrétienne », etc), c’est que nous ne nous expliquons pas assez les uns avec les autres quant à ce qui a pu se produire dans l’histoire tant au nom de l’Europe qu’à ceux de telle ou telle de ces autres espaces d’existences qui, tantôt de l’intérieur, tantôt par alliance, auront composé, ou dû composer, avec ce nom d’Europe.

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