jeudi 2 février 2023

NEUTRALITÉ (SCOLAIRE) encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 


Par la volonté des hommes au pouvoir, l'Ecole est un instrument de conservation du régime. Au moment où nous écrivons ces lignes, l'école italienne magnifie le fascisme, l'école russe s'efforce de coopérer à l'instauration d'un régime communiste et notre école française est soi-disant neutre, mais cependant républicaine et laïque.

Que faut-il entendre par neutralité scolaire ?

Jules Ferry disait : « demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait, de bonne foi, refuser son assentiment à ce qu'il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire. » Le grand maitre de l'Université ayant frappé Thalamas, coupable de ne pas avoir cru au dogme de la mission divine de la Pucelle, disait au Parlement : « Le Professeur ne doit pas tout apprendre ! »

Ainsi conçue, la neutralité consiste dans le choix des matières à enseigner plutôt que dans l'esprit. qui préside à l'enseignement.

La bourgeoisie républicaine qui a instauré en France le régime de l'école neutre et laïque - la laïcité n'est d'ailleurs que la neutralité religieuse - a voulu que la grosse majorité, sinon la totalité, des enfants puisse fréquenter les écoles officielles et, pour cela, qu'on donne en ces écoles un enseignement conforme aux opinions de la majorité des pères de famille. Elle a conçu la neutralité religieuse, ou laïcité, comme l'enseignement d'une morale commune, indépendante des religions. Cette neutralité religieuse, cet enseignement qui voulait laisser de côté tout ce qui divise, ne pouvait donner satisfaction aux croyants passionnés. « Qui n'est pas avec moi est contre moi », lit-on dans l'Evangile et les textes pontificaux qui proclament que la morale est subordonnée à la religion, en concluent que l'école neutre « est contraire aux premiers principes de l'éducation ». Elle ne pouvait satisfaire non plus les libre-penseurs et les athées qui dirent : « enseigner, c'est remplacer l'ignorance et l'erreur par la connaissance » et qui, naturellement, ne peuvent concevoir que certaines idées, certains faits d'observation ou d'expérience demeurent tabous.

Ainsi donc, à propos de la laïcité, forme religieuse de la neutralité, nous constatons l'impossibilité de donner satisfaction à tous. Dans une publication récente, nous lisons : De même que l'Etat républicain « enseigne une morale commune, indépendante des religions, il doit enseigner un civisme commun, et celui-ci ne peut avoir pour base que les principes mêmes du régime (c'est nous qui soulignons) ». On ne raisonne pas autrement en Russie où l'on enseigne la lutte de classe, qu'en France où il est défendu d'en parler. L'école neutre, telle que la conçoivent ses dirigeants, n'est pas vraiment neutre ; elle a pour fin d'assurer le conservatisme religieux et social des majorités. La neutralité est une hypocrisie. Ce n' est qu'une fausse neutralité.

La neutralité, la vraie, ne se soucie ni des opinions ni des croyances des pères de famille et électeurs.

L'école n'est point faite pour les pères, mais pour les enfants, pour des enfants auxquels il faut former l'esprit et le coeur non pas seulement en vue de la vie d'aujourd'hui, mais aussi de celle de demain. Avoir un enseignement neutre, ce n'est pas choisir des sujets neutres, établir des programmes neutres, en laissant de côté tout ce qui passionne les hommes et qui est nécessaire à la virilisation de l'enseignement. Un enseignement neutre par sa matière est un enseignement d'eunuques.

Ce que nous voulons, c'est un enseignement neutre par son esprit. Nous voulons que celui qui enseigne distingue ce qui est vérité scientifiquement démontrée de ce qui est opinion et croyance personnelle. Sans doute, ce sont ces opinions, ces croyances qui nous sont les plus chères : les hommes ne se sont jamais passionnés pour les vérités scientifiques, ils se sont battus pour des croyance. Cependant, celui qui enseigne doit faire violence à son sentiment personnel pour ne pas violer la personnalité des enfants et exposer, impartialement, des croyances contraires aux siennes. Nous ne voulons ni faire accepter aux enfants leur milieu social, ni les dresser contre ce milieu, mais former leur esprit, c'est-à-dire les habituer à se former des opinions personnelles, des jugements, après avoir douté, observé, expérimenté à l'occasion, puis raisonné.

Ajoutons que ce travail de l'esprit doit s'appliquer à tous les sujets qui intéressent les enfants et sont à leur portée. Il est bien évident qu'il faut une certaine maturité d'esprit pour aborder certains sujets. Mais, à part. cette exception nécessaire, les éducateurs devraient, après avoir instauré dans leurs classes un régime de confiance mutuelle, considérer leur enseignement comme une réponse aux curiosités enfantines. Au dogmatisme de l'enseignement nous voulons substituer le Iibéralisme de l'enseignement, le pédagogue cessant d'être le Maître pour devenir l'aide.

Certains révolutionnaires trouveront de tels buts insuffisants. Ont-ils si peu de confiance en leur idéal pour penser que des enfants, habitués à observer les injustices comme le reste, et à raisonner, et dont le cœur et la volonté auront été formés comme nous l'avons indiqué ailleurs, ne deviendront pas d'eux-mêmes les meilleurs révolutionnaires ?

En résumé, la tâche des révolutionnaires est double : d'abord combattre cette fausse neutralité scolaire qui est le masque du conservatisme social ; ensuite défendre la vraie neutralité, c'est-à-dire, en définitive la meilleure éducation possible de l'enfant.

- K DELAUNAY

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