Par la volonté des hommes au
pouvoir, l'Ecole est un instrument de conservation du régime. Au moment où nous
écrivons ces lignes, l'école italienne magnifie le fascisme, l'école russe
s'efforce de coopérer à l'instauration d'un régime communiste et notre école
française est soi-disant neutre, mais cependant républicaine et laïque.
Que faut-il entendre par
neutralité scolaire ?
Jules Ferry disait : «
demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et
vous écoutant, pourrait, de bonne foi, refuser son assentiment à ce qu'il vous
entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire. » Le grand maitre de
l'Université ayant frappé Thalamas, coupable de ne pas avoir cru au dogme de la
mission divine de la Pucelle, disait au Parlement : « Le Professeur ne doit pas
tout apprendre ! »
Ainsi conçue, la neutralité
consiste dans le choix des matières à enseigner plutôt que dans l'esprit. qui
préside à l'enseignement.
La bourgeoisie républicaine
qui a instauré en France le régime de l'école neutre et laïque - la laïcité
n'est d'ailleurs que la neutralité religieuse - a voulu que la grosse majorité,
sinon la totalité, des enfants puisse fréquenter les écoles officielles et,
pour cela, qu'on donne en ces écoles un enseignement conforme aux opinions de
la majorité des pères de famille. Elle a conçu la neutralité religieuse, ou
laïcité, comme l'enseignement d'une morale commune, indépendante des religions.
Cette neutralité religieuse, cet enseignement qui voulait laisser de côté tout
ce qui divise, ne pouvait donner satisfaction aux croyants passionnés. « Qui n'est
pas avec moi est contre moi », lit-on dans l'Evangile et les textes pontificaux
qui proclament que la morale est subordonnée à la religion, en concluent que
l'école neutre « est contraire aux premiers principes de l'éducation ». Elle ne
pouvait satisfaire non plus les libre-penseurs et les athées qui dirent : «
enseigner, c'est remplacer l'ignorance et l'erreur par la connaissance » et
qui, naturellement, ne peuvent concevoir que certaines idées, certains faits
d'observation ou d'expérience demeurent tabous.
Ainsi donc, à propos de la
laïcité, forme religieuse de la neutralité, nous constatons l'impossibilité de
donner satisfaction à tous. Dans une publication récente, nous lisons : De même
que l'Etat républicain « enseigne une morale commune, indépendante des
religions, il doit enseigner un civisme commun, et celui-ci ne peut avoir pour
base que les principes mêmes du régime (c'est nous qui soulignons) ». On ne
raisonne pas autrement en Russie où l'on enseigne la lutte de classe, qu'en
France où il est défendu d'en parler. L'école neutre, telle que la conçoivent
ses dirigeants, n'est pas vraiment neutre ; elle a pour fin d'assurer le
conservatisme religieux et social des majorités. La neutralité est une
hypocrisie. Ce n' est qu'une fausse neutralité.
La neutralité, la vraie, ne
se soucie ni des opinions ni des croyances des pères de famille et électeurs.
L'école n'est point faite
pour les pères, mais pour les enfants, pour des enfants auxquels il faut former
l'esprit et le coeur non pas seulement en vue de la vie d'aujourd'hui, mais
aussi de celle de demain. Avoir un enseignement neutre, ce n'est pas choisir
des sujets neutres, établir des programmes neutres, en laissant de côté tout ce
qui passionne les hommes et qui est nécessaire à la virilisation de l'enseignement.
Un enseignement neutre par sa matière est un enseignement d'eunuques.
Ce que nous voulons, c'est
un enseignement neutre par son esprit. Nous voulons que celui qui enseigne
distingue ce qui est vérité scientifiquement démontrée de ce qui est opinion et
croyance personnelle. Sans doute, ce sont ces opinions, ces croyances qui nous
sont les plus chères : les hommes ne se sont jamais passionnés pour les vérités
scientifiques, ils se sont battus pour des croyance. Cependant, celui qui
enseigne doit faire violence à son sentiment personnel pour ne pas violer la
personnalité des enfants et exposer, impartialement, des croyances contraires
aux siennes. Nous ne voulons ni faire accepter aux enfants leur milieu social,
ni les dresser contre ce milieu, mais former leur esprit, c'est-à-dire les
habituer à se former des opinions personnelles, des jugements, après avoir
douté, observé, expérimenté à l'occasion, puis raisonné.
Ajoutons que ce travail de
l'esprit doit s'appliquer à tous les sujets qui intéressent les enfants et sont
à leur portée. Il est bien évident qu'il faut une certaine maturité d'esprit
pour aborder certains sujets. Mais, à part. cette exception nécessaire, les
éducateurs devraient, après avoir instauré dans leurs classes un régime de
confiance mutuelle, considérer leur enseignement comme une réponse aux
curiosités enfantines. Au dogmatisme de l'enseignement nous voulons substituer
le Iibéralisme de l'enseignement, le pédagogue cessant d'être le Maître pour
devenir l'aide.
Certains révolutionnaires
trouveront de tels buts insuffisants. Ont-ils si peu de confiance en leur idéal
pour penser que des enfants, habitués à observer les injustices comme le reste,
et à raisonner, et dont le cœur et la volonté auront été formés comme nous
l'avons indiqué ailleurs, ne deviendront pas d'eux-mêmes les meilleurs
révolutionnaires ?
En résumé, la tâche des
révolutionnaires est double : d'abord combattre cette fausse neutralité
scolaire qui est le masque du conservatisme social ; ensuite défendre la vraie
neutralité, c'est-à-dire, en définitive la meilleure éducation possible de
l'enfant.
- K DELAUNAY
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