L'homme est une mécanique
joliment articulée, mais c'est une mécanique. Le rôle joué par l'automatisme
dans sa biologie est énorme. N'en déplaise aux partisans de la Liberté, les
faits les plus banals, ceux qui n'échappent pas même à l'observateur le moins
sagace, contredisent ce dogme. Les billevesées de la métaphysique sont
incompatibles avec les faits scientifiques. Les songe-creux et les rêveurs ont
un langage auquel les observateurs du fait brutal ne peuvent s'accoutumer.
Celui qui ne veut voir que le fait et qui ne se permet point les
interprétations que l'imagination ou la poésie lui suggèrent, peut donner
l'impression du prosaïsme, il n'en reste pas moins dans la seule vérité
accessible. Nous laissons l'Au-delà aux gens pressés, à ceux que l'appétit du
mystère accable de sa hantise. Existe-t-il ? Le sage répondra toujours qu'il
n'en sait rien. S'il existe, en tout cas, il faudra qu'il se révèle sous une
forme compréhensible. Bon gré mal gré, il lui faudra le contrôle de la science,
plus ou moins armée des admirables progrès qu'elle entasse à pas de géant.
Ce prélude n'est pas un
hors-d'œuvre. Car, le mot obsession recouvre précisément ce phénomène
biologique qu'on a appelé l'automatisme, et cela dans sa forme psychologique la
plus nettement caractérisée. Toute cellule faisant partie du formidable agrégat
qu'est le corps vivant a sa vie propre et indépendante. Mais déjà il n'y a
qu'apparence, car sa vie, autrement dit ses réactions, est intimement liée au
fonctionnement des molécules et atomes qui la composent. Et, quand elle-même
s'est constituée en communauté avec les milliards de cellules disséminées qui
végètent sous une enveloppe unique, elle n'a été que domestiquée par les
exigences de ses congénères. Les cellules supérieures du système nerveux
central, malgré leur apparence de liberté, n'échappent pas à la règle. Il
apparaît même en fait, qu'elles sont, par leur plus grande irritabilité, plus
esclaves que les autres.
Mais puisque nous posons,
forcé par les circonstances, le problème de la liberté, expliquons-nous un peu
mieux sur son compte. En définition pure et simple, le mot et l'idée
d'automatisme seraient antinomiques et antithésiques de liberté. Qui dit
automate dit, en fait, un agent qui ne relève que de soi-même dans son
activité, Nous ne ferons point de paradoxe pour le plaisir d'en faire, mais il
convient de reconnaître que l'automatisme ainsi considéré dans son essence est
la vraie liberté.
Mais j'ai, à l'avance,
montré que l'automatisme lui-même n'est qu'une fiction. Si l'on analyse à fond
le phénomène, on reconnaît très vite qu'il est lui-même un agrégat de
phénomènes reliés entre eux comme les effets à leurs causes immédiates, ce qui
nous ramène à la notion de déterminisme universel.
Et pourtant (et puisqu'il
faut vivre avec la relativité pratique) nous emploierons le mot automatisme
dans son sens courant désignant, psychiquement parlant, le fait de la
spontanéité.
*
* *
Pour en bien comprendre le
mécanisme, d'où résultera le concept de l'obsession, il me faut rappeler ce
qu'est la réflectivité.
Que l'on veuille bien se
représenter le névraxe essentiellement composé d'une superposition de grosses
cellules grises qui sont autant de centres vers lesquels convergent des conducteurs
de sensations et d'où divergent des conducteurs de motricité. Ces cellules
communiquent, d'autre part, entre elles et l'on peut dire que toutes ou chacune
prise à part constitue un relais dans le sens de l'aller comme dans le sens du
retour entre les impressions et les cellules des étages plus élevés, comme
entre ces dernières et les agents du mouvement. Plus nombreuses sont les
associations, les voies de grande ou petite communication, plus les opérations
se compliquent et surtout plus lent est le cheminement de l'influx nerveux.
En principe, toute
impression s'arrête au premier relais et produit son effet immédiat. Tel est le
simple réflexe, à quoi se résoud dans ses éléments premiers toute opération
dévolue au névraxe. Vous recevez une gifle, tout aussitôt votre bras, mu comme
par un ressort, se détend et riposte. Votre entendement n'a pris connaissance
de cette révolte défensive qu'après son accomplissement. Vous recevez une
escarbille dans l'œil, celui-ci se ferme aussitôt, convulsivement. Le mouvement
est si rapide qu'il ne vous appartient pas de l'interdire.
Mais une foule d'actes
revêtent des formes plus compliquées, selon que l'entendement, saisi par les
impressions, en fait l'analyse, les apprécie, les classe, les atténue ou les
renforce, les modifie ou les aggrave, en fait, en fin de compte, un acte
apparemment raisonné, par suite spontané. Cette série d'opérations demande du
temps, parfois un temps très long. L'acte final peut même être suspendu,
devenir latent, virtuel, et attendre une réalisation.
Dans ces cas compliqués, le
réflexe simple a laissé place à des réflexes associés. Plus ils s'affinent,
plus ils méritent le nom de réflexion, lequel mot fait illusion sur la
spontanéité de l'opération qui, en fait, ne désigne qu'une succession de réflexes.
De l'extrême bout effilé de la moelle jusqu'aux majestueux territoires de
l'écorce du cerveau, ce n'est qu'une série de chaînes et de chaînons entre
lesquels n'existe aucune solution de continuité.
Une loi physiologique domine
la. biologie, c'est le sens de l'épargne, l'économie de l'effort. Ce n'est
point par paresse innée que l'on recherche le moindre effort, c'est uniquement
parce que le gaspillage des forces est une atteinte à l'ordre et à l'harmonie
naturels qui sont des éléments nécessaires de perfectionnement. Cette thèse est
de mise sur tous les plans : le social s'en inspire. Le désordre et la
prodigalité seront toujours des causes de troubles.
Or, cette loi du moindre
effort s'applique à l'activité du système nerveux. Une impression première se
heurte à un relais. Si elle ne produit pas son effet utile, elle grimpe
d'échelon en échelon jusqu'à des relais plus élevés, provoquant de-ci de-là sur
son passage, des réactions appropriées, jusqu'à ce qu'elle s'éteigne. Est-elle
perdue pour cela ? Point du tout. La mémoire organique est utilisée et c'est
grâce à elle qu'une impression nettement différenciée suivra toujours la même
voie organique, voie qu'elle connaît pour l'avoir parcourue déjà, qu'elle
reconnait. Plus d'effort de pénétration à faire. Il n'y a qu'à suivre le
sentier battu, sans effort. Tel est le secret des habitudes, qui sont le
meilleur exemple qu'on puisser donner du moindre effort et de l'automatisme. Si
nous analysons bien toute notre activité quotidienne nous parvenons à discerner
que les neuf - dixièmes de nos actions sont machinales, irraisonnées. Aucune
attention de notre part n'est plus nécessaire pour marcher, monter à cheval,
mastiquer nos aliments, saluer, applaudir, que sais-je encore ! Sully-Prudhomme
a fort bien dit : l'habitude est une étrangère qui supplante en nous la raison.
En fait elle ne la chasse point ; elle se contente de ne plus requérir son
concours. Que de gens ne sont que des automates, ceux chez qui les étages
supérieurs du névraxe ne sont jamais utilisés. L'habitude est un lit si
moelleux que nous tendons à tout transformer en habitude.
Pour penser, associer et
conclure, il faut faire effort. En son langage imagé et populaire, Richepin
disait du penser : c'est sot et ça fait mal à la tête.
Pour penser il faut
emprunter de nouvelles voies, inaccoutumées ; il faut s'enfoncer dans la
brousse inextricable de l'écorce cérébrale, dans le réseau des fibrilles qui
unissent les cellules géantes les unes aux autres. C'est un plaisir de
dilettante, mais c'est un travail, une fatigue, cependant que nous aurons
confié les trois quarts de notre vie à l'activité sans éclat des cellules
basses, vouées à un travail incessamment répété dont nous n'avons plus
conscience.
Raccourcir le chemin à
parcourir, exploiter habilement les routes de grande communication, telle est
l'habileté normale de la plupart des gens. Faut-il s'étonner que la pensée
neuve soit chose si rare, quand la pensée habituelle, automatique est une si
grande ressource qu'elle fait illusion au penseur lui-même qui s'étonne parfois
d'être aussi brillant pour peu qu'il n'ait point conscience de ses éternelles
redites ? C'est ici que les poisons stupéfiants, comme le tabac, l'opium, le
vin et l'alcool sont de merveilleux réactifs. Les enseignements qu'ils
fournissent à ceux qui savent observer sont un des meilleurs arguments en
faveur de l'abstention totale.
Un grand physiologiste
suédois, Overton, a démontré que les cellules sont normalement protégées par
une enveloppe graisseuse qui interdit à certaines substances nuisibles de faire
irruption dans la cellule. Mais cette enveloppe protectrice est justement
dissoute par les poisons dits stupéfiants. C'est alors que la cellule envahie
par le poison s'engourdit, cesse de fonctionner laissant tout l'empire aux
cellules de qualité moindre, celles qui sont disséminées sur le parcours des
voies habituelles. L'habitude triomphe aisément et tout narcotisé devient un
automate. Jugez un buveur au commencement et à la fin d'un dîner et mesurez la
valeur intrinsèque de ses propos, la précarité de ses créations au profit de
ses acquisitions machinales. Les ponts ont été coupés entre les cellules des
pensées neuves. Le moindre effort est réalisé. Le buveur se croit plus fort,
plus vaillant, plus intelligent au moment précis où il est victime de ses
facultés mineures.
Le voilà donc l'automatisme.
Il sera défini cette activité en apparence spontanée des centres ou groupes de
centres de la pensée coutumière échappant au contrôle, souvent même à la
connaissance du conscient. Ce qu'on appelle le subconscient et l'inconscient
est constitué par la masse énorme des automatismes, dont nous sommes capables.
Quoi de plus désirable pour les natures inertes que de s'automatiser ! C'est
dans ce fait très simple que gît toute l'explication des narcomanies. C'est si
bon de voir s'agiter, se trémousser en quelque sorte notre moi élémentaire,
qui, par surcroît, nous donne l'illusion de la liberté ! L'habitude des
sentiers battus nous dispense de penser. La routine devient la règle du
comportement chez les habitués du vin, de la cigarette ou de la pipe d'opium.
*
* *
Que sera donc l'obsession au
regard de I'automatisme ? On la définira l'apparition plus ou moins soudaine
dans le champ de la conscience d'une idée, d'un besoin, d'un désir, qui
obstruent momentanément le cours normal des opérations psychiques. Quelle est son
origine ? Les partisans de la spontanéité diront : elle s'est formée sur place,
sans cause appréciable. Les déterministes diront : ce n'est qu'un souvenir, une
exhumation.
J'ai été fort impressionné
par un air d'opéra. Je rentre chez moi et tente de m'endormir. Impossible.
L'air d'opéra surgit quoi que je fasse, et ce n'est qu'après un temps plus ou
moins long, que mes voies psychiques redeviennent libres. L'idée étrange de
mettre le feu à une meule surgit tout à coup de mon esprit. Elle est absurde, ne
rime à rien ; elle me tourmente ; je la chasse, elle revient. Je la chasse
encore. Tel un moustique qui m'obsède, l'idée s'attache à moi en parasite
jusqu'à ce que surviennent d'autres idées qui me possèdent avec plus
d'autorité.
Pour peu que l'obsession se
répète un grand nombre de fois, elle prend la forme du tic, qui est le type
parfait et simple de l'obsession et, du même coup, l'habitude est créée. Tel
est le rapport entre l'obsession et l'habitude. Elle est une habitude qui
s'impose en tyran.
L'inverse est aussi curieux
: on peut définir l'habitude une obsession plus ou moins sympathique et
supportée. L'étude de nos mœurs nous entraînerait trop loin, mais il n'est pas
difficile d'y trouver cette démonstration formelle que l'homme est une
extravagante machine et qu'il a bien tort d'en être si fier. Un peu plus
d'humilité siérait à un être dont la vie entière se ramène, le plus souvent, à
des accoutumances et à des automatismes où il se complaît. Celui-là est un rare
privilégié qui, par l'entraînement au travail, devient un Créateur, car
création et automatisme s'opposent. Combien, du reste, de créations, en matière
littéraire notamment, ne sont que des réminiscences malaxées dans le
subconscient et par le subconscient ? Le génie consistera en des combinaisons
nouvelles de faits déjà connus. Mais rien ne fera que l'histoire ne soit un
perpétuel recommencement.
Il suit de l'observation que
maintes habitudes dont nous ne pouvons nous défaire (impuissance absolue ou
relative mais réelle) encombrent notre vie, constat important car nous touchons
au point précis où l'obsession va devenir morbide. L'obsession passagère,
momentanée, aiguë en quelque sorte, va devenir habituelle, chronique par
conséquent, et gênante. Trouverai-je un exemple plus démonstratif que le geste
et par suite l'habitude de fumer ? Inutile, ridicule, grotesque même, elle
devient une chaîne que nous rivons chaque jour davantage. Plus nous fumons,
plus nous voulons fumer. Bien plus tyrannique que le vin est la nicotine. Chose
étrange, la stupéfaction devient si profonde que le stupéfié, libéré de toute
initiative, y prend plaisir et en jouit. Jouir d'un mal est le comble de
l'esclavage. Mais vient un temps où I'obsession répétée a provoqué des
désordres inquiétants et où le problème de la libération va se poser. Ils font
pitié les êtres humains ainsi obsédés qui s'abandonnent à de cruels et inutiles
efforts pour dominer l'obsession, qui se montre plus dominatrice qu'eux. Les
réactions dites volontaires subissent alors une véritable paralysie. Paralysie
consciente, entraînant à sa suite une souffrance morale avec un sentiment
d'humiliante capitulation. C'est un fait, du reste, que l'obsession devient par
définition même un état machinal et indifférent (la seconde nature qu'est
l'habitude), tant que le conscient n'en prend pas connaissance et n'en fait
point l'analyse. Le fait de l'intervention de la conscience amène, en général
une lutte, car il est rare que l'obsession ne soit pas quelque peu nuisible par
son objet même. Le moins que puisse désirer alors le sujet est de se défaire
d'une habitude qui fait de lui un esclave. L'amour-propre lutte alors avec la
tyrannie. Les armes ne sont point égales. Mais, sauf dans les cas, hélas ! si
communs de stupéfaction, le triomphe reste assuré à l'amour-propre.
Chacune trouvera dans la vie
de son voisin, dans sa vie propre, des échantillons nombreux et variés
d'automatisme obsédant. J'engage mes lecteurs à le faire comme un excellent
exercice de volonté qui s'exprime finalement par la conquête d'un peu plus de
liberté. On trouvera, par exemple, dans la pratique des professions, des
exemples innombrables d'obsessions. Elles ont, du reste, un énorme avantage :
celui de constituer pour le praticien une véritable adresse. La répétition du
même geste passant par les routes connues du système nerveux, répétition qui
permet de penser à autre chose pendant que l'on agit, conquiert à l'ouvrier une
sorte de supériorité, bien relative d'ailleurs, car elle ne saurait exister
dans sa plénitude, sans une abnégation de soi-même. On sait que c'est justement
à cela que tend le capitalisme moderne dans les industries grandement
productrices : réduire l'ouvrier à l'état d'une machine parfaite en vue d'un
grand rendement. La fabrication d'une aiguille de montre occupe 35 ouvrières
différentes, chacune fabriquant une pièce, toujours la même pièce. Ce que l'on
a appelé la division du travail a été l'apothéose de l'Habitude, de l'Obsession
et de l'Automatisme. On sait ce qui reste de la liberté au bout de
l'expérience. L'Amérique a triomphé dans ce genre de servitude et, chose
étrange, nombre de travailleurs se montrent satisfaits de ce système.
*
* *
Examinons maintenant
l'obsession dans ses causes, dans son mécanisme et dans l'état psychologique
qui l'accompagne.
La cause générale est, nous
l'avons vu, le moindre effort, l'économie de forces. C'est aussi la
réflectivité défensive. Le cerveau est un peu comme M. le Préfet dans son
cabinet, entouré d'une foule d'organes qui tamisent sa besogne, la
répartissent, la simplifient et l'accomplissent finalement en tout ou en
partie, ne livrant à son intervention que les problèmes qui échappent à
l'habitude. La routine des bureaux est l'image de l'activité des relais nerveux
qui s'échelonnent entre l'impression et les centres psychiques. Ceux-ci sont, en
quelque sorte épargnés, soignés, dorlotés par les postes subalternes auxquels
sont accordés par la nature une sorte d'initiative sommaire, plus ou moins
consciente. J'ai dit que le modeste réflexe qui représente le circuit minimum
était éminemment l'automate protecteur. C'est le garçon de bureau, l'agent de
police, le chien vigilant dont l'humble besogne a plus de portée qu'on ne le
croit. Ils jouent le rôle d'un barrage.
A mesure que l'impression
monte vers le cerveau, le nombre des barrages se multiplie. Largement et
fréquemment visités, ils soulagent les centres supérieurs.
Les chemins que se sont
frayés les impressions sont rapidement adoptés par elles ; elles y sont à
l'aise, s'y attardent, y séjournent et peuvent même s'y arrêter. Le travail de
sélection raisonnée, réfléchie, se trouve ainsi épargné. Si nous nous rendons
d'un point à un autre, il nous est plus facile d'emprunter toujours le même
sentier que d'en tracer de nouveaux chaque jour. L'économie est évidente et nos
opérations ainsi confiées à l'habitude sont de tout repos. Il en est de même
pour nos habitudes mentales, déjà infiniment plus compliquées. Chacun adopte sa
façon de travailler et les opérations supérieures de notre entendement sont
réalisées par des voies d'association déjà expérimentées. Personne ne complique
son travail avec plaisir. Partout où l'effort simple est suffisant, l'on s'en
contente. Tout autre est le cas de la découverte ou le cas où apparaît une
situation nouvelle inaccoutumée: C'est alors que le penseur est obligé de colporter
I'idée nouvelle dans le maquis inexploré de l'écorce et de lui circonscrire un
habitat où, à la seconde expérience, i1 la retrouvera facilement.
L'obsession résulte d'une
irritation première de la cellule, irritation forte, agréable ou utile.
Forte elle laisse une trace
profonde en utilisant la mémoire cellulaire.
Agréable elle suscite sa
reproduction dès qu'interviendront les mêmes agents provocateurs.
Quant à son utilité, elle
suscite sa répétition automatique, dans des ciconstances identiques, par esprit
d'économie.
Quand une cellule a été
fortement impressionnée, elle rumine en quelque sorte cette impression, à la
façon d'un écho intérieur, jusqu'à épuisement de l'excitation initiale.
L'irritation est assez forte
pour échapper pendant plus ou moins longtemps à l'action d'arrêt des relais
supérieurs. L'autorité de ces relais n'est ressaisie qu'au fur et à mesure de
l'épuisement de l'irritation et dans la mesure également où le pouvoir
d'inhibition est resté normal, car il arrive que, par voie de propagation,
l'obsession forte inhibe à son tour l'initiative des relais voisins.
Une fois constituée,
l'obsession revêt les allures du parfait automatisme en ce sens que 1a cellule,
par l'emmagasinement seul de son énergie reproductrice, n'a plus besoin d'un
excitant extérieur pour réaliser son travail. La nécessité d'une provocation
extérieure marquera la fin du paroxysme obsessionnel.
Le propre d'une obsession
est d'irradier. Une opération cellulaire n'a raison d'être que par son effet.
Aucune ne se suffit à soi-même, qu'il s'agisse d'une sécrétion, qu'il s'agisse
d'un dynamisme quelconque, toujours le travail cellulaire retentit par ailleurs,
dans un sens quelconque du névraxe. C'est ici le lieu de prononcer le mot
d'lmpulsion, corollaire fréquent de l'obsession dont elle partage les
caractères psychologiques.
L'impulsion est la réponse à
l'invite centripète qui met en jeu la cellule, Elle alerte tout simplement un
groupe de muscles et un acte est la fin momentanée de l'obsession. Ce sera, par
exemple, l'érection qui répondra à une excitation du centre génito-spinal,
excitation résultant elle-même d'une action centripète de cause extrêmement
variée (action endocrinienne d'origine testiculaire, provocation sensorielle,
visuelle, auditive, olfactive, etc...). Ce centre pourra être mis en œuvre à
l'insu ou malgré les centres supérieurs de contrôle, réalisant ainsi une des
nombreuses formes de l'automatisme sexuel.
Les irradiations du
dynamisme cellulaire ont lieu, dans le cas d'obsession simple, dans des voies
où la réponse à l'incitation ne provoquera point le mouvement. C'est le cas où
toute une série d'associations purement psychiques répond à la sollicitation
initiale de la cellule. C'est ainsi qne l'obsession d'un mot anodin par
lui-même provoquera, comme par échos déclenchés, toute une série d'autres mots
pénibles, désagréables, obscènes, ou autrement toute une série de sensations
agréables, voluptueuses, dont la répétition mentale automatique sera, par
exemple, pour une dame pieuse, dévote, une source de scrupules, de reproches,
d'auto-accusations. Les obsessions ne sont une peine, le plus souvent, que par
leurs irradiations, motrices ou psychiques.
Le mécanisme de l'obsession
repose donc sur l'irritation forte d'un centre, suivie d'irradiations dans des
voies connues où, agissant sans frein ni correctif, elles provoquent une
surprise pour la conscience.
*
* *
L'étude sommaire du
processus psychologique de l'obsession va nous conduire sur le terrain de
l'obsession pathologique.
Ce phénomène suppose une
cellule jouissant d'une irritabilité particulière ou, inversement, une
impression d'une puissance inaccoutumée : Sensibilité exagérée d'une part,
énergie excitatrice démesurée d'autre part. L'importance et la durée de
l'obsession seront corrélatives de ces deux qualités. En photographie il y a
des plaques plus sensibles que d'autres, retenant fortement les impressions les
plus fugaces et il est, d'autre part, des sources lumineuses d'une intensité
considérable, capables d'impressionner très vite les plaques sensibles. La
comparaison est tout à fait exacte. Il arrive que la sensibilité individuelle
acquière des proportions telles que les sujets s'en trouvent disposés plus que
d'autres à l'émotion forte, par suite à l'obsession, par suite à l'automatisme.
Les deux territoires, le normal et le pathologique, sont séparés par une simple
zone de transition. Le tempérament nerveux, la surémotivité des névropathes
(voir ce mot) sont à la base de l'obsession,
Normale ou pathologique
(simple degré d'intensité entre les deux), l'obsession s'accompagne forcément
de troubles d'ordre émotif. Ils sont ordinairemeut passagers et sont facilement
domptés, mais exagérez l'émotion, celleci peut aller jusqu'à l'angoisse. Tant
que dure l'obsession, les sujets sont haletants, inquiets, ils souffrent
visiblement : des désordres vasomoteurs (sueurs, battements de cœur, rougeur,
pâleur) trahissent cet état émotionnel.
L'obsession est, d'autre
part, un phénomène conscient. C'est justement parce que le sujet se sent
impuissant en face de l'automatisme obsessionnel qu'il est porté à souffrir et
que son émotion s'intensifie. Simplement ennuyeuse ct gênante, l'obsession,
devenue morbide, est une véritable torture. On assiste à une lutte parfois
dramatique que l'on ne saurait mieux comparer qu'à celle du lion de la fable
contre le moucheron. Petite cause, gros effet, si le moucheron n'est pas
congrument écrasé.
Souffrance cruelle, l'obsession
est plus cruelle encore quand elle est suivie d'une impulsion, c'est-à-dire
d'une réalisation extérieure tangible, capable d'alerter les témoignages.
L'obsession peut rester à l'état de tension dynamique pendant longtemps sans
éclater, mais la menace seule de l'éclat met les sujets aux champs. Ils ne
savent qu'entreprendre pour se protéger, se garantir contre 1'exécution qni
pourrait avoir de dangereuses conséquences ; l'obsédé conscient demande alors
fréquemment le secours de l'aliéniste et de la maison de santé.
L'obsession réalisée procure
en manière de compensation une véritable jouissance organique, quel qu'en soit
l'objet, comme il arrive chaque fois qu'un besoin a reçu satisfaction. Cet
heureux résultat n'est qu'un trompe-l'œil, car I'obsession recommence jusqu'à
l'épuisement.
Telle est la psychologie de
l'obsession. Elle est facile à généraliser aux hahitudes, banales ou morbides.
L'angoisse du fumeur cède à la cigarette ; la seringue à morphine calme le
besoin factice du narcomaniaque.
*
* *
Il me reste à cataloguer un
certain nombre d'obsessions morbides souvent décrites comme autant de maladies
séparées, alors qu'elles ne font que reproduire un seul et même état
fondamental, sous des aspects variés.
L'état névropathique qui
domine tous ces syndromes par sa gravité et sa tyrannie est la folie du doute,
type de névrose consciente, obsessionnelle, torture morale d'autant plus
cruelle que, par définition même, elle ne reçoit jamais satisfaction complète.
Comme son nom l'indique, elle désigne tout ce qui, parmi les opérations
psychiques, d'ordre intellectuel, mais surtout d'ordre affectif, provoque
l'état de doute, exagération du doute et du scrupule normal, dont elle ne
diffère que par la solution. Avez-vous quelque doute au sujet de l'existence de
Dieu ou de l'Ame, recherchez-vous la solution d'un problème philosophique ou
moral quelconque, si vous n'avez point satisfaction aujourd'hui peut-être
l'aurez-vous demain, et si vous ne l'avez point, elle reste à l'état de simple
désir anodin. Mais si vous êtes un émotif, vous n'aurez point de repos que la
solution ne soit trouvée et, comme elle est du domaine des impossibilités, vous
resterez incessamment dans un état d'angoisse pénible, plongé dans une sorte de
rumination perpétuelle où les interrogations succèderont aux interrogations,
lesquelles ne feront que grossir le problème et ses inconnus. Torture
indicible, épuisant les malades dont l'état lamentable est à la merci seule des
narcotiques.
Le pire est que le doute
surgira sous une forme angoissante, mais ridicule, pour des objets
insignifiants. Ai-je bien fermé ma porte en sortant de chez moi ? Ai-je bien
timbré la lettre que je viens de jeter à la boîte ? J'en suis bien sûr et
pourtant je doute, etc., etc...
La folie du doute est la
vraie névrose d'angoisse. On la retrouve sous des aspects plus ou moins
atténués dans d'autres obsessions : je cite, au hasard, la pyromanie ou impulsion
à mettre le feu, l'impulsion au suicide, l'impulsion au meurtre, l'obsession
des mots et de toutes les superstitions qui peuvent en découler, l'obsession
des chiffres : chiffres fatidiques comme le chiffre 13, l'obsession
irrésistible de compter; je n'en finirais pas. Ce qui caractérise la plupart de
ces obsessions-torture, c'est l'inanité de leur objet, vanité que le sujet
conscient est le premier à reconnaître. Il en rit tout en en souffrant. Il y
succombe tout en protestant. L'automatisme nous guette, pour peu que nous
affaiblissions nos centres de résistance et je ne rn'en voudrai pas en mettant
une fois de plus en garde mes lecteurs contre les stupéfiants dont quelques
traces suffisent pour ravaler les êtres les plus énergiques et les plus déterminés
au rôle d'automates voués à l'activité incontrôlée des centres inférieurs.
Mieux vaut l'esclavage de la pensée consciente et claire que la servitude
mécanique de nos facultés mineures.
*
* *
Les quelques mots qui
précèdent en disent suffisamment sur le chapitre final qui doit, en tout état
de cause, traiter des remèdes.
Le triomphe de la
thérapeutique est ici d'ordre préventif. L'hygiène cérébrale et mentale,
fonction de l'hygiène générale, peut prémunir les sujets d'une façon certaine
contre le supplice de l'obsession. L'homme doit apprendre à être un sage s'il
ne veut point disloquer l'admirable machine nerveuse qu'il possède et la
ravaler au fonctionnement isolé, incohérent et quasi déshonorant de ses parties
composantes. Tout candidat à un peu plus de liberté peut conserver le
gouvernail de sa vie, sans jamais abdiquer aux mains des infiniment petites
fonctions qui le rapprochent de la bête.
Prévenir n'est point guérir
le mal quand il est réalisé, objectera-t-on. J'en conviens. Mais que l'on
n'attende pas de moi dans ces courtes colonnes, l'enseignement de panacées qui
n'existent point. Le maniement de la psychothérapie, seule méthode de traitement
applicable à l'obsession, appartient au seul psychiatre capable d'analyser un
syndrome mental, d'en démêler les causes lointaines ou prochaines et d'acquérir
une honnête autorité substitutive sur les patients, dont la vie est empoisonnée
par de subtiles préoccupations, sans aucune valeur intrinsèque. Se souvenir
seulement que la rééducation nécessite une patience persévérante.
- Dr LEGRAIN.
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