L’Obscurantisme est le meilleur
moyen de gouvernement qui ait jamais été imaginé. Il consiste à plonger le
cerveau humain dans un état spécial, dans une sorte de stupeur ou d’atrophie.
L’Obscurantisme est plus
néfaste encore que l’Ignorance. L’ignorant est un homme qui ne sait pas, qui
manque de connaissances. L’obscurantisme ne se borne pas à laisser en friche
l’intelligence humaine, il cherche à l’asservir et à l’émasculer.
L’Obscurantisme est la doctrine qui prétend que le peuple n’a pas besoin
d’éducation et qu’il n’est pas nécessaire de s’instruire pour faire son salut.
Lorsque Joseph de Maistre
lançait sa fameuse boutade : « L’ignorance est supérieure à la science, parce
que la science vient des hommes, tandis que l’ignorance vient de Dieu », il
parlait en obscurantiste. Cette manière de voir fut longtemps dominante dans
l’Église et dans la société. Les premiers Pères de l’Église l’avaient adoptée
avec enthousiasme, à l’instar de Tertullien, lorsqu’il écrivait : « Nous
n’avons besoin d’aucune science après ce Christ, ni d’aucune preuve après
l’Evangile ; celui qui croît ne désire rien de plus ; l’ignorance est bonne, en
général, afin que l’on n’apprenne pas à connaître ce qui est inconvenant, » Ce
qui est « inconvenant » c’est, évidemment, tout ce qui est susceptible d’ouvrir
les yeux à l’individu, tout ce qui lui permettrait de revendiquer son droit à
l’existence. L’obscurantisme est la base même et le fondement de la
résignation.
La raison est la grande
libératrice.
Les prêtres, les rois, les
riches, en abêtissant les peuples, cherchent, avant tout, à consolider leurs
privilèges. L’esclave qui croit à la nécessité et à la bienfaisance de
l’esclavage ne songera certainement pas à briser ses chaînes et sera plus facile
à gouverner que l’asservi qui ronge impatiemment son frein, qui hait l’iniquité
et la tyrannie et qui est prêt à se révolter dans toutes les occasions
favorables.
A quoi bon s’instruire ? La
science ne sert à rien (l’excellent Jean Jacques luimême n’a-t-il pas adopté
ces sophismes, dans son discours sur le rôle des sciences et des arts dans le
progrès de l’humanité ?) On peut être un parfait cultivateur sans connaître un
mot d’histoire ou de géographie. Pour être tapissier, métallurgiste ou maçon,
l’étude de la littérature et des sciences naturelles est loin d’être
indispensable, etc., etc. C’est avec de tels arguments que, pendant des
siècles, les hommes étaient parqués dans leur médiocrité, sans pouvoir
s’éclairer ni s’affranchir. Qui pourrait dire l’étendue de ce gaspillage de
forces intellectuelles, sacrifiées férocement, à l’intérêt mal compris de
quelques parasites ? Si la science avait été favorisée et largement répandue
dans les classes inférieures de la société, nous serions en avance de plusieurs
siècles sur la situation présente et sans doute libérés depuis longtemps de
l’affreuse barbarie qui déshonore encore l’humanité d’aujourd’hui.
Que la science soit parfois
néfaste, lorsqu’on l’utilise aux œuvres de mort et d’extermination, nul ne le
conteste. Mais chacun sait que la science n’est pas responsable du mauvais
usage qu’on en peut faire. Il suffit que les hommes deviennent assez sages pour
tirer le meilleur parti des ressources, naturelles ou scientifiques, qu’ils
possèdent.
Aussi longtemps que cela fut
possible, l’Église a barré la route au progrès des idées. Elle assurait que le
seul souci honorable pour les parents était de donner à leurs enfants une
instruction religieuse. Le Ciel d’abord, la Terre ensuite. L’Eternité avant
tout, car la vie terrestre était chose si éphémère ! Les intelligences étaient
ainsi empoisonnées par des dogmes absurdes et fantaisistes. Aujourd’hui, il
n’est plus possible de barrer la route au Progrès et l’Église a dû s’adapter au
nouvel état de choses.
De même qu’après avoir
condamné l’Imprimerie, elle sut l’accaparer au service de sa cause néfaste ; de
même qu’après avoir grillé Jeanne d’Arc, elle en fait une « Sainte »,
aujourd’hui elle répudie l’obscurantisme et elle invoque constamment les noms
des « grands savants catholiques », tels que Pasteur ou Branly. Ne pouvant
fermer toutes les écoles, l’Église s’en empare, comme elle s’est emparée de la
presse, du cinéma, de la T. S. F., etc. Par tous les moyens, elle s’attache à
fausser les esprits, à répandre l’erreur. Elle prend l’enfant tout jeune, afin
de lui infuser plus facilement le virus du mysticisme et de la superstition.
Le seul remède de
l’obscurantisme religieux, c’est le Libre Examen. Les cléricaux le sentent si
bien qu’ils refusent systématiquement de laisser toucher à leurs mythes et à
leurs dogmes. « Les croyances doivent être respectées », répètent-ils à l’envi.
Par conséquent pas de discussion, pas de recherche, pas de critique. Excellent
moyen pour maintenir sous la tutelle de l’Église quantité de cerveaux paresseux
et rebelles à l’effort, qui continuent de croire et de pratiquer par habitude,
par tradition (et souvent aussi par calcul ou par hypocrisie). Pour sortir de
l’obscurantisme, il suffit d’avoir la volonté de voir clair et de s’émanciper.
André Lorulot
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