Pas un homme de cœur
n’oserait se déclarer hostile ou simplement indifférent à l’Objection de
Conscience. J’ajoute : pas un homme doué de raison. La seule critique - la
seule - que, sinon le cœur, du moins la raison puisse formuler contre le geste
de l’Objecteur de Conscience, c’est que, ce geste, ne changeant rien à ce qui
est, ne supprimant ni le militarisme, ni la guerre, il est stérile et vain.
On peut aisément écarter
cette critique. Elle peut s’appliquer à tout effort : discours ou écrit
dénonçant les méfaits de l’armée et les abominations de la guerre ; car un
discours - si éloquent qu’il soit - et un écrit - si magnifique qu’il puisse
être n’abolissent ni le militarisme, ni la tuerie. Or, sont-ils, pour cela,
stériles et vains ? ... Il faut qu’il soit dit et qu’on sache que nul effort :
parole, écrit ou action, ne reste infécond. Il se peut que le résultat n’en
soit pas immédiat, ni perceptible ; il n’en existe pas moins. Et l’acte possède
une valeur d’exemple, de démonstration, de « propagande par le fait » qui
l’emporte, et de beaucoup, sur l’écrit et la parole.
Au surplus, l’Objecteur de
Conscience n’a pas la naïveté de croire que son refus de prendre les armes et
de se rendre à la caserne aura pour effet immédiat et certain de mettre fin aux
armements et d’abattre les casernes. Mais, - le mot l’indique, - il écoute sa
conscience qui lui interdit d’utiliser et même d’apprendre à manier des
instruments de meurtre en cas de guerre ; et il n’est pas douteux que son refus
de servir a toute la signification et, toute la portée d’une irréductible
protestation contre l’obligation qu’on veut lui imposer, en temps de guerre,
d’y prendre part.
Toutefois, l’Objection de
Conscience s’inspire de motifs divers, vise des buts, variés et revêt des
caractères différents, On a exposé, ci-dessus, les trois formes principales de
l’Objection de Conscience. Voici, en quelques mots, ce que je pense de chacune
de celles-ci ;
1°) L’Objection de
Conscience à base légale : Reconnue, autorisée par la loi, l’Objection de
Conscience n’expose celui qui s’en réclame à aucune répression. Elle cesse
ainsi, d’être un refus d’obéissance, un acte de révolte. Elle affaiblit, - que
disje ? - elle annule la portée révolutionnaire du geste de l’objecteur qui,
par ailleurs, peut être un partisan farouche de la légalité
2°) L’Objection de
Conscience par système de remplacement : c’est déjà mieux que la précédente ;
mais consentir à servirla patrie sous quelque forme que ce soit, c’est
reconnaître l’obligation de se soumettre aux exigences de la collectivité
nationale ; c’est s’arrêter à mi-chemin dans la voie de l’Objection de
Conscience ; c’est payer en monnaie civile ce qu’on refuse de payer en monnaie
militaire : c’est en fin de compte, reconnaître et acquitter une dette.
3°) L’Objection de
Conscience sans plus : celle-là seule a mon entière approbation, car, seule,
elle constitue un geste précis et formel de révolte individuelle,
s’accompagnant de tous les risques, de toutes les responsabilités et de toutes
les sanctions que comporte ce geste. Seule, elle s’apparente à l’action
révolutionnaire collective par la force de l’exemple et la puissance de la
contagion. Seule, enfin, elle relève de l’Idéal anarchiste, qui répudie tout
militarisme et repousse toute participation directe ou indirecte, matérielle ou
morale, militaire ou civile à la guerre.
Ainsi conçue et pratiquée,
l’Objection de Conscience est fondamentalement anarchiste.
Je me résume : l’Objection
de Conscience que je considère comme indiscutablement révolutionnaire et
anarchiste, c’est celle que l’objecteur formule à peu près ainsi : « J’ai
acquis la conviction que la Guerre est une folie et un crime : folie de la part
des Peuples qui consentent à la faire ; crime de la part des Gouvernants qui la
préparent, l’organisent et, l’heure venue, l’imposent à leurs peuples. Je ne
veux pas tomber dans cette folie ; je ne veux pas me faire le complice de ce
crime.
Ma vie m’appartient et je ne
reconnais à personne le droit d’en disposer sans et a fortiori contre ma
volonté. Respectueux de la vie de mes semblables, je ne consens pas à priver
qui que ce soit de la sienne. Ma conscience m’interdit donc de m’exposer à
devenir un assassin ou une victime.
Je refuse de prendre les
armes ; je me soustrais à l’obligation militaire, quelles que puissent être,
pour moi, les conséquences d’un tel refus. Je le déclare catégoriquement : en
temps de paix, je ne ferai partie à aucun titre de l’Armée ; car, ne voulant
pas être soldat, je n’ai pas à faire l’apprentissage du métier de soldat ; en
temps de guerre, je suis irréductiblement résolu à ne prendre à celle-ci aucune
part, pas plus indirecte que directe, pas plus sur le front qu’à l’arrière, pas
plus comme civil que comme combattant.
Ne comptez sur moi d’aucune
façon ni dans aucun cas.
Entre ma conscience qui
m’interdit d’obéir aux prescriptions de la Loi et les sanctions que ne manquera
pas de faire peser sur moi le refus inébranlable et permanent de me soumettre,
mon choix est fait : j’écoute ma conscience.
J’ai le ferme espoir que mon
exemple sera suivi. Un jour viendra - c’est pour moi une certitude - où le
nombre de ceux qui, comme moi, refuseront de servir sera si élevé, où l’idée
seule de la Guerre suscitera, chez tout homme sain de corps et d’esprit, une telle
réprobation, que les gouvernements reculeront devant la crainte de provoquer,
s’ils décrétaient la guerre, une révolte de la Conscience publique si violente
et si générale, qu’elle se traduirait par un soulèvement populaire dont aucune
répression ne saurait avoir raison.
Ce jour-là, l’objection de
conscience s’étendra à la masse des travailleurs de tous les pays, qui se
rendront enfin compte que, quelle que soit l’origine de la Guerre et quel qu’en
soit le résultat, ils n’ont rien à y gagner et tout à y perdre. Cette masse se
refusera à la tuerie insensée et criminelle dont, par son sang et par son
travail, elle supporte tous les frais et subit toutes les conséquences.
Quand, travaillée par une
propagande inlassable et une action persévérante, la conscience collective sera
animée d’une inébranlable volonté de Paix, la Guerre aura vécu, car elle sera
devenue impossible, aucun gouvernement n’osant, alors, prendre la
responsabilité de se jeter dans une aventure à ce point périlleuse, qu’il y
aurait neuf chances sur dix pour qu’elle aboutît à une série d’insurrections
qui emporteraient le Régime que la Guerre se propose de sauver et de fortifier.
Je suis l’adversaire
déterminé de tout État social basé sur l’Autorité, la Propriété, le Patriotisme
et la Religion. Contre tout milieu social qui consacre l’oppression politique
des Peuples et l’Exploitation économique des classes laborieuses, je suis en
état d’insurrection permanente. L’occasion m’est offerte de donner à cet état
de révolte morale un caractère immédiat et concret ; je saisis cette occasion ;
et, à l’ordre qui m’est enjoint de me soumettre à l’obligation militaire, je
réponds, sans hésitation et sans peur : " Non serviam, je ne me soumettrai
pas. Je n’écoute que ma conscience ; celle-ci me prescrit de m’insurger et je
me révolte. »
C’est ainsi que s’affirme
l’objection de Conscience spécifiquement anarchiste.
Sébastien Faure
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