vendredi 10 février 2023

OBJECTION (de conscience) encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 


Pas un homme de cœur n’oserait se déclarer hostile ou simplement indifférent à l’Objection de Conscience. J’ajoute : pas un homme doué de raison. La seule critique - la seule - que, sinon le cœur, du moins la raison puisse formuler contre le geste de l’Objecteur de Conscience, c’est que, ce geste, ne changeant rien à ce qui est, ne supprimant ni le militarisme, ni la guerre, il est stérile et vain.

On peut aisément écarter cette critique. Elle peut s’appliquer à tout effort : discours ou écrit dénonçant les méfaits de l’armée et les abominations de la guerre ; car un discours - si éloquent qu’il soit - et un écrit - si magnifique qu’il puisse être n’abolissent ni le militarisme, ni la tuerie. Or, sont-ils, pour cela, stériles et vains ? ... Il faut qu’il soit dit et qu’on sache que nul effort : parole, écrit ou action, ne reste infécond. Il se peut que le résultat n’en soit pas immédiat, ni perceptible ; il n’en existe pas moins. Et l’acte possède une valeur d’exemple, de démonstration, de « propagande par le fait » qui l’emporte, et de beaucoup, sur l’écrit et la parole.

Au surplus, l’Objecteur de Conscience n’a pas la naïveté de croire que son refus de prendre les armes et de se rendre à la caserne aura pour effet immédiat et certain de mettre fin aux armements et d’abattre les casernes. Mais, - le mot l’indique, - il écoute sa conscience qui lui interdit d’utiliser et même d’apprendre à manier des instruments de meurtre en cas de guerre ; et il n’est pas douteux que son refus de servir a toute la signification et, toute la portée d’une irréductible protestation contre l’obligation qu’on veut lui imposer, en temps de guerre, d’y prendre part.

Toutefois, l’Objection de Conscience s’inspire de motifs divers, vise des buts, variés et revêt des caractères différents, On a exposé, ci-dessus, les trois formes principales de l’Objection de Conscience. Voici, en quelques mots, ce que je pense de chacune de celles-ci ;

1°) L’Objection de Conscience à base légale : Reconnue, autorisée par la loi, l’Objection de Conscience n’expose celui qui s’en réclame à aucune répression. Elle cesse ainsi, d’être un refus d’obéissance, un acte de révolte. Elle affaiblit, - que disje ? - elle annule la portée révolutionnaire du geste de l’objecteur qui, par ailleurs, peut être un partisan farouche de la légalité

2°) L’Objection de Conscience par système de remplacement : c’est déjà mieux que la précédente ; mais consentir à servirla patrie sous quelque forme que ce soit, c’est reconnaître l’obligation de se soumettre aux exigences de la collectivité nationale ; c’est s’arrêter à mi-chemin dans la voie de l’Objection de Conscience ; c’est payer en monnaie civile ce qu’on refuse de payer en monnaie militaire : c’est en fin de compte, reconnaître et acquitter une dette.

3°) L’Objection de Conscience sans plus : celle-là seule a mon entière approbation, car, seule, elle constitue un geste précis et formel de révolte individuelle, s’accompagnant de tous les risques, de toutes les responsabilités et de toutes les sanctions que comporte ce geste. Seule, elle s’apparente à l’action révolutionnaire collective par la force de l’exemple et la puissance de la contagion. Seule, enfin, elle relève de l’Idéal anarchiste, qui répudie tout militarisme et repousse toute participation directe ou indirecte, matérielle ou morale, militaire ou civile à la guerre.

Ainsi conçue et pratiquée, l’Objection de Conscience est fondamentalement anarchiste.

Je me résume : l’Objection de Conscience que je considère comme indiscutablement révolutionnaire et anarchiste, c’est celle que l’objecteur formule à peu près ainsi : « J’ai acquis la conviction que la Guerre est une folie et un crime : folie de la part des Peuples qui consentent à la faire ; crime de la part des Gouvernants qui la préparent, l’organisent et, l’heure venue, l’imposent à leurs peuples. Je ne veux pas tomber dans cette folie ; je ne veux pas me faire le complice de ce crime.

Ma vie m’appartient et je ne reconnais à personne le droit d’en disposer sans et a fortiori contre ma volonté. Respectueux de la vie de mes semblables, je ne consens pas à priver qui que ce soit de la sienne. Ma conscience m’interdit donc de m’exposer à devenir un assassin ou une victime.

Je refuse de prendre les armes ; je me soustrais à l’obligation militaire, quelles que puissent être, pour moi, les conséquences d’un tel refus. Je le déclare catégoriquement : en temps de paix, je ne ferai partie à aucun titre de l’Armée ; car, ne voulant pas être soldat, je n’ai pas à faire l’apprentissage du métier de soldat ; en temps de guerre, je suis irréductiblement résolu à ne prendre à celle-ci aucune part, pas plus indirecte que directe, pas plus sur le front qu’à l’arrière, pas plus comme civil que comme combattant.

Ne comptez sur moi d’aucune façon ni dans aucun cas.

Entre ma conscience qui m’interdit d’obéir aux prescriptions de la Loi et les sanctions que ne manquera pas de faire peser sur moi le refus inébranlable et permanent de me soumettre, mon choix est fait : j’écoute ma conscience.

J’ai le ferme espoir que mon exemple sera suivi. Un jour viendra - c’est pour moi une certitude - où le nombre de ceux qui, comme moi, refuseront de servir sera si élevé, où l’idée seule de la Guerre suscitera, chez tout homme sain de corps et d’esprit, une telle réprobation, que les gouvernements reculeront devant la crainte de provoquer, s’ils décrétaient la guerre, une révolte de la Conscience publique si violente et si générale, qu’elle se traduirait par un soulèvement populaire dont aucune répression ne saurait avoir raison.

Ce jour-là, l’objection de conscience s’étendra à la masse des travailleurs de tous les pays, qui se rendront enfin compte que, quelle que soit l’origine de la Guerre et quel qu’en soit le résultat, ils n’ont rien à y gagner et tout à y perdre. Cette masse se refusera à la tuerie insensée et criminelle dont, par son sang et par son travail, elle supporte tous les frais et subit toutes les conséquences.

Quand, travaillée par une propagande inlassable et une action persévérante, la conscience collective sera animée d’une inébranlable volonté de Paix, la Guerre aura vécu, car elle sera devenue impossible, aucun gouvernement n’osant, alors, prendre la responsabilité de se jeter dans une aventure à ce point périlleuse, qu’il y aurait neuf chances sur dix pour qu’elle aboutît à une série d’insurrections qui emporteraient le Régime que la Guerre se propose de sauver et de fortifier.

Je suis l’adversaire déterminé de tout État social basé sur l’Autorité, la Propriété, le Patriotisme et la Religion. Contre tout milieu social qui consacre l’oppression politique des Peuples et l’Exploitation économique des classes laborieuses, je suis en état d’insurrection permanente. L’occasion m’est offerte de donner à cet état de révolte morale un caractère immédiat et concret ; je saisis cette occasion ; et, à l’ordre qui m’est enjoint de me soumettre à l’obligation militaire, je réponds, sans hésitation et sans peur : " Non serviam, je ne me soumettrai pas. Je n’écoute que ma conscience ; celle-ci me prescrit de m’insurger et je me révolte. »

C’est ainsi que s’affirme l’objection de Conscience spécifiquement anarchiste.

Sébastien Faure

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