« Après le coup de force germanique »
Un mois après le coup de force germanique, la politique française montre ce qu’elle est : attachée aux pires erreurs, accablée de contradictions, tantôt affirmant des desseins qu’elle n’a pas le pouvoir de réaliser, tantôt faisant des concessions qu’elle pouvait éviter, exigeant l’impossible, négligeant le nécessaire, tour à tour menaçante, procédurière et vaine, la diplomatie la plus féconde en imaginations délirantes et en artifices illusoires qui, depuis quinze ans, ait cherché à régler les événements avec des solutions de papier.
Deux faits expliquent la déraison incroyable de l’école dirigeante. Il y a dans le monde, en dehors de l’Allemagne, un clan qui veut la guerre et qui propage insidieusement, sous couleurs de prestige et de morale internationale, les cas de guerre. C’est le clan des anciens pacifistes, des révolutionnaires2 et des Juifs émigrés3 qui sont prêts à tout pour abattre Hitler et pour mettre fin aux dictatures. Il y a dans le monde, en dehors du germanisme, une doctrine qui trouble obstinément la paix par la fausse conception qu’elle en a, qui a accumulé les illusions et qui aujourd’hui multiplie les risques. C’est la doctrine genevoise. Malgré les mille échecs qu’elle a subis, cette folle machine d’apparat a réussi à monter un engrenage où tout ce qui a été fait de valable pour la paix, comme tout ce qui a été fait de néfaste contre elle, est engagé. Si l’on arrête ce mécanisme, c’est la fin d’alliances profitables. Et si l’on ne l’arrête pas, c’est la perspective d’une guerre prochaine. Tout le désordre du monde actuel est dans ce paradoxe. L’indigne gouvernement Sarraut qui semble avoir reçu la mission d’humilier la France, comme elle ne l’a pas été depuis vingt-cinq ans, a porté ce désordre à son comble. Il a dit tout ce qu’il ne fallait pas dire4, il n’a rien fait de ce qu’il fallait faire5. Il a commencé par entendre l’appel des révolutionnaires et des Juifs déchaînés dont la fureur théologique exigeait contre Hitler toutes les sanctions tout de suite6. On n’a rien vu d’aussi redoutable et d’aussi insensé que ce délire d’énergie verbale. On n’a rien vu d’aussi perfide que cette propagande d’honneur national faite par des étrangers suspects dans les bureaux du Quai d’Orsay pour précipiter les jeunes Français, au nom de Moscou ou au nom d’Israël, dans un conflit immédiat. Un jour viendra où il faudra rechercher les responsables de cette frénésie qui ne pouvait nous conduire qu’à une aventure ou à une capitulation. Dès aujourd’hui, trois hommes sont désignés : Sarraut, Flandin, Mandel, paieront le risque qu’ils ont fait courir à la paix et ils paieront le déshonneur par lequel ils ont tenté ensuite d’échapper à ce risque. Ce qui s’est passé à Londres est effarant. Il y a eu pendant dix jours des disputes de procédure autour d’un traité déchiré. Il y a eu des conversations sérieuses pour appliquer à la France les mêmes mesures de surveillance qu’à l’Allemagne. Il y a eu des stratagèmes ridicules pour donner une satisfaction formelle à notre pays et une satisfaction substantielle à Hitler. Nous avons tout cédé après avoir dit que nous ne céderions pas. Et l’Allemagne a tout repoussé. Tels sont les résultats dégradants que nous a valus la rêverie sentimentale de Genève aidée du puritanisme britannique. Une comédie aussi dérisoire et aussi constante ne va pas sans des causes importantes. Le triste gouvernement Sarraut a agi comme ont agi tous les gouvernements qui sont intervenus précédemment contre l’Allemagne. Il a commencé par protester, puis il a discuté, puis il a cédé, perdant à la fois le bénéfice d’une politique de résistance puisqu’il cédait, et le bénéfice d’une politique de conciliation puisqu’il cédait après avoir protesté. Tant que l’Allemagne n’avait pas reconstitué sa puissance, et qu’une méthode de contrainte lui était applicable, il était fou de lui céder et de se contenter d’établir le catalogue de ses manquements. Mais « l’idéal » de la Société des Nations nous y obligeait. Aujourd’hui où l’Allemagne, profitant de nos faiblesses, a refait sa force et rend impossible toute action préventive, il était fou de protester et de rédiger des notes juridiques au lieu de tenter avec les nations pacifiques et d’abord avec l’Italie, un accord véritable. Mais « l’idéal » de la Société des Nations nous y obligeait. Cette institution inhumaine, tracassière et impuissante nous a contraints à une politique décadente quand l’étalage de la force eût été possible et bienfaisant. Aujourd’hui où tout recours aux armes serait un recours à la guerre, elle nous conseille une parade verbale dangereuse que ne suit aucune mesure de sécurité réelle. Elle a toujours été contre la paix. Ce qui est pire encore, c’est qu’elle est aussi pour la paix et qu’elle a accaparé les seuls conventions de paix véritables qui aient été conclues pendant ces quinze années folles. Toute notre diplomatie, même dans ce qu’elle a de raisonnable, dépend de la phraséologie de Genève. Toutes nos amitiés, y compris celles de la Petite Entente et de la Belgique, passent par Genève. Tous nos traités sont greffés sur le pacte de Genève. Il n’y a actuellement rien de plus exigeant et de plus faible, de plus nuisible et, en apparence, de plus nécessaire que la Société des Nations. Il semble également impossible d’en sortir et d’y rester. De là les contradictions des ministres qui continuent à agir automatiquement comme s’il n’y avait rien de changé dans le monde et qui sont incapables de revenir à une politique réelle. Ce que l’absurde gouvernement Sarraut ne fera pas, c’est de se rendre compte et de proclamer qu’il n’y a plus de politique de sécurité collective, que l’essai d’organisation de la justice internationale a échoué, que toutes les notions sur lesquelles nous continuons à fonder des alliances, la notion de l’assistance mutuelle automatique, de la paix indivisible, de la paix universelle, sont périmées et dangereuses. Ce qu’il ne fera pas, c’est d’avertir les petites puissances qu’il n’y a plus de Société des Nations et de reconstituer sur les principes d’une diplomatie réaliste les ententes pour lesquelles le covenant7 n’a été qu’un prêtenom. Ce qu’il ne fera pas, c’est de prendre la direction d’une politique nouvelle fondée sur la force morale et matérielle. Et le régime continuera d’aller de provocations en défaillances, jusqu’à ce qu’il appelle la guerre par sa faiblesse ou jusqu’à ce qu’une révolte nationale mette fin à ses abus.
Combat, no 4, avril 1936
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