"Vendredi saint. Vers 7 heures, en rentrant de l'usine, quelques copains se sont réunis, ils se sont assis sur les bords de deux lits voisins. Certains parmi eux sont croyants, d'autres non. Mais c'est le Vendredi saint. Un homme avait accepté la torture et la mort. Un frère. On a parlé de lui. Un copain avait réussi à récepérer une vieille bible à Buchenwald. Il lit un extrait de l'Evangile. L'histoire d'un homme, rien que d'un homme, la croix pour un homme, l'histoire d'un seul homme. Il peut parler, et les femmes qui l'aiment sont là. Il n'est pas déguisé, il est beau, en tout cas il a de la chair fraîche sur les os, il n'a pas de poux, il peut dire des choses nouvelles et, si on le nargue, c'est qu'on est tenté du moins de le considérer comme quelqu'un. Une histoire. Une passion. Au loin, une croix. Faible croix, très loin. Belle histoire. K ... est mort, lui, et on ne l'a pas reconnu. Des copains sont morts en disant: "Les vaches, les fumiers ... » Les petits Tziganes de Buchenwald asphyxiés comme des rats. M.-L. A ... morte, squelette, rasée. Toutes les cendres sur la terre d'Auschwitz. La voix du copain passe. Faible histoire, fluette, belle histoire dérisoire. Un autre copain -il ne croit pas -parle de la liberté de cet homme. Il avait accepté, dit-il.Jeanneton aussi dans sa cellule à Fresnes avait accepté. Il nous avait dit: "j'ai l'honneur de vous annoncer que je suis condamné à mort. » Et ici peut-être aussi quelques-uns acceptent, comprennent, trouvent tout ça régulier.
Belle histoire du surhomme, ensevelie sous les tonnes de cendres d'Auschwitz. On lui avait permis d'avoir une histoire. Il parlait d'amour, et on l'aimait. Les cheveux sur les pieds, les parfums, le disciple qu'il aimait, la face essuyée ... On ne donne pas les morts à leur mère ici, on tue la mère avec, on mange leur pain, on arrache l'or de leur bouche pour manger plus de pain, on fait du savon avec leur corps. Ou bien on met leur peau sur les abat jour des femelles SS. Pas de traces de clous sur les abat jour, seulement des tatouages artistiques. «Mon Père, pourquoi m'avez-vous ... » Hurlements des enfants que l'on étouffe. Silence des cendres épandues sur une plaine. "
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