C'est, nous dit Littré, un «
système de philosophie où l'on enseigne que Dieu a fait les choses suivant la
perfection de ses idées, c'est-à-dire le mieux, et que le monde est le meilleur
des mondes possibles ». C'est aussi « une tendance à voir tout en beau, surtout
en politique ».
Nous ne nous occuperons pas
de l'optimisme philosophique qui est une véritable bouteille à encre.
Constatons simplement qu'il est peut-être, dans toute la métaphysique, le
système le plus funeste à l'idée de Dieu et de sa perfection, car la réalité
nous fait observer à tout instant l'imperfection du monde. Même en admettant
que Dieu ait fait ce monde et que, par rapport à Dieu, il soit parfait et que
toutes les choses y soient bonnes, nous ne pouvons, par rapport à nous,
reconnaître cette perfection et cette bonté. Il se peut que le choléra et la
peste soient bons en euxmêmes et prouvent la perfection divine ; ils n'en sont
pas moins détestables pour le plus grand nombre des hommes. Il faut être un fou
mystique, un de ces vésaniques que les pratiques religieuses ont détraqués,
dont elles ont fait des brutes sanguinaires, pour se réjouir des calamités qui
accablent le monde et y voir les effets de la « perfection divine ». Cet
optimisme féroce ressemble étrangement à ce pessimisme qui n'attend le bien que
de l'excès du mal. C'est ainsi que les extrêmes se touchent, et ils se touchent
doublement quand, à côté des moines qui prêchent la guerre pour ramener les
hommes à Dieu, des révolutionnaires professent que la révolution ne sortira que
de l'excès de misère !. .. Les révolutions de la misère ont toujours été
désastreuses pour les miséreux.
Voltaire, dans son roman
Candide, a spirituellement raillé l'optimisme qu'il fait définir par son héros
« la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal ». Il faut remarquer
qu'il ne dit pas : « quand tout est mal ». Il a le bon sens de se garder du
préjugé contraire à l'optimisme, celui des pessimistes qui, s'ils n'ont pas
fabriqué un système philosophique pour enseigner que « tout est mal », n'en
sont pas pour cela mieux équilibrés que les disciples du « tout est bien ».
Il faut pourtant constater que
l'optimisme a, plus que le pessimisme, un fondement dans les faits naturels et
sociaux. Toute la nature est optimiste et l'homme est naturellement optimiste.
Il est indiscutable que dans toute la nature les forces favorables à la vie
dominent celles qui lui sont contraires, que la vie est plus forte que la mort
; sans cela, le monde n'existerait plus depuis longtemps.
Il est non moins
incontestable que, parmi les hommes, la tendance à la paix, à l'entr'aide, au
perfectionnement individuel et à l'amélioration des rapports sociaux est plus
puissante que la tendance à la guerre, à la concurrence, à l'abandon de soimême
et à l'indifférence sociale ; sans cela, les hommes auraient disparu. L'homme
est naturellement porté à se faire une vie aussi bonne que possible et à en
rechercher les moyens. Par intérêt, sinon par bonté, il a compris que la
sociabilité est préférable à l'hostilité. C'est son espoir, sa volonté d'une
vie meilleure, qui a éveillé son esprit d'invention, qui l'a lancé dans le
champ illimité des recherches scientifiques, qui lui a fait trouver la machine
pour diminuer son effort et soulager sa peine, qui lui fait réclamer une
sécurité toujours plus grande dans un état social où, si souvent déçu, il n'en
conserve pas moins l'espérance continue d'un mieux être. C'est l'optimisme qui
entretient son espoir et sa volonté. Sans lui, il en arriverait à perdre tout
ressort avec toute dignité et toute fierté de lui-même. « A quoi bon ? »
dirait-il, comme ces abouliques à qui il est indifférent de faire une chose
plutôt qu'une autre, persuadés que « rien ne sert à rien » !. ..
L'optimisme est nécessaire
pour vivre ; il est un signe de santé physique et morale. Mais pas plus que la
vie n'est un film qui déroule tous les jours, au même rythme, un même nombre
d'images ayant toujours les mêmes couleurs, cet optimisme n'est constant et
immuable chez l'individu bien équilibré. L'optimiste qui ne connaît jamais le
pessimisme est un égoïste massif pour qui la vie est bonne et qui ne la voit
pas autrement pour les autres. Le pessimisme constant est, par contre, le
produit d'un état de maladie physique ou morale, neurasthénie ou hypocondrie.
L'affaiblissement des forces nerveuses produit la première ; les douleurs, les
ambitions déçues entretiennent la seconde. Que de « grands hommes » méconnus
pour qui le monde n'est mal fait que parce qu'il n'a pas les yeux sur eux et ne
fait pas leur fortune ! ... Quand ils se bornent à extravaser leur bile et
qu'ils ne font pas des cabotins du crime, cela n'a pas d'importance. Mais trop
souvent, des Victor Hugo ratés font des Lacenaire. Constipés, dyspeptiques ou
ratés qui ne sont pas toujours « tombés d'un trop haut idéal », tels sont
généralement les pessimistes. Tels sont les faux savants qui interprètent
Darwin à l'envers, tel ce Quinton qui a écrit les insanités suivantes : « Le
monde est aux impudents. La guerre est l'âge d'or. L'action pour l'honnête homme
n'est possible qu'à la guerre. La joie de tuer est profonde. Les jours qui
terminent les guerres sont des jours de deuil pour les braves. Tu n'as pas à
comprendre les peuples, tu n'as qu'à les haïr. En dehors de la maternité chez
la femme et de la guerre chez l'homme, l'être humain n'est que petitesse et
ordure. Le pacifisme est un attentat à l'honneur. C'est la grandeur de la
guerre de déchirer les contrats. » Propos bien dignes de cet hypertrophié du «
moi » qui disait aussi : « En dehors de moi, tout n'est que vices, sottise,
folie. »
Or, si Darwin a constaté,
dans son système de l'évolution organique, la « lutte pour l'existence », il a
placé au-dessus de cette lutte « l'accord pour l'existence », sans lequel les
plus féroces « lutteurs », parasites malfaisants, auraient disparu depuis
longtemps avec le vieux monde tourneboulé par eux. « La preuve nous en est
donnée par ce fait que les espèces les plus heureuses dans leur destinée ne
sont pas les mieux outillées pour la rapine et le meurtre, mais, au contraire,
celles qui, munies d'armes peu perfectionnées, s'entr'aident avec le plus
d'empressement : ce sont non les plus féroces, mais les plus aimantes. » (E.
Reclus.) Et ne prenons pas comme exemple contraire celui de la prétendue
prospérité de cette Europe actuelle, où sévissent tant de Quintons et qui est
la mieux outillée pour la rapine. D'abord, elle n'est pas heureuse, cette Europe.
Ensuite, elle ne tardera pas à s'engloutir dans sa propre ordure si elle
continue à suivre les « surhommes », mégalomanes assoiffés de domination, qui
exploitent la lâcheté du troupeau en se donnant des airs « nietzschéens », mais
ne sont que de vulgaires aventuriers.
Quand Renan disait : « Il
est des temps où l'optimisme fait involontairement soupçonner chez celui qui le
professe quelque petitesse d'esprit ou quelque bassesse de cœur », il jugeait
comme il convenait l'optimisme des égoïstes, satisfaits même aux temps des
Soulouques grotesques et sanglants qui règnent trop souvent sur la sottise des
peuples.
L'optimisme dans l'actuel
est l'adhésion à cet actuel ou à ce qu'il peut produire. Celui qui porte en soi
un rêve quelconque de justice sociale, de perfectionnement humain, ne peut
posséder cet optimisme en face de l'état social ; mais il peut croire à des
possibilités de transformation de cet état et il y travaille. L'optimisme du
révolutionnaire, de celui qui revendique et ne se résigne pas à la servitude,
ne peut commencer que là, dans la possibilité qu'il voit d'aboutir au résultat
qu'il recherche et qui stimule son effort.
Un déiste est, d'après
l'arbitraire définition philosophique, un optimiste. Tout est pour le mieux
dans le meilleur des mondes que pouvait créer son Dieu parfait. Pourquoi, et
d'ailleurs comment, sinon par des entreprises chimériques et condamnables,
demander et obtenir mieux ? Le déiste bénit la main qui le frappe. Il appelle
la « bonne souffrance » qui sanctifiera son effort vers le divin. Il est même
si heureux de vivre dans une « vallée de larmes », qu'il a la terreur de la
mort. Aucun homme n'a cette terreur à un plus haut degré que le prêtre. Est-ce
l'incertitude du jugement d'un Dieu à qui il prétend s'être « consacré » qui
lui apporte cette terreur ou, simplement, comme pour le plus vulgaire des
jouisseurs, parce que la vie lui est généralement bonne, qu'il sait ce qu'il va
perdre et ne sait pas ce qu'il trouvera ? Contradictions dans tout cela et dont
la raison n'est autre que la fallacieuse interprétation philosophique de
l'optimisme. Toute la nature, l'humaine en partîculier, est en révolte contre
cet optimisme de déchéance et de mort. C'est pourquoi tant de gens qui
devraient être heureux de mourir puisqu'ils vont enfin connaître les «
félicités du ciel », sont dans la terreur à l'heure de la mort.
Le véritable optimisme qui
est sain, normal, naturel, est établi, non sur les sortilèges de l'au-delà,
mais sur les bases solides de la conscience, aussi loin de l'égoïsme béat du
porc humain à l'engrais que des séraphiques extases. C'est celui du Taciturne :
« Point n'est besoin d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour
persévérer. » C'est celui de l'esprit libertaire toujours vigilant chez l'homme
conscience de la nature, et qui n'a jamais cessé de le faire progresser dans
son individualité et dans le groupe humain. Que cette conscience, chez la
majorité des hommes, n'en soit encore qu'au stade de la sauvagerie
perfectionnée qu'on appelle le nationalisme, qu'elle n'ait pas encore atteint
la sphère de sagesse où la raison dominera la force, elle ne s'est pas moins
dégagée de 1a conception du clan primitif pour monter vers l'humanité. « Vous
verrez venir encore une grande réaction. Tout paraîtra détruit de ce que nous
défendons. Mais il ne faut pas s'inquiéter. Le chemin de l'humanité est une
route de montagne ; elle monte en lacets, et il semble par moments qu'on
revienne en arrière. Mais on monte toujours. » (Renan). Voilà le véritable
optimisme qui est sain, normal, naturel.
S'il existait une
philosophie pessimiste, elle dirait sans doute : « La nature n'a pas de but et
tout finit par la mort. » (H. Astié. Plus loin. Mars 1931). Mais le pessimisme
n'a produit aucun système philosophique, pas plus sur ces bases que sur
d'autres, parce qu'elles n'ont aucune solidité non seulement expérimentale mais
aussi dialectique. D'abord, n'est-il pas inexact de dire que tout finit par la
mort puisque la vie est en incessant renouvellement ? Ensuite, quelle certitude
a-t-on que la nature n'a pas de but ? Et, en aurait-on la certitude, en quoi
cela justifierait-il le pessimisme plutôt que l'optimisme ? C'est comme si l'on
disait qu'on doit être pessimiste parce qu'on ne sait pas si Dieu existe ou
s'il y a des habitants dans la lune. En quoi ces questions peuvent-elles
empêcher de goûter la vie, de la vouloir et de la faire meilleure pour nous et
pour ceux qui nous suivront, d'espérer que le progrès scientifique dont les
résultats ont été jusqu'ici uniquement matériels, permettra un jour le progrès
moral auquel aspirent tous ceux qui rêvent des temps nouveaux ? « Utopie ! »
ricanent d'égoïstes esprits pour qui le monde finira avec eux. Mais les utopies
sont les réalités de demain. - « Il y aura toujours des guerres ! » gémissent
les avachis résignés d'avance aux prochaines « dernières ». - « Les hommes ne
sont jamais que des sots ou des fripons », disent des moralistes qui prétendent
posséder toutes les vertus mais n'admettent pas que d'autres puissent les avoir
ou les acquérir, la mère des gens vertueux étant morte avec la leur.
Cc qui est encore plus
inadmissible, c'est ce qu'ajoute ce pessimisme : « Pratiquement, il faut accepter
la vie. » - Il faut ! ... Pourquoi faut-il ? A la suite de quelle loi, de quel
credo, de quel catéchisme, par quelle sorte de mystique faut-il accepter la vie
si on la trouve mauvaise, décevante et sans but ? Est-ce par devoir envers
Dieu, envers les autres hommes, envers soi-même ? Mais alors la vie a un but,
il y a une raison de poursuivre ce but et on a encore le goût de vivre ; on
n'est plus pessimiste que pour en dégoûter les autres.
L'optimisme est
indispensable à la vie sociale comme à la vie naturelle. L'instinct qui pousse
l'individu à satisfaire ses besoins physiques, intellectuels, sentimentaux, est
optimiste, car il tend à entretenir, à perpétuer, à embellir la vie. Dès que
l'homme a découvert les idées, qu'il a appliqué son esprit à l'observation des
choses, la nature a perdu à ses yeux son hostilité première, il l'a vue et
sentie meilleure, plus maternelle, il a mis en elle une confiance grandissante
et, jusque dans sa terreur des forces malfaisantes, il a été optimiste
puisqu'il a eu l'espoir de changer leurs dispositions à son égard par sa
soumission et son adoration. (Voir Naturisme).
La pensée antique,
particulièrement celle de la Grèce qui s'exaltait dans le plus magnifique
épanouissement de la vie, était optimiste. Le pessimisme fut en elle une
exception. L'optimisme domina socialement tant que les hommes vécurent en
accord avec la nature, qu'ils ne virent qu'en elle toute force, toute pensée,
toute vie. Les religions qui transportèrent dans l'au-delà les espoirs humains,
créèrent l'optimisme métaphysique et le pessimisme social. Les deux se
complétèrent pour paralyser l'effort dans l'actuel et créer l'inertie
contemplative qui va, dans certaines religions, jusqu'à l'état cataleptique.
Au moyen âge, l'Eglise sut
remarquablement organiser le pessimisme social à son profit. Jamais les hommes
ne furent plus désespérés, livrés à la plus noire superstition et aux
aberrations les plus inouïes. La hantise de la mort fut telle que dans toute la
chrétienté courut l'idée que l'an mil amènerait la fin du monde. En attendant
la catastrophe qu'elle annonçait sans y croire, l'Eglise accaparait, accumulait
les biens terrestres dont elle dépouillait ses dupes terrifiées. Il fallut
longtemps, après l'an mil, pour que les hommes, voyant que le soleil brillait
toujours, reprissent le goût de vivre et cherchassent à sortir de la désolation
où ils avaient été plongés. L'optimisme social monta alors de nouveau de la
terre et du travail pour produire ce qui fut la période féconde du moyen âge,
reprendre le contact avec la saine pensée antique et engendrer les temps
modernes sur les ruines amoncelées par un pessimisme pestiféré.
Toutes les découvertes qui,
depuis quatre cents ans, ont marqué l'évolution humaine (voir Temps modernes)
ont été le produit de l'optimisme social, de la foi dans le progrès, dans le
développement d'une humanité en marche vers le bien-être et la liberté. Que
l'ignorance, exploitée par les intérêts égoïstes et leur mauvaise foi, ait
compromis, à certains moments, et compromette encore l'œuvre de la vraie
civilisation, il n'en reste pas moins que toutes les théories, toutes les
réalisations, sont le résultat d'un magnifique optimisme, depuis les utopies
d'apparences les plus irréalisables jusqu'aux acquisitions les plus positives
de la science. Les utopies du XVIIIème siècle ont produit le libéralisme et les
idées saint-simoniennes. Ces dernières se sont précisées et réalisées en partie
dans le socialisme du XIXème siècle. Le socialisme est, à son tour, en voie
d'enfantement dans le XXème siècle. Ses mauvais accoucheurs l'ont fait et le
feront encore avorter bien des fois dans de misérables aventures, mais il n'en
porte pas moins les espoirs d'un monde nouveau. Lisez dans la Correspondance de
Proudhon, sa belle lettre du 27 septembre 1853 sur « l'incorruptibilité des
sociétés ». Entre-autres choses qui sont peut-être discutables dans le détail,
il disait : « Aujourd'hui... l'état des nations civilisées ne permet plus ni
l'exploitation des races vaincues au profit d'une seule, ni le retour à
l'antique esclavage. L'organisme social est donc devenu incorruptible,
indéfectible ; plus fort que tous les plébiscites et que tous les votes, et
c'est pourquoi tout gouvernement qui affecte des allures despotiques est
d'avance condamné et ne durera pas longtemps ... L'organisme économique tue le
despotisme militaire et sacerdotal. La société prouve ainsi sa vaillance,
bientôt elle la reconnaîtra ellemême ; alors disparaîtront pour jamais les
ignominies que le préjugé universel, l'individualisme glorifié comme raison
générale, lui impose en ce moment. Alors aussi les lâches que l'obscurité des
temps aura entraînés dans la défection, reviendront à l'honneur et à la liberté
et peu à peu l'on reverra la vertu de masses remonter au niveau de la
virtualité sociale. » Proud'hon anticipait ; nous le voyons par les «
ignominies » qu'entretient encore le « préjugé universel », mais il n'en est
pas moins vrai qu'on a fait du chemin depuis qu'il a écrit ces lignes. Il y a
toujours des races vaincues soumises à l'exploitation, notamment dans les
colonies ; mais il y a une conscience collective qui manifeste sa réprobation
avec une force de plus en plus accrue. L'organisme social est encore
corruptible : mais tous les jours grandissent le dégoût et la colère contre les
éléments corrupteurs.
L'optimisme proudhonien est
celui de la pensée anarchiste qui voit les réalisations de l'avenir dans le
développement parallèle de l'individu et du groupe social pour substituer le
contrat à l'autorité, la libre association des consciences scrupuleuses à
l'obligation unilatérale, arbitraire et corruptrice. C'est l'optimisme d'Elisée
Reclus, disant que « l'homme est la nature prenant conscience d'elle-même ».
Cette conscience c'est ce génie de la Terre « qui prouve son existence en nous
rendant capables de penser et de l'interroger », a écrit Maeterlinck, et il a
ajouté : « Notre terre ne nous a pas dit grand chose jusqu'ici ; c'est que nous
sommes très jeunes et qu'elle-même ne se trouve qu'au début de sa course. Nous apprendrons.
Ce n'est pas parce que l'univers existe depuis l'infini des temps que nous
devons nous décourager. » Il y a eu toute une éternité avant que la nature ait
commencé à prendre conscience d'elle-même. Les pessimistes ne pourraient-ils
faire crédit de quelques centaines d'années, voire de quelques centaines de
siècles, à l'homme pour qu'il apprenne ce qui lui est encore caché et qu'il
arrive à manifester pleinement la conscience de la nature ? Mais leur égoïsme
dit à ces pessimistes : « Que t'importe ? Tu ne seras plus là !... Après toi,
le déluge ! »
Il est certain qu'il faut
avoir un optimisme solidement ancré sur l'observation du fait social, sur la
volonté plus forte que tous les obstacles de se dresser contre l'iniquité, le
mensonge et le crime, sur la. conviction absolue que cette sinistre trinité et
la barbarie qu'elle engendre ne peuvent avoir qu'un temps, pour ne pas tomber
dans le pessimisme devant la profondeur de désolante sottise que révèle le
muflisme actuel. Mais même si l'observation les faisait arriver à conclure que
rien ne changera jamais et que les pourceaux humains, vautrés dans leur bauge,
ne seront jamais ceux d'Epicure, tous les protestataires, les réfractaires, les
révoltés n'en devraient pas moins demeurer optimistes pour ne pas se dégoûter
eux-mêmes et rougir d'être des hommes.
Tous les créateurs humains,
tous ceux qui ont apporté de nouvelles forces à la vie, à la révolte, à la
conscience, ont été des optimistes, jusque dans le sacrifice d'eux-mêmes. Un
Blanqui dont la moitié de la vie s'est passée dans les prisons, un Sacco et un
Vanzetti, un Matteoti et un Schirru, la légion innombrable de ceux qui ont donné
leur vie pour un idéal de vérité et de justice, ont été des optimistes. Il y
aura toujours une élite, si clairsemée soit-elle, qui luttera héroïquement par
la pensée et par l'action et à laquelle nous devons nous efforcer d'appartenir.
Gravons en nos esprits, pour la retrouver comme un stimulant dans tous les
moments de découragement et d'abandon, devant toutes les déceptions qui peuvent
nous accabler, cette magnifique pensée d'un des plus purs parmi les hommes,
d'un enfant qui mourut à vingt-deux ans, victime de leurs turpitudes : « Il
faut croire en l'humanité tant qu'il y aura, ne fût-ce qu'un homme honnête et
véridique. Car douter serait blasphémer l'idéal en cet unique dépositaire de sa
lumière. » (Jean de SaintPrix. Lettres).
- Edouard ROTHEN
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