jeudi 23 février 2023

OPTIMISME n. m. (du latin optimus, très bon) encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 


C'est, nous dit Littré, un « système de philosophie où l'on enseigne que Dieu a fait les choses suivant la perfection de ses idées, c'est-à-dire le mieux, et que le monde est le meilleur des mondes possibles ». C'est aussi « une tendance à voir tout en beau, surtout en politique ».

Nous ne nous occuperons pas de l'optimisme philosophique qui est une véritable bouteille à encre. Constatons simplement qu'il est peut-être, dans toute la métaphysique, le système le plus funeste à l'idée de Dieu et de sa perfection, car la réalité nous fait observer à tout instant l'imperfection du monde. Même en admettant que Dieu ait fait ce monde et que, par rapport à Dieu, il soit parfait et que toutes les choses y soient bonnes, nous ne pouvons, par rapport à nous, reconnaître cette perfection et cette bonté. Il se peut que le choléra et la peste soient bons en euxmêmes et prouvent la perfection divine ; ils n'en sont pas moins détestables pour le plus grand nombre des hommes. Il faut être un fou mystique, un de ces vésaniques que les pratiques religieuses ont détraqués, dont elles ont fait des brutes sanguinaires, pour se réjouir des calamités qui accablent le monde et y voir les effets de la « perfection divine ». Cet optimisme féroce ressemble étrangement à ce pessimisme qui n'attend le bien que de l'excès du mal. C'est ainsi que les extrêmes se touchent, et ils se touchent doublement quand, à côté des moines qui prêchent la guerre pour ramener les hommes à Dieu, des révolutionnaires professent que la révolution ne sortira que de l'excès de misère !. .. Les révolutions de la misère ont toujours été désastreuses pour les miséreux.

Voltaire, dans son roman Candide, a spirituellement raillé l'optimisme qu'il fait définir par son héros « la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal ». Il faut remarquer qu'il ne dit pas : « quand tout est mal ». Il a le bon sens de se garder du préjugé contraire à l'optimisme, celui des pessimistes qui, s'ils n'ont pas fabriqué un système philosophique pour enseigner que « tout est mal », n'en sont pas pour cela mieux équilibrés que les disciples du « tout est bien ».

Il faut pourtant constater que l'optimisme a, plus que le pessimisme, un fondement dans les faits naturels et sociaux. Toute la nature est optimiste et l'homme est naturellement optimiste. Il est indiscutable que dans toute la nature les forces favorables à la vie dominent celles qui lui sont contraires, que la vie est plus forte que la mort ; sans cela, le monde n'existerait plus depuis longtemps.

Il est non moins incontestable que, parmi les hommes, la tendance à la paix, à l'entr'aide, au perfectionnement individuel et à l'amélioration des rapports sociaux est plus puissante que la tendance à la guerre, à la concurrence, à l'abandon de soimême et à l'indifférence sociale ; sans cela, les hommes auraient disparu. L'homme est naturellement porté à se faire une vie aussi bonne que possible et à en rechercher les moyens. Par intérêt, sinon par bonté, il a compris que la sociabilité est préférable à l'hostilité. C'est son espoir, sa volonté d'une vie meilleure, qui a éveillé son esprit d'invention, qui l'a lancé dans le champ illimité des recherches scientifiques, qui lui a fait trouver la machine pour diminuer son effort et soulager sa peine, qui lui fait réclamer une sécurité toujours plus grande dans un état social où, si souvent déçu, il n'en conserve pas moins l'espérance continue d'un mieux être. C'est l'optimisme qui entretient son espoir et sa volonté. Sans lui, il en arriverait à perdre tout ressort avec toute dignité et toute fierté de lui-même. « A quoi bon ? » dirait-il, comme ces abouliques à qui il est indifférent de faire une chose plutôt qu'une autre, persuadés que « rien ne sert à rien » !. ..

L'optimisme est nécessaire pour vivre ; il est un signe de santé physique et morale. Mais pas plus que la vie n'est un film qui déroule tous les jours, au même rythme, un même nombre d'images ayant toujours les mêmes couleurs, cet optimisme n'est constant et immuable chez l'individu bien équilibré. L'optimiste qui ne connaît jamais le pessimisme est un égoïste massif pour qui la vie est bonne et qui ne la voit pas autrement pour les autres. Le pessimisme constant est, par contre, le produit d'un état de maladie physique ou morale, neurasthénie ou hypocondrie. L'affaiblissement des forces nerveuses produit la première ; les douleurs, les ambitions déçues entretiennent la seconde. Que de « grands hommes » méconnus pour qui le monde n'est mal fait que parce qu'il n'a pas les yeux sur eux et ne fait pas leur fortune ! ... Quand ils se bornent à extravaser leur bile et qu'ils ne font pas des cabotins du crime, cela n'a pas d'importance. Mais trop souvent, des Victor Hugo ratés font des Lacenaire. Constipés, dyspeptiques ou ratés qui ne sont pas toujours « tombés d'un trop haut idéal », tels sont généralement les pessimistes. Tels sont les faux savants qui interprètent Darwin à l'envers, tel ce Quinton qui a écrit les insanités suivantes : « Le monde est aux impudents. La guerre est l'âge d'or. L'action pour l'honnête homme n'est possible qu'à la guerre. La joie de tuer est profonde. Les jours qui terminent les guerres sont des jours de deuil pour les braves. Tu n'as pas à comprendre les peuples, tu n'as qu'à les haïr. En dehors de la maternité chez la femme et de la guerre chez l'homme, l'être humain n'est que petitesse et ordure. Le pacifisme est un attentat à l'honneur. C'est la grandeur de la guerre de déchirer les contrats. » Propos bien dignes de cet hypertrophié du « moi » qui disait aussi : « En dehors de moi, tout n'est que vices, sottise, folie. »

Or, si Darwin a constaté, dans son système de l'évolution organique, la « lutte pour l'existence », il a placé au-dessus de cette lutte « l'accord pour l'existence », sans lequel les plus féroces « lutteurs », parasites malfaisants, auraient disparu depuis longtemps avec le vieux monde tourneboulé par eux. « La preuve nous en est donnée par ce fait que les espèces les plus heureuses dans leur destinée ne sont pas les mieux outillées pour la rapine et le meurtre, mais, au contraire, celles qui, munies d'armes peu perfectionnées, s'entr'aident avec le plus d'empressement : ce sont non les plus féroces, mais les plus aimantes. » (E. Reclus.) Et ne prenons pas comme exemple contraire celui de la prétendue prospérité de cette Europe actuelle, où sévissent tant de Quintons et qui est la mieux outillée pour la rapine. D'abord, elle n'est pas heureuse, cette Europe. Ensuite, elle ne tardera pas à s'engloutir dans sa propre ordure si elle continue à suivre les « surhommes », mégalomanes assoiffés de domination, qui exploitent la lâcheté du troupeau en se donnant des airs « nietzschéens », mais ne sont que de vulgaires aventuriers.

Quand Renan disait : « Il est des temps où l'optimisme fait involontairement soupçonner chez celui qui le professe quelque petitesse d'esprit ou quelque bassesse de cœur », il jugeait comme il convenait l'optimisme des égoïstes, satisfaits même aux temps des Soulouques grotesques et sanglants qui règnent trop souvent sur la sottise des peuples.

L'optimisme dans l'actuel est l'adhésion à cet actuel ou à ce qu'il peut produire. Celui qui porte en soi un rêve quelconque de justice sociale, de perfectionnement humain, ne peut posséder cet optimisme en face de l'état social ; mais il peut croire à des possibilités de transformation de cet état et il y travaille. L'optimisme du révolutionnaire, de celui qui revendique et ne se résigne pas à la servitude, ne peut commencer que là, dans la possibilité qu'il voit d'aboutir au résultat qu'il recherche et qui stimule son effort.

Un déiste est, d'après l'arbitraire définition philosophique, un optimiste. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes que pouvait créer son Dieu parfait. Pourquoi, et d'ailleurs comment, sinon par des entreprises chimériques et condamnables, demander et obtenir mieux ? Le déiste bénit la main qui le frappe. Il appelle la « bonne souffrance » qui sanctifiera son effort vers le divin. Il est même si heureux de vivre dans une « vallée de larmes », qu'il a la terreur de la mort. Aucun homme n'a cette terreur à un plus haut degré que le prêtre. Est-ce l'incertitude du jugement d'un Dieu à qui il prétend s'être « consacré » qui lui apporte cette terreur ou, simplement, comme pour le plus vulgaire des jouisseurs, parce que la vie lui est généralement bonne, qu'il sait ce qu'il va perdre et ne sait pas ce qu'il trouvera ? Contradictions dans tout cela et dont la raison n'est autre que la fallacieuse interprétation philosophique de l'optimisme. Toute la nature, l'humaine en partîculier, est en révolte contre cet optimisme de déchéance et de mort. C'est pourquoi tant de gens qui devraient être heureux de mourir puisqu'ils vont enfin connaître les « félicités du ciel », sont dans la terreur à l'heure de la mort.

Le véritable optimisme qui est sain, normal, naturel, est établi, non sur les sortilèges de l'au-delà, mais sur les bases solides de la conscience, aussi loin de l'égoïsme béat du porc humain à l'engrais que des séraphiques extases. C'est celui du Taciturne : « Point n'est besoin d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. » C'est celui de l'esprit libertaire toujours vigilant chez l'homme conscience de la nature, et qui n'a jamais cessé de le faire progresser dans son individualité et dans le groupe humain. Que cette conscience, chez la majorité des hommes, n'en soit encore qu'au stade de la sauvagerie perfectionnée qu'on appelle le nationalisme, qu'elle n'ait pas encore atteint la sphère de sagesse où la raison dominera la force, elle ne s'est pas moins dégagée de 1a conception du clan primitif pour monter vers l'humanité. « Vous verrez venir encore une grande réaction. Tout paraîtra détruit de ce que nous défendons. Mais il ne faut pas s'inquiéter. Le chemin de l'humanité est une route de montagne ; elle monte en lacets, et il semble par moments qu'on revienne en arrière. Mais on monte toujours. » (Renan). Voilà le véritable optimisme qui est sain, normal, naturel.

S'il existait une philosophie pessimiste, elle dirait sans doute : « La nature n'a pas de but et tout finit par la mort. » (H. Astié. Plus loin. Mars 1931). Mais le pessimisme n'a produit aucun système philosophique, pas plus sur ces bases que sur d'autres, parce qu'elles n'ont aucune solidité non seulement expérimentale mais aussi dialectique. D'abord, n'est-il pas inexact de dire que tout finit par la mort puisque la vie est en incessant renouvellement ? Ensuite, quelle certitude a-t-on que la nature n'a pas de but ? Et, en aurait-on la certitude, en quoi cela justifierait-il le pessimisme plutôt que l'optimisme ? C'est comme si l'on disait qu'on doit être pessimiste parce qu'on ne sait pas si Dieu existe ou s'il y a des habitants dans la lune. En quoi ces questions peuvent-elles empêcher de goûter la vie, de la vouloir et de la faire meilleure pour nous et pour ceux qui nous suivront, d'espérer que le progrès scientifique dont les résultats ont été jusqu'ici uniquement matériels, permettra un jour le progrès moral auquel aspirent tous ceux qui rêvent des temps nouveaux ? « Utopie ! » ricanent d'égoïstes esprits pour qui le monde finira avec eux. Mais les utopies sont les réalités de demain. - « Il y aura toujours des guerres ! » gémissent les avachis résignés d'avance aux prochaines « dernières ». - « Les hommes ne sont jamais que des sots ou des fripons », disent des moralistes qui prétendent posséder toutes les vertus mais n'admettent pas que d'autres puissent les avoir ou les acquérir, la mère des gens vertueux étant morte avec la leur.

Cc qui est encore plus inadmissible, c'est ce qu'ajoute ce pessimisme : « Pratiquement, il faut accepter la vie. » - Il faut ! ... Pourquoi faut-il ? A la suite de quelle loi, de quel credo, de quel catéchisme, par quelle sorte de mystique faut-il accepter la vie si on la trouve mauvaise, décevante et sans but ? Est-ce par devoir envers Dieu, envers les autres hommes, envers soi-même ? Mais alors la vie a un but, il y a une raison de poursuivre ce but et on a encore le goût de vivre ; on n'est plus pessimiste que pour en dégoûter les autres.

L'optimisme est indispensable à la vie sociale comme à la vie naturelle. L'instinct qui pousse l'individu à satisfaire ses besoins physiques, intellectuels, sentimentaux, est optimiste, car il tend à entretenir, à perpétuer, à embellir la vie. Dès que l'homme a découvert les idées, qu'il a appliqué son esprit à l'observation des choses, la nature a perdu à ses yeux son hostilité première, il l'a vue et sentie meilleure, plus maternelle, il a mis en elle une confiance grandissante et, jusque dans sa terreur des forces malfaisantes, il a été optimiste puisqu'il a eu l'espoir de changer leurs dispositions à son égard par sa soumission et son adoration. (Voir Naturisme).

La pensée antique, particulièrement celle de la Grèce qui s'exaltait dans le plus magnifique épanouissement de la vie, était optimiste. Le pessimisme fut en elle une exception. L'optimisme domina socialement tant que les hommes vécurent en accord avec la nature, qu'ils ne virent qu'en elle toute force, toute pensée, toute vie. Les religions qui transportèrent dans l'au-delà les espoirs humains, créèrent l'optimisme métaphysique et le pessimisme social. Les deux se complétèrent pour paralyser l'effort dans l'actuel et créer l'inertie contemplative qui va, dans certaines religions, jusqu'à l'état cataleptique.

Au moyen âge, l'Eglise sut remarquablement organiser le pessimisme social à son profit. Jamais les hommes ne furent plus désespérés, livrés à la plus noire superstition et aux aberrations les plus inouïes. La hantise de la mort fut telle que dans toute la chrétienté courut l'idée que l'an mil amènerait la fin du monde. En attendant la catastrophe qu'elle annonçait sans y croire, l'Eglise accaparait, accumulait les biens terrestres dont elle dépouillait ses dupes terrifiées. Il fallut longtemps, après l'an mil, pour que les hommes, voyant que le soleil brillait toujours, reprissent le goût de vivre et cherchassent à sortir de la désolation où ils avaient été plongés. L'optimisme social monta alors de nouveau de la terre et du travail pour produire ce qui fut la période féconde du moyen âge, reprendre le contact avec la saine pensée antique et engendrer les temps modernes sur les ruines amoncelées par un pessimisme pestiféré.

Toutes les découvertes qui, depuis quatre cents ans, ont marqué l'évolution humaine (voir Temps modernes) ont été le produit de l'optimisme social, de la foi dans le progrès, dans le développement d'une humanité en marche vers le bien-être et la liberté. Que l'ignorance, exploitée par les intérêts égoïstes et leur mauvaise foi, ait compromis, à certains moments, et compromette encore l'œuvre de la vraie civilisation, il n'en reste pas moins que toutes les théories, toutes les réalisations, sont le résultat d'un magnifique optimisme, depuis les utopies d'apparences les plus irréalisables jusqu'aux acquisitions les plus positives de la science. Les utopies du XVIIIème siècle ont produit le libéralisme et les idées saint-simoniennes. Ces dernières se sont précisées et réalisées en partie dans le socialisme du XIXème siècle. Le socialisme est, à son tour, en voie d'enfantement dans le XXème siècle. Ses mauvais accoucheurs l'ont fait et le feront encore avorter bien des fois dans de misérables aventures, mais il n'en porte pas moins les espoirs d'un monde nouveau. Lisez dans la Correspondance de Proudhon, sa belle lettre du 27 septembre 1853 sur « l'incorruptibilité des sociétés ». Entre-autres choses qui sont peut-être discutables dans le détail, il disait : « Aujourd'hui... l'état des nations civilisées ne permet plus ni l'exploitation des races vaincues au profit d'une seule, ni le retour à l'antique esclavage. L'organisme social est donc devenu incorruptible, indéfectible ; plus fort que tous les plébiscites et que tous les votes, et c'est pourquoi tout gouvernement qui affecte des allures despotiques est d'avance condamné et ne durera pas longtemps ... L'organisme économique tue le despotisme militaire et sacerdotal. La société prouve ainsi sa vaillance, bientôt elle la reconnaîtra ellemême ; alors disparaîtront pour jamais les ignominies que le préjugé universel, l'individualisme glorifié comme raison générale, lui impose en ce moment. Alors aussi les lâches que l'obscurité des temps aura entraînés dans la défection, reviendront à l'honneur et à la liberté et peu à peu l'on reverra la vertu de masses remonter au niveau de la virtualité sociale. » Proud'hon anticipait ; nous le voyons par les « ignominies » qu'entretient encore le « préjugé universel », mais il n'en est pas moins vrai qu'on a fait du chemin depuis qu'il a écrit ces lignes. Il y a toujours des races vaincues soumises à l'exploitation, notamment dans les colonies ; mais il y a une conscience collective qui manifeste sa réprobation avec une force de plus en plus accrue. L'organisme social est encore corruptible : mais tous les jours grandissent le dégoût et la colère contre les éléments corrupteurs.

L'optimisme proudhonien est celui de la pensée anarchiste qui voit les réalisations de l'avenir dans le développement parallèle de l'individu et du groupe social pour substituer le contrat à l'autorité, la libre association des consciences scrupuleuses à l'obligation unilatérale, arbitraire et corruptrice. C'est l'optimisme d'Elisée Reclus, disant que « l'homme est la nature prenant conscience d'elle-même ». Cette conscience c'est ce génie de la Terre « qui prouve son existence en nous rendant capables de penser et de l'interroger », a écrit Maeterlinck, et il a ajouté : « Notre terre ne nous a pas dit grand chose jusqu'ici ; c'est que nous sommes très jeunes et qu'elle-même ne se trouve qu'au début de sa course. Nous apprendrons. Ce n'est pas parce que l'univers existe depuis l'infini des temps que nous devons nous décourager. » Il y a eu toute une éternité avant que la nature ait commencé à prendre conscience d'elle-même. Les pessimistes ne pourraient-ils faire crédit de quelques centaines d'années, voire de quelques centaines de siècles, à l'homme pour qu'il apprenne ce qui lui est encore caché et qu'il arrive à manifester pleinement la conscience de la nature ? Mais leur égoïsme dit à ces pessimistes : « Que t'importe ? Tu ne seras plus là !... Après toi, le déluge ! »

Il est certain qu'il faut avoir un optimisme solidement ancré sur l'observation du fait social, sur la volonté plus forte que tous les obstacles de se dresser contre l'iniquité, le mensonge et le crime, sur la. conviction absolue que cette sinistre trinité et la barbarie qu'elle engendre ne peuvent avoir qu'un temps, pour ne pas tomber dans le pessimisme devant la profondeur de désolante sottise que révèle le muflisme actuel. Mais même si l'observation les faisait arriver à conclure que rien ne changera jamais et que les pourceaux humains, vautrés dans leur bauge, ne seront jamais ceux d'Epicure, tous les protestataires, les réfractaires, les révoltés n'en devraient pas moins demeurer optimistes pour ne pas se dégoûter eux-mêmes et rougir d'être des hommes.

Tous les créateurs humains, tous ceux qui ont apporté de nouvelles forces à la vie, à la révolte, à la conscience, ont été des optimistes, jusque dans le sacrifice d'eux-mêmes. Un Blanqui dont la moitié de la vie s'est passée dans les prisons, un Sacco et un Vanzetti, un Matteoti et un Schirru, la légion innombrable de ceux qui ont donné leur vie pour un idéal de vérité et de justice, ont été des optimistes. Il y aura toujours une élite, si clairsemée soit-elle, qui luttera héroïquement par la pensée et par l'action et à laquelle nous devons nous efforcer d'appartenir. Gravons en nos esprits, pour la retrouver comme un stimulant dans tous les moments de découragement et d'abandon, devant toutes les déceptions qui peuvent nous accabler, cette magnifique pensée d'un des plus purs parmi les hommes, d'un enfant qui mourut à vingt-deux ans, victime de leurs turpitudes : « Il faut croire en l'humanité tant qu'il y aura, ne fût-ce qu'un homme honnête et véridique. Car douter serait blasphémer l'idéal en cet unique dépositaire de sa lumière. » (Jean de SaintPrix. Lettres).

- Edouard ROTHEN

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