Et
toi, petite femme, tu es devenue une éducatrice par pur hasard, sans
la moindre qualification, comme tu n'avais pas d'enfants et qu'un
pédagogue avait besoin d'une aide, tu as pu faire beaucoup de mal.
Ta tâche consiste à former et à éduquer des enfants. Prendre au
sérieux sa tâche d'éducateur, c'est former correctement la
sexualité infantile. Or, si l'on veut former la sexualité
infantile, il faut avoir soi-même connu l'amour. Mais si tu es
grassouillette, gauche et physiquement répugnante ! Pour cette seule
raison déjà tu détestes profondément tout corps vivant et bien
fait. Je ne te reproche pas, bien entendu, d'être grasse et peu
attrayante, de n'avoir aucune expérience de l'amour (aucun homme
bien portant ne te la donnerait), de ne pas comprendre les besoins
amoureux des enfants. Je te reproche de faire une vertu de ta laideur
et de ton inaptitude à l'amour, d'étouffer, poussée par ton
amertume et par ta haine, tout amour dans les enfants, si par hasard
tu travailles dans une "école moderne" ; c'est là ton
crime, vilaine petite femme ! Ton existence est nuisible, parce que
tu aliènes des enfants bien portants à leurs pères bien portants,
parce que tu considères comme un symptôme pathologique l'amour
enfantin. Elle est nuisible, parce que tu ressembles à un tonneau,
tu te promènes comme un tonneau, tu penses comme un tonneau, tu
éduques comme un tonneau. Au lieu de te retirer modestement dans un
coin tranquille, tu t'efforces d'imposer à cette vie ta laideur, ton
hypocrisie, ta haine farouche que tu dissimules sous un sourire
papelard.
Et
toi, petit homme, tu es ce que tu es, tu vis comme tu vis, tu penses
comme tu penses, tu habites un monde comme le tien, parce que tu
permets à une telle femme de s'occuper de tes enfants bien portants,
de baver son amertume et son poison sur leurs âmes bien portantes.
Et voici un autre exemple, petit homme : tu es venu à moi pour
prendre connaissance des fruits de mon labeur infatigable, que j'ai
défendus dans d'âpres combats. Sans moi, tu serais aujourd'hui un
petit docteur en médecine générale, dans une petite ville ou dans
un village. J'ai fait de toi un grand homme, grâce à mon savoir et
à ma technique thérapeutique. Je t'ai montré comment la liberté
est étranglée chaque jour, comment l'esprit servile se perpétue.
Puis, on t'a confié une position importante dans quelque pays
étranger pour que tu y exposes mes théories. Tu es libre au sens
plein du terme. Je fais confiance à ton honnêteté. Mais dans ton
for intérieur, tu te sens tributaire de moi, car tu es incapable de
tirer grand-chose de toi. Tu as besoin de moi, de ma science, pour ne
pas désespérer de toi-même, de l'avenir, et surtout de ton
développement personnel. Tout cela, je te le dis
généreusement, petit homme. Je ne demande rien en retour. Puis, un
jour, tu déclares que je t'ai fait "violence". Tu emploies
un langage insolent en t'imaginant que c'est une preuve de liberté.
Mais confondre liberté et insolence a toujours été la marque d'un
esprit servile. En t'autorisant ta "liberté" tu refuses de
m'envoyer des rapports sur ton activité. Tu te sens enfin libre...
libre de l'obligation de coopérer et d'assumer des responsabilités.
Voilà pourquoi tu es ce que tu es, petit homme, voilà pourquoi le
monde est ce qu'il est. Sais-tu, petit homme, ce que ressent un aigle
qui a couvé des oeufs de poule ? Tout d'abord, il pense qu'il va
faire éclore de petits aigles qu'il élèvera et dont il fera de
grands aigles. Mais les petits aigles se révèlent bientôt de
petits poussins. L'aigle, désespéré, veut néanmoins en faire des
aigles.
Mais
il ne voit autour de lui que des poules qui caquettent. Alors,
l'aigle a beaucoup de peine à réprimer son désir de dévorer tous
ces poussins, toutes ces poules. Ce qui te retient, c'est le faible
espoir que parmi tous ces poussins se trouvera peut-être un petit
aigle qui, en grandissant, deviendra un grand aigle comme lui-même,
explorant à partir de son aire de nouveaux mondes, de nouvelles
idées, de nouvelles formes de vie. C'est ce faible espoir qui
empêche l'aigle triste et solitaire de dévorer les poussins et les
poules. Mais ces derniers ne se rendent même pas compte que c'est un
aigle qui les élève. Ils ne remarquent même pas qu'il vit sur une
aiguille de rocher, au dessus des vallées brumeuses et sombres. Ils
se contentent de manger ce que l'aigle leur apporte au nid. Ils se
réchauffent et se mettent à l'abri sous ses ailes chaudes quand
sévissent l'orage et la tempête qu'il brave sans la moindre
protection. Quand l'ouragan souffle trop fort, ils se sauvent et lui
lancent de loin de petits cailloux aigus pour le blesser. Quand
l'aigle voit cette méchanceté, son premier réflexe est de les
anéantir. Mais en réfléchissant il finit par les prendre en pitié.
Il ne perd pas l'espoir que parmi les poussins caquetants, picorants
et myopes, il se trouvera un petit aigle capable de devenir un jour
un grand aigle comme lui.
L'aigle
solitaire n'a jamais abandonné cet espoir. Et il continue de couver
de petits poussins. Tu refuses d'être un aigle, petit homme, c'est
pourquoi tu es la proie des vautours. Tu as peur des aigles, tu
préfères le grand troupeau ; c'est pourquoi tu te fais manger avec
le grand troupeau. Car quelques-unes de tes poules ont couvé des
oeufs de vautour. Les vautours deviennent tes Führer s'acharnant
contre les aigles qui voulaient te conduire vers un avenir meilleur.
Les vautours t'apprennent à te contenter de charognes et de quelques
rares grains de blé. Ils t'apprennent en outre à crier "Heil,
grand Vautour !" Et voilà que toi et ceux qui te ressemblent
meurent, et tu as toujours
peur
des aigles qui couvent tes poussins. Toi, petit homme, tu as tout
construit sur le sable : ta maison, ta vie, ta culture, ta
civilisation, ta science, ta technique, ton amour et l'éducation de
tes enfants. Tu ne le sais pas, tu ne veux pas le savoir, tu tues le
grand homme qui te dit la vérité. Puis, accablé et miséreux, tu
poses sans arrêt les mêmes questions :
"Mon
enfant est entêté, il casse tout, il a des cauchemars, il manque de
concentration à l'école, il souffre de constipation, il est pâle,
il est cruel. Que faire ? Aide-moi !"
Ou
bien : "Ma femme est frigide, elle ne me donne pas d'amour. Elle
me tourmente, elle est prise d'accès d'hystérie, elle se promène
avec une douzaine d'étrangers. Dis-moi ce que je dois faire !"
Ou
bien : "Une nouvelle et terrible guerre a éclaté, et cela peu
de temps après la "der' des der'". Que pouvons-nous faire
?"
Ou
bien : "Cette civilisation dont je suis si fier s'écroule à
cause de l'inflation. Des millions de personnes n'ont rien à manger,
meurent de faim, assassinent, volent, détruisent, mènent une vie
dissolue et abandonnent tout espoir. Que faire ?"
C'est
toujours la même question qui traverse les siècles : "Que
faire ? Que faire ?"
C'est
le sort des grandes réalisations nées d'une mentalité qui place la
vérité avant la sécurité, d'être mangées par toi et de te
quitter ensuite sous forme d'excréments.
Beaucoup
de grands hommes solitaires n'ont cessé de te répéter ce que tu
dois faire ! Tu as sans cesse déformé leurs doctrines, tu les as
réduites en miettes et anéanties. Tu les as prises par le mauvais
bout, tu t'es accroché à de minces erreurs et tu les as
adoptées comme règles de vie. C'est ainsi que tu as malmené le
christianisme, le socialisme, la théorie de la souveraineté du
peuple, et tout et tout, petit homme. Tu me demandes pourquoi tu fais
cela ? Je ne pense pas que tu poses cette question sérieusement. Si
je te disais la vérité, tu tirerais ton revolver : Tu as construit
ta maison sur le sable et tu agis ainsi parce que tu es incapable de
sentir la vie en toi, parce que tu tues l'amour dans chaque enfant
avant même qu'il naisse, parce que tu ne supportes aucune
manifestation de la vie, aucun mouvement libre et naturel. Tu
t'effraies et tu demandes:
"Que
dira Madame Jones, que dira Monsieur Meier ?"
Tu
n'as pas le courage de penser, petit homme, parce que toute pensée
réelle s'accompagne de sensations somatiques et que tu as peur de
ton corps. Beaucoup de grands hommes t'ont dit : Retourne à tes
origines, écoute la voix qui parle au fond de toi-même, suis tes
sensations authentiques, aime l'amour ! Mais tu fais la sourde
oreille, parce que tu ne peux plus percevoir de tels appels : ils se
perdent dans le désert et ceux qui les lancent dans le désert
périssent dans les étendues arides, petit homme. Tu avais le choix
entre la montée aux cimes pour devenir le "surhomme" de
Nietzsche et la descente pour devenir le "sous-homme"
d'Hitler. Tu as crié "Heil" et tu as choisi
l'"Untermensch". Tu avais le choix entre les institutions
vraiment démocratiques de Lénine et la dictature de Staline. Tu as
choisi la dictature de Staline. Tu avais le choix entre l'explication
sexuelle de ton mal émotionnel donnée par Freud, ou la théorie de
l'adaptation culturelle. Tu as choisi la philosophie culturaliste qui
ne t'a pas fourni le moindre appui et tu as oublié la théorie
sexuelle.
Tu
avais le choix entre la simplicité grandiose de Jésus et le célibat
de Paul pour ses prêtres et le mariage obligatoire pour toi. Tu as
choisi le célibat et le mariage obligatoire alors que la mère de
Jésus a mis au monde un fils qui devait sa vie seulement à l'amour.
Tu avais le choix entre la théorie de Marx sur la productivité de
la force vivante de ton travail qui seul crée la valeur des biens,
et l'idée de l'Etat. Tu as oublié l'énergie vivante de ton travail
et tu as choisi l'idée de l'Etat.
Pendant
la Révolution française, tu avais le choix entre le cruel
Robespierre et le grand Danton. Tu as choisi la cruauté en envoyant
la grandeur et la bonté au gibet.
En
Allemagne, tu avais le choix entre Goering et Himmler d'un côté,
Liebknecht, Landau et Mühsam de l'autre. Tu as fait de Himmler ton
chef de la Police et tu as assassiné tes vrais amis. Tu avais le
choix entre Julius Streicher et Rathenau. Tu as tué Rathenau.
Tu
avais le choix entre Lodge et Wilson. Tu as assassiné Wilson.
Tu
avais le choix entre la meurtrière Inquisition et la vérité de
Galilée. Tu as torturé à mort le grand Galilée ; tu as tiré
profit de ses inventions après l'avoir humilié et offensé. En ce
XXème siècle, tu as remis en honneur les méthodes de
l'Inquisition.
Tu
avais le choix entre le traitement humain des malades mentaux et
l'électrochoc. Tu as choisi la thérapeutique de choc, pour ne pas
voir l'étendue de ta propre misère, continuant à fermer les yeux
là où seule une vision claire et lumineuse peut apporter le salut.
Tu avais le choix entre l'énergie destructive de l'atome et
l'énergie constructive de l'orgone. Tu es resté borné et tu as
choisi l'énergie de l'atome.
Tu
as le choix entre ton ignorance de la cellule cancéreuse et la
lumière que j'ai projetée sur ses secrets, une lumière qui
pourrait sauver la vie de millions d'humains ! Tu continues à
débiter les mêmes âneries sur le cancer dans les revues et les
journaux et tu fais le silence sur des connaissances qui sauveraient
ton enfant, ta femme et ta mère. Tu meurs de faim par millions,
petit Indien, mais tu continues à te disputer avec les Musulmans à
propos de la sainteté des vaches. Tu te promènes en loques, petit
Italien, petit Yougoslave de Trieste, mais ton seul souci est de
savoir si Trieste est "italienne" ou "yougoslave".
Je croyais que Trieste était un port accueillant les bateaux du
monde entier. Tu pends les hitlériens parce qu'ils ont assassiné
des millions de gens. Mais qu'as-tu fait avant que ces assassinats ne
s'accomplissent ? La vue de quelques douzaines de cadavres ne t'émeut
pas. En faut-il des millions pour que tes sentiments humanitaires
s'éveillent ? Chacune de ces défaillances révèle la grande misère
de l'animal humain. Tu dis : "Pourquoi prendre tout ça au
tragique ? Est-ce que tu te sens responsable de tous ces maux ?"
En parlant ainsi, tu te condamnes toi-même. Si tu assumais seulement
une fraction de la responsabilité qui t'incombe, le monde ne serait
pas ce qu'il est, et tu ne tuerais pas tes grands amis par tes
petites bassesses. C'est parce que tu rejettes ta responsabilité que
ta maison est construite sur du sable. Le plafond s'écroule, mais tu
as ton "honneur de prolétaire" ou ton "honneur
national". Le plancher cède sous tes pieds, mais tu ne cesses
de hurler: "Heil, vive le Führer, vive l'honneur allemand,
russe, juif !"
La
tuyauterie éclate, ton enfant est sur le point de se noyer, mais tu
continues à préconiser la manière forte en matière d'éducation.
Ta femme est alitée, atteinte de pneumonie, mais toi, petit homme,
tu rejettes comme une "invention juive" l'idée de
construire ta maison sur du roc. Tu arrives au galop et tu me
demandes : "Cher grand docteur ! Que dois-je faire ? Ma maison
s'écroule, le vent la traverse, mon enfant et ma femme sont malades,
je suis malade. Que dois-je faire ?"
La
réponse, la voici : il faut construire ta maison sur du rocher. Ce
rocher c'est ta propre nature que tu as tuée en toi, l'amour
physique de ton enfant, le rêve d'amour de ta femme, le rêve de ta
propre vie quand tu avais seize ans. Troque donc tes illusions contre
quelques grains de vérité. Envoie au diable tes politiciens et tes
diplomates. Ne te soucie pas de ton voisin mais écoute la voix qui
est au fond de toi-même. Au lieu d'assister à l'exécution de tes
bourreaux et de tes pendus, fais promulguer une loi pour la
sauvegarde de la vie humaine et des biens des hommes. Une telle
loi serait une partie du rocher sur lequel tu pourrais construire ta
maison. Protège l'amour de tes petits enfants contre les attaques
d'hommes et de femmes insatisfaits et lascifs. Poursuis en justice la
vieille fille médisante, mets-la au pilori ou envoie-la, à la place
des jeunes garçons et des jeunes filles coupables d'aimer, dans un
établissement d'éducation surveillée. Renonce à dépasser ton
exploiteur dans l'art d'exploiter les gens si tu as la chance
d'occuper une position de cadre. Jette ton habit de cérémonie et
ton huit-reflets aux orties et étreins ta femme sans demander un
certificat t'y autorisant. Va voir d'autres gens dans d'autres pays,
car ils vivent comme toi, ils ont comme toi des qualités et des
défauts. Laisse pousser ton enfant tel que la nature (ou "Dieu")
l'a fait ! N'essaie pas de faire mieux que la nature. Efforce-toi
plutôt de la comprendre et de la protéger. Va à la bibliothèque
plutôt qu'à un combat de boxe, visite des pays étrangers plutôt
que Coney Island. Et surtout, RAISONNE D'UNE MANIERE CORRECTE, écoute
ta voix intérieure qui te guide en douceur. Tu es le maître de ta
vie. Ne fais confiance à personne, et moins encore aux leaders que
tu as élus. SOIS TOI-MÊME ! Beaucoup de grands hommes t'ont donné
ce conseil.
"
Ecoutez-moi ce petit-bourgeois réactionnaire et individualiste ! Il
ignore la marche inexorable de l'histoire. Il dit: "Connais-toi
toi-même !" Quelle sottise petite-bourgeoise ! Le prolétariat
révolutionnaire du monde conduit par son Führer bien aimé, le père
des peuples, le maître de toutes les Russies, de tous les Slaves,
libérera le peuple ! A bas les individualistes et les anarchistes !"
Vivent
les Pères des peuples et des Slaves, petit homme ! Ecoute un peu,
j'ai quelques pronostics sérieux à formuler : Tu vas assumer le
gouvernement du monde et cette idée te fait trembler de peur.
Pendant des siècles, tu assassineras tes amis et tu porteras aux
nues les Führer de tous les peuples, de tous les prolétaires et de
tous les Russes. Des jours durant, des semaines durant, des années
durant, tu salueras un maître après l'autre ; tu n'entendras pas le
vagissement de tes bébés, tu ne te soucieras
pas
de la misère de tes adolescents, de la nostalgie de tes hommes et
femmes, et si jamais tu entends leurs plaintes, tu les
traiteras de bourgeois individualistes. Pendant des siècles, tu
verseras du sang là où il faudrait protéger la vie, et tu
t'imagineras que tu instaures la liberté en te faisant aider par tes
bourreaux ; par conséquent, tu ne sortiras jamais du bourbier.
Pendant des siècles, tu suivras le rodomont, tu seras sourd et
aveugle quand LA VIE, quand TA VIE fera appel à toi. Car tu as peur
de la vie, petit homme, très peur. Tu l'assassineras au nom du
"socialisme", de l'Etat, de "l'honneur national"
, de la "gloire de Dieu". Mais il y a une chose que tu ne
sauras pas, que tu ne voudras pas savoir: que tu es le propre
artisan de ton malheur, que tu le produis tous les jours, que tu ne
comprends pas tes enfants, que tu leur brises les reins avant même
qu'ils aient la force de se tenir debout ; que tu voles l'amour ; que
tu prends un chien pour être toi aussi le "maître" de
quelqu'un.
Ainsi,
tu feras fausse route pendant des siècles, en attendant de mourir de
misère sociale avec les masses, et cela jusqu'à ce que la première
lueur de compréhension se fasse jour en toi-même. Et en tâtonnant,
tu te mettras enfin en quête de ton ami, de l'homme vivant d'amour,
de travail et de connaissance, et tu commenceras à le comprendre et
à le respecter. Tu finiras par te rendre compte que pour ta vie, une
bibliothèque a plus d'importance qu'un combat de boxe, qu'il vaut
mieux se promener dans les bois pour réfléchir que parader, qu'il
vaut mieux guérir que tuer ; qu'il est préférable d'afficher une
saine confiance en soi que des "sentiments nationaux", que
la modestie l'emporte sur les hurlements patriotiques et autres. Tu
es d'avis que la fin justifie les moyens, même des moyens les plus
infâmes. Tu as tort : la fin est contenue dans la route qui y
mène. Chacun de tes pas d'aujourd'hui est ta vie de demain.
Aucun grand objectif ne saurait être atteint par des moyens
immoraux. La preuve en a été administrée dans toutes les
révolutions sociales. Si la route qui doit te conduire vers un but
est vile et inhumaine, tu deviens toi-même vil et inhumain, et tu
n'atteindras jamais ton but. Tu objectes : "Mais comment faire
alors pour atteindre le but de la charité chrétienne, du
socialisme, de la constitution américaine ?" Ta charité
chrétienne, ton socialisme, ta constitution américaine s'expriment
dans ce que tu fais et penses tous les jours, dans ta manière
d'étreindre ton partenaire, de sentir ton enfant, de considérer ton
travail COMME TA RESPONSABILITE SOCIALE, dans les soins que tu prends
à ne pas réprimer ta vie.
Mais
toi, petit homme, tu abuses des libertés que t'accorde la
constitution pour la supprimer, au lieu d'en faire le principe
de ton existence quotidienne.
En
Suède, j'ai vu des réfugiés allemands abuser de l'hospitalité
suédoise. A cette époque tu étais le Führer en herbe de tous les
peuples opprimés de la terre. Tu as sans doute gardé le souvenir de
la coutume du "smörgasbord" suédois ? Tu sais ce que je
veux dire. Je vais te l'expliquer. On présente aux invités un
buffet couvert de toutes sortes de friandises : pour toi, cette
coutume était nouvelle ; tu ne comprenais pas comment on pouvait
faire ainsi confiance à ses invités. Et tu m'as raconté sur un ton
malicieux comment tu as jeûné pendant toute la journée afin de
pouvoir te bourrer, le soir venu, de victuailles.
"Enfant,
j'ai eu faim !", me disais-tu.
Je
le sais, petit homme, car je t'ai vu affamé et je connais la faim.
Mais tu ne sais pas que tu multiplies par mille la faim de tous les
enfante du monde quand tu voles du "smörgasbord", toi qui
te dis le sauveur futur de l'humanité. Il y a un certain nombre de
choses que l'on ne fait pas : on ne porte pas la main sur les
cuillers d'argent, sur la maîtresse de céans, sur le smörgasbord
quand on est accueilli dans une maison hospitalière. Après la
débâcle allemande, je t'ai trouvé à moitié mort de faim dans un
parc. Tu me disais que le "Secours Rouge" de ton parti
avait refusé de t'aider, parce que tu avais perdu ta carte de
membre. Vos Führer de tous les gens affamés distinguent donc entre
des affamés rouges, blancs et noirs. Or, l'organisme affamé est
toujours le même. Voilà comment tu agis dans les petites choses.
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