jeudi 29 mars 2018

Syndicalisme et Socialisme Partie I



Préface Hubert Lagardelle

I Si là lutte de classe est tout le socialisme, on peut dire que tout le socialisme est contenu dans le syndicalisme,puisque hors du syndicalisme, il n'y pas de lutte a de classe.
La lutte de classe implique une rupture totale entre le prolétariat et la bourgeoisie, c'est-à-dire entre deux mondes qui ont de la vie une notion contraire. Elle suppose que la classe ouvrière, animée d'un esprit permanent de révolte contre les maîtres de la production et de la politique, est parvenue à s'isoler dans ses cadres naturels et à se créer de toutes pièces des institutions et une idéologie propres. A cette condition seulement, le socialisme de la lutte de classe conçoit comme réalisable le passage d'une société asservie à une société libre. • Or, ce double mouvement de négation du présent et de préparation de l'avenir, les deux formes extrêmes du socialisme traditionnel le socialisme parlementaire et le socialisme anarchiste, ont été impuissantes à le réaliser.
Le socialisme parlementaire tant sous ses aspects révolutionnaires que réformistes a vécu de cette, l'illusion que les partis sont l'expression politique des classes et que ces dernières trouvent dans le parlement le mécanisme enregistreur de leurs forces respectives.
Mais l'expérience a montré que les partis, loin d'être le décalque des classes, sont un mélange hétéroclite d'éléments empruntés à toutes les catégories sociales, et qu'il n'y a pas non plus de rapport entre l'influence politique des partis socialistes et la puissance réelle de la classe ouvrière. En fait, non seulement le socialisme parlementaire n'a pas opéré de scission irréductible entre le prolétariat et la bourgeoisie, mais il est devenu un des facteurs constitutifs de l'État et un des agents de l'action solidariste de la démocratie. Le socialisme anarchiste, malgré ses audacieuses révoltes, n'a pas eu des classes et de la lutte de classe une conception claire. Dans sa méconnaissance des choses de l'économie, il s'est adressé à tous les hommes indistinctement et a fait porter son principal effort sur la réforme individuelle par le procédé illusoire de l'éducation littéraire, rationaliste et scientifique. Mais la négation sentimentale et abstraite du principe d'autorité et de l'État, est incapable de réduire la force dépressive de tous les pouvoirs de coercition, qui ne peuvent être éliminés que par les créations concrètes du prolétariat révolutionnaire. Il est arrivé ainsi à beaucoup d'anarchistes, grisés de culture idéologique et de superstition livresque, de se nourrir à leur insu de la substance intellectuelle de la bourgeoisie et de se rattacher par la communauté des idées au monde dont ils se séparaient par l'énergie des actes.
Le syndicalisme, au contraire, saisit la classe ouvrière dans ses formations de combat. Il la considère comme la seule classe qui puisse, par les conditions de sa vie et les affirmations de sa conscience, renouveler le monde, mais à la condition qu'elle reste étrangère à la société bourgeoise. Il prend les producteurs dans les cadres mêmes de l'atelier et des groupements qui le prolongent syndicats, fédérations, bourses de travail, etc., et il organise leur révolte contre l'autorité patronale; en niant le pouvoir et la loi, en enrichissant de fonctions les institutions ouvrières, il disloque l'État et le dépouille de ses prérogatives; par la grève, par la propagande pour la grève générale, il détruit, heure par heure, au fur et à mesure qu'elle se produit, l’œuvre mensongère d'union des classes que poursuit la démocratie;. il donne corps enfin aux idées spécifiques du prolétariat, c'est-à-dire à cet ensemble de sentiments juridiques nés au cœur de la lutte et qui constituent la base du droit nouveau; du droit d'une société sans
maîtres. La rupture est ici totale, la lutte de classe est faite. Par Aucune des valeurs traditionnelles ne peut survivre à ce travail de destruction progressive. Nous sommes vraiment en face d'une classe qui n'utilise que ses acquisitions et qui est emportée par une formidable volonté de puissance. Elle entend être l'unique artisan de sa destinée et n'avoir de protecteur qu'elle-même. Où trouver force révolutionnaire plus active ?

« tout, au contraire, dans le milieu national, tend systématiquement à briser le libre élan de l'individualité et à l'enfermer dans les cadres rigides d'une organisation savamment autoritaire ».

« III Le syndicalisme est vide de tout utopisme, en ce sens qu'il subordonne son triomphe à tout un ensemble de conditions préalables, et qu'en attendant il joue dans le monde un rôle rénovateur.

Plus de dogmes ni de formules; plus de discussions vaines sur la société future plus de plans compendieux d'organisation sociale mais un sens de la lutte qui s'avive par la pratique, une philosophie de l'action qui donne la première place à l'intuition, et qui proclame que le plus simple ouvrier engagé dans le combat en sait davantage que les plus abscons doctrinaires de toutes les écoles.
II n'y a pas place dans une telle conception pour rêveries utopiques qui annoncent à date fixe le bouleversement de la société. Mais les producteurs engagés dans la lutte syndicaliste savent d'instinct qu'il ne s'accomplira pas de changement en dehors de leur volonté et de leur organisation, et que les créations spontanées de la vie seront toujours plus riches que les plus merveilleuses inventions des fabricateurs de systèmes. Il suffit que les facultés guerrières du prolétariat soient sans cesse tenues en éveil et qu'il ne perde jamais l'énergie aventureuse qui fait les conquérants. Par cette exaltation des forces vives de la classe ouvrière, par cet appel aux sentiments les plus émouvants de la personne humaine, le syndicalisme rend au socialisme le rôle civilisateur qu'il avait perdu. Partout où les idées nouvelles ont apparu,c'est comme un rajeunissement de la pensée socialiste et comme un clair réveil après un sommeil dogmatique. Ce soufre de printemps nouveau doit rendre confiance aux socialistes qui, sans trop espérer, ne désespèrent pas. »

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