Préface
Hubert Lagardelle
I
Si
là lutte de classe est tout le socialisme, on peut
dire que tout le socialisme est contenu dans le syndicalisme,puisque
hors du syndicalisme, il n'y pas de lutte a de classe.
La
lutte de classe implique une rupture totale entre le prolétariat et
la bourgeoisie, c'est-à-dire entre deux mondes qui ont de la vie une
notion contraire. Elle suppose que la classe ouvrière, animée d'un
esprit permanent de révolte
contre les maîtres de la production et de la politique, est
parvenue à s'isoler dans ses cadres naturels et à se créer de
toutes pièces des institutions et une idéologie propres. A cette
condition seulement, le socialisme de la lutte de classe conçoit
comme réalisable le passage d'une société asservie à une société
libre. • Or, ce double mouvement de négation du présent et de
préparation de l'avenir, les deux formes extrêmes du socialisme
traditionnel le socialisme parlementaire et le socialisme anarchiste,
ont été impuissantes à le réaliser.
Le
socialisme parlementaire tant sous ses aspects révolutionnaires que
réformistes a vécu de cette, l'illusion que les partis sont
l'expression politique des classes et que ces dernières trouvent
dans le parlement le mécanisme enregistreur de leurs forces
respectives.
Mais
l'expérience a montré que les partis, loin d'être le décalque des
classes, sont un mélange hétéroclite d'éléments empruntés à
toutes les catégories sociales, et qu'il n'y a pas non plus de
rapport entre l'influence politique des partis socialistes et la
puissance réelle de la classe ouvrière. En fait, non seulement le
socialisme parlementaire n'a pas opéré de scission irréductible
entre le prolétariat et la bourgeoisie, mais il est devenu un des
facteurs constitutifs de l'État et un des agents de l'action
solidariste de la démocratie. Le socialisme anarchiste, malgré ses
audacieuses révoltes, n'a pas eu des classes et de la lutte de
classe une conception claire. Dans sa méconnaissance des choses de
l'économie, il s'est adressé à tous les hommes indistinctement et
a fait porter son principal effort sur la réforme individuelle par
le procédé illusoire de l'éducation littéraire, rationaliste et
scientifique. Mais la négation sentimentale et abstraite du principe
d'autorité et de l'État, est incapable de réduire la force
dépressive de tous les pouvoirs de coercition, qui ne peuvent être
éliminés que par les créations concrètes du prolétariat
révolutionnaire. Il est arrivé ainsi à beaucoup d'anarchistes,
grisés de culture idéologique et de superstition livresque, de se
nourrir à leur insu de la substance intellectuelle de la bourgeoisie
et de se rattacher par la communauté des idées au monde dont ils se
séparaient par l'énergie des actes.
Le
syndicalisme, au contraire, saisit la classe ouvrière dans ses
formations de combat. Il la considère comme la seule classe qui
puisse, par les conditions de sa vie et les affirmations de sa
conscience, renouveler le monde, mais à la condition qu'elle reste
étrangère à la société bourgeoise. Il prend les producteurs dans
les cadres mêmes de l'atelier et des groupements qui le prolongent
syndicats, fédérations, bourses de travail, etc., et il organise
leur révolte contre l'autorité patronale; en niant le pouvoir et la
loi, en enrichissant de fonctions les institutions ouvrières, il
disloque l'État et le dépouille de ses prérogatives; par la grève,
par la propagande pour la grève générale, il détruit, heure par
heure, au fur et à mesure qu'elle se produit, l’œuvre mensongère
d'union des classes que poursuit la démocratie;. il donne corps
enfin aux idées spécifiques du prolétariat, c'est-à-dire à cet
ensemble de sentiments juridiques nés au cœur de la lutte et qui
constituent la base du droit nouveau; du droit d'une société sans
maîtres.
La rupture est ici totale, la lutte de classe est faite. Par Aucune
des valeurs traditionnelles ne peut survivre à ce travail de
destruction progressive. Nous sommes vraiment en face d'une classe
qui n'utilise que ses acquisitions et qui est emportée par une
formidable volonté de puissance. Elle entend être l'unique artisan
de sa destinée et n'avoir de protecteur qu'elle-même. Où trouver
force révolutionnaire plus active ?
« tout,
au contraire, dans le milieu national, tend systématiquement à
briser le libre élan de l'individualité et à l'enfermer dans les
cadres rigides d'une organisation savamment autoritaire ».
«
III Le syndicalisme est vide de tout utopisme, en ce sens qu'il
subordonne son triomphe à tout un ensemble de conditions préalables,
et qu'en attendant il joue dans le monde un rôle
rénovateur.
Plus
de dogmes ni de formules; plus de discussions vaines sur la société
future plus de plans compendieux d'organisation sociale mais un sens
de la lutte qui s'avive par la pratique, une philosophie de l'action
qui donne la première place à l'intuition, et qui proclame que le
plus simple ouvrier engagé dans le combat en sait davantage que les
plus abscons doctrinaires de toutes les écoles.
II
n'y a pas place dans une telle conception pour rêveries utopiques
qui annoncent à date fixe le bouleversement de la société. Mais
les producteurs engagés dans la lutte syndicaliste savent d'instinct
qu'il ne s'accomplira pas de changement en dehors de leur volonté et
de leur organisation, et que les créations spontanées de la vie
seront toujours plus riches que les plus merveilleuses inventions des
fabricateurs de systèmes. Il suffit que les facultés guerrières du
prolétariat soient sans cesse tenues en éveil et qu'il ne perde
jamais l'énergie aventureuse qui fait les conquérants. Par cette
exaltation des forces vives de la classe ouvrière, par cet appel aux
sentiments les plus émouvants de la personne humaine, le
syndicalisme rend au socialisme le rôle civilisateur qu'il avait
perdu. Partout où les idées nouvelles ont apparu,c'est comme un
rajeunissement de la pensée socialiste et comme un clair réveil
après un sommeil dogmatique. Ce soufre de printemps nouveau doit
rendre confiance aux socialistes qui, sans trop espérer, ne
désespèrent pas. »
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