dimanche 25 mars 2018

Réflexions modestes sur le syndicalisme: Article 8 La CES : un syndicat de travailleurs ?



La raison d’être d’un syndicat est la défense des intérêts individuels et collectifs des travailleurs. Que ce syndicat soit national ou multi-national, ce rôle ne change pas. Le regroupement des principales centrales européennes au sein de la Confédération Européenne des syndicats (CES) avait donc pour objet une telle défense des intérêts des travailleurs de l’Europe occidentale.

Qu’en est-il dans la réalité d’aujourd'hui qui est celle des politiques ultra-libérales impulsées par les instances européennes et qui se veulent contraignantes à l’égard des Etats nationaux ?

Les mouvements de résistance en France et ailleurs, en réponse aux contre-réformes gouvernementales visant les retraites et la décentralisation/régionalisation, même non victorieux, ont cependant abouti à la sanction électorale des 21 et 28 mars dernier. En Espagne, la levée en masse des travailleurs à la suite des attentats du 11 mars faussement attribués à l’ETA s’est traduite là aussi par l’éviction de l’ultra-libéral Aznar et la victoire électorale du PSOE. Les optimistes (et/ou naïfs) auraient pu penser à une inflexion du cours des mesures de déréglementation programmées en France : Sécu, code du travail… Il n’en est rien, seule la brutalité s’est quelque peu atténuée. Manifestement la voix des citoyens, leur avis, ne comptent pas. Il convient là de rappeler que s’est tenu, les 25 et 26 mars un sommet des chefs d’Etat chargé de faire appliquer nationalement les orientations de la politique de l’Union Européenne. Avec le maître-mot : “il faut accélérer”. C’est tout particulièrement le credo de Chirac en France. Accélérer la mise en œuvre des contre-réformes : assurance-maladie, indemnisation du chômage, développement de la flexibilité..

La colégislation

Pour ce faire, et devant l’opposition des populations, le sommet européen tente d’élargir le processus de décision et, pour ce faire, il met en avant une suggestion :

les gouvernements ne doivent pas être les seuls à soutenir et à préconiser le changement. Afin de favoriser l’adhésion au changement, le Conseil européen invite les États membres à créer des partenariats pour la réforme, qui associent les partenaires sociaux, la société civile et les pouvoirs publics”.

Ce “changement”, on sait ce qu’il signifie : restructurations, dérégulation, licenciements, flexibilité, attaque contre les droits sociaux : retraites sécu, code du travail… Pour le sommet européen, il y a essentiellement deux partenaires : le patronat et la CES. Et il sait, à chacune de ses tenues, qu’il peut compter sur eux. Pour la patronat, cela va de soi.
En ce qui concerne la CES, cela peut paraître plus étonnant. Un syndicat appuyant les contre-réformes ultra-libérales hostiles aux intérêts des travailleurs ? Dès le 25 mars au matin, lors du sommet (dit) social tripartite, patronat et CES faisaient une déclaration commune dans laquelle ils se prononçaient “pour un partenariat européen pour le changement”, ainsi que pour “l’application des directives européennes pour l’emploiet un “plus haut degré de flexibilité. La CES a même créé un néologisme qui ne doit pas déplaire à nos libéraux : la “flexicurité.

Il découle de ce positionnement de la CES favorable aux mesures libérales qu’elle se situe nécessairement de manière tout aussi favorable au projet de constitution européenne. Dans le même communiqué, elle déclare : “nous avons besoin d’un traité constitutionnel qui permette d’avoir une meilleure structure pour l’action politique”.

L’article III – 105 du projet stipule que les partenaires sociaux peuvent donner leur aval pour la mise en œuvre du processus contenu dans l’article III – 106 qui prévoit que les accords conclu entre les partenaires soient “mis en œuvre par des règlements
ou des décisions européens adoptés par le Conseil des ministres sur proposition de la Commission”.

Il s’ensuit que ces accords passés entre patronat et CES auront automatiquement force de loi européenne. Et l’on ose nous parler de pratique démocratique ! En fait, la démocratie a été détournée, bafouée depuis Maastricht et Amsterdam qui sont à l ’origine de l’avènement du processus de colégislation.
C’est ainsi que la CES, associée à “l’élaboration des normes sociales communautaires”, devenue ainsi colégislatrice, a signé plusieurs accords devenus par la suite, et de façon automatique, des directives européennes comme celle de 1997 sur le travail à temps partiel et celle de 1999 sur les contrats à durée déterminée.
On connaît la suite : une fois entrées dans chaque pays européen, ces directives aboutirent à la déréglementation et à l’atteinte au code du travail - et le pire est encore à venir sur ce terrain.

Quelle est donc la signification de cette intégration de la CES voulue par l’U.E. et les chefs d’Etat et de gouvernement d’avant le 1er mai 2004 ? L’institutionnalisation dans une Constitution européenne du rôle colégislateur de la CES s’affiche comme une loi suprême sur laquelle l’U.E. et les chefs d’Etat pourront s’appuyer pour passer du plan européen au plan national, neutralisant ainsi les bureaucraties syndicales nationales du fait de leur adhésion à la CES, comme c’est le cas en France pour la CFDT et la CGT. On comprend mieux ainsi l’attentisme, l’immobilisme, voire les freins de la centrale de Thibault devant les mouvements de contestation depuis l’entrée, récente, de la CGT dans la CES.

Ne pouvant obtenir l’aval des travailleurs européens en faveur de la politique de l’Union européenne profondément réactionnaire à l’égard des droits du travail et des acquis sociaux – les mobilisations en France, en Italie, en Espagne, en Allemagne, en Autriche… ont amplement montré le refus du saccage - les gouvernements se trouvent dans l’obligation de chercher des partenariats nationaux en tentant de transformer les syndicats en colégislateurs nationaux, à l’instar de la CES dont c’est le cas depuis des années. En France on en a déjà un aperçu avec l’attitude pro-patronale, de Chérèque en pleine lutte sur les retraites.
Ce glissement cependant n’est pas encore complètement acquis. La directrice générale de l’emploi et des affaires sociales à la Commission européenne, Odile Quintin, déclarait le 13 janvier 2004

: “… le niveau national ignore largement ce que fait le niveau européen”.

La difficulté essentielle à laquelle se heurte la Commission tient à ce que, contrairement à la CES qui “ne relève pas de la lutte des classes, mais de l’institutionnalisation de la politique européenne“(1), les organisations syndicales nationales sont le fruit des travailleurs eux-mêmes dans le cadre de leurs luttes de classe historiques.
L’enjeu apparaît clair pour les travailleurs : tout faire pour maintenir l’indépendance des syndicats nationaux et refuser les syndicats colégislateurs. C’est donc dire non à la CES et à la Constitution européenne.

(1) Déclaration de l’ancien secrétaire de la CES, Emilio Gaboglio, dans sa préface à
une brochure intitulée : “Qu’est-ce que la CES ?” Ce texte se réfère pour l’essentiel des données à un article de Daniel Shapira paru dans le n°37 de “La Vérité”, revue théorique de la IVième internationale, sous le titre: “LaCES et la Constitution européenne”, et dans une mesure moindre, à l’édito du compte-rendu du congrès de la CES paru dans le n°60-61 du “Manifeste des 500” au titre explicite : “La CES est-elle une organisation syndicale?”.

Nous reviendrons ultérieurement sur la CES étant donné l’importance de la question.


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