La
raison d’être d’un syndicat est la défense des intérêts
individuels et collectifs des travailleurs. Que ce syndicat soit
national ou multi-national, ce rôle ne change pas. Le regroupement
des principales centrales européennes au sein de la Confédération
Européenne des syndicats (CES) avait donc pour objet une telle
défense des intérêts des travailleurs de l’Europe occidentale.
Qu’en
est-il dans la réalité d’aujourd'hui qui est celle des politiques
ultra-libérales impulsées par les instances européennes et qui se
veulent contraignantes à l’égard des Etats nationaux ?
Les
mouvements de résistance en France et ailleurs, en réponse aux
contre-réformes gouvernementales visant les retraites et la
décentralisation/régionalisation, même non victorieux, ont
cependant abouti à la sanction électorale des 21 et 28 mars
dernier. En Espagne, la levée en masse des travailleurs à la suite
des attentats du 11 mars faussement attribués à l’ETA s’est
traduite là aussi par l’éviction de l’ultra-libéral Aznar et
la victoire électorale du PSOE. Les optimistes (et/ou naïfs)
auraient pu penser à une inflexion du cours des mesures de
déréglementation programmées en France : Sécu, code du travail…
Il n’en est rien, seule la brutalité s’est quelque peu atténuée.
Manifestement la voix des citoyens, leur avis, ne comptent pas. Il
convient là de rappeler que s’est tenu, les 25 et 26 mars un
sommet des chefs d’Etat chargé de faire appliquer nationalement
les orientations de la politique de l’Union Européenne. Avec le
maître-mot : “il faut accélérer”. C’est tout
particulièrement le credo de Chirac en France. Accélérer la mise
en œuvre des contre-réformes : assurance-maladie, indemnisation du
chômage, développement de la flexibilité..
La
colégislation
Pour
ce faire, et devant l’opposition des populations, le sommet
européen tente d’élargir le processus de décision et, pour ce
faire, il met en avant une suggestion :
“les
gouvernements ne doivent pas être les seuls à soutenir et à
préconiser le changement. Afin de favoriser l’adhésion au
changement, le Conseil européen invite les États membres à créer
des partenariats pour la réforme, qui associent les partenaires
sociaux, la société civile et les pouvoirs publics”.
Ce
“changement”, on sait ce qu’il signifie : restructurations,
dérégulation, licenciements, flexibilité, attaque contre les
droits sociaux : retraites sécu, code du travail… Pour le sommet
européen, il y a essentiellement deux partenaires : le patronat et
la CES. Et il sait, à chacune de ses tenues, qu’il peut compter
sur eux. Pour la patronat, cela va de soi.
En
ce qui concerne la CES, cela peut paraître plus étonnant. Un
syndicat appuyant les contre-réformes ultra-libérales hostiles aux
intérêts des travailleurs ? Dès le 25 mars au matin, lors du
sommet (dit) social tripartite, patronat et CES faisaient une
déclaration commune dans laquelle ils se prononçaient “pour
un partenariat européen pour le changement”, ainsi
que pour “l’application des directives européennes pour
l’emploi” et un “plus haut degré de
flexibilité”. La CES a même créé un néologisme
qui ne doit pas déplaire à nos libéraux : la “flexicurité”.
Il
découle de ce positionnement de la CES favorable aux mesures
libérales qu’elle se situe nécessairement de manière tout aussi
favorable au projet de constitution européenne. Dans le même
communiqué, elle déclare : “nous avons besoin d’un traité
constitutionnel qui permette d’avoir une meilleure structure pour
l’action politique”.
L’article
III – 105 du projet stipule que les partenaires sociaux peuvent
donner leur aval pour la mise en œuvre du processus contenu dans
l’article III – 106 qui prévoit que les accords conclu entre les
partenaires soient “mis en œuvre par des règlements
ou
des décisions européens adoptés par le Conseil des ministres sur
proposition de la Commission”.
Il
s’ensuit que ces accords passés entre patronat et CES auront
automatiquement force de loi européenne. Et l’on ose nous parler
de pratique démocratique ! En fait, la démocratie a été
détournée, bafouée depuis Maastricht et Amsterdam qui sont à l
’origine de l’avènement du processus de colégislation.
C’est
ainsi que la CES, associée à “l’élaboration des normes
sociales communautaires”, devenue ainsi colégislatrice, a signé
plusieurs accords devenus par la suite, et de façon automatique, des
directives européennes comme celle de 1997 sur le travail à temps
partiel et celle de 1999 sur les contrats à durée déterminée.
On
connaît la suite : une fois entrées dans chaque pays européen, ces
directives aboutirent à la déréglementation et à l’atteinte au
code du travail - et le pire est encore à venir sur ce terrain.
Quelle
est donc la signification de cette intégration de la CES voulue par
l’U.E. et les chefs d’Etat et de gouvernement d’avant le 1er
mai 2004 ? L’institutionnalisation dans une Constitution européenne
du rôle colégislateur de la CES s’affiche comme une loi suprême
sur laquelle l’U.E. et les chefs d’Etat pourront s’appuyer pour
passer du plan européen au plan national, neutralisant ainsi les
bureaucraties syndicales nationales du fait de leur adhésion à la
CES, comme c’est le cas en France pour la CFDT et la CGT. On
comprend mieux ainsi l’attentisme, l’immobilisme, voire les
freins de la centrale de Thibault devant les mouvements de
contestation depuis l’entrée, récente, de la CGT dans la CES.
Ne
pouvant obtenir l’aval des travailleurs européens en faveur de la
politique de l’Union européenne profondément réactionnaire à
l’égard des droits du travail et des acquis sociaux – les
mobilisations en France, en Italie, en Espagne, en Allemagne, en
Autriche… ont amplement montré le refus du saccage - les
gouvernements se trouvent dans l’obligation de chercher des
partenariats nationaux en tentant de transformer les syndicats en
colégislateurs nationaux, à l’instar de la CES dont c’est le
cas depuis des années. En France on en a déjà un aperçu avec
l’attitude pro-patronale, de Chérèque en pleine lutte sur les
retraites.
Ce
glissement cependant n’est pas encore complètement acquis. La
directrice générale de l’emploi et des affaires sociales à la
Commission européenne, Odile Quintin, déclarait le 13 janvier 2004
:
“… le niveau national ignore largement ce que fait le niveau
européen”.
La
difficulté essentielle à laquelle se heurte la Commission tient à
ce que, contrairement à la CES qui “ne relève pas de la lutte
des classes, mais de l’institutionnalisation de la politique
européenne“(1), les organisations syndicales nationales sont
le fruit des travailleurs eux-mêmes dans le cadre de leurs luttes de
classe historiques.
L’enjeu
apparaît clair pour les travailleurs : tout faire pour maintenir
l’indépendance des syndicats nationaux et refuser les syndicats
colégislateurs. C’est donc dire non à la CES et à la
Constitution européenne.
(1)
Déclaration de l’ancien secrétaire de la CES, Emilio Gaboglio,
dans sa préface à
une
brochure intitulée : “Qu’est-ce que la CES ?” Ce texte se
réfère pour l’essentiel des données à un article de Daniel
Shapira paru dans le n°37 de “La Vérité”, revue
théorique de la IVième internationale, sous le titre: “LaCES
et la Constitution européenne”, et dans une mesure moindre, à
l’édito du compte-rendu du congrès de la CES paru dans le n°60-61
du “Manifeste des 500” au titre explicite : “La
CES est-elle une organisation syndicale?”.
Nous
reviendrons ultérieurement sur la CES étant donné l’importance
de la question.
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