dimanche 25 mars 2018

Réflexions modestes sur le syndicalisme : Article 5 : Le syndicalisme à la croisée des chemins.




Le printemps dernier, la grève contre la loi Fillon de démantèlement des retraites par répartition a mis l’ensemble des militants syndicaux et politiques, se réclamant du mouvement ouvrier, devant leurs responsabilités. Cette grève a aussi posé les bases, dans ce pays, d’une réflexion approfondie sur l’avenir du syndicalisme, celui-ci se situant désormais à la croisée des chemins, entre intégration et indépendance. Le départ, de la CFDT, de dizaines de milliers d’adhérents, parfois de structures entières, démontre que cette question a atteint une acuité nouvelle.
Depuis qu’il existe, le mouvement ouvrier organisé est combattu avec la dernière énergie par la bourgeoisie. Celle-ci ne peut tolérer ne serait-ce qu’un embryon d’organisation échappant à sa tutelle. Ainsi, ces dernières années, les ultra-libéraux ont-ils théorisé leur volonté de détruire cette première affirmation indépendante de la classe ouvrière, les syndicats, présentés par eux comme une “intolérable entrave au libre jeu des forces du marché du travail”.


L’indépendance syndicale en question.

L’objectif des patrons est donc la destruction des syndicats, mais à défaut de pouvoir y parvenir lorsque le rapport de force lui est défavorable, la bourgeoisie cherche à acheter l’organisation indépendante, à l’intégrer. D’où le combat permanent de la classe ouvrière, pour s’assurer le contrôle sur ses dirigeants et sur ses organisations. On l’a vu une fois de plus de manière éclatante ce printemps(1) : la bourgeoisie n’est pas avare de moyens de contrainte et de pression, visant à emmener les militants et les organisations hors du terrain de l’action indépendante de défense des intérêts matériels et moraux des travailleurs, d’autant qu’une bureaucratie nombreuse et influente règne sur ces organisations. Ce n’est pas la première fois que la question se pose. Cette “alternative” est devant nous, et à chaque période cruciale de l’histoire du
mouvement ouvrier, deux voies s’ouvrent, contradictoires, diamétralement opposées : soit l’intégration syndicale l’emporte, soit l’existence de syndicats indépendants s’impose durablement. La Confédération Européenne des Syndicats (CES), impulse une option cohérente et déterminée dans le sens de l’intégration, à l’échelle de l’Union Européenne.

Dès 1973, avec l’UNICE (organisme patronal européen), la CES est le coauteur de toutes les directives européennes s’attaquant aux droits des travailleurs. Des coauteurs qui cohabitent, en effet, au sein du Comité Economique et Social de l’UE. Lequel Comité travaille, à son tour, de façon étroite avec la Commission de Bruxelles.On l’a bien compris : l’option de la CES est celle de l’intégration à l’Etat et l’accompagnement des projets patronaux. Cette politique est relayée par des secteurs d’importance diverse dans chaque organisation syndicale.Sous prétexte de modernité et de modération, en réalité, la CES cherche à imposer la voie du renoncement à plus d’un siècle de lutte syndicale. Aussi, et quand ce n’est pas déjà le cas, la CES aspire à rendre majoritaire le secteur intégrationniste dans chaque pays de l’union. En France, cela se traduit par un projet qui vise à rapprocher, en une seule confédération, les organisations adhérant à la CES, de façon à marginaliser les secteurs “contestataires” (pour utiliser une définition “large”).

La grève de mai-juin 2003 a porté un coup majeur à cette vision du syndicalisme intégré,mais cela ne signifie pas que la question soit tranchée. Au contraire, l’affrontement entre les deux conceptions de syndicalisme va se tendre et s’aiguiser, les tentatives diverses de“recomposition syndicale” vont se multiplier.


La crise de la CFDT.

Dès le mois de juin, les prises de position se sont multipliées au sein de la CFDT,de la part de structures remettant en cause, à court ou moyen terme, leur appartenance à cette confédération. La signature du secrétaire général, François Chérèque, au bas de l’accord sur les retraites, le lendemain de la manifestation monstre du 13 mai, a été sinon le révélateur, au moins la “goutte d’eau”qui a amplement fait déborder le vase. Dès lors, la bataille fait rage à la CFDT, alors que F. Chérèque, lui, cherche à en minimiser l’ampleur. Singeant Lénine(2), il prétend même que la CFDT sortira renforcée du départ de ces trublions. Trublions qui se chiffrent, tout de même, à 50 voire à 100 000. La seule UD Haute-Loire “pèse” 6 800 adhérents, qui ont voté à 91% l’adhésion à la CGT et, la fédération des cheminots perdrait, elle, 11000adhérents..
Parallèlement, cette bataille en révèle une autre, cette fois au sein du PS, où les amis de N. Notat et de J. Chérèque s’activent. Après avoir demandé à F. Hollande de calmer ceux qui incitaient les adhérents de la CFDT à passer à la CGT, ils prétendent lancer leur propre fraction autour d’un texte intitulé “Tout ce qui bouge n’est pas rose” (sic), texte qui fait l’apologie d’une gauche qui serait en permanence à la recherche du fameux consensus mou. “Ni droite, ni gauche”?
D’autres “socialistes” sont déjà allés très loin sur cette voie, tels Marcel Déat en France ou avant lui, en Italie, B. Mussolini...
La liste s’allonge tous les jours de ces structures démissionnaires et de ces congrès qui décident de quitter la CFDT ; le site spasmet <http://spasmet-meteo. org/> en tient un décompte méthodique.
De même, on ne compte plus les instances de direction démissionnaires, dans des UL, US ou même régions. Certaines de ces structures sont mises sous tutelle par les instances confédérales...
Lors de la précédente vague de départs, le mouvement s’était fait surtout en direction des Suds, devenus G10-Solidaires.
Cette fois, bien que certaines structures démissionnaires partent à la FSU, à l’UNSA ou au G10-Solidaires, la grande majorité rejoint la CGT où, pour la première fois depuis 1948, des protocoles ont été établis pour “fusionner” en douceur...


La CGT pôle d’une recomposition syndicale ?

Les derniers arrivants créent une situation contradictoire au sein de la CGT. D’un côté, la direction de B. Thibault peut se servir de cet afflux pour “prouver” la justesse de l’orientation confédérale. D’un autre côté, à l’avenir, ces nouveaux adhérents pourraient peser contre la direction Thibault, au moins en partie. A la FSU, également, l’arrivée de ces transfuges crée une situation contradictoire.Trois positions s’affrontent : transformer la FSU en confédération, faire adhérer la FSU au G10-Solidaires, faire adhérer la FSU à la CGT...


Pourquoi la CGT semble-t-elle devenir le point de ralliement d’une nouvelle “recomposition syndicale”?

Tout d’abord, parce qu’elle est la plus ancienne confédération syndicale du pays, jadis confédération unique et ceci, jusqu’à ce que le syndicalisme chrétien ne tente de la concurrencer en 1919 (CFTC, devenue CFDT en 1964) et que les antagonismes politiques au sein du mouvement ouvrier ne se réfractent dans la centrale syndicale, à travers deux scissions et une réunification. Cependant, la CGT reste la mieux implantée et celle qui a le plus grand nombre d’adhérents, centrale syndicale de référence, traditionnelle et incontournable de tout le mouvement ouvrier, quelque soit le caractère bureaucratique de sa direction.
Ensuite, l’affaiblissement historique du PCF a amoindri le contrôle que celui-ci exerçait sur nombre de militants et structures de la CGT. A tel point, que B. Thibault s’est rendu... au dernier congrès du PS à Dijon où il a été ovationné. Mais, on l’a vu à EdF-GdF en janvier dernier, comme toutes les autres organisations syndicales (y compris le G10-Solidaire), la CGT est traversée par les mêmes contradictions et tensions entre les tenants d’un syndicat d’accompagnement, “avec les formes” ou “sans les formes”, et les partisans un syndicat de lutte des classes, indépendant et de masse.
Quant à CGT-FO, par ailleurs, la préparation de son congrès confédéral, qui doit élire le successeur de M. Blondel, est le terrain d’un affrontement sur cette même ligne de clivage. Le secteur droitier de la CGT-FO a même reçu, l’an dernier, le renfort des anciens de la très droitière CSL (auto-dissoute), dans un contexte où, les conditions ayant provoqué la scission de 1947 disparues, les partisans d’une réunification sont de plus en plus nombreux.
Enfin, le G10-Solidaire, pour sa part, a montré ce printemps les limites de 20 ans d’un mouvement “politico-syndical” qui n’a pu ouvrir des perspectives sur le plan politique et qui s’est réduit, sur le plan syndical,à une politique de pression sur la direction de la CGT, exhortant B. Thibault à appeler à la grèvegénérale.


La perspective d’une CUT.

Il est sans doute encore trop tôt pour avancer une formule algébrique de ce que pourrait être une CUT, mais il convient d’en tracer les contours. En effet,une confédération syndicale indépendante, fidèle à une conception de lutte des classes et à
un syndicalisme de masse, est nécessaire dans ce pays,mais également dans l’ensemble de l’Union Européenne, où de nombreuses structures syndicales ne se reconnaissent pas ou plus, dans l’orientation de la CES. Certes, les choses n’avancent pas au même rythme partout, l’histoire et l’évolution des rapports de force poussent en avant ici, tirent en arrière là. Mais il nous semble qu’il faut aller dans cette direction, à l’échelle nationale comme à l’échelle du continent. Il faut saisir toutes les possibilités de faire se rapprocher les militants, les organisations syndicales,même de petite taille, au-delà de leur appartenance confédérale actuelle et, aussi, multiplier les possibilités de coopération par-delà les frontières.
L’objectif doit être de construire une Centrale Unique des Travailleurs à l’échelle du pays, et une organisation du même type à l’échelle de l’Europe, en opposition à la CES.

(1) Voir les trois documents sur la grève dans l’Internationaliste n°49 de septembre 2003.
(2) Le parti se construit en s’épurant.



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