Le
printemps dernier, la grève contre la loi Fillon de démantèlement
des retraites par répartition a mis l’ensemble des militants
syndicaux et politiques, se réclamant du mouvement ouvrier, devant
leurs responsabilités. Cette grève a aussi posé les bases, dans ce
pays, d’une réflexion approfondie sur l’avenir du syndicalisme,
celui-ci se situant désormais à la croisée des chemins, entre
intégration et indépendance. Le départ, de la CFDT, de dizaines de
milliers d’adhérents, parfois de structures entières, démontre
que cette question a atteint une acuité nouvelle.
Depuis
qu’il existe, le mouvement ouvrier organisé est combattu avec la
dernière énergie par la bourgeoisie. Celle-ci ne peut tolérer ne
serait-ce qu’un embryon d’organisation échappant à sa tutelle.
Ainsi, ces dernières années, les ultra-libéraux ont-ils théorisé
leur volonté de détruire cette première affirmation indépendante
de la classe ouvrière, les syndicats, présentés par eux comme une
“intolérable entrave au libre jeu des forces du marché du
travail”.
L’indépendance
syndicale en question.
L’objectif
des patrons est donc la destruction des syndicats, mais à défaut de
pouvoir y parvenir lorsque le rapport de force lui est défavorable,
la bourgeoisie cherche à acheter l’organisation indépendante,
à l’intégrer. D’où le combat permanent de la classe
ouvrière, pour s’assurer le contrôle sur ses dirigeants et sur
ses organisations. On l’a vu une fois de plus de manière éclatante
ce printemps(1) : la bourgeoisie n’est pas avare de moyens de
contrainte et de pression, visant à emmener les militants et les
organisations hors du terrain de l’action indépendante de défense
des intérêts matériels et moraux des travailleurs, d’autant
qu’une bureaucratie nombreuse et influente règne sur ces
organisations. Ce n’est pas la première fois que la question se
pose. Cette “alternative” est devant nous, et à chaque période
cruciale de l’histoire du
mouvement
ouvrier, deux voies s’ouvrent, contradictoires, diamétralement
opposées : soit l’intégration syndicale l’emporte, soit
l’existence de syndicats indépendants s’impose durablement. La
Confédération Européenne des Syndicats (CES), impulse une option
cohérente et déterminée dans le sens de l’intégration, à
l’échelle de l’Union Européenne.
Dès
1973, avec l’UNICE (organisme patronal européen), la CES est le
coauteur de toutes les directives européennes s’attaquant aux
droits des travailleurs. Des coauteurs qui cohabitent, en effet, au
sein du Comité Economique et Social de l’UE. Lequel Comité
travaille, à son tour, de façon étroite avec la Commission de
Bruxelles.On l’a bien compris : l’option de la CES est celle de
l’intégration à l’Etat et l’accompagnement des projets
patronaux. Cette politique est relayée par des secteurs d’importance
diverse dans chaque organisation syndicale.Sous prétexte de
modernité et de modération, en réalité, la CES cherche à imposer
la voie du renoncement à plus d’un siècle de lutte syndicale.
Aussi, et quand ce n’est pas déjà le cas, la CES aspire à rendre
majoritaire le secteur intégrationniste dans chaque pays de l’union.
En France, cela se traduit par un projet qui vise à rapprocher, en
une seule confédération, les organisations adhérant à la CES, de
façon à marginaliser les secteurs “contestataires” (pour
utiliser une définition “large”).
La
grève de mai-juin 2003 a porté un coup majeur à cette vision du
syndicalisme intégré,mais cela ne signifie pas que la question soit
tranchée. Au contraire, l’affrontement entre les deux conceptions
de syndicalisme va se tendre et s’aiguiser, les tentatives diverses
de“recomposition syndicale” vont se multiplier.
La
crise de la CFDT.
Dès
le mois de juin, les prises de position se sont multipliées au sein
de la CFDT,de la part de structures remettant en cause, à court ou
moyen terme, leur appartenance à cette confédération. La signature
du secrétaire général, François Chérèque, au bas de l’accord
sur les retraites, le lendemain de la manifestation monstre du 13
mai, a été sinon le révélateur, au moins la “goutte d’eau”qui
a amplement fait déborder le vase. Dès lors, la bataille fait rage
à la CFDT, alors
que F. Chérèque, lui, cherche à
en minimiser l’ampleur. Singeant Lénine(2), il prétend même que
la CFDT sortira renforcée du départ de ces trublions. Trublions qui
se chiffrent, tout de même, à 50 voire à 100 000. La seule UD
Haute-Loire “pèse” 6 800 adhérents, qui ont voté à 91%
l’adhésion à la CGT et, la fédération des cheminots perdrait,
elle, 11000adhérents..
Parallèlement,
cette bataille en révèle une autre, cette fois au sein du PS, où
les amis de N. Notat et de J. Chérèque s’activent. Après avoir
demandé à F. Hollande de calmer ceux qui incitaient les adhérents
de la CFDT à passer à la CGT, ils prétendent lancer leur propre
fraction autour d’un texte intitulé “Tout ce qui bouge n’est
pas rose” (sic), texte qui fait l’apologie d’une gauche qui
serait en permanence à la recherche du fameux consensus mou. “Ni
droite, ni gauche”?
D’autres
“socialistes” sont déjà allés très loin sur cette voie, tels
Marcel Déat en France ou avant lui, en Italie, B. Mussolini...
La
liste s’allonge tous les jours de ces structures démissionnaires
et de ces congrès qui décident de quitter la CFDT ; le site spasmet
<http://spasmet-meteo. org/>
en tient un décompte méthodique.
De
même, on ne compte plus les instances de direction démissionnaires,
dans des UL, US ou même régions. Certaines de ces structures sont
mises sous tutelle par les instances confédérales...
Lors
de la précédente vague de départs, le mouvement s’était fait
surtout en direction des Suds, devenus G10-Solidaires.
Cette
fois, bien que certaines structures démissionnaires partent à la
FSU, à l’UNSA ou au G10-Solidaires, la grande majorité rejoint la
CGT où, pour la première fois depuis 1948, des protocoles ont été
établis pour “fusionner” en douceur...
La
CGT pôle d’une recomposition syndicale ?
Les
derniers arrivants créent une situation contradictoire au sein de la
CGT. D’un côté, la direction de B. Thibault peut se servir de cet
afflux pour “prouver” la justesse de l’orientation confédérale.
D’un autre côté, à l’avenir, ces nouveaux adhérents
pourraient peser contre la direction Thibault, au moins en partie. A
la FSU, également, l’arrivée de ces transfuges crée une
situation contradictoire.Trois positions s’affrontent : transformer
la FSU en confédération, faire adhérer la FSU au G10-Solidaires,
faire adhérer la FSU à la CGT...
Pourquoi
la CGT semble-t-elle devenir le point de ralliement d’une nouvelle
“recomposition syndicale”?
Tout
d’abord, parce qu’elle est la plus ancienne confédération
syndicale du pays, jadis confédération unique et ceci, jusqu’à
ce que le syndicalisme chrétien ne tente de la concurrencer en 1919
(CFTC, devenue CFDT en 1964) et que les antagonismes politiques au
sein du mouvement ouvrier ne se réfractent dans la centrale
syndicale, à travers deux scissions et une réunification.
Cependant, la CGT reste la mieux implantée
et celle qui a le plus grand nombre d’adhérents, centrale
syndicale de référence, traditionnelle et incontournable de tout le
mouvement ouvrier, quelque soit le caractère bureaucratique de sa
direction.
Ensuite,
l’affaiblissement historique du PCF a amoindri le contrôle que
celui-ci exerçait sur nombre de militants et structures de la CGT. A
tel point, que B. Thibault s’est rendu... au dernier congrès du PS
à Dijon où il a été ovationné. Mais, on l’a vu à EdF-GdF en
janvier dernier, comme toutes les
autres organisations syndicales (y compris le G10-Solidaire), la CGT
est traversée par les mêmes contradictions et tensions entre les
tenants d’un syndicat d’accompagnement, “avec les formes” ou
“sans les formes”, et les partisans un syndicat de lutte des
classes, indépendant et de masse.
Quant
à CGT-FO, par ailleurs, la préparation de son congrès
confédéral, qui doit élire le successeur de M. Blondel, est le
terrain d’un affrontement sur cette même ligne de clivage. Le
secteur droitier de la CGT-FO a même reçu, l’an dernier, le
renfort des anciens de la très droitière CSL (auto-dissoute), dans
un contexte où, les conditions ayant provoqué la scission de 1947
disparues, les partisans d’une réunification sont de plus en plus
nombreux.
Enfin,
le G10-Solidaire, pour sa part, a montré ce printemps les
limites de 20 ans d’un mouvement “politico-syndical” qui n’a
pu ouvrir des perspectives sur le plan politique et qui s’est
réduit, sur le plan syndical,à une politique de pression sur la
direction de la CGT, exhortant B. Thibault à appeler à la
grèvegénérale.
La
perspective d’une CUT.
Il
est sans doute encore trop tôt pour avancer une formule algébrique
de ce que pourrait être une CUT, mais il convient d’en tracer les
contours. En effet,une confédération syndicale indépendante,
fidèle à une conception de lutte des classes et à
un
syndicalisme de masse, est nécessaire dans ce pays,mais également
dans l’ensemble de l’Union Européenne, où de nombreuses
structures syndicales ne se reconnaissent pas ou plus, dans
l’orientation de la CES. Certes, les choses n’avancent pas au
même rythme partout, l’histoire et l’évolution des rapports de
force poussent en avant ici, tirent en arrière là. Mais il nous
semble qu’il faut aller dans cette direction, à l’échelle
nationale comme à l’échelle du continent. Il faut saisir toutes
les possibilités de faire se rapprocher les militants, les
organisations syndicales,même de petite taille, au-delà de leur
appartenance confédérale actuelle et, aussi, multiplier les
possibilités de coopération par-delà les frontières.
L’objectif
doit être de construire une Centrale Unique des Travailleurs à
l’échelle du pays, et une organisation du même type à l’échelle
de l’Europe, en opposition à la CES.
(1)
Voir les trois documents sur la grève dans l’Internationaliste
n°49 de septembre 2003.
(2)
Le parti se construit en s’épurant.
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