Ces analyses sont importantes dans le sens où elles permettent ce qui a fait le parcours des pensées de Sorel et si parfois certaines sont déplaisantes ou ne sont pas en conformité avec nos propres convictions, nous pouvons faire le travail intellectuel de tenter de le comprendre.
De fait, en tout cas, Georges Sorel a été un grand penseur.
L'analyse de Patrice Rolland est très intéressante et très détaillée. Dans le prochain article, Patrice Rolland :" Une critique éthique de la démocratie" complète ce premier article et nous propose une vision presque complète de sa critique sur la démocratie.
L'analyse de Patrice Rolland est très intéressante et très détaillée. Dans le prochain article, Patrice Rolland :" Une critique éthique de la démocratie" complète ce premier article et nous propose une vision presque complète de sa critique sur la démocratie.
« Je
confondais ici l'utopie philosophique de la démocratie, qui a enivre
l’âme de nos pères, avec la réalité du
régime démocratique, qui est un gouvernement de démagogues ;
ceux-ci ont intérêt a célébrer l'utopie, afin de dissimuler aux
yeux du peuple la véritable nature de leur activité. »
« Les
constitutions libérales n'ont pas tant pour but
de permettre l'accomplissement des volontés populaires que de créer
des obstacles aux volontés des partis, de manière a assurer une
certaine continuité dans la législation. Le régime parlementaire
est pratiquement parvenu, beaucoup mieux que n'auraient pu le faire
toutes les constitutions les plus savantes, a produire cette
limitation de l'arbitraire ; mais pour qu'il fonctionne
convenablement, il faut que les mœurs se prêtent a cette tendance
vers la modération et qu'elles ajoutent beaucoup a l’efficacité
des règles. »
« La
liquidation de la révolution dreyfusienne devait me conduire a
reconnaître que le
socialisme
prolétarien ou syndicalisme ne réalise pleinement sa nature que
s'il est volontairement un mouvement ouvrier dirige contre les
démagogues. A la différence du socialisme politique, il n'emprunte
point d’Éléments spirituels a la littérature démocratique;
(...) le socialisme prolétarien s'oppose donc a la démocratie, au
moins en tant que celle-ci favorise le progrès de son contraire, le
socialisme politique ».
PATRICE
ROLLAND : GEORGES SOREL ET LA D É MOCRATIE AU XXe SIECLE - UNE
CRITIQUE POLITIQUE DE LA D É MOCRATIE :
Rousseau
regardait les associations politiques comme étant propres a vicier
le gouvernement démocratique ; loin de trouver que notre démocratie
n'est pas organisée, Jean-Jacques, s'il revenait aujourd'hui, la
trouverait trop organisée : tout concourt, en effet, a mettre toutes
les décisions sur la coupe de maîtres auxquels les masses obéissent
d'une manière presque aveugle.
« Il
ne sera pas aise de trouver des tribunaux assez indépendants des
partis pour juger les élus du peuple et donner raison aux citoyens
de la minorité, contre ceux qui se targuent d’être les
représentants de la majorité. Mais il n'y a rien de plus important
qu'une telle réforme ».
« Entre
le pouvoir et l'individu, il n'y a que le droit; toute souveraineté
répugne, c'est déni de justice. C'est de la religion ».
Proudhon cité par Sorel
Le
problème crucial de la démocratie est celui des rapports entre la
majorité et la minorité. Sorel craint que le scrutin proportionnel,
qui apparaît a l’époque comme le plus démocratique, ne développe
en réalité l'esprit de parti : « Une majorité fanatique
peut être extrêmement dangereuse, alors même qu'il existerait
seulement un faible écart entre le nombre de ses voix et le nombre
des opposants ; mieux vaudrait que l’écart soit plus grand et la
majorité moins disciplinée ». [id., p. 385]. Nul ne peut,
en réalité, corriger les problèmes de l'expression du suffrage
universel que par les idéaux de la démocratie directe : « Le
principe de majorité n'a de valeur que pour les groupes peu nombreux
dans lesquels les intéressés peuvent suivre de près les opérations
de leurs mandataires ». [Introduction..., op. cit., p.
248]. En droit du travail, le principe majoritaire trouve une
application contraire aux intérêts de la classe ouvrière : elle
conduit a la paix sociale et a contraindre la minorité. En période
de grève, c'est-a-dire au moment ou la classe ouvrière s'exprime
pleinement comme classe pour soi, le principe de majorité apparaît
a Sorel comme dénué de sens [Cf. Matériaux..., op cit., pp.
406-407 et p.406 note 2]. Il arrive même a Sorel de rêver :
« II n'est pas certain que, chez les anciens Grecs, la
majorité contraignit la minorité ». [Le Mouvement
socialiste, février 1907, p. 179]. Dans la démocratie
kabyle, la décision serait unanime, sinon, on s'en remettrait a
l'arbitrage d'un homme respecte. Sorel pense que l'arbitrage aurait
joue un rôle important dans les temps primitifs. Il semble céder,
ici, au mythe de l’ « Age d'or » . En effet,
tout se passe comme s'il tentait toujours de refuser la victoire
politique de la majorité. L'arbitrage d'une autorité morale revient
a contourner le politique. Au demeurant, celui-ci constitue plus
souvent un partage qu'une victoire.
une
lettre du 6 mai 1910, a Mario Missiroli, il expliquait :
« Le
plus grave grief que j'ai peut-être contre la démocratie est
qu'elle travaille a tourner la tête de l'homme du peuple, depuis son
enfance, dans le sens d'une soumission aux demi-lettres. Une
révolution conduite par de tels chefs fait retomber les masses sous
des dictatures souvent plus dures et presque toujours moins nobles
que n’étaient les gouvernements qu'ils ont renverses ».
« Ou
donc trouver de la démocratie individualiste, dans une société qui
se tourne ainsi tout entière vers le gouvernement pour solliciter sa
bienveillance ? »
« Le
développement des associations ne parait point capable non plus de
limiter les abus des partis dans la démocratie ; il est de plus en
plus difficile chez nous de vivre en dehors du patronage des hommes
politiques ».
« De
tous les gouvernements, le plus mauvais est celui ou la richesse et
les capacités se partagent le pouvoir. Les préjugés de la plupart
de nos historiens, contre la noblesse, leur ont fait fermer les yeux
sur les vices des constitutions ploutocratiques. Dans ce régime,
l'orgueil de la race n'existe plus : il faut arriver (...) Le succès
justifie tout; pas une idée morale (...) »
« Les
théoriciens de la politique ne me semblent pas avoir assez observe
que les institutions du libéralisme moderne exigent que le pouvoir
appartienne a une aristocratie assez intelligente pour appeler dans
son sein tous les hommes dont la capacité fait honneur au pays. Les
imitations de l'Angleterre réussissent fort mal partout ou la
démocratie introduit ses méthodes électorales, en vue d’écarter
toutes les autorités sociales ».
« A
propos du libéralisme, il faut bien prendre garde que ce mot a des
sens très multiples dans la langue des théoriciens politiques
contemporains. L'un des sens est : l'organisation d'un système
juridique, qui permet au citoyen son indépendance intellectuelle,
morale ou civique, d'une manière aussi sure que s'il s'agissait du
droit de propriété. Les parlements ont été censés capables
d'assurer l'existence pratique de ce droit ; mais l’expérience n'a
pas été favorable au régime parlementaire, qui devient toujours
une exploitation du pays par des politiciens; en fait, le
parlementarisme tend de plus en plus a ressembler a une tyrannie
grecque. Les Américains, par suite de circonstances bizarres, ont
conserve quelques fragments d'institutions permettant parfois a des
citoyens de s'opposer a la souveraineté parlementaire ; mais ces
survivances sont probablement appelées a disparaître. Évidemment,
les Slaves sont incapables de comprendre la valeur du libéralisme
que je définis ici ; la ploutocratie n'y attache aussi nulle
importance, parce que le droit est sans grand intérêt aux yeux des
gens dont l'ambition est de pouvoir acheter les magistrats; il y a
tant de romanite dans un tel libéralisme que nous ne devons le voir
disparaître qu'avec infiniment de regrets [Lettre du 24 oct. 1914 a
Mario Missiroli in ≪ Da Proudhon a Lenin] ».
Les
Intellectuels assimilent lutte des classes et jalousie et, par la,
excitent une passion qui, pour Sorel, n'a rien de socialiste. Ils
sont donc « politiques », dans le mauvais sens du terme .
Le
parti politique est défini, par Sorel, exclusivement en termes de
conquête du pouvoir et d'avantages matériels que procure la
possession de l’état : « En fait, l'histoire, c'est
l'histoire des factions politiques, qui s'emparent de l’État et y
exercent leur petite industrie déprédatrice ».
« La
hiérarchie contemporaine a pour base principale la division des
travailleurs en intellectuels et en manuels ».
« L'opposition
la plus intéressante devient celle du syndicat, auquel correspond le
sérieux du groupement professionnel, et celle du parti politique,
qui ne rassemblerait que ceux qui veulent éviter de travailler ».
En
fin de compte, ce que Sorel tente d’empêcher en démocratie, c'est
la formidable union du pouvoir et du savoir. L'autonomie ouvrière,
comme celle de l'individu, est toujours de ressaisir par soi-même le
sens et d'interdire au pouvoir politique de le maîtriser, grâce a
son alliance avec la « classe pensante ». « La
démocratie a continué la tradition du Tiers-Etat et, chaque fois
que les gens de lettres le voudront, ils pourront encore exercer sur
elle une véritable dictature » [Les Illusions du progrès,
Paris, Rivière, 1947, 5e ed., pp. 121- 122]. Si la classe
ouvrière est capable de résister a l'influence de la démocratie et
des « démocrates intelligents », qui cherchent a
diriger l'instruction populaire de façon a maintenir intact le
prestige des gens de lettres, alors Sorel peut s'exclamer: « Avec
le syndicalisme révolutionnaire, plus de discours a placer sur la
Justice immanente, plus de régime parlementaire a l'usage des
Intellectuels » [Réflexions sur la violence.., op. cit., p.
24].
« En
France, [les intellectuels] prétendent que leur vraie place est dans
le parlement et que le pouvoir dictatorial leur revient de plein
droit en cas de succès. C'est contre cette dictature représentative
du prolétariat que protestent les syndicaux » [Matériaux.
D'une théorie prolétarienne.., op. cit., p. 24 ; souligne dans le
texte.]
Le
socialisme politique et démocratique, au contraire, conduit a la
division de la société en deux groupes : « L'un forme une
élite organisée en parti politique, qui se donne pour mission de
penser a la place d'une masse non-pensante, et qui se croit admirable
parce qu'elle veut bien lui faire part de ses lumières supérieures
; l'autre est l'ensemble des producteurs ».
La
république proudhonienne, qui constitue l’idéal de Sorel, se
compose de travailleurs et de syndicats. Ce sont finalement presque
deux types idéaux qui s'opposent terme a terme : émancipation
politique contre émancipation syndicale ; rationalisme idéaliste
des Lumières contre philosophie du pragmatisme et réalisme
juridique [Il faut, une fois pour toutes, dissocier la critique de la
philosophie des Lumières par Sorel de toute assimilation a un
irrationalisme ou a une destruction de la culture politique libérale.
Sorel a toujours défendu la pensée rationnelle contre les « roman
- tismes » et le rationalisme scientiste. Il distingue lui-même
l'acte de penser et le fait de se dire intellectuel . (cf. Réflexions
sur la violence.., op. cit., p. 203, note 1).
« Au
lieu de chercher a nous émanciper par nos propres efforts, nous
recherchons plutôt une tutelle a l'abri de laquelle nous puissions
goûter du repos ; nous ne sommes pas des combatifs, des gens aimant
a conquérir nos droits par notre propre énergie ». [Préface
de 1901 a L’avenir..., op. cit., p. XII].
« II
me semble impossible d'arriver a ce que Marx appelait, tout comme
Proudhon, l'anarchie si l'on commence par reproduire l'ancienne
organisation centraliste qui a conduit a subordonner la gestion des
affaires au souci de la suprématie, que se disputent les groupes
dirigeants ». (id., p. 23)
« Tout
l'effort révolutionnaire tend a créer des hommes libres ; mais les
gouvernements démocratiques se donnent pour mission de réaliser
l’unité morale de la France. Cette unité morale, c'est la
discipline automatique des producteurs qui seraient heureux de
travailler pour la gloire de leurs chefs intellectuels ».
[Réflexions sur la violence.., op. cit., p. 227 ; souligne par
Sorel]
« La
démocratie a horreur des conceptions marxistes parce qu'elle
recherche toujours l’unité ».
« La
démocratie parvient a jeter le trouble dans les esprits, empêchant
beaucoup de gens intelligents de voir les choses comme elles sont,
parce qu'elle est servie par des avocats habiles dans l'art
d'embrouiller les questions, grâce a un langage captieux, a une
souple sophistique, a un énorme appareil de déclamations
scientifiques. C'est surtout pour les temps démocratiques que l'on
peut dire que l’humanité est gouvernée par le pouvoir magique de
grands mots, plutôt que par des idées, par des formules plutôt que
par des raisons, par des dogmes dont nul ne songe a rechercher
l'origine, plutôt que par des doctrines fondées sur
l'observation ».
« Seul
le conflit peut faire parvenir le prolétariat a une existence
propre. L'intellectuel, dans la démocratie, est au contraire un
formidable agent d’indifférenciation. Le prolétariat risque, avec
lui, de n’être « plus qu'une masse inerte destinée a
tomber, comme la démocratie, sous la direction de politiciens qui
vivent de la subordination de leurs électeurs ».
« Les
politiciens, même dans les conflits sociaux, raisonnent
politiquement, c'est à- dire en termes de bataille (Le rapport de
force), de haine, de pillage, et de distribution des places [Cf.
Réflexions sur la violence.., op. cit., pp. 211-212]
Sorel
confie, en 1911, a Missiroli : « Je me suis efforcé de
prouver que le syndicalisme est étranger a toute idée politique ;
je traduirais assez exactement ma manière de voir, en disant que le
syndicalisme (tel que je le conçois) est, par rapport a l’État, a
peu près comme est la religion aujourd'hui3. [Lettre du 11 mai 1911
a Mario Missiroli in ≪ Da Proudhon a Lenin ≫..., op. Cit., p.
463].
Le
syndicalisme permet encore a Sorel d’échapper a la politique. En
réduisant celle-ci a la conquête du pouvoir, elle n'est plus, a ses
yeux, que le lieu de rapports de force, de ruse, de haine sociale. Il
distinguait, a cet effet, la force bourgeoise et la violence
prolétarienne. Tout l'enjeu d'une séparation des méthodes
syndicales et des méthodes politiques ou démocratiques est la. Il
s'agit, certes, pour les syndicats, d'arracher des pouvoirs dans le
domaine politique, mais la finalité est une transformation radicale
des rapports politiques. Les syndicats, espère-t il, « auront
fini par agrandir tellement leur champ d'action qu'ils auront absorbe
toute la politique ». Cette conception matérialiste de
l'histoire, selon Sorel, est bien une lutte politique, mais en vue
d'une transformation radicale de la politique : « Ce n'est
pas une lutte pour prendre les positions occupées par les bourgeois
et s'affubler de leurs dépouilles ; c'est une lutte pour vider
l'organisme politique bourgeois de toute vie et faire passer tout ce
qu'il contenait d'utile dans un organisme politique prolétarien,
crée au fur et a mesure du développement du prolétariat ».
[Matériaux d'une théorie prolétarienne.., op. cit., p. 123 ; voir
aussi Réflexions sur la violence.., op. Cit., pp. 136-139 : il ne
s'agit pas de reformer l’État pour les syndicalistes, mais bien de
le détruire.
Il
ne s'agit pas de remplacer une minorité gouvernante par une autre
minorité selon le mot de Marx. L'opposition absolue entre l’État
et le syndicalisme révolutionnaire prend la figure de
l'antipatriotisme. Les socialistes officiels espèrent au contraire
posséder la force de l’État.].
Malgré
le vocabulaire sorélien, cette abolition de la politique bourgeoise
n'est pas d'abord politique, mais éthique ; il faut procéder a une
nouvelle évaluation des choses. L'abolition de la politique
bourgeoise, dans ce texte fortement marque par l'anarchisme de
Pelloutier, ressemble a s'y méprendre a une abolition morale de
toute politique, puisque Sorel a confiné celle-ci a la lutte et a la
conquête du pouvoir.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire