"Différentes voies vers le socialisme et perspectives de libération" par Sydney Hook
Sidney Hook (né le 20 décembre 1902 à New York - mort le 12 juillet 1989 à Stanford) est un philosophe américain de l'école pragmatique
"La même situation apparaît, de façon plus frappante encore, en Union Soviétique et dans les pays satellites. Les titres de propriété furent retirés, sur le plan juridique, aux capitalistes et aux propriétaires terriens, et transférés à la collectivité. Mais la collectivité est une fiction juridique dont le véritable contenu, selon l'orthodoxie marxiste, depend de la façon dont elle est réellement organisée, dont elle fonctionne et aussi des divers rôles que jouent les différents groupes dans le système de production. Presque dès le début, les commissaires communistes ont eu le pouvoir absolu de décider ce qui devait être économisé, ce qui devait être dépensé et de quelle manière, et de fixer les conditions et les rémunérations du travail ainsi que tout ce qui se rattachait à l'utilisation des moyens de production, des ressources naturelles, etc...; en outre, ceux qui détenaient ces pouvoirs n'étaient en aucune manière responsables envers ceux qui subissaient les conséquences désastreuses de leurs décisions. On peut donc dire qu'en fait, et toujours selon l'orthodoxie marxiste, les instruments de production appartenaient aux cadres communistes, avec tous les privilèges qui accompagnent généralement la propriété, excepté le droit d'acheter et de vendre et le droit de disposer des biens par testament. Dans un tel système les travailleurs peuvent être et ont été en fait, fortement exploités, c'est à dire qu'on tire d'eux une plus-value plus importante que ne l'a jamais permis toute autre forme de propriété juridique, depuis les premiers jours de la révolution industrielle."
"L'analyse de l'économie soi-disant socialiste de pays tels que l'U.R.S.S., la Chine, la Yougoslavie, la Tchécoslovaquie et la Pologne fait ressortir des differences considérables dans la pratique. J'aimerais montrer que la théorie marxiste renferme en puissance des différences plus grandes encore quant au fond - un ensemble d’ambiguïtés qui ont soit un caractère démocratique soit un caractère autocratique ou l'on peut interpréter dans l'un ou l'autre sens. Le marxisme, qui est avant tout une critique du capitalisme, fournit non pas des instructions précises mais simplement les grandes lignes de l'établissement du socialisme. Ces grandes lignes ont davantage un caractère social, politique et moral qu'économique, car Marx supposait que l'accumulation de biens serait telle qu'il ne serait plus nécessaire d'installer de nouvelles industries de biens de production. En outre, le succès avec lequel les bolchéviks ont réfuté ( ou révisé) Marx pour essayer de fonder par des moyens politiques l'économie socialiste dans les régions arriérées sur le plan industriel, méthode probablement incompatible avec le matérialisme historique, n'a fait qu’accroître les équivoques. A l'heure actuelle, les plus fervents "marxistes" sont ceux qui ont véritablement réfuté Marx tout en attaquant les révisionnistes de Marx."
"Aux premiers jours du bolchevisme, juste avant et après la conquête du pouvoir, les communistes soutenaient de la façon la plus catégorique qu'il était souhaitable d'établir une gestion ouvrière dans chaque usine. A l'origine, la doctrine communiste et la doctrine syndicaliste anarchiste étaient à peu près d'accord sur la question de savoir comment une société socialiste devrait fonctionner. Dans les pays où la doctrine anarcho-syndicaliste prédominait, les communistes s'emparèrent des usines et essayèrent de les diriger avant même d'avoir anéanti le pouvoir politique existant. Les premiers ouvrages de Lénine , "les soviets à l'oeuvre" par exemple, tracent le tableau idyllique (et imaginaire) d'une usine fonctionnant comme une commune démocratique et collaborant avec les autres à l'organisation et à la direction de l'industrie.
Avant longtemps, cependant, la main de fer du parti communiste s'appesantit de telle sorte que la "gestion ouvrière" ne fut plus qu'une hypocrisie de langage, aisément percée à jour. Lénine lui-même lutta, sous prétexte de déviation anarcho-syndicaliste, contre "l'opposition des travailleurs" qui formait un groupe du parti communiste croyant aux slogans utilisés par la propagande dans les premiers jours de l'agitation. Dans la résolution qu'il élabora pour le dixième congrès du parti communiste russe, il prétendait que la proposition de faire participer les ouvriers "à la réorganisation directe de l'économie" - proposition qui faisait auparavant partie du programme économique des bolchéviks - tendait à saper le rôle directeur du parti communiste "sans lequel la dictature du prolétariat est impossible". Il déclara également que "la propagande de ces idées ( gestion ouvrière) était incompatible avec l'enrôlement au parti communiste". Cette déclaration découvrait de sombres perspectives."
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