L’activité
créatrice économique et sociale des bolcheviks se divise en deux
périodes : celle du « communisme » d’État, et celle de la N. E.
P. Le trait essentiel du communisme étatiste des bolcheviks, est la
nationalisation de l’industrie et du commerce. (En ce qui concerne
la terre, les bolcheviks, impuissants, tout d’abord, à soumettre
les paysans à l’aide des moyens « physiques », ont signé le
décret sur la socialisation des terres. Par cet acte, ils
cherchaient, en même temps, à s’assurer le concours actif des
masses paysannes dans la lutte contre le « gouvernement provisoire »
de Kerenski. « Qu’ils (c’est-à dire le gouvernement provisoire
révolutionne) essayent maintenant de nous prendre ! » dit Lénine,
en signant, après le coup d’État d’octobre, le décret sur la
socialisation des terres. Plus tard, au fur et à mesure que
l’autorité des bolcheviks se renforçait, le décret fut annulé
par celui du fermage des terre, par d’autres décrets du Conseil
des Commissaire du Peuple.
La
nationalisation de l’industrie et du commerce signifiait que l’État
devenait dorénavant propriétaire et organisateur de toute
l’industrie et de tout le commerce du pays. C’est l’État qui
dirigera et réglementera, à l’avenir, tous les moindres détails
du processus économique et commercial. L’élaboration des tarifs,
l’échelle des salaires, l’embauche et le licenciement des
ouvriers, l’arrangement à l’intérieur des entreprises, - toutes
ces mesures seront des droits inaliénables de l’Etat. Le but sera
atteint à l’aide d’une étatisation des organisations ouvrières
professionnelles qui deviendront ainsi organes de contrôle policier
sui les ouvriers. Nul changement, cependant, dans le caractère, dans
l’essence même de l’industrie. Les principes : du travail
salarié, d’une échelle de salaires, ainsi que de la plus-value
laissée par l’ouvrier entre les mains de l’embaucheur restent.
L’industrie garde ses formes et son essence capitalistes
antérieures. Quant au commerce, là également, la nationalisation
bolcheviste conserva entièrement le principe d’« achat-vente »,
s’étant bornée, dans ce domaine, à l’établissement d’un
monopole d’Etat.
Et
quant au domaine des relations agraires, les bolcheviks s’y
bornaient, à l’époque du communisme d’Etat, à enlever aux
paysans « l’excédent du blé », ce qui signifiait qu’on leur
prenait de force tout l’approvisionnement présent, moins le
minimum le plus strict dont ils avaient besoin pour ne pas mourir de
faim. Le communisme d’Etat des bolcheviks ne fut ainsi qu’un
capitalisme d’Etat qui n’améliora nullement la situation du
monde travailleur, ni économiquement, ni du point de vue des «
droits sociaux ». Plus encore : à l’époque de la décadence et
de la crise aiguë de 1920, ce capitalisme essaya de réaliser l’idée
de la militarisation du travail et du travail obligatoire qui devait
réduire la classe ouvrière tout entière à l’état «
d’encasernement ».
Il
est tout naturel que la dictature du Parti et l’activité
capitaliste des bolcheviks aient soulevé des protestations et
provoqué une résistance énergique de la part des milieux
révolutionnaires prolétariens et paysans, cherchant, en conformité
avec les aspirations de la révolution sociale, à commencer la
véritable création socialiste : la socialisation de l’industrie
et de la terre sur les bases de leur auto-direction. Ce fut par la
terreur que le pouvoir communiste répondit à ces protestations et à
ces actes de résistance. Il ouvrit ainsi la guerre civile à gauche,
au cours de laquelle, les partisans de l’anarchisme communiste, du
syndicalisme révolutionnaire et du maximalisme socialiste furent, en
partie anéantis, en partie jetés en prison ou obligés de se cacher
et d’agir clandestinement. Toute la presse ouvrière
révolutionnaire de tendance non « communiste », fut étouffée.
Les organisations furent anéanties.
Les
masses paysannes révolutionnaires, qui ne voulaient plus reconnaître
aucune autorité, furent traitées par le gouvernement communiste
avec encore plus de férocité. Il agissait, tout simplement, à
l’aide des divisions militaires, asservissant les régions
indépendantes et rebelles à coups de canons.
Ayant
étouffé toute tentative de création socialiste, d’autogestion
socialiste des ouvrierset paysans, les bolcheviks ont, par là même,
désorganisé et frappé de mort le développement économique du
pays. Ils le plongèrent dans un état de putréfaction et de
décomposition.
La
désorganisation économique a atteint son point culminant en 1920,
au moment même de la militarisation du travail et de l’introduction
du travail obligatoire. Ce fut aussi le point culminant de la terreur
gouvernementale appelée à défendre les positions du Pouvoir. Les
voix protestataires des masses révolutionnaires se faisaient
entendre tous les jours davantage. Dans le Midi de la Russie
tonnaient, depuis bientôt trois ans, les canons des insurgés
révolutionnaires, paysans et ouvriers, en lutte contre la dictature
du parti et pour la libre création socialiste. En mars 1921, des
dizaines de milliers d’ouvriers et de matelots révolutionnaires,
fils de Cronstadt, citadelle de la révolution, se levèrent, les
armes à la main, pour protester définitivement contre la mutilation
de la Révolution par les bolcheviks, contre sa transformation en une
simple base pour le capitalisme. Ils exigeaient catégoriquement : le
rétablissement de la liberté des élections dans les Soviets ; le
rétablissement des libertés et droits révolutionnaires ; le droit
d’organisation et de presse pour les anarchistes et les courants
socialistes de gauche et, en général, le retour aux mots d’ordre
et aux conquêtes des ouvriers et paysans dans la révolution
d’octobre.
La
voix de Cronstadt sonna le tocsin dans toute la Russie
révolutionnaire. Le moment de la catastrophe du bolchevisme
paraissait proche. Il fallait trouver à tout prix une issue. Alors,
le pouvoir « communiste » mobilise à la hâte ses forces
militaires et les lance de Petrograd (Leningrad) pour écraser
définitivement Cronstadt. Une lutte acharnée s’ensuit où
périssent des milliers de « ceux de Cronstadt » - pionniers et
héros de la révolution d’octobre. En même temps, les dernières
forces du mouvement révolutionnaire-insurrectionnel sont écrasées
dans le Midi.
Le
bolchevisme est vainqueur. Immédiatement après, il déclare la
nouvelle politique économique : la « N. E. P. ». C’est à partir
de ce moment que commence la deuxième période de l’activité
économique constructive des bolcheviks en Russie.
Le
sens de la « N. E. P. » est celui-ci : tout en maintenant entre les
mains de l’Etat la grande industrie et l’énorme réserve de
terres, de même que le monopole du commerce extérieur, les
bolcheviks ont réservé au capital privé la deuxième moitié de
l’industrie : le droit de commerce (intérieur), celui d’exploiter
la force vive (force ouvrière), celui de fermage de la terre en vue
du profit personnel.
Un
combinat des capitaux : privés et d’Etat fut établi de cette
façon. Ce qui mena à la création de nouvelles classes
d’exploiteurs : celle de la bourgeoisie des villes et des
campagnes, des « nepmen » et des « koulaks » (paysans riches
exploitant les autres).
Conformément
aux données officielles du Commissariat des Finances, la bourgeoisie
rurale constituait, en 1925 déjà, 13 % de toutes les fermes
paysannes, concentrant entre ses mains plus de 50 % de toute la
production agraire. La même bourgeoisie fait 85,4 % dans les
coopératives agricoles ; (les « koulaks », paysans cossus, 30,1 %
; les « sséredniaks », paysans moyens, 55,3 %), de sorte que les
paysans pauvres y figurent pour 14,6 % seulement. Bien entendu, c’est
elle aussi, la bourgeoisie rurale, qui détient les places
dirigeantes dans les organes du pouvoir des Soviets à la campagne.
Les
« nepmen » sont, à leur tour, une force économique et politique
considérable dans les villes. Là, cependant, la force capitaliste
dominante est le parti bolcheviste lui-même. Cette puissance
capitaliste tient entre ses mains toute la grande industrie et des
espaces de terre immenses.
L’inauguration
de la « N. E. P. » fut la conséquence naturelle et inévitable de
la contradiction qui s’était produite entre la politique de
dictature des bolcheviks d’une part, et les aspirations des masses
révolutionnaires à leur autogestion socialiste, d’autre part.
Ayant éliminé ces masses de toutes les fonctions créatrices de
l’édification socialiste, les bolcheviks se créèrent ainsi la
situation d’un groupe isolé, tenant entre ses mains, par la force
du Pouvoir, l’économie nationale, mais impuissant à la mettre en
marche par ses propres moyens. Il fallait choisir : ou bien rendre
aux masses le droit de l’initiative et de la création socialiste
(en la personne de leurs organisations de production) en prenant,
eux-mêmes, place dans les rangs des travailleurs, au même titre que
tous les autres, ou alors, maintenir le monopole du Pouvoir et de la
Dictature, en s’appuyant sur d’autres classes sociales. Les
bolcheviks ont choisi la seconde voie. Ils établirent, par la « N.
E. P. », la base sociale qui leur faisait défaut, ayant ainsi créé
des classes privilégiées économiquement, partant, intéressées à
la conservation du pouvoir communiste. Quant aux ouvriers et aux
paysans, ils restèrent dans leur situation habituelle : des «
classes travailleuses ».
Dans
le domaine de la politique internationale, le bolchevisme manifeste
les mêmes tendances et méthodes d’organisation, qui caractérisent
son activité politique en Russie : il aspire à soumettre à son
centre le mouvement ouvrier international et, par son intermédiaire,
toutes les classes de la société contemporaine. La victoire aisée
qu’il avait remportée sur le capital agraire et industriel en
Russie, ainsi que la situation générale révolutionnaire en Europe,
lui inspirèrent, au début, la foi en l’effondrement très proche
du système capitaliste en toute l’Europe et l’Amérique, et le
remplirent d’espérance en son hégémonie mondiale. Le «
Komintern » et le « Profintern » furent créés en qualité
d’organes appelés à réaliser les directives du Comité Central
dans le mouvement révolutionnaire international. Le devoir direct de
ces deux institutions devait être : l’établissement de
l’hégémonie du bolchevisme sur le mouvement révolutionnaire de
l’Europe, de l’Amérique et d’autres pays.
La
tactique des « putschs », adoptée pendant plusieurs années en
Allemagne, en Estonie, en Bulgarie) ; celles des scissions produites
dans les partis socialistes et dans le mouvement ouvrier
professionnel ; celle, plus récente, du « contact » et du « front
unique », toutes ces manoeuvres ne furent que des manifestations de
la stratégie politique générale du Comité Central du parti
bolchevique. Mais au fur et à mesure que les bolcheviks stimulaient
le développement du capitalisme en Russie et renforçaient ce
dernier, au fur et à mesure que des contradictions survenaient et se
précisaient ainsi entre leur système social et les intérêts réels
des masses laborieuses, se transformant en de véritables
antagonismes sociaux, la politique internationale des bolcheviks
subissait des modifications profondes.
Le
centre de cette politique se déplaçait petit à petit du milieu
prolétarien vers celui de la bourgeoisie internationale. Depuis
1925, les bolcheviks mènent avec cette dernière des pourparlers
sérieux tendant à leur incorporation dans le réseau général des
Etats capitalistes. La base des pourparlers n’est autre que le
renoncement complet aux “pêchés d’octobre” dans la politique
intérieure et internationale du pouvoir des Soviets. En politique
intérieure, ce renoncement a commencé, il y a longtemps. Le 14
Congrès
du P. C. de l’U. R. S. S. en décembre 1925, rompit les derniers
liens qui attachaient encore les bolcheviks à la révolution
d’octobre, en écrasant l’opposition représentée par Zinoviev,
Kamenev et Kroupskaïa, et en prenant, sans plus de façon, la route
de la restauration du capitalisme en Russie. A l’heure actuelle, le
bolchevisme s’appuie en Russie, à part la bourgeoisie des villes
et des campagnes, sur des forces d’ordre mécanique Un énorme
parti qui représente une organisation puissante basée sur des
principes ultra militaires, jouissant des privilèges sociaux et des
monopoles, déployant un maximum d’énergie et d’activité ; Une
armée rouge magnifiquement organisée (dans le sens étatiste),
armée et disciplinée, dépassant par ses qualités militaires
toutes les armées du monde ; Et une police politique (la G. P. U.),
qui déploya un système d’espionnage sans précédent dans
l’histoire des Etats, espionnage pénétrant dans tous les pores de
l’existence des masses laborieuses de l’U. R. S. S.
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