Le
Syndicalisme
et le Socialisme en France
Par
HUBERT LAGARDELLE
III
J'avoue
d'ailleurs que, même si les rêves d'avenir du socialisme
syndicaliste ne se réalisent jamais et nul de nous n'a le secret de
l'histoire il me suffirait, pour lui donner toute mon adhésion, de
constater qu'il est, au moment où je parle, l'agent essentiel de la
civilisation dans le monde. C'est lui qui porte le progrès
économique, en jetant le capitalisme dans les voies du plus haut
perfectionnement possible.
Plus
les exigences de la classe ouvrière sont pressantes, plus ses
injonctions deviennent hardies, et plus le développement technique
s'accélère et s'intensifie. Les conquêtes du prolétariat ne
supportent pas une industrie routinière, attardée aux vieilles
méthodes,sans initiative ni audace. Mais elles sont l'aiguillon qui
stimule, qui empêche l'arrêt, qui pousse toujours en avant.
Heureux
le capitalisme qui trouve devant lui un prolétariat combatif et
exigeant Il ne connaîtra jamais le sommeil, la stagnation ni le
marasme. Car de lui on peut dire qu'il entendra toujours, comme dans
la prosopopée classique, une voix qui lui crie Marche Marche !
Or
s'il est vrai que le progrès matériel du monde soit lié à la plus
intensive production, le rôle du prolétariat révolutionnaire prend
encore une plus haute signification. Il est dès lors prouvé que ce
n'est point seulement ses propres intérêts que lèse une classe
ouvrière craintive, n'attendant rien que du bon vouloir de ses
maîtres ou de l'intervention tutélaire de l'État, mais aussi les
intérêts généraux de la société. Non, ce n'est pas l'atmosphère
débilitante de la paix sociale, mais l'air salubre de la lutte des
classes, qui peut surexciter l'ardeur des maîtres de la production.
Et il n'est pas un socialiste qui puisse y contredire, si vraiment,
comme le veut le socialisme, le capitalisme ne peut être emporté
que par un débordement des forces productives.
Mais
le mouvement syndicaliste est plus encore un agent de progrès moral
que de progrès économique. Dans un monde où le goût de la liberté
est perdu, dans un temps qui n'a plus le sentiment de la dignité, il
fait appel aux forces vives de la personne humaine et donné un
exemple permanent de courage et d'énergie. C'est en ce sens qu'il
fait l'éducation de la société. Il est comme un foyer ardent dont
la chaleur rayonne dans l'ensemble du corps social. Quel prodige que
celui d'avoir restauré le principe de l'initiative collective, du
groupement social, par opposition aux déprimantes pratiques de
l'intervention étatique ! Songez que même les hommes les plus
façonnés pour l'autorité, pour la servitude, les fonctionnaires,
tous ceux qui dépendent de l'administration et de la politique, ont
esquissé le geste de la révolte et affirmé la souveraineté du
travail libre ! Vraiment, au souffle de l'action prolétarienne,
il y a quelque chose de changé, et là où l'on ne trouvait hier que
des êtres asservis commencent à se lever des hommes.
Tout
le socialisme est là. Qu'importent les vaines prophéties, si les
idées socialistes agissent et vivent sous nos yeux, si par elles un
peu plus de révolte germe au cœur des masses, si la liberté se
réveille, si la personnalité humaine s'affranchit !
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