jeudi 1 mars 2018

Wilhelm Reich 4 partie





Pour ne plus être l'esclave d'un seul maître et devenir celui de n'importe qui, il faut d'abord se débarrasser de l'oppresseur individuel, mettons du tsar. Or, on ne saurait accomplir ce meurtre politique sans un idéal de liberté et sans mobiles révolutionnaires. On fonde donc un parti révolutionnaire de libération sous la conduite d'un homme réellement grand, mettons Jésus, Marx, Lincoln ou Lénine. Le vrai grand homme prend très au sérieux ta liberté. Pour te l'assurer sur le plan pratique, il est obligé de s'entourer d'une nuée de petits hommes, d'aides et d'hommes de main, puisqu'il ne peut accomplir tout seul cette oeuvre gigantesque. D'autre part, tu ne le comprendrais pas et le laisserais tomber s'il ne s'entourait pas de petits grands hommes. Mais grâce à ces petits grands hommes, il conquiert pour toi le pouvoir ou une vérité, ou une foi plus vraie et plus authentique. Il écrit des évangiles, il édicte des lois libératrices et il compte sur ton aide et sur ton sérieux. Il t'arrache à ton bourbier social. Pour retenir à ses côtés tant de petits grands hommes, pour s'assurer ta confiance, le vrai grand homme doit sacrifier peu à peu sa grandeur qu'il n'a pu sauvegarder que dans la solitude spirituelle la plus absolue, loin de toi et de ton existence bruyante, en maintenant pourtant un contact étroit avec ta vie. Pour te conduire, il doit accepter que tu le transformes en un dieu inaccessible. Tu ne lui ferais pas confiance s'il restait l'homme simple qu'il a été, s'il pouvait aimer une femme même sans exhiber un certificat de mariage. Dans ce sens précis, c'est toi qui crées ton nouveau maître. Bombardé "nouveau maître", le grand homme perd sa grandeur, car sa grandeur était faite de franchise, de simplicité, de courage et d'un contact effectif avec la vie. Les petits grands hommes qui tirent leur grandeur d'un grand homme authentique accaparent les plus hauts postes dans le domaine de la finance, de la diplomatie, de l'administration, des sciences et des arts --- et toi, tu restes où tu étais, dans le bourbier. Tu continues de te promener en loques pour "l'avenir socialiste" ou le "troisième Reich". Tu continues de vivre dans des taudis couverts de chaume, aux murs enduits de bouse de vache. Mais tu es fier de ton "palais de la culture". Tu te contentes de l'illusion de gouverner --- jusqu'à la prochaine guerre et à la chute des nouveaux maîtres.
Dans quelques pays lointains, de petits hommes ont soigneusement étudié ton désir d'être l'esclave de n'importe qui et ont appris à devenir sans grands efforts intellectuels de grands petits hommes. Ces grands petits hommes sont issus de ton milieu, ils n'ont pas grandi dans des palais ou des châteaux. Ils ont eu faim comme toi, ils ont souffert comme toi. Ils ont appris l'art de remplacer plus vite les maîtres établis. Ils se sont rendu compte que des siècles d'efforts intellectuels pour t'assurer la liberté, que des sacrifices personnels pour ton bonheur, que même le sacrifice de la vie étaient un prix trop élevé pour faire de toi un esclave. Ce que les grands penseurs de la liberté ont élaboré et souffert en un siècle pouvait être détruit en moins de cinq ans. Les petits hommes issus de tes rangs ont abrégé le processus: ils opèrent au grand jour et brutalement. Mieux, ils ne se gênent pas de te raconter que toi, ta vie, ta famille et tes enfants ne comptent pas, que tu es stupide et obséquieux, qu'on peut faire de toi ce qu'on veut. Ils ne te concèdent pas la liberté personnelle mais la liberté nationale. Ils ne te promettent pas le respect de la personne humaine, mais le respect de l'état, non pas la grandeur personnelle mais la grandeur nationale. Comme la "liberté personnelle" et la "grandeur personnelle" ne te disent rien, alors que la "liberté nationale" et les "intérêts de l'état" te font venir l'eau à la bouche, comme un chien à qui on lance un os, tu les acclames à grands cris. Aucun de ces petits hommes ne paie le prix de la liberté qu'ont payé un Jésus, un Giordano Bruno, un Karl Marx ou un Lincoln. Ils ne t'aiment pas, ils te méprisent, parce que tu te méprises toi-même,
petit homme ! Ils te connaissent bien, mieux qu'un Rockefeller ou les Tories. Ils sont au courant de tes pires faiblesses que tu devrais être seul à connaître de cette façon. Ils t'ont sacrifié à un symbole, et tu leur donnes le pouvoir de te dominer. Tes maîtres ont été portés par toi sur le pavois, tu les nourris en dépit - ou à cause - du fait qu'ils ont laissé tomber le masque. Ils t'ont dit de mille manières : "Tu es un être inférieur sans responsabilité, et tu le demeureras." Et tu les appelles "Sauveurs", "Nouveaux libérateurs" et tu t'égosilles en hurlant "Heil, Heil" et "Viva, viva !" C'est pourquoi j'ai peur de toi, petit homme, une peur mortelle ! Car c'est de toi que dépend le sort de l'humanité. Et j'ai peur parce que tu ne fuis rien autant que toi-même. Tu es malade, petit homme, très malade. Ce n'est pas ta faute. Mais il ne tient qu'à toi de te débarrasser de ton mal. Tu te serais débarrassé depuis longtemps de tes oppresseurs si tu n'avais toléré et parfois soutenu activement l'oppression. Aucune force de police au monde ne serait assez puissante pour te supprimer s'il y avait, dans ta vie quotidienne, seulement une étincelle de respect de toi-même, si tu avais la conviction intime que sans toi, la vie ne continuerait pas un seul jour. Est-ce que ton "libérateur" te l'a dit ? Non ! Il t'a appelé le "prolétaire du monde" mais il ne t'a pas dit que tu étais seul responsable de ta vie (et non de "l'honneur de la patrie"). Il faut que tu comprennes que tu as fait de tes petits hommes tes oppresseurs, que tu as martyrisé les grands hommes authentiques, que tu les as crucifiés, assassinés et laissé mourir de faim ; que tu n'as pas accordé une seule pensée à leur personne et à la peine qu'ils se sont donnée pour toi ; que tu n'as pas la moindre idée à qui tu dois les réalisations de ta vie. Tu répliques: "Avant de te faire confiance, je voudrais connaître ta philosophie de la vie !" Or, si je t'exposais ma philosophie de la vie, tu te précipiterais chez le procureur général, tu alerterais la "Commission des activité anti-américaines", le F.B.I, le Guépéou, la "Yellow Press", le "Ku-Klux-Klan", les "leaders des Prolétaires du Monde"... ou bien alors, tu prendrais simplement le large...
Je ne suis ni rouge, ni noir, ni blanc, ni jaune.
Je ne suis ni Chrétien, ni Juif, ni Mahométan, ni Mormon, ni polygame, ni homosexuel, ni anarchiste, ni boxeur.
J'embrasse ma femme parce que je l'aime et que je la désire, et non parce que je suis l'heureux propriétaire d'un certificat de mariage ou parce que je souffre de frustration sexuelle.
Je ne frappe pas les enfants, je ne vais pas à la pêche, je ne tue pas les chevreuils ou les lapins. Mais je suis un tireur d'élite et j'ai l'habitude de faire mouche.
Je ne joue pas au bridge et je ne donne pas de réceptions pour répandre mes théories. Si ma doctrine est juste, elle se répandra toute seule.
Je ne soumets pas mes oeuvres à quelque médecin d'un service d'état, à moins qu'il connaisse mieux la matière que moi. Et je décide seul qui a bien compris mes découvertes et ses prolongements. Je respecte toutes les lois raisonnables, mais je combats les lois dépassées ou déraisonnables (ne te précipite pas chez le procureur général, petit homme ; car il fait la même chose s'il est honnête).
Je voudrais que les enfants et les adolescents puissent connaître le bonheur et l'amour physique et en jouir sans le moindre danger.
Je ne pense pas qu'être religieux au sens fort et authentique du terme implique la destruction de la vie sexuelle et le rétrécissement et la paralysie du corps et de l'âme.
Je sais que ce que tu appelles "Dieu" existe réellement, mais sous une forme ne correspondant pas exactement à tes conceptions : comme énergie cosmique primaire dans l'univers, comme amour dans ton corps, comme honnêteté et sens de la nature en toi et autour de toi.
Je mettrais à la porte qui que ce soit qui, sous un prétexte fallacieux, s'introduirait chez moi en vue d'entraver mes recherches médicales ou pédagogiques sur les adultes et les enfants. Je lui poserais, devant n'importe quel tribunal, quelques questions très claires et très simples auxquelles il ne pourrait répondre sans perdre la face pour toujours. Car je suis un travailleur qui connaît les rouages internes de l'homme, qui sait ce qu'il vaut vraiment et qui désire que le travail gouverne le monde et non l'opinion que quelqu'un puisse avoir à propos du travail. J'ai une opinion personnelle, je sais distinguer entre le mensonge et la vérité dont je me sers tous les jours en guise d'arme, et que je nettoie après chaque usage.
J'ai très peur de toi, petit homme. Il n'en a pas toujours été ainsi. Car j'ai été moi-même un petit homme, parmi des millions d'autres petits hommes. Puis je suis devenu un savant et un psychiatre, et je me suis rendu compte combien tu es malade et combien ta maladie te rend dangereux. J'ai appris que c'est ta maladie émotionnelle et non une puissance externe qui t'opprime à toute heure de la journée, même si aucune pression extérieure ne s'exerce contre toi. Tu te serais depuis longtemps débarrassé des tyrans si tu étais toi-même animé d'une vie interne en bonne santé. Tes oppresseurs se recrutent dans tes propres rangs, alors qu'ils provenaient naguère des couches supérieures de la société. Ils sont même plus petits que toi, petit homme. Car il faut une bonne dose de bassesse pour connaître d'expérience ta misère et pour s'en servir ensuite pour mieux t'exploiter et mieux t'opprimer.

A suivre




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