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«Un pouvoir arbitraire et absolu, et un
gouvernement sans lois établies et stables, ne saurait s'accorder
avec les fins de la société et du gouvernement. En effet, les
hommes quitteraient-ils la liberté de l'état de nature pour se
soumettre à un gouvernement dans lequel leurs vies, leurs libertés,
leur repos, leurs biens ne seraient point en sûreté? On ne saurait
supposer qu'ils aient l'intention, ni même le droit de donner à un
homme, ou à plusieurs, un pouvoir absolu et arbitraire sur leurs
personnes et sur leurs biens, et de permettre au magistrat ou au
prince, de faire, à leur égard, tout ce qu'il voudra, par une
volonté arbitraire et sans bornes; ce serait assurément se mettre
dans une condition beaucoup plus mauvaise que n'est celle de l'état
de nature, dans lequel on a la liberté de défendre son droit contre
les injures d'autrui, et de se maintenir, si l'on a assez de force,
contre l'invasion d'un homme, ou de plusieurs joints ensemble. En
effet, supposant qu'on se soit livré au pouvoir absolu et à la
volonté arbitraire d'un législateur, on s'est désarmé soi-même,
et on a armé ce législateur, afin que ceux qui lui sont soumis,
deviennent sa proie, et soient traités comme il lui plaira. Celui-là
est dans une condition bien plus fâcheuse, qui est exposé au
pouvoir arbitraire d'un seul homme, qui en commande 100 000, que
celui qui est exposé au pouvoir arbitraire de 100 000 hommes
particuliers, personne ne pouvant s'assurer que ce seul homme, qui a
un tel commandement, ait meilleure volonté que n'ont ces autres,
quoique sa force et sa puissance soit cent mille fois plus grande.
Donc, dans tous les États, le pouvoir de ceux qui gouvernent doit
être exercé selon des lois publiées et reçues, non par des arrêts
faits sur-le-champ, et par des résolutions arbitraires : car
autrement, on se trouverait dans un plus triste et plus dangereux
état que n'est l'état de nature, si l'on avait armé du pouvoir
réuni de toute une multitude, une personne, ou un certain nombre de
personnes, afin qu'elles se fissent obéir selon leur plaisir, sans
garder aucunes bornes, et conformément aux décrets arbitraires de
la première pensée qui leur
viendrait, sans avoir jusqu'alors donné à connaître leur volonté,
ni observé aucunes règles qui pussent
justifier leurs actions. Tout le pouvoir d'un gouvernement n'étant
établi que pour le bien de la société, comme il ne saurait, par
cette raison, être arbitraire et être exercé suivant le bon
plaisir, aussi doit-il être exercé suivant les lois établies et
connues; en sorte que le peuple puisse connaître son devoir, et être
en sûreté à l'ombre de ces lois; et qu'en même temps les
gouverneurs se tiennent dans de justes bornes, et ne soient point
tentés d'employer le pouvoir qu'ils ont entre les mains, pour suivre
leurs passions et leurs intérêts, pour faire des choses inconnues
et désavantageuses à la société politique, et qu'elle n'aurait
garde d'approuver. »
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« Il est vrai, d'un autre côté, que les gouvernements ne
sauraient subsister sans de grandes dépenses,
et par conséquent sans subsides, et qu'il est à propos que ceux qui
ont leur part de la protection du gouvernement, paient quelque chose,
et donnent à proportion de leurs biens, pour la défense et la
conservation de l'État; mais toujours faut-il avoir le consentement
du plus grand nombre des membres de la société qui le donnent, ou
bien par eux-mêmes immédiatement, ou bien
par ceux qui les représentent et qui ont été choisis par eux. Car,
si quelqu'un prétendait avoir le pouvoir
d'imposer et de lever des taxes sur le peuple, de sa propre autorité,
et sans le consentement du peuple, il violerait la loi fondamentale
de la propriété des choses, et détruirait la fin du gouvernement.
En effet, comment me peut appartenir en propre ce qu'un autre a droit
de me prendre lorsqu'il lui plaira? »
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