Qualité
de bourgeois ; privilège, droit des bourgeois, classe possédante ;
qui fait travailler ; qui possède. On nommait autrefois :
bourgeoisie, le territoire même dont les habitants, sous le titre de
bourgeois, possédaient des privilèges en commun ; et la redevance
annuelle dont les bourgeois étaient chargés pour le prix de ces
privilèges.
Bourgeoisie
désignait la classe des habitants des villes, des bourgs, par
opposition à la classe des habitants de la campagne ; puis la classe
des roturiers par opposition à la classe des nobles.
Droit
accordé aux habitants d'un lieu, ou à ceux qui leur étaient
associés, de jouir, à certaines conditions, de privilèges communs.
La bourgeoisie ne pouvait être accordée qu'à des personnes libres.
Si on voulait l'accorder à des serfs, on les affranchissait
auparavant. L'homme affranchi n'en restait pas moins soumis à la
juridiction féodale. Plus tard, la politique royale dispensa de
cette condition : on put devenir bourgeois du roi sans relever du
seigneur sur les terres duquel on habitait. Ces bourgeois du roi, à
plusieurs reprises, apportèrent une aide puissante au roi, contre
les seigneurs ; aussi, en 1302, sous Philippe Le Bel, les députés
des villes vinrent siéger à côté de la noblesse et du clergé. La
bourgeoisie prit une telle importance, tant par ses organisations que
sa fortune que, lors des guerres avec l'Angleterre, ce sont des
bourgeois qui servirent d'otages, et non point les nobles ou le
clergé. La différence était grande pourtant, entre les bourgeois
et les nobles ; ceux-ci ne payaient pas d'impôts ; aussi, lorsque,
aux États Généraux de Tours, en 1484, les bourgeois demandèrent
l'impôt pour tous, un député de la noblesse put leur répondre : «
Personne n'ignore qu'elle est la division des États et des membres
de la nation. Par cette division, il est donné au clergé de prier
pour les autres, de conseiller, de prêcher ; à la noblesse de les
protéger par les armes et aux tiers-État de nourrir et d'entretenir
les nobles et les gens d'église, au moyen des impôts et de
l'agriculture. » L'importance de la bourgeoisie alla crescendo
jusqu'au XVIIIe siècle, jusqu'au jour où elle se sentit assez
forte pour prendre le pouvoir. Voici comment Agathon de Potter
explique, d'après Collins, l'évolution de la bourgeoisie.
«
L'aliénation du sol à une ou plusieurs familles commence aussitôt
après la fin de l'état nomade. Ce sol se trouve toujours transmis
héréditairement. Les familles qui se sont ainsi emparées du sol à
l'exclusion des autres, n'ont pu le faire que par ce qu'elles avaient
d'une manière quelconque, l'intelligence plus développée. Il est
facile de voir que, dès ce moment, ces familles peuvent: 1°
Monopoliser les développements de l'intelligence, à l'aide de leurs
propriétés ; 2° acquérir le pouvoir et la propriété, au moyen
des développements de leur intelligence. Au début de la forme
sociale actuelle, ― il s'agit de la forme relative à
l'appropriation individuelle du sol, ― le monopole des
développements de l'intelligence et celui de la propriété se
trouvent donc réunis dans la même classe, qui devient ensuite caste
par le fait de la transmission héréditaire de ces mêmes monopoles.
Cette caste se compose ainsi de despotes complets, de despotes tant
sous le rapport de l'intelligence que sous celui de la propriété de
nobles enfin ; et la féodalité, c'est la forme sociale dans
laquelle il y a une caste semblable, exclusivement relative à la
propriété du sol. Dans toute société féodale, il y a donc une
caste monopolisant au profit des siens le pouvoir et la propriété,
composée de nobles ; et une caste constituée par les esclaves ou le
peuple. Mais il en naît bientôt une troisième, formée par ceux
qui possèdent de la propriété, indépendamment du pouvoir. Les
nobles, par devoir, dédaignent tout travail manuel. « Qu'aucun
citoyen, dit Platon, ni même le serviteur d'aucun citoyen, n'exerce
de profession mécanique. Le citoyen a une occupation qui exige de
lui beaucoup d'étude et d'exercice : c'est de travailler à mettre,
et à conserver le bon ordre dans l'État. » Or, il y a du travail
manuel, mécanique, dans l'exploitation de la caste du peuple. Les
nobles sont donc obligés de confier ce travail à des esclaves,
auxquels ils transmettent un certain degré de pouvoir. Ils
choisissent naturellement pour cet emploi ceux dont l'intelligence
est le mieux développée ; ils développent même parfois
expressément l'intelligence de quelques-uns d'entre eux, afin de
pouvoir s'en faire mieux aider dans l'exploitation des masses. Ces
esclaves, auxquels est ainsi déléguée une certaine autorité,
deviennent dès lors des affranchis. Les affranchis, par le travail
et l'industrie que la caste privilégiée leur abandonne comme
ignobles, amassent, nécessairement, presque toute la richesse
mobilière productive ; d'autant plus que la propriété territoriale
leur est interdite autant que possible. Par la seule force de cet
état de choses, les affranchis deviennent de plus en plus nombreux.
Lorsque leur nombre les a rendus redoutables pour les nobles, contre
lesquels ils pourraient soulever le peuple à l'aide de l'action plus
directe et plus immédiate qu'ils exercent sur lui, il faut que la
caste des nobles, pour engager les affranchis à continuer à leur
profit commun, le système d'oppression établi, les admette au
partage des bénéfices du despotisme. C'est alors que les affranchis
privilégiés prennent le nom de bourgeois et deviennent caste
politique. La propriété bourgeoise se transmet, non par droit de
primogéniture, mais par simple hérédité, avec faculté d'aliéner.
Or, par suite de ces deux conditions, il arrive nécessairement
qu'une partie des affranchis se trouve privée de propriété. Et
ainsi il s'établit, parmi eux, deux divisions plus ou moins
tranchées : l'une de propriétaires, l'autre de prolétaires. Mais
les bourgeois ne se contentent bientôt plus de partager les
bénéfices de l'exploitation avec la classe supérieure ; ils
veulent tout avoir. Pour atteindre ce but, ils soulèvent, au moyen
de sophismes, la masse des exploités contre les nobles et le clergé,
et parviennent ainsi à les renverser. Il suffit, pour ôter toute
influence sociale à la noblesse, de lui enlever le privilège de la
propriété foncière, et d'abolir l'hérédité par primogéniture
quand elle existe. Les bourgeois, autrefois classe moyenne, tout à
la fois exploitante et exploitée, sont devenus classe supérieure ou
exploitante. Autrefois il y avait trois classes, il n'y en a dès
lors plus que deux. Le gouvernement nobiliaire a fait place au
gouvernement bourgeois. » (Colins, Science sociale,
Tome II, pages 249 et suiv.). Parvenue à ses fins en 1789, la
bourgeoisie ne fut réellement maîtresse de ses destinées qu'en
1830, après les « trois glorieuses ». Pendant quelques années,
premiers dans les écoles, novateurs dans les sciences, les
bourgeois, intelligents, firent faire un grand pas au progrès ; mais
le pouvoir les grisa, les affola ; le second empire ouvrit l'ère de
la décadence. Les théories bourgeoises portent en elles mêmes leur
destruction et l'heure de la classe prolétarienne va sonner. Le
bourgeois est aujourd'hui : un être borné, sans idéal, infect à
force de bassesse. C'est de lui que, pour le bien définir, Th.
Gautier a dit : « J'appelle bourgeois celui qui pense bassement ».
―
A. LAPEYRE.
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