samedi 3 mars 2018

Bolchévisme Partie 1 Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure


C’est depuis la révolution de 1917 que ce phénomène - le bolchevisme - acquit sa haute célébrité internationale. Avant cette époque, le nom de bolchevisme était à peine connu en dehors des milieux révolutionnaires « professionnels » russes, où il était considéré comme la fraction gauche du mouvement social démocrate du pays. Cependant, cette fraction représentait, avant la révolution déjà, un parti politique vigoureux, attaché avec des fils solides au mouvement ouvrier révolutionnaire, aspirant à le dominer, tout en se raillant aux mots d’ordre de révolution et de démocratie bourgeoises. La profondeur, l’élan prodigieux de la révolution russe de 1917, ont fourni à toute une pléiade de partis politiques un excellent terrain pour tenter la fortune, pour courir la chance, dans l’ambiance favorable d’un cataclysme social sans précédent dans l’histoire humaine. Le parti bolchevique fut un des partis formant cette pléiade. Lui aussi, il prit part à la course au bonheur.
L’effondrement complet du régime agraire et industriel de l’ancienne Russie - effondrement que laissait de plus en plus prévoir la marche ascendante de la révolution - obligea ce parti à changer brusquement sa tactique social-démocrate et le poussa à une hardiesse politique à laquelle il n’avait jamais osé songer avant : la prise du pouvoir politique, en s’appuyant sur un bouleversement social.
Le succès de la révolution lui permit de s’installer solidement au pouvoir et de s’adjuger une situation de maître de toute la révolution russe. Ce fait suggéra l’idée que le bolchevisme était l’aile gauche la plus révolutionnaire du mouvement ouvrier russe, laquelle a remporté la victoire sur le capitalisme.
Très répandue dans les milieux bourgeois et aussi dans certains milieux révolutionnaires peu au courant de la véritable situation des choses, soutenue, de plus, par une démagogie bien appropriée des bolcheviks eux-mêmes, cette idée est, pourtant, fondamentalement erronée.
Le bolchevisme est l’héritier direct et le porte-parole puissant, non pas des aspirations révolutionnaires de classe des ouvriers et des paysans, mais de la lutte politique qui fut menée, tout un siècle, par la couche des intellectuels démocrates russes (l’ « intelligentzia » démocratique) contre le système politique du tsarisme, en vue de conquérir pour elle certains droits politiques.
Pour pouvoir établir la généalogie ainsi que la nature sociale et de classe du il est indispensable de nous occuper, ne fut-ce que succinctement, du mouvement russe émancipateur en général.
Le mouvement révolutionnaire en Russie avança, durant des siècles, en deux courants séparés : l’un, plus jeune, sortit immédiatement du sein du labeur assujetti ; l’autre eut sa source dans les milieux intellectuels démocrates de la société russe, milieux qui s’étaient formés plus tard, qui jouissaient comparativement aux ouvriers et paysans, de privilèges sociaux et économiques considérables, mais étaient hostiles au régime politique du tsarisme, à cause de son absolutisme.
Le premier courant populaire du mouvement portait toujours un caractère social ; il était une révolte du monde de travail contre son asservissement social et tendait au renversement des bases mêmes de cet asservissement. Telle fut la fameuse révolte de Razine au XVIIe siècle, révolte qui faillit soulever des millions de paysans des régions de la Volga, du Don et autres contrées pour l’extermination des seigneurs agrariens et des nobles, au nom « d’un royaume paysan libre ». Une révolte analogue fut celle du XVIIIe siècle, guidée par Pougatchev. Le même caractère portaient les innombrables émeutes et insurrections paysannes de moindre envergure, à l’époque du servage. De même nature étaient enfin, par leur sens et leurs tendances, les vastes mouvements de grève accomplis par le prolétariat des villes se formant rapidement dans la deuxième moitié du XIXe siècle, - mouvements qui prirent en 1900-1903 des dimensions pan-russes.
L’autre courant du mouvement révolutionnaire russe, issu des milieux intellectuels démocrates, avait un caractère nettement politique. Son but fondamental et constant, était celui d’une transformation du système absolutiste du tsarisme en un système constitutionnel ou républicain démocrate. On peut considérer comme début de ce mouvement l’insurrection des « décabristes », le 14 décembre 1825, date à laquelle un groupe d’officiers, à la tête de quelques régiments qui leur étaient subordonnés, tentèrent de faire un coup d’Etat en faveur de la Constitution. L’insurrection fut noyée dans le sang par le tzar Nicolas I. Mais, une fois déclenché, le mouvement ne put pas être étouffé. Au contraire, les générations qui suivirent le continuèrent et l’approfondirent. Les étapes les plus remarquables de ce mouvement furent le « Narodnitchestvo » et le « Narodovoltchestvo ».
Le Narodnitchestvo (1860-1870) fut un mouvement dont le trait essentiel était une sorte de pèlerinage dans les couches profondes de la masse paysanne. Des milliers de jeunes gens appartenant aux classes privilégie abandonnaient leurs familles et leur carrière, rompaient avec leur classe, s’habillaient en paysans, ouvriers, etc., et s’en allaient vers la campagne paysanne afin d’y vivre et travailler en simples paysans, s’occupant en même temps de la propagande : ils cherchait à éveiller dans les masses paysannes l’intérêt pour mots d’ordre politiques, pour une révolution politique des intellectuels-démocrates.
Le Narodovoltchestvo fut l’apogée du mouvement révolutionnaire de l’« intelligenzia ». A cette époque le mouvement était devenu nettement socialiste par son caractère et ses mots d’ordre. Il produisit une magnifique série de natures héroïques qui, par leur idéalisme et le sacrifice de soi-même dans la lutte contre le tsarisme, s’élevèrent au-dessus des intérêts de caste de l’ « intelligenzia » et se rapprochèrent de aspirations plus vastes du labeur. Tels furent : Sophie Pérovskaïa et autres. L’organisation clandestine « Narodnaïa Volia » (La Volonté du Peuple) créée à cette époque (1879), livra un combat acharné contre le tsarisme. Ce combat, terminé par l’assassinat du tzar Alexandre II (le 11 mars 1881), amena la destruction de la « Narodnaïa Volia » et l’avènement d’un régime de réaction politique épouvantable sous le règne du tzar Alexandre III. Ce résultat était à prévoir, car le parti de la « Narodnaïa Volia » n’était qu’une petite organisation clandestine et conspiratrice qui, tout en exhortant les paysans à l’insurrection, n’avait pas pratiquement derrière elle des masses organisées et puissantes et était, par conséquent, obligée de se limiter à ses propres moyens, à sa seule action.
Les échecs de ces petites organisations d’un type conspirateur, et aussi la pénétration en Russie des idées du marxisme, finirent par créer dans les milieu intellectuels russes un nouveau courant qui voulut s’orienter, dans sa lutte contre le. tsarisme, non pas sur les masses paysannes pulvérisées, comme c’était le cas jusqu’alors, mais exclusivement sur le prolétariat des villes. - « La Révolution en Russie, réussira seulement comme un mouvement de la classe ouvrière ; sinon elle ne se produira jamais ». C’est ainsi que le nouveau courant formula, par la bouche de Plékhanov, son point de départ dans la lutte contre le tsarisme. Le jeune prolétariat des villes, qui venait de naître alors en Russie, offrit à ce mouvement un terrain propice. Le premier groupe social-démocrate (« groupe Libération du Travail ») fut fondé en 1880. Quinze à dix-huit ans après, presque tous les centres industriels de Russie possédaient déjà des organisations social-démocrates dirigées par des politiciens professionnels recrutés dans l’ « intelligenzia ».
Le premier Congrès de toutes ces organisations, qui aboutit à la création du Parti Ouvrier Social-Démocrate Russe, eut lieu en 1898. Quelques années après, une scission sérieuse s’était dessinée au sein du Parti. Au deuxième Congrès de Londres, en 1903, le Parti s’était fendu en deux courants opposés : la majorité gauche, et la minorité droite. La cause immédiate de la scission fut le fameux projet d’organisation proposé par Lénine. La majorité (en russe : bolchinstvo) des membres du Parti suivirent Lénine, d’où leur dénomination : bolcheviques, et le dérivé : « bolchevisme ». Ainsi, le terme ne fut qu’un hasard (« bolchevisme » du « bolchinstvo » = majorité). Cependant, un contenu tout à fait déterminé se cachait derrière ce terme de hasard.
L’idée fondamentale du bolchevisme, développée par Lénine, fut la suivante « La masse travailleuse n’est que la porteuse d’instincts de révolte d’une énergie révolutionnaire. De par sa nature même, elle est incapable d’un rôle organisateur, créateur. Elle n’est pas capable de tracer les voies de la révolution ni de créer les formes de la société future. Cette dernière tâche incombe au groupe de révolutionnaires éclairés, s’étant consacrés à l’idée de la révolution. Par conséquent, le premier devoir du Parti des révolutionnaires éclairés, est celui d’établir son hégémonie entière sur les masses. Cette hégémonie n’est possible qu’à la condition que le Parti lui-même soit construit sur le principe de la centralisation la plus sévère. Le Parti devra être un organisme au centre duquel fonctionnera un mécanisme très fin prenant toutes les dispositions vis-à-vis du Parti, ne tolérant aucun frottement, aucun grain de poussière. Ce mécanisme sera le Comité Central du Parti. Sa volonté et ses dispositions feront loi pour tout le Parti ».
Telle fut la thèse qui servit de base à la construction du Parti Bolchevique. Recrutant ses membres surtout parmi l’ « intelligenzia » révolutionnaire, les éduquant dans l’ambiance du « sous-sol » et des mesures conspiratrices extrêmes (une autre ambiance n’a jamais existé en Russie), leur greffant la psychologie spécifique de révolutionnaires professionnels, le bolchevisme préparait ainsi des cadres de gens prenant l’habitude de se considérer comme guides infaillibles du prolétariat, grâce à l’esprit éclairé et l’expérience révolutionnaire desquels seulement peut sortir l’émancipation des masses. C’était le chemin ouvert, droit, inévitable vers l’inauguration de la dictature, sur le Parti d’abord, sur les masses ensuite. En effet, le projet de Lénine qui brisa la social-démocratie russe en deux fractions, introduisait déjà le principe de la dictature dans les rangs du Parti.
Faisant l’analyse du livre de Lénine : Un pas en avant, deux pas en arrière, où étaient établies les bases de la tactique bolcheviste, Rosa Luxembourg écrivait : « .....il (le bolchevisme) est un système de centralisme ne s’arrêtant devant rien, dont les principes vitaux sont : d’une part, celui de délimiter, de séparer l’avant-garde organisée de révolutionnaires professionnels actifs, du milieu inorganisé, mais révolutionnairement actifs les entourant ; d’autre part, celui d’une discipline sévère et d’une ingérence directe, catégorique, décisive du Comité Central du Parti dans tous les gestes et actes de ce dernier. Il suffit, par exemple, de rappeler que, conformément à cette conception, (le bolchevisme), le Comité Central du Parti a le droit d’organiser tous ses comités locaux, par conséquent, de déterminer la composition personnelle de toute organisation de Genève et Liège jusqu’à Tomsk et Irkoutsk, d’imposer à chaque organisation les statuts élaborés au centre, de dissoudre ou de recréer ces organisations et, par conséquent d’influencer finalement et directement la composition même de l’instance suprême du parti : le Congrès. De cette façon, le Comité Central devient le noyau tout-puissant du Parti, tandis que toutes les autres organisations ne sont que ses organes exécutifs ». (Art. de Rosa Luxembourg : Neue Zeit, juillet 1904). Dès son origine, le Parti bolchevique établit, à son intérieur, la dictature du Comité Central. Peu après, cette dictature commença à se répandre aussi par-dessus les masses ouvrières.

Ainsi, sur le champ du mouvement révolutionnaire de l’ « intelligenzia » russe, apparut et se développa un parti politique puissant, basé sur le centralisme et la discipline les plus rigoureux, plein d’une foi inébranlable en son infaillibilité et aspirant de toute sa volonté à devenir le maître de tout le mouvement révolutionnaire russe. Ce parti succéda directement à ceux des étapes antérieures du mouvement révolutionnaire de l’ « intelligenzia » russe. Il était étroitement, immédiatement lié à tous ces mouvements. Tout le long de son existence, jusqu’à la révolution de 1917, il agissait sous les mots d’ordre qui étaient toujours typiques pour le mouvement de cette « intelligenzia » : la Constituante (Assemblée Nationale), République démocratique, Parlement, etc. Cette circonstance a une grande importance pour celui qui voudra apprécier le véritable rôle et les vraies intentions du bolchevisme dans la révolution russe.
Cependant, le courant populaire du mouvement révolutionnaire allait son chemin, se manifestant de temps à autre en des actes typiques d’un sens social. Dans la révolution de 1905-1906 déjà, les ouvriers et, surtout, les paysans, manifestèrent un intérêt très limité aux exigences politiques de la démocratie. Ils se signalèrent, d’autre part, par des actes d’un caractère social : les paysans, par la prise, de force, des domaines seigneuriaux ; les ouvriers, par la fondation, par endroits, des Soviets (Conseils) des députés ouvriers. L’une et l’autre action étaient l’expression de profondes tendances sociales et révolutionnaires inhérentes aux masses laborieuses et se distinguant nettement, par leur caractère, des tendances démocratiques. Les dix ans d’une réaction tsariste et agrarienne, qui suivirent la débâcle de la révolution de 19914-1917, ne firent que développer et fortifier ces tendances dans les masses.
Dans la révolution de 1917, après que le premier obstacle – l’absolutisme tsariste - eut été détruit, ces tendances se firent jour, avec toute l’énergie accumulée depuis des siècles, et formèrent un mouvement déterminé, inévitable des masses, dirigé, au fond, vers le renversement du régime agraire et industriel de la Russie. Malgré tous les efforts de nombreux partis démocratiques, y compris le parti social-démocrate et le parti socialiste-révolutionnaire, d’introduire les événements révolutionnaires de Russie dans les cadres d’une république démocratique bourgeoise, les paysans et les ouvriers se ralliaient au mot d’ordre puissant : « La terre aux paysans ! Les usines aux ouvriers ! » Oui, dès les premiers jours du bouleversement politique (mars 1917), le sort du régime agraire et industriel du pays était décidé. Toute la Russie ouvrière et paysanne se trouvait déjà en pleine activité reconstructive. Avec la force et la rapidité propres à l’action spontanée des masses, les Soviets des ouvriers et soldats députés furent créés, ceci en pleine connaissance de cause, dans toutes les villes. Dans toutes les usines, fabriques, entreprises de l’industrie manufacturière et extractive, des comités révolutionnaires furent créés, comme organes guidant et aidant les masses ouvrières dans leur action. Tout ceci se faisait indépendamment et en dehors des organisations politiques. Les paysans reprenaient de force, en acte révolutionnaire, les domaines des agrariens, et la « question agraire », discutée durant des dizaines d’années dans les programmes de différents partis politiques, trouva sa solution pratique dans les actes révolutionnaires des masses paysannes en mai, juin, juillet et août 1917. Les Soviets paysans se créaient dans les villages.
L’attitude des bolcheviks était, à ce moment, extrêmement hésitante. Leur groupe central guidant le parti, Lénine en tête, venait d’arriver de l’étranger où tous ses membres avaient séjourné durant la dernière huitaine d’années en qualité d’émigrés. Lénine voyait parfaitement bien que les événements ne s’arrêteraient pas au renversement du système politique du tsarisme, que les choses iraient plus loin. Mais, jusqu’où iraient-elles ? Ni Lénine ni ses camarades ne pouvaient le prévoir. C’est pourquoi, pendant les premiers mois qui suivirent le coup d’État de mars 1917, l’attitude des bolcheviks fut équivoque : d’une part, ils faisaient à moitié chorus avec les masses, se ralliant à leurs mots d’ordre sociaux ; d’autre part, ils ne rompaient pas complètement avec les mots d’ordres politiques de la bourgeoisie démocratique. (A ce moment, leur parti se nommait encore parti social-démocrate bolchevique). De là, leur attitude flottante, pas entière ; de là, leur mot d’ordre : « contrôle sur la production », substitué à celui des masses : « les usines aux ouvriers » ; de là aussi, leur mot d’ordre de l’Assemblée nationale constituante, en contradiction avec celui des masses : « la révolution sociale ».
Ce ne fut que plusieurs mois après - période critique et décisive, et lorsqu’il devenait de plus en plus évident que le bouleversement social était infaillible - ce ne fut qu’alors que les bolcheviks se décidèrent en faveur de ce bouleversement ; mais, comme nous le verrons tout de suite, dans l’unique but d’arriver au pouvoir, en mettant à profit ce bouleversement. Ce fut alors que Lénine changea le nom de son parti ; le baptisant « parti communiste » (au lieu de « parti social-démocrate »), cherchant ainsi à se séparer, en face des masses, de ses collègues de la droite – les social-démocrates mencheviques (minoritaires) et les socialistes-révolutionnaires - qui défendaient toujours le principe de la république démocratique bourgeoise et se compromettaient, tous les jours davantage, aux yeux des masses révolutionnaires. Ce fut alors que Lénine se mit à donner raison aux anarchistes, à parler de sa profonde parenté spirituelle avec eux, dans la négation du parlementarisme, de la démocratie, de l’étatisme (sous certaines réserves quant à ce dernier), de même que dans une série d’autres problèmes capitaux de la révolution sociale. Or, comme les événements ultérieurs vont le démontrer, son unique but était de trouver des alliés parmi les anarchistes et de s’assurer les sympathies des masses. Les mouvements des masses : ceux d’avant octobre et aussi celui d’octobre, tendant au renversement du système capitaliste en Russie, avaient besoin d’éléments qui pourraient les guider d’une façon déterminée, au point de vue idée et organisation, éléments qui aideraient ces mouvements à aboutir, et à atteindre le but des aspirations des masses : la construction d’un régime libre et égalitaire ouvrier et paysan. Cette tâche, de guider les mouvements des masses, appartenait, au fond, uniquement à l’anarchisme, vrai porteur des idées de la révolution sociale. Mais, grâce à leur manque habituel d’organisation, qui affaiblit le mouvement libertaire dans tous les pays, les anarchistes russes se montrèrent mal préparés et impuissants à remplir leur mission ; et l’action dirigeante, l’influence prépondérante sur les événements, dans l’espace du pays entier, avait, entre temps, passé aux bolcheviks. S’étant définitivement rangés du côté du bouleversement social, ces derniers déclenchèrent des attaques décisives contre le système capitaliste. Ils dirigèrent toutes leurs forces disponibles dans les profondeurs de la classe ouvrière et aussi dans l’armée. De là, ils menèrent une lutte acharnée contre la bourgeoisie et leur gouvernement (qui se nommait « provisoire révolutionnaire »). Ils avaient bien apprécié l’importance colossale et la puissance des Soviets des députés ouvriers, créés par les masses directement et devenus tout de suite forteresses du labeur dans sa lutte contre le capital. Ils déployèrent toute leur énergie pour les conquérir. Mais à ce moment déjà, ils substituèrent, à l’idée de la révolution sociale, celle du « pouvoir soviétique », ayant lancé le mot d’ordre : « Tous pouvoirs aux Soviets ! »
Au moment où la majorité des membres des soviets centraux étaient partisans du bolchevisme, les bolcheviks frappèrent le coup décisif : ils renversèrent le gouvernement de coalition socialiste-bourgeoise, s’appuyant sur les soviets comme organes dirigeants de la révolution. Le rôle capital du système des Soviet des ouvriers et soldats députés trouva plus tard son appréciation dans les paroles de Lénine qui dit que si les masses n’avaient pas créé les Soviets, jamais les bolcheviks ne seraient venus au pouvoir.
En conséquence de la révolution, le pouvoir se trouva naturellement entre les mains des bolcheviks devenus ses guides principaux. L’action révolutionnaire des bolcheviks prit fin à ce moment-là et fut remplacée, consécutivement, par une activité nettement contre-révolutionnaire.
S’étant emparé du pouvoir, les bolcheviks s’employèrent méthodiquement à adapter le régime politique et social de tout le pays au régime de leur parti. Erigé sur les principes d’un centralisme absolu et d’une discipline militaire, ce parti devint le modèle, le tracé d’après lequel les bolcheviks commencèrent à construire le nouveau système économique et social de la Russie. Une gigantesque machine étatiste et bureaucratique se forma ainsi, qui se mit à guider, à diriger toute l’activité économique, politique et sociale de tout le peuple, à s’occuper de tous ses besoins, à contrôler toute sa vie, sa façon de penser, etc., etc.
C’est ainsi que le projet d’organisation proposé par Lénine en 1913, selon lequel la direction dictatoriale de toute la vie et de toute l’activité du Parti se concentrait entre les mains du Comité Central, était appliquée maintenant à l’échelle de toute la Russie révolutionnaire.

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