vendredi 30 mars 2018

Syndicalisme et socialisme Dernière partie


Les Caractères du Syndicalisme français

Par VICTOR GRIFFUELHES

Citoyennes et Citoyens,
C'est un fait incontestable que le syndicalisme français est devenu une puissance que tout le monde reconnaît. Une réunion comme celle de ce soir en est une preuve de plus. Notre ami Labriola nous a dit combien le syndicalisme italien s'inspire de nos méthodes et de nos idées, et notre ami Michels nous a exposé comment le socialisme, en Allemagne, ne pourrait renaître qu'en utilisant l'expérience du mouvement syndicaliste français. Il y a là un phénomène frappant. Et, pour clôturer cette réunion,je voudrais rechercher avec vous pourquoi notre action a ainsi forcé l'attention de nos camarades de l'étranger et quels sont les caractères essentiels du syndicalisme français.
Pour répondre à cette question, je ne pourrai mieux faire que de comparer notre action à celle des ouvriers allemands, dont Michels vient de nous entretenir. En opposant ainsi la classe ouvrière française à la classe ouvrière allemande, nous opposerons les deux incarnations les plus typiques du syndicalisme et du socialisme politique.Ce qui ressort avec le plus de netteté, c'est l'opposition existant entré l'action
syndicale en France et l'action syndicale en Allemagne. En Allemagne, il y a une masse de syndiqués; en France, il y a un syndicalisme, théorie qui résume et contient toute l'action ouvrière.
Michels nous a montré que les ouvriers allemands ont peur de compromettre par une politique trop audacieuse le vaste mais fragile édifice de leur organisation socialiste et syndicale. Il nous a exposé leur défiance de toute action hasardeuse et leur amour immodéré de la modération. C'est bien cela. L'ouvrier allemand a peur et il craint. Il a peur de s'aventurer, de risquer, de s'engager dans la lutte. Il craint toutes les forces d'ordre, d'autorité, de hiérarchie. Il a le respect timoré de ses maîtres.
Je me souviens de deux faits significatifs, que j'ai connus au cours du voyage que je fis à Berlin, lorsque, en présence des bruits de guerre, provoqués par la question marocaine, j'allais proposer, de la part des syndicats français, une action concertée aux syndicats allemands. Comme je visitais une exposition du travail à domicile, qui avait lieu en ce moment, mon attention fut attirée par un superbe coussin qui s'étalait derrière une vitrine et sur lequel resplendissait une belle inscription en or. Je demandai ce que cela signifiait. On me répondit que c'étaient les mots: Vive l'Empereur! Je ne pus m'empêcher de marquer ma stupéfaction. Les camarades allemands qui m'accompagnaient me répondirent alors que ce coussin était exposé par les syndicats chrétiens. Je ne pus qu'observer Mais vous marchez donc avec les syndicats chrétiens?. Un autre fait, non moins caractéristique, est le suivant Dans un banquet de clôture de la construction de je ne sais plus quelle église, les ouvriers du bâtiment qui y assistaient, et qui comptent pourtant parmi les plus révolutionnaires de Berlin, ne purent s'empêcher, à la fin, de se lever et de pousser avec les autres, le cri sacro-saint de Vive l'Empereur! Voilà, si je ne me trompe, des actes qu'on obtiendrait difficilement des ouvriers français.
Mais l'ouvrier allemand ignore ce que c'est que l'esprit libre et frondeur qui est notre marque distinctive, et il est toujours retenu par la peur et la crainte. Sa lourdeur d'esprit rend son action lourde, lente à s'exercer par contre, ce qui se passe en France. Ce qui caractérise, chez nous, l'ouvrier, c'est qu'il est audacieux et indépendant.Rien ne l'épouvante. Il est au-dessus de toute autorité, de tout respect, de toute hiérarchie. Devant un ordre du pouvoir, tandis que le premier mouvement de l'ouvrier allemand est d'obéir, le premier mouvement de l'ouvrier français est de se révolter. II résiste et proteste; il critique et s'insurge. Et il passe à l'acte, immédiatement. Il ne se demande pas, avant d'agir, si la loi lui permet ou non d'agir. Il agit et voilà tout. C'est là le sens pro- fond de l'action directe, qui signifie l'action personnelle des ouvriers, s'exerçant en dehors de toute considération légalitaire et de toute autorisation d'en haut. Comme l'ouvrier allemand est loin de cette désinvolture ! Tout acte est, chez lui, longuement prémédité, mûrement réfléchi. Il pèse le pour et le contre, voit si c'est permis ou défendu, tourne et retourne, si bien qu'il finit par ne pas agir du tout et à rester, sans possibilité d'en sortir, dans le cercle vicieux où il s'enferme lui-même. Et vraiment, si l'on examine les exigences de l'action voit toute la supériorité de la décision et de l'initiative française sur la prudence et la pesanteur allemandes. A trop réfléchir, on n'entreprend jamais rien. Il faut aller de l'avant, se laisser porter par sa propre impulsion naturelle, ne se fier qu'à soi-même et se dire que ce n'est pas à nous à nous adapter à la légalité, mais à la légalité à s'adapter à notre volonté. Les objections que font de savants et sages intellectuels, à l'action spontanée et créatrice, nous laissent froids. Vraiment, étant données les complications de la vie moderne, comme tout se tient et dépend l'un de l'autre, on n'en finirait jamais d'examiner à la loupe chacune de nos moindres actions avant de la commettre. Et, d'ailleurs, on ne pourra jamais tout prévoir, si l'on commence à vouloir tout peser et repeser ! Là est l'originalité du syndicalisme français, qui ne connaît que l'action. Il ne se laisse pas paralyser, lui, par la peur et la crainte. Mais il attaque, il va par coups d'audace, prend ses ennemis prise par sur- et finit par triompher. C'est cette attitude décidée, cette audace incessante, cette énergie inlassable qui nous vaut, à cette heure, les coups du pouvoir. Le gouvernement le plus démocratique que nous ayons eu nous fait une chasse sans trêve et nous menace de toutes les persécutions. Je le regrette pour M. Clemenceau, mais il perdra son temps. Toutes ces poursuites,toutes ces persécutions, ne feront que nous fortifier, nous entraîner davantage à la lutte, et nous rendre plus redoutables pour ceux-là mêmes qui croient nous atteindre.


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