Si
la CGT maintient sa posture combative, sa direction
confédérale, par petites touches, s’installe de plus en plus dans
la duplicité. On pourrait ainsi résumer ce qui se joue depuis
l’accession de Bernard Thibault à la direction de la confédération
CGT. Son équipe doit tenir compte d’une culture du conflit ancrée
dans la base militante, mais ses orientations stratégiques donnent
de moins en moins de perspectives aux salarié(e)s.
Le
47e congrès est l’occasion d’une critique constructive de ses
orientations (“nouveau statut du travail salarié”, retraites…),
même si les batailles se mèneront sans doute davantage sur des
points de fonctionnement interne (réforme des cotisations) ayant des
conséquences politiques.
Que
penser du “nouveau statut du travail salarié”
?
Le
“nouveau statut du travail salarié” est devenu un thème central
dans la CGT, avant même de devenir, comme le proposent les textes du
47e congrès, “l’épine dorsal” de l’action du syndicat dans
le champ des salaires, de la formation, de l’emploi, de la santé,
de la retraite.
L’objectif,
à long terme, est que “tout salarié bénéficie, quelles que
soient les circonstances, d’un ensemble de droits individuels,
garantis au plan interprofessionnel, opposables à tout employeur et
transférables d’une entreprise à une autre: droit à
l’intégration dans un emploi, droit à la formation continue,
droit à
une
carrière professionnelle, droit au maintien d’un contrat de
travail en cas de suppression d’emploi, continuité des droits pour
le calcul de la retraite, droit à l’expression syndicale”.
Cet
ensemble cohérent de droits nouveaux donnerait naissance à une
“sécurité sociale professionnelle”, application concrète
du droit au travail inscrit dans la constitution de 1946, mais
effectif uniquement dans le statut de fonctionnaire. Par ailleurs le
financement de cette sécurité sociale professionnelle ne dépendrait
pas de la fiscalité et des finances publiques, mais bel et bien de
la cotisation sociale, prélevée directement sur la richesse créée.
Puisque la logique est saine, et que l’objectif est constructif, on
ne peut pas être “en soi” opposé à un tel axe revendicatif.
(...). Si l’on peut émettre des réserves sur cette nouveauté,
c’est moins du fait de son contenu, que des risques qu’elle fait
peser si une mauvaise utilisation en est faite.
Cette
nouvelle revendication, en effet, prend acte d’une défaite du
mouvement ouvrier face aux licenciements. Elle intègre en quelque
sorte l’idée que “le CDI à vie, c’est fini” et que la
“nomadisation” des salarié(e)s va aller croissant. Le nouveau
“statut du travail salarié” est donc la réponse apportée par
la CGT aux licenciements, au chômage et à la précarité.
Le
problème est qu’on dispose alors du volet offensif (en terme de
projet), d’une réponse aux licenciements, mais sans volet défensif
(interdiction des licenciements ? droit de veto des travailleurs ?).
Or dans l’urgence, c’est en premier lieu sur le volet défensif
que les travailleurs se mobilisent, pas sur le projet qui y est
articulé. (...). S’il ne s’appuie pas sur des revendications
immédiates, un tel “axe revendicatif” risque de désarmer les
travailleuses et les travailleurs.
Tâtonnements
autour de la défense des retraites
Une
même logique revendicative menace sur le dossier des retraites. (…)
Constatant qu'en entrant plus tard sur le marché du travail, avec de
plus en plus de périodes de chômage, il sera bientôt quasi
impossible pour un(e) salarié(e) de liquider une retraite à taux
plein, que ce soit à 40 annuités ou à 37,5, la CGT exige que le
calcul des droits à la retraite intègre également les périodes de
chômage et démarre à 18 ans. Et raille FO arc-boutée sur le mot
d’ordre des 37,5 annuités, mais discrète sur le montant des
retraites à l’arrivée.
Très
bien, mais il se glisse quelque chose de très inquiétant dans les
textes de congrès: la notion de défense des 37,5 annuités a du
coup disparu ! Encore une fois, c’est comme si la CGT se privait du
“volet défensif” ou, du moins, d’une revendication qui est un
repère essentiel pour les militant(e)s. Bon nombre d’entre
eux/elles s’inquiètent de cet escamotage jugé démobilisant et,
en tout cas, déstabilisant. On touche là au nœud du problème de
cette “méthode revendicative”, que ce soit pour les retraites ou
pour le nouveau statut du travail salarié: pour refonder l’assurance
chômage et l’assurance vieillesse à l’avantage des
travailleurs, il faut
un rapport de force considérable, similaire à celui qu’avait le
mouvement ouvrier à la Libération, quand fut mis en place
l’ensemble du système de sécurité sociale. Dans les situations
d’urgence actuelles, les salariés ont besoin de revendications
fédératrices et mobilisatrice, et pas uniquement de “projets”,
à moins que le “syndicalisme de propositions” ne se mue
définitivement en “syndicalisme d’expertise” décalé des
dynamiques de mobilisation. (...) Cela ne se fera pas sans mal. Il
existe des esprits vigilants à la base, qui voient d’un mauvais
oeil ces “tâtonnements” en termes d’orientation.
Réforme
des cotisations
(…)
Ce qui fait le plus débat à l’approche du congrès, c’est la
réforme des cotisations qui (…) prévoyait que si les syndicats de
base conservaient la maîtrise de leur trésorerie, les niveaux
intermédiaires, qui pèsent un poids politique dans la CGT,
devenaient d’une répartition de fait sous contrôle confédéral.
En cas de conflit, la direction aurait pu “assécher” les UD ou
les fédés contestataires. Devant les protestations, le projet a été
remodelé, (…) mais continue néanmoins de susciter des
oppositions, n’écartant pas le risque d’un recul de la vie
syndicale de proximité.
Et
maintenant ?
Les
tâtonnements, les hésitations sur la démarche revendicative
ne sont pas pour rassurer. Cependant elle ne sont menaçantes que
parce qu’il n’existe pas vraiment d’expression critique au sein
de la CGT, qui obligerait la direction confédérale à se
positionner plus clairement sur bien des points, et dénoncerait les
magouilles bureaucratiques qui ont cet été saboté la mobilisation
des cheminot(e)s ou des électriciens-gazier(e)s. La CGT ne
fonctionne pas encore comme la CFDT, à la hussarde et dans le mépris
total des militant(e)s de base. La façon dont la direction de la
fédération Mines-Energie a dû s’incliner devant les
protestations de la base sur le dossier des retraites à EDF-GDF,
montre que l’opposition n’est pas vaine. C’est d’une absence
de ligne directrice, davantage que d’une ligne réformiste
acharnée, que souffre la CGT. Dans ce contexte, les syndicalistes
libertaires ont non seulement la possibilité, mais surtout le
devoir, de se faire entendre.
A
Contre courant mars 2003
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