dimanche 25 mars 2018

Réflexions modestes sur le syndicalisme : Article 2 La CGT explore les voies du recentrage





Si la CGT maintient sa posture combative, sa direction confédérale, par petites touches, s’installe de plus en plus dans la duplicité. On pourrait ainsi résumer ce qui se joue depuis l’accession de Bernard Thibault à la direction de la confédération CGT. Son équipe doit tenir compte d’une culture du conflit ancrée dans la base militante, mais ses orientations stratégiques donnent de moins en moins de perspectives aux salarié(e)s.
Le 47e congrès est l’occasion d’une critique constructive de ses orientations (“nouveau statut du travail salarié”, retraites…), même si les batailles se mèneront sans doute davantage sur des points de fonctionnement interne (réforme des cotisations) ayant des conséquences politiques.

Que penser du “nouveau statut du travail salarié” ?

Le “nouveau statut du travail salarié” est devenu un thème central dans la CGT, avant même de devenir, comme le proposent les textes du 47e congrès, “l’épine dorsal” de l’action du syndicat dans le champ des salaires, de la formation, de l’emploi, de la santé, de la retraite.
L’objectif, à long terme, est que “tout salarié bénéficie, quelles que soient les circonstances, d’un ensemble de droits individuels, garantis au plan interprofessionnel, opposables à tout employeur et transférables d’une entreprise à une autre: droit à l’intégration dans un emploi, droit à la formation continue, droit à
une carrière professionnelle, droit au maintien d’un contrat de travail en cas de suppression d’emploi, continuité des droits pour le calcul de la retraite, droit à l’expression syndicale”.
Cet ensemble cohérent de droits nouveaux donnerait naissance à une “sécurité sociale professionnelle”, application concrète du droit au travail inscrit dans la constitution de 1946, mais effectif uniquement dans le statut de fonctionnaire. Par ailleurs le financement de cette sécurité sociale professionnelle ne dépendrait pas de la fiscalité et des finances publiques, mais bel et bien de la cotisation sociale, prélevée directement sur la richesse créée. Puisque la logique est saine, et que l’objectif est constructif, on ne peut pas être “en soi” opposé à un tel axe revendicatif. (...). Si l’on peut émettre des réserves sur cette nouveauté, c’est moins du fait de son contenu, que des risques qu’elle fait peser si une mauvaise utilisation en est faite.
Cette nouvelle revendication, en effet, prend acte d’une défaite du mouvement ouvrier face aux licenciements. Elle intègre en quelque sorte l’idée que “le CDI à vie, c’est fini” et que la “nomadisation” des salarié(e)s va aller croissant. Le nouveau “statut du travail salarié” est donc la réponse apportée par la CGT aux licenciements, au chômage et à la précarité.
Le problème est qu’on dispose alors du volet offensif (en terme de projet), d’une réponse aux licenciements, mais sans volet défensif (interdiction des licenciements ? droit de veto des travailleurs ?). Or dans l’urgence, c’est en premier lieu sur le volet défensif que les travailleurs se mobilisent, pas sur le projet qui y est articulé. (...). S’il ne s’appuie pas sur des revendications immédiates, un tel “axe revendicatif” risque de désarmer les travailleuses et les travailleurs.

Tâtonnements autour de la défense des retraites

Une même logique revendicative menace sur le dossier des retraites. (…) Constatant qu'en entrant plus tard sur le marché du travail, avec de plus en plus de périodes de chômage, il sera bientôt quasi impossible pour un(e) salarié(e) de liquider une retraite à taux plein, que ce soit à 40 annuités ou à 37,5, la CGT exige que le calcul des droits à la retraite intègre également les périodes de chômage et démarre à 18 ans. Et raille FO arc-boutée sur le mot d’ordre des 37,5 annuités, mais discrète sur le montant des retraites à l’arrivée.
Très bien, mais il se glisse quelque chose de très inquiétant dans les textes de congrès: la notion de défense des 37,5 annuités a du coup disparu ! Encore une fois, c’est comme si la CGT se privait du “volet défensif” ou, du moins, d’une revendication qui est un repère essentiel pour les militant(e)s. Bon nombre d’entre eux/elles s’inquiètent de cet escamotage jugé démobilisant et, en tout cas, déstabilisant. On touche là au nœud du problème de cette “méthode revendicative”, que ce soit pour les retraites ou pour le nouveau statut du travail salarié: pour refonder l’assurance chômage et l’assurance vieillesse à l’avantage des travailleurs, il faut un rapport de force considérable, similaire à celui qu’avait le mouvement ouvrier à la Libération, quand fut mis en place l’ensemble du système de sécurité sociale. Dans les situations d’urgence actuelles, les salariés ont besoin de revendications fédératrices et mobilisatrice, et pas uniquement de “projets”, à moins que le “syndicalisme de propositions” ne se mue définitivement en “syndicalisme d’expertise” décalé des dynamiques de mobilisation. (...) Cela ne se fera pas sans mal. Il existe des esprits vigilants à la base, qui voient d’un mauvais oeil ces “tâtonnements” en termes d’orientation.

Réforme des cotisations

(…) Ce qui fait le plus débat à l’approche du congrès, c’est la réforme des cotisations qui (…) prévoyait que si les syndicats de base conservaient la maîtrise de leur trésorerie, les niveaux intermédiaires, qui pèsent un poids politique dans la CGT, devenaient d’une répartition de fait sous contrôle confédéral. En cas de conflit, la direction aurait pu “assécher” les UD ou les fédés contestataires. Devant les protestations, le projet a été remodelé, (…) mais continue néanmoins de susciter des oppositions, n’écartant pas le risque d’un recul de la vie syndicale de proximité.


Et maintenant ?

Les tâtonnements, les hésitations sur la démarche revendicative ne sont pas pour rassurer. Cependant elle ne sont menaçantes que parce qu’il n’existe pas vraiment d’expression critique au sein de la CGT, qui obligerait la direction confédérale à se positionner plus clairement sur bien des points, et dénoncerait les magouilles bureaucratiques qui ont cet été saboté la mobilisation des cheminot(e)s ou des électriciens-gazier(e)s. La CGT ne fonctionne pas encore comme la CFDT, à la hussarde et dans le mépris total des militant(e)s de base. La façon dont la direction de la fédération Mines-Energie a dû s’incliner devant les protestations de la base sur le dossier des retraites à EDF-GDF, montre que l’opposition n’est pas vaine. C’est d’une absence de ligne directrice, davantage que d’une ligne réformiste acharnée, que souffre la CGT. Dans ce contexte, les syndicalistes libertaires ont non seulement la possibilité, mais surtout le devoir, de se faire entendre.


A Contre courant mars 2003

Aucun commentaire: