dimanche 25 mars 2018

Réflexions modestes sur le syndicalisme : Article 6 Sur le syndicalisme




Dans leur bulletin L’internationaliste, les camarades du GSI ont publié un texte sur le syndicalisme. Je le prendrai comme une base pour une discussion (…)sur le syndicalisme, même si ce texte n’a pas cette vocation. Ils écrivent que la CGT est l’organisation la mieux implantée et la plus nombreuse.
Je pense que ces affirmations sont hasardeuses. Peut-être que les départs de la CFDT suite aux grèves de mai juin 2003 vont changer la donne, mais il faut être prudent. La meilleure implantation, où ? Dans le secteur privé ou le secteur public ? C’est déjà une première chose importante à déterminer. Dans le secteur privé, où ? Plutôt les grosses entreprises ou les PME-PMI voire les TPE comme on dit ? Dans le secteur public : la fonction publique (et laquelle) ou les entreprises nationalisées ? L’implantation on doit aussi la voir en fonction de l’âge, des branches d’activité, du sexe. Je ne m’avancerai pas sur des réponses, il faut éviter ici les généralisations, il faut prendre cette question de l’implantation selon plusieurs facettes, en mettant d’abord en premier les faiblesses de cette implantation.
Concernant le nombre d’adhérents, je ne suis pas sûr que la CGT soit devant la CFDT. Les forces des uns et des autres demeurent faibles, dans le privé c’est le désert syndical. La confédération CFDT affirme être en tête, en affichant la “ transparence ” :mais les calculs sont basés sur une adhésion pour 8 timbres/an…alors qu’elle a un taux de cotisation par prélèvement automatique le plus élevé de toutes les confédérations ! Pourquoi pas calculer sur 6 timbres alors ? ! ! A la CGT, qui a longtemps nié la chute très forte de ses adhérents,c’est plus clair depuis quelques années, mais pas encore suffisamment.
On peut penser avoir de bonnes estimations à partir de travaux sérieux déjà publiés, mais mieux vaut être prudent, je ne pense pas qu’il soit pertinent de dire “ la CGT est en tête ” ou“ c’est la CFDT qui a le plus d’adhérents ”. Quant à FO, c’est la politique du secret qui prévaut encore. Les chiffres affichés ne correspondant pas du tout à la réalité.
L’article aborde la question de l’indépendance syndicale opposée à l’intégration du syndicalisme. Celle-ci trouve aujourd’hui un vecteur non négligeable dans la CES. L’alternative entre indépendance et intégration du syndicalisme est pluriséculaire. La CES trouve des relais dans tous les syndicats. Et la présence d’une bureaucratie avec un poids important est une donnée clé de cette alternative. On assiste alors à un aiguisement de l’affrontement entre ces deux conceptions, qui se traduisent dans diverses tentatives de recomposition. L’analyse ne me convient pas. Elle laisse penser que ceux qui s’opposent à la CES sont ceux qui défendent l’indépendance du syndicalisme, contre ceux qui
sont pour l’intégration. L’indépendance du syndicalisme ne se résume pas à l’indépendance vis à vis du patron.
Les principales organisations révolutionnaires (c’est elles qui se définissent ainsi) que
nous avons en France ne défendent pas l’indépendance syndicale. Oui, peut-être au niveau du discours, de ce qui relève de la rhétorique, des articles, des écoles de formation. Mais ce qui compte d’abord c’est la pratique. Et l’indépendance syndicale,
c’est vis à vis du patronat mais aussi vis à vis des appareils syndicaux et vis à vis des partis. Or ces organisations, dans la pratique, font de la politique d’appareil. Pourquoi ? Parce que cela permet de recruter pour LE parti, parce que cela permet de faire vivre LE parti,… Voilà pourquoi ces organisations ne peuvent pas être dans les syndicats une alternative aux appareils réformistes. Que fait le PT dans FO ? De l’indépendance syndicale ? Que fait lePT dans la CGT? Que fait LO dans la CGT ? Que fait la LCR dans la CGT, la FSU,SUD? De l’indépendance syndicale ou faire survivre un petit appareil quand on a réussi à avoir des places dans les syndicats ou des fédérations? Il ne suffit donc pas de tenir le discours dans les congrès contre la CES,… pour défendre l’indépendance syndicale. Et qui plus est, une question non abordée dans l’article, la démocratie syndicale. L’un ne va pas sans l’autre. Aussi, je pense que la division intégration/indépendance présentée dans cet article n’est pas pertinente, elle est abstraite. Je précise : combattre l’intégration, défendre l’indépendance syndicale, mais comment? Cela ne sera pas en se posant ainsi dans les syndicats, mais en répondant par des stratégies et tactiques syndicales, qui répondent à des enjeux syndicaux, et non pas à des intérêts de boutiques politiques. Est ce que cela tient à une divergence sur ce qu’est l’indépendance syndicale ? C’est ce que j’ai pour ma part compris. Mais il faudrait en discuter plus au fond. La question de la CUT, abordée à la fin de l’article, apparaît alors abstraite, comme celle de l’indépendance. Il est écrit qu’il faut rapprocher les militants quelles que soient leurs étiquettes par toutes les possibilités, et notamment au niveau européen. Car on n’a pas aujourd’hui de formule algébrique de la CUT à présenter, on ne peut qu’en proposer les contours. Oui,mais on fait quoi au fait ? Car l’article s’arrête là. Il faudrait justement discuter du concret : quelles initiatives ? Et dans quel but ? Pour la construction de la CUT ? Je suis très sceptique par rapport à des initiatives qui auraient ce but directement. Je suis convaincu que pour arriver à poser les pierres de la CUT, il faut éviter ce genre d’initiatives qui ne réuniront pas les syndicalistes de la base. C’est abstrait. Il faut répondre aux problèmes cruciaux et concrets d’abord. A quoi cela peut servir aujourd’hui une CUT ? Si on veut que ces débats ne concernent
pas toujours les mêmes initiés, il faudrait partir de ce qui préoccupe les travailleurs. Il faut sortir du débat d’idées.
Est-ce qu’aujourd’hui c’est l’inexistence d’une CUT qui est un problème ? Oui et non. Oui, car à n’en pas douter, nous serions, en principe, plus forts. En principe seulement. Car il y a bien une quasi-CUT en Allemagne, ainsi qu’en Angleterre ? Et cela change quoi ? Plus indépendant ? Moins intégré ? Il n’y a rien de magique à l’unité. Non, parce que la construction de la CUT ne se fera pas par des débats qui ne s’attaquent pas aux problèmes concrets du syndicalisme. C’est en y répondant que laCUTse construira.On va y venir. Le texte des camarades du GSI ne répond pas aux nécessités présentes : si on va se mettre dans les syndicats au débat en disant qu’il y a les pro-indépendance et les pro-intégration, et que cela se traduit directement dans les tentatives de recomposition, alors on laissera les recompositions aux apprentis “ recompositeurs ” de "gauche syndicale” face aux directions syndicales actuelles. Beau résultat avec la FGTE-CFDT ou avec les syndicats CFDT de la fédération Interco partis (enfin, au moins les dirigeants révolutionnaires) partis par exemple à la FSU (comme l’ex-CFDT de l’ANPE d’ailleurs qui a joué un peu le poisson pilote). On sait déjà qui va gagner, c’est le même match tous les dimanches. Petits appareils contre gros appareils, ce sont toujours des affaires d’appareils.
Alors de quoi faudrait-il s’occuper dans les syndicats ? De deux questions, au moins, qui ne sont pas assez voire jamais à l’ordre du jour des réunions syndicales:
l’interprofessionnel et le champ de syndicalisation.
Pour sûr cela ne vole pas très haut,mais cela permet au moins de débattre de la stratégie et des tactiques syndicales pour lutter contre la division de la classe des travailleurs. J’ai la faiblesse de penser que c’est essentiel. Pas la division vue par le petit bout de la lorgnette des sigles. Non, il s’agit de la division réelle des travailleurs imposée par le procès de production capitaliste, la division du travail… Les différents statuts, les différents contrats de travail, les différentes garanties, la sous-traitance. Et il s’agit surtout du désert syndical. On peut essayer de compter les points pour savoir qui est le plus “fort” aujourd’hui en termes d’adhérents, d’implantation.Cela n’a pas pour l’instant grand sens quand on se penche ne serait ce que dans le privé. Où en est, concrètement, réellement en terme d’expériences quotidiennes, de pratiques, de tactiques, d’investissement syndical de forces et de moyens,etc…l’interprofessionnel aujourd’hui en France ?
Que fait-on dans nos syndicats sur cette question? Non pas,que dit-on? Mais bien que fait-on ?Que font les syndicats du public, là où le droit syndical est le plus large et le moins risqué, dans les syndicats du public "tenus” par des “révolutionnaires” armés de tous les programmes possibles et les meilleurs du monde ? Que faisons-nous pour dégager du temps et des moyens pour des campagnes de syndicalisation dans le privé? Pour construire des Unions Locales, des comités interpros…réels ? Quels sont les syndicats, les militants révolutionnaires chevronnés qui utilisent une partie de leur temps syndical pour aller syndiquer des chômeurs à la porte des ANPE et des ASSEDIC ? On crève du corporatisme. Du côté du privé, des gros syndicats du privé, ce n’est pas forcément mieux, du moins à la hauteur du nécessaire. Or sans l’interprofessionnel nos ne remontrons pas la pente de la syndicalisation de masse(car parler de syndicalisme de masse c’est parler de ce qui n’existe pas encore) dans le privé comme dans le public. Alors que pouvons nous faire pour avancer ? Est-ce que c’est un vrai problème que celui de la faiblesse du syndicalisme interprofessionnel aujourd’hui en France?( Et ailleurs aussi certainement).
Autre question, celle du champ de syndicalisation. Encore un sujet qui ne fait la une de la presse d’extrême-gauche, ni de ses meetings ! (Je me focalise sur l’extrême-gauche, hein, parce que le fait qu’elle se désintéresse de ces questions syndicales centrales est symptomatique). Et pourtant, en voilà un sujet d’actualité.
Qui n’a pas à la bouche en réunion syndicale de mots assez durs pour dénoncer le patronat, le gouvernement,… qui instaurent jour après jour plus de précarité (dernières moutures : le RMA et le chèque emploi-entreprise). Mais est-ce qu’est pour autant posée la question du champ de syndicalisation, du syndicalisme d’industrie, comme une question centrale ? Le syndicat de ma boîte doit syndiquer quelle catégorie de personnel? Laisser de côté les intérimaires, les CES, les emploi jeunes, les sous-traitants…? Avoir des syndicats d’entreprise pour nous enfermer dans notre boîte ? Se conformer à la division imposée par le capital ? Celle-ci externalise la maintenance, le nettoyage,… divise l’entreprise en plusieurs entreprises, et que faisons-nous : merci patron, nous allons créer autant de syndicats d’entreprises ! C’est quoi le syndicalisme d’industrie?
Derrière cette question, c’est bien celle de l’unité des travailleurs sur leur lieu de travail. Pour sûr il ne s’agit pas des débats sur l’unité syndicale organique. Mais pour lui donner de la vie, il faut s’attacher au champ de syndicalisation. Et c’est une question qui est posée dans tous les syndicats. Et puis derrière le champ de syndicalisation, c’est quel type de syndicalisme nous voulons ? Pour servir à quoi ? Il ne s’agit pas que de l’unité des travailleurs sur leur lieu de travail,mais de la préparation des travailleurs à reprendre à leur compte la production, les services publics,…bref toutes les “industries”. Avoir une vision d’ensemble de sa branche d’activité, pour ne pas la laisser à une haute administration fut-elle représentante d’un Etat “ ouvrier ”. L’émancipation des travailleurs qui sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, j’ai la faiblesse de penser qu’elle se prépare par là aussi, tous les jours.
Quelques exemples sur cette question du champ de syndicalisation, car on pourrait faire de même avec celle de l’interprofessionnel. Agent Territorial Spécialisé des Ecoles Maternelles : vous savez ce sont ces dames (et oui c’est un métier féminin) qui
sont en classe, de façon permanente, avec les institutrices-eurs de la maternelle. Pourquoi donc ces personnes ne sont-elles pas syndiquées dans les mêmes syndicats que l’institutrice? Parce qu’elles ne relèvent pas de l’Education Nationale?Labelle affaire! Et les ATOS? Parce qu’ils ne délivrent pas un enseignement ? Et les enseignants des CFA? Syndicalisme d’industrie ou syndicalisme de corporations ? De métiers ? Pendant les grèves de mai-juin,on nous expliquait que la décentralisation des ATOS allait détruire des équipes pédagogiques. Mais pourquoi ne sont-ils pas dans les mêmes syndicats que les enseignants ? Parce que cette logique on peut l’appliquer partout. Prenons le cas de la formation professionnelle continue : il y a les syndicats de l’AFPA,et il y a les syndicats de chaque boîte de formation. Tous ces salariés ne font-ils pas partie de la même industrie ? Pourquoi un syndicat différent à chaque fois dans le même bassin d’emploi ? Je pourrais en dire autant pour ma pomme à l’ANPE:et les salariés des cabinets de recrutement, ceux des agences d’intérim,…Et pourquoi pas créer des syndicats de métiers à l’ANPE, car il y a bien différents métiers ? Rien que sur ma petite ville provinciale, il y a presque autant de salariés des agences d’intérim que d’agents ANPE. Mais aucun syndicat chez les premiers, complètement ignorés par les seconds. Pensez-vous, on va pas se mélanger, les patrons nous divisent déjà si bien ! ! Il y a quelques années SUD-PTT avait eu l’idée géniale de séparer ses syndicats locaux en deux(Poste et FranceTelecom) afin de s’adapter à la division administrative. Syndicalisme de lutte ou de négociation ?Cela n’a pas favorisé la solidarité des postiers pour leurs collègues de FT privatisée. Cela a freiné SUD-PTT dans la démarche de la syndicalisation des entreprises privées des télécoms et de la distribution. Il n’y a qu’à prendre aussi l’exemple de l’enracinement de l’équation à la CGT une entreprise = un syndicat. Les sous-traitants des entreprises automobiles situées sur le même bassin d’emploi que la “maison ”mère: autant de boîtes, autant de syndicats.
C’est pas si grave parce qu’en fait les syndicats s’occupent des salaires, des conditions de travail… et ils peuvent toujours se mettre ensemble de temps en temps ? Sauf que les résultats sont bons pour le patron : l’enfermement dans l’entreprise. Le syndicalisme d’entreprise, y contribue. Le syndicalisme de métiers ou
de corporations ne permet pas de construire les solidarités. Et plus fondamentalement,
mais cela est du ressort d’une conception précise du syndicalisme, s’adapter à la division capitaliste c’est ne pas lutter pour que les salariés acquièrent une vision d’ensemble de leur branche d’activité. Ce n’est pas préparer la reprise des industries par les travailleurs, ce à quoi le syndicalisme d’industrie doit contribuer. Non pas demain, mais tous les jours dès maintenant.
Donc si ces deux questions, l’interprofessionnel et le champ de syndicalisation, sont des questions pertinentes aujourd’hui (1er débat), on peut poser la question suivante (2ème débat) : A quoi sert la CGT ? A quoi sert FO?A quoi servent les SUD et les autres syndicats du G-10 ? A quoisert l ‘UNSA?A quoi sert la FSU? C’est à dire, pour sortir du piège des appareils, comment posons-nous ces questions et que faisons-nous pour y répondre dans tous ces syndicats (et d’autres) dans lesquels nous militons? Par exemple prenons l’Education. Il n’est pas rare d’entendre des camarades dire : à quoi ça sert SUD-Education ? Et oui, à quoi ça sert, si c’est pour faire la même chose que la FSU avec un discours plus “radical” (mais pas toujours d’ailleurs). Si c’est pour reproduire le syndicalisme de corporations ou de métiers, si c’est pour regarder de loin l’interprofessionnel.
Et c’est ce débat là qui a eu lieu au dernier congrès de SUD-Education. Par contre, si c’est pour répondre aux deux questions de l’interpro et du champ de syndicalisation, alors cela peut servir à quelque chose SUD-Education. Division ? Mais, à quoi ça sert la FSU ? Si c’est SUD-Education qui divise, qu’attendent ils ceux qui le disent pour aller à la CGT,ou à FO ou au SGEN-CFDT, bref dans une confédération ? La FSU comme fédération héritière de la FEN de 1948, attendant la réunification pour redevenir la fédération de l’éducation de la CUT ? C’est une position. Mais c’est une position sans base réelle désormais, 60 ans après.
Alors, pas aussi simple que cela ? Irréaliste que de décider :on se barre à la CGT? Bien sûr. Car poser la question ainsi, uniquement ainsi, c’est en rester à des logiques d‘appareils. Mais il faut alors s’attaquer concrètement, réellement, aujourd’hui de l’investissement militant des syndicats de la FSU dans l’interprofessionnel, et des champs de syndicalisation. Pas une question simple pour la FSU et les syndicats de l’Education Nationale, mais c’est la même chose pour la CGT, les SUD…
Voilà la meilleure façon, pour ne pas dire la seule, de sortir des grandes manoeuvres d’appareils syndicaux, plus ou moins grands, du sectarisme, et d’emm… sérieusement cette fois la bureaucratie (quelle qu’elle soit…). Parce que ce sont ces questions qui répondent aux problèmes des travailleurs. Si on ne s’attache pas à mettre ces questions au centre des débats et des pratiques sur le syndicalisme, alors je crains vraiment que la question de la CUT soit une discussion qui ne concernera pas les équipes militantes sur le terrain, que ce soit donc en fait une discussion formelle.


Michel Tommasini.

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