Dans
leur bulletin L’internationaliste, les camarades
du GSI ont publié un texte sur le syndicalisme. Je le prendrai comme
une base pour une discussion (…)sur le syndicalisme, même si ce
texte n’a pas cette vocation. Ils écrivent que la CGT est
l’organisation la mieux implantée et la plus nombreuse.
Je
pense que ces affirmations sont hasardeuses. Peut-être que les
départs de la CFDT suite aux grèves de mai juin 2003 vont changer
la donne, mais il faut être prudent. La meilleure implantation, où
? Dans le secteur privé ou le secteur public ? C’est déjà une
première chose importante à déterminer. Dans le secteur privé, où
? Plutôt les grosses entreprises ou les PME-PMI voire les TPE comme
on dit ? Dans le secteur public : la fonction publique (et laquelle)
ou les entreprises nationalisées ? L’implantation on doit aussi la
voir en fonction de l’âge, des branches d’activité, du sexe. Je
ne m’avancerai pas sur des réponses, il faut éviter ici les
généralisations, il faut prendre cette question de l’implantation
selon plusieurs facettes, en mettant d’abord en premier les
faiblesses de cette implantation.
Concernant
le nombre d’adhérents, je ne suis pas sûr que la CGT soit devant
la CFDT. Les forces des uns et des autres demeurent faibles, dans le
privé c’est le désert syndical. La confédération CFDT affirme
être en tête, en affichant la “ transparence ” :mais les
calculs sont basés sur une adhésion pour 8 timbres/an…alors
qu’elle a un taux de cotisation par prélèvement automatique le
plus élevé de toutes les confédérations ! Pourquoi pas calculer
sur 6 timbres alors ? ! ! A la CGT, qui a longtemps nié la chute
très forte de ses adhérents,c’est plus clair depuis quelques
années, mais pas encore suffisamment.
On
peut penser avoir de bonnes estimations à partir de travaux sérieux
déjà publiés, mais mieux vaut être prudent, je ne pense pas qu’il
soit pertinent de dire “ la CGT est en tête ” ou“ c’est la
CFDT qui a le plus d’adhérents ”. Quant à FO, c’est la
politique du secret qui prévaut encore. Les chiffres affichés ne
correspondant pas du tout à la réalité.
L’article
aborde la question de l’indépendance syndicale opposée à
l’intégration du syndicalisme. Celle-ci trouve aujourd’hui un
vecteur non négligeable dans la CES. L’alternative entre
indépendance et intégration du syndicalisme est pluriséculaire. La
CES trouve des relais dans tous les syndicats. Et la présence d’une
bureaucratie avec un poids important est une donnée clé de cette
alternative. On assiste alors à un aiguisement de l’affrontement
entre ces deux conceptions, qui se traduisent dans diverses
tentatives de recomposition. L’analyse ne me convient pas. Elle
laisse penser que ceux qui s’opposent à la CES sont ceux qui
défendent l’indépendance du syndicalisme,
contre ceux qui
sont
pour l’intégration. L’indépendance du syndicalisme ne se résume
pas à l’indépendance vis à vis du patron.
Les
principales organisations révolutionnaires (c’est elles qui se
définissent ainsi) que
nous
avons en France ne défendent pas l’indépendance syndicale. Oui,
peut-être au niveau du discours, de ce qui relève de la rhétorique,
des articles, des écoles de formation. Mais ce qui compte d’abord
c’est la pratique. Et l’indépendance syndicale,
c’est
vis à vis du patronat mais aussi vis à vis des appareils syndicaux
et vis à vis des partis. Or ces organisations, dans la pratique,
font de la politique d’appareil. Pourquoi ? Parce que cela permet
de recruter pour LE parti, parce que cela permet de faire vivre LE
parti,… Voilà pourquoi ces organisations ne peuvent pas être dans
les syndicats une alternative aux appareils réformistes. Que fait le
PT dans FO ? De l’indépendance syndicale ? Que fait lePT dans la
CGT? Que fait LO dans la CGT ? Que fait la LCR dans la CGT, la
FSU,SUD? De l’indépendance syndicale ou faire survivre un petit
appareil quand on a réussi à avoir des places dans les syndicats ou
des fédérations? Il ne suffit donc pas de tenir le discours dans
les congrès contre la CES,… pour défendre l’indépendance
syndicale. Et qui plus est, une question non abordée dans l’article,
la démocratie syndicale. L’un ne va pas sans l’autre. Aussi, je
pense que la division intégration/indépendance présentée dans cet
article n’est pas pertinente, elle est abstraite. Je précise :
combattre l’intégration, défendre l’indépendance syndicale,
mais comment? Cela ne sera pas en se posant ainsi dans les syndicats,
mais en répondant par des stratégies et tactiques syndicales, qui
répondent à des enjeux syndicaux, et non pas à des intérêts de
boutiques politiques. Est ce que cela tient à une divergence sur ce
qu’est l’indépendance syndicale ? C’est ce que j’ai pour ma
part compris. Mais il faudrait en discuter plus au fond. La question
de la CUT, abordée à la fin de l’article, apparaît alors
abstraite, comme celle de l’indépendance. Il est écrit qu’il
faut rapprocher les militants quelles que soient leurs étiquettes
par toutes les possibilités, et notamment au niveau européen. Car
on n’a pas aujourd’hui de formule algébrique de la CUT à
présenter, on ne peut qu’en proposer les contours. Oui,mais on
fait quoi au fait ? Car l’article s’arrête là. Il faudrait
justement discuter du concret : quelles initiatives ? Et dans quel
but ? Pour la construction de la CUT ? Je suis très sceptique par
rapport à des initiatives qui auraient ce but directement. Je suis
convaincu que pour arriver à poser les pierres de la CUT, il faut
éviter ce genre d’initiatives qui ne réuniront pas les
syndicalistes de la base. C’est abstrait. Il faut répondre aux
problèmes cruciaux et concrets d’abord. A quoi cela peut servir
aujourd’hui une CUT ? Si on veut que ces débats ne concernent
pas
toujours les mêmes initiés, il faudrait partir de ce qui préoccupe
les travailleurs. Il faut sortir du débat d’idées.
Est-ce
qu’aujourd’hui c’est l’inexistence d’une CUT qui est un
problème ? Oui et non. Oui, car à n’en pas douter, nous serions,
en principe, plus forts. En principe seulement. Car il y a bien une
quasi-CUT en Allemagne, ainsi qu’en Angleterre ? Et cela change
quoi ? Plus indépendant ? Moins intégré ? Il n’y a rien de
magique à l’unité. Non, parce que la construction de la CUT ne se
fera pas par des débats qui ne s’attaquent pas aux problèmes
concrets du syndicalisme. C’est en y répondant que laCUTse
construira.On va y venir. Le texte des camarades du GSI ne répond
pas aux nécessités présentes : si on va se mettre dans les
syndicats au débat en disant qu’il y a les pro-indépendance et
les pro-intégration, et que cela se traduit directement dans les
tentatives de recomposition, alors on laissera les recompositions aux
apprentis “ recompositeurs ” de "gauche syndicale” face
aux directions syndicales actuelles. Beau résultat avec la FGTE-CFDT
ou avec les syndicats CFDT de la fédération Interco partis (enfin,
au moins les dirigeants révolutionnaires) partis par exemple à la
FSU (comme l’ex-CFDT de l’ANPE d’ailleurs qui a joué un peu le
poisson pilote). On sait déjà qui va gagner, c’est le même match
tous les dimanches. Petits appareils contre gros appareils, ce sont
toujours des affaires d’appareils.
Alors
de quoi faudrait-il s’occuper dans les syndicats ? De deux
questions, au moins, qui ne sont pas assez voire jamais à l’ordre
du jour des réunions syndicales:
l’interprofessionnel
et le champ de syndicalisation.
Pour
sûr cela ne vole pas très haut,mais cela permet au moins de
débattre de la stratégie et des tactiques syndicales pour lutter
contre la division de la classe des travailleurs. J’ai la faiblesse
de penser que c’est essentiel. Pas la division vue par le petit
bout de la lorgnette des sigles. Non, il s’agit de la division
réelle des travailleurs imposée par le procès de production
capitaliste, la division du travail… Les différents statuts, les
différents contrats de travail, les différentes garanties, la
sous-traitance. Et il s’agit surtout du désert syndical. On peut
essayer de compter les points pour savoir qui est le plus “fort”
aujourd’hui en termes d’adhérents, d’implantation.Cela n’a
pas pour l’instant grand sens quand on se penche ne serait ce que
dans le privé. Où en est, concrètement, réellement en terme
d’expériences quotidiennes, de pratiques, de tactiques,
d’investissement syndical de forces et de
moyens,etc…l’interprofessionnel aujourd’hui en France ?
Que
fait-on dans nos syndicats sur cette question? Non pas,que dit-on?
Mais bien que fait-on ?Que font les syndicats du public, là où le
droit syndical est le plus large et le moins risqué, dans les
syndicats du public "tenus” par des “révolutionnaires”
armés de tous les programmes possibles et les meilleurs du monde ?
Que faisons-nous pour dégager du temps et des moyens pour des
campagnes de syndicalisation dans le privé? Pour construire des
Unions Locales, des comités interpros…réels ? Quels sont les
syndicats, les militants révolutionnaires chevronnés qui utilisent
une partie de leur temps syndical pour aller syndiquer des chômeurs
à la porte des ANPE et des ASSEDIC ? On crève du corporatisme. Du
côté du privé, des gros syndicats du privé, ce n’est pas
forcément mieux, du moins à la hauteur du nécessaire. Or sans
l’interprofessionnel nos ne remontrons pas la pente de la
syndicalisation de masse(car parler de syndicalisme de masse c’est
parler de ce qui n’existe pas encore) dans le privé comme dans le
public. Alors que pouvons nous faire pour avancer ? Est-ce que c’est
un vrai problème que celui de la faiblesse du syndicalisme
interprofessionnel aujourd’hui en France?( Et ailleurs aussi
certainement).
Autre
question, celle du champ de syndicalisation. Encore un sujet qui ne
fait la une de la presse d’extrême-gauche, ni de ses meetings !
(Je me focalise sur l’extrême-gauche, hein, parce que le fait
qu’elle se désintéresse de ces questions syndicales centrales est
symptomatique). Et pourtant, en voilà un sujet d’actualité.
Qui
n’a pas à la bouche en réunion syndicale de mots assez durs pour
dénoncer le patronat, le gouvernement,… qui instaurent jour après
jour plus de précarité (dernières moutures : le RMA et le chèque
emploi-entreprise). Mais est-ce qu’est pour autant posée la
question du champ de syndicalisation, du syndicalisme d’industrie,
comme une question centrale ? Le syndicat de ma boîte doit syndiquer
quelle catégorie de personnel? Laisser de côté les intérimaires,
les CES, les emploi jeunes, les sous-traitants…? Avoir des
syndicats d’entreprise pour nous enfermer dans notre boîte ? Se
conformer à la division imposée par le capital ? Celle-ci
externalise la maintenance, le nettoyage,… divise l’entreprise en
plusieurs entreprises, et que faisons-nous : merci patron, nous
allons créer autant de syndicats d’entreprises ! C’est quoi le
syndicalisme d’industrie?
Derrière
cette question, c’est bien celle de l’unité des travailleurs sur
leur lieu de travail. Pour sûr il ne s’agit pas des débats sur
l’unité syndicale organique. Mais pour lui donner de la vie, il
faut s’attacher au champ de syndicalisation. Et c’est une
question qui est posée dans tous les syndicats. Et puis derrière le
champ de syndicalisation, c’est quel type de syndicalisme nous
voulons ? Pour servir à quoi ? Il ne s’agit pas que de l’unité
des travailleurs sur leur lieu de travail,mais de la préparation des
travailleurs à reprendre à leur compte la production, les services
publics,…bref toutes les “industries”. Avoir une vision
d’ensemble de sa branche d’activité, pour ne pas la laisser à
une haute administration fut-elle représentante d’un Etat “
ouvrier ”. L’émancipation des travailleurs qui sera l’œuvre
des travailleurs eux-mêmes, j’ai la faiblesse de penser qu’elle
se prépare par là aussi, tous les jours.
Quelques
exemples sur cette question du champ de syndicalisation, car on
pourrait faire de même avec celle de l’interprofessionnel. Agent
Territorial Spécialisé des Ecoles Maternelles : vous savez ce sont
ces dames (et oui c’est un métier féminin) qui
sont
en classe, de façon permanente, avec les institutrices-eurs de la
maternelle. Pourquoi donc ces personnes ne sont-elles pas syndiquées
dans les mêmes syndicats que l’institutrice? Parce qu’elles ne
relèvent pas de l’Education Nationale?Labelle affaire! Et les
ATOS? Parce qu’ils ne délivrent pas un enseignement ? Et les
enseignants des CFA? Syndicalisme d’industrie ou syndicalisme de
corporations ? De métiers ? Pendant les grèves de mai-juin,on nous
expliquait que la décentralisation des ATOS allait détruire des
équipes pédagogiques. Mais pourquoi ne sont-ils pas dans les mêmes
syndicats que les enseignants ? Parce que cette logique on peut
l’appliquer partout. Prenons le cas de la formation professionnelle
continue : il y a les syndicats de l’AFPA,et il y a les syndicats
de chaque boîte de formation. Tous ces salariés ne font-ils pas
partie de la même industrie ? Pourquoi un syndicat différent à
chaque fois dans le même bassin d’emploi ? Je pourrais en dire
autant pour ma pomme à l’ANPE:et les salariés des cabinets de
recrutement, ceux des agences d’intérim,…Et pourquoi pas créer
des syndicats de métiers à l’ANPE, car il y a bien différents
métiers ? Rien que sur ma petite ville provinciale, il y a presque
autant de salariés des agences d’intérim que d’agents ANPE.
Mais aucun syndicat chez les premiers, complètement ignorés par les
seconds. Pensez-vous, on va pas se mélanger, les patrons nous
divisent déjà si bien ! ! Il y a quelques années SUD-PTT avait eu
l’idée géniale de séparer ses syndicats locaux en deux(Poste et
FranceTelecom) afin de s’adapter à la division administrative.
Syndicalisme de lutte ou de négociation ?Cela n’a pas favorisé la
solidarité des postiers pour leurs collègues de FT privatisée.
Cela a freiné SUD-PTT dans la démarche de la syndicalisation des
entreprises privées des télécoms et de la distribution. Il n’y a
qu’à prendre aussi l’exemple de l’enracinement de l’équation
à la CGT une entreprise = un syndicat. Les sous-traitants des
entreprises automobiles situées sur le même bassin d’emploi que
la “maison ”mère: autant de boîtes, autant de syndicats.
C’est
pas si grave parce qu’en fait les syndicats s’occupent des
salaires, des conditions de travail… et ils peuvent toujours se
mettre ensemble de temps en temps ? Sauf que les résultats sont bons
pour le patron : l’enfermement dans l’entreprise. Le syndicalisme
d’entreprise, y contribue. Le syndicalisme de métiers ou
de
corporations ne permet pas de construire les solidarités. Et plus
fondamentalement,
mais
cela est du ressort d’une conception précise du syndicalisme,
s’adapter à la division capitaliste c’est ne pas lutter pour que
les salariés acquièrent une vision d’ensemble de leur branche
d’activité. Ce n’est pas préparer la reprise des industries par
les travailleurs, ce à quoi le syndicalisme
d’industrie doit contribuer. Non pas demain, mais
tous les jours dès maintenant.
Donc
si ces deux questions, l’interprofessionnel et le champ de
syndicalisation, sont des questions pertinentes aujourd’hui (1er
débat), on peut poser la question suivante (2ème débat) : A quoi
sert la CGT ? A quoi sert FO?A quoi servent les SUD et les autres
syndicats du G-10 ? A quoisert l ‘UNSA?A quoi sert la FSU? C’est
à dire, pour sortir du piège des appareils, comment posons-nous ces
questions et que faisons-nous pour y répondre dans tous ces
syndicats (et d’autres) dans lesquels nous militons? Par exemple
prenons l’Education. Il n’est pas rare d’entendre des camarades
dire : à quoi ça sert SUD-Education ? Et oui, à quoi ça sert, si
c’est pour faire la même chose que la FSU avec un discours plus
“radical” (mais pas toujours d’ailleurs). Si c’est pour
reproduire le syndicalisme de corporations ou de métiers, si c’est
pour regarder de loin l’interprofessionnel.
Et
c’est ce débat là qui a eu lieu au dernier congrès de
SUD-Education. Par contre, si c’est pour répondre aux deux
questions de l’interpro et du champ de syndicalisation, alors cela
peut servir à quelque chose SUD-Education. Division ? Mais, à quoi
ça sert la FSU ? Si c’est SUD-Education qui divise, qu’attendent
ils ceux qui le disent pour aller à la CGT,ou à FO ou au
SGEN-CFDT, bref dans une confédération ? La FSU comme fédération
héritière de la FEN de 1948, attendant la réunification pour
redevenir la fédération de l’éducation de la CUT ? C’est une
position. Mais c’est une position sans base réelle désormais, 60
ans après.
Alors,
pas aussi simple que cela ? Irréaliste que de décider :on se barre
à la CGT? Bien sûr. Car poser la question ainsi, uniquement ainsi,
c’est en rester à des logiques d‘appareils. Mais il faut alors
s’attaquer concrètement, réellement, aujourd’hui de
l’investissement militant des syndicats de la FSU dans
l’interprofessionnel, et des champs de syndicalisation. Pas une
question simple pour la FSU et les syndicats de l’Education
Nationale, mais c’est la même chose pour la CGT, les SUD…
Voilà
la meilleure façon, pour ne pas dire la seule, de sortir des grandes
manoeuvres d’appareils syndicaux, plus ou moins grands, du
sectarisme, et d’emm… sérieusement cette fois la bureaucratie
(quelle qu’elle soit…). Parce que ce sont ces questions qui
répondent aux problèmes des travailleurs. Si on ne s’attache pas
à mettre ces questions au centre des débats et des pratiques sur le
syndicalisme, alors je crains vraiment que la question de la CUT soit
une discussion qui ne concernera pas les équipes militantes sur le
terrain, que ce soit donc en fait une discussion formelle.
Michel
Tommasini.
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