Ainsi,
tu ne refuses pas seulement ton concours, mais tu troubles par pure
malice un travail qui est accompli dans ton intérêt et à ta
place. Est-ce que tu saisis pourquoi le bonheur t'échappe ? Pour
posséder le bonheur, il faut travailler, il faut le mériter.
Toi, tu ne songes qu'à dévorer ton bonheur ; c'est pourquoi il
t'échappe ; il ne tient pas à être dévoré par toi. Peu à peu,
le chercheur réussit à convaincre d'autres personnes de la valeur
pratique de sa découverte : on finit par croire qu'elle remédie à
certaines maladies mentales ; qu'elle guérit des ulcères ; qu'elle
permet de hisser des objets lourds, de faire sauter des rochers, de
pénétrer, par des rayons, la matière impénétrable. Tu ne crois
ces choses que quand tu les lis dans les journaux, car tu te méfies
de tes propres sens. Tu respectes ceux qui te méprisent, tu te
méprises toi-même ; c'est pourquoi tu ne fais pas confiance à tes
propres organes de perception. Mais quand une découverte figure dans
les journaux, tu arrives au grand galop. Tu qualifies l'inventeur de
"génie" après l'avoir traité hier d'imposteur, de cochon
sexuel, de charlatan, de danger pour la morale publique. Maintenant,
tu le sacres "génie". Tu ne sais pas définir le "génie".
Je sais, moi, que tu ne sais pas ce que c'est que le "Juif"
; pas plus que la "vérité" ou le "bonheur". Je
vais te dire, petit homme, ce que Jack London t'a dit dans son Martin
Eden. Je sais que tu as lu ce passage des centaines de fois, sans
jamais en saisir le sens profond : le "génie" est
la marque de fabrique que tu apposes sur tes produits quand tu les
mets en vente. Si l'inventeur (qui, pas plus tard qu'hier, était
encore un "sale cochon" ou un "fou") est qualifié
de "génie", tu peux plus facilement dévorer le bonheur
qu'il a fait naître. Car on voit arriver beaucoup de petits
hommes de ton espèce crier en choeur avec toi : "Génie, génie
!". Ils affluent de tous les côtés pour manger tes produits
dans ta main. Si tu es
médecin,
tu auras beaucoup plus de patients ; tu peux les aider mieux que
naguère et gagner beaucoup plus d'argent. "Eh bien, diras-tu
petit homme, il n'y a pas de mal à cela !". Certes, il n'y a
pas de mal à gagner honnêtement sa vie en faisant de la bonne
ouvrage. Mais il n'est pas normal de ne pas respecter la découverte,
de ne pas en prendre soin, de ne faire que l'exploiter. Et c'est là
précisément ce que tu fais ! Tu ne fais rien pour promouvoir la
découverte. Tu t'en empares d'un geste mécanique, goulu, stupide.
Tu n'en aperçois ni les limites ni les possibilités. Ta plate-forme
ne te permet pas d'en embrasser les possibilités ; quant à ses
limites, tu ne les perçois pas et tu les surestimes. Si tu es
médecin ou bactériologiste, tu sais que la fièvre typhoïde et le
choléra sont des maladies microbiennes, sans doute, tu chercheras
les micro-organismes susceptibles de provoquer le cancer, et tu
perdras ainsi des décennies en recherches vaines. Un jour, un grand
homme t'a montré que les machines obéissent à certaines lois ; tu
construis alors des machines pour tuer et tu t'imagines que la vie
est également une machine. Cette erreur, tu l'as traînée non à
travers trois décennies, mais à travers trois siècles ; des
concepts erronés se sont inévitablement enracinés dans des
milliers d'hommes de sciences ; pis, la vie elle-même a été
atteinte ; dès lors - à cause de ta dignité, de ta chaire de
professeur, de ta religion, de ton compte en banque ou de ta cuirasse
caractérielle - tu as persécuté, calomnié, ou intenté un procès
ou d'une manière ou d'une autre traumatisé ceux-là mêmes qui
s'étaient lancés sur les traces de la fonction vitale. Il est vrai
que tu tiens à avoir des "génies" et à les honorer. Mais
tes génies doivent être de bons génies, des génies
pondérés et officiels, sans idées démesurées - bref des génies
convenables, braves, conciliants - et non des génies fougueux
et indomptables qui renversent toutes les barrières, tous les
obstacles. Tu rêves de génies bornés, aux ailes rognées, à
l'allure civilisée, que tu puisses promener sans rougir en triomphe
par les rues de ta ville.
Voilà
comment tu es, petit homme ! Tu es capable de ramasser, de dévorer
et de puiser, mais tu es incapable de créer. C'est pourquoi
tu es ce que tu es, c'est pourquoi tu passes ta vie dans un bureau
devant une machine à calculer ou devant une planche à dessin, à
t'ennuyer à mort, ou affublé d'une camisole de force conjugale, ou
à instruire des enfants que tu détestes. Tu es incapable d'évoluer,
de concevoir une pensée nouvelle, car tu n'as jamais rien donné,
mais fait que prendre ce que d'autres t'ont présenté sur un plateau
d'argent. Tu ne sais pas pourquoi il en est ainsi, pourquoi il ne
saurait en être autrement ? Je suis à même de t'en dire la raison,
parce que je t'ai vu venir à moi, animal rigide, quand tu m'as
confié ton vide intérieur, ton impuissance, tes troubles mentaux.
Tu ne sais que ramasser et prendre, tu ne sais ni céder, ni donner,
car l'attitude fondamentale de ton corps est celle de la retenue,
du refus et du dépit ; tu es saisi de panique quand tu
sens le mouvement originel de l'AMOUR ou du DON de toi. C'est
pourquoi tu as peur de donner. Ton geste d'accaparer n'a
qu'une seule signification fondamentale : tu es forcé de te gorger
de nourriture, d'argent, de bonheur, de connaissances, car tu te sens
vide, affamé, malheureux, sans connaissances authentiques et sans le
vrai désir de savoir. C'est pourquoi tu prends la fuite devant la
vérité, petit homme. Car tu as peur qu'elle ne déclenche en toi un
réflexe d'amour. Elle te montrerait inévitablement ce que je suis
en train de te démontrer. C'est cela que tu veux éviter, petit
homme. Tu ne désires être qu'un consommateur et un patriote.
"Ecoutez-moi ça ! Le voilà qui attaque le patriotisme, rempart
de l'Etat et de sa cellule de base, la famille ! Il faut faire
quelque chose pour y mettre un terme" Voilà ce que tu hurles
quand quelqu'un te fait la démonstration de ta constipation
psychique. Tu ne veux pas écouter, tu ne veux pas savoir. Tu veux
crier "hourra" ! Fort bien, mais pourquoi ne me permets-tu
pas de t'expliquer calmement pourquoi tu es incapable d'être heureux
? Je vois la peur qui vacille dans tes yeux. Cette question semble te
préoccuper. Tu te dis partisan de la "tolérance religieuse".
Tu réclames pour toi la liberté d'adhérer à ta religion,
parfait. Mais tu vas plus loin : tu voudrais que ta religion soit la
seule admise. Tu es tolérant pour ta propre religion, tu n'es pas
tolérant pour les autres. Tu deviens fou furieux quand quelqu'un, au
lieu d'adorer un Dieu personnel, adore la nature et s'efforce de la
comprendre. Tu veux qu'un conjoint poursuive l'autre en justice,
l'accuse d'immoralité et de brutalité, s'il ne veut plus vivre avec
lui. Tu ne reconnais pas le divorce par consentement mutuel, petit
descendant de grands révolutionnaires ! Car ta propre obscénité
t'effraie. Tu voudrais qu'on te présente la vérité dans un miroir
où tu ne puisses t'en saisir. Ton chauvinisme est une conséquence
de la rigidité de ton corps, de la constipation psychique, petit
homme. Je ne dis pas cela pour te tourner en dérision, mais parce
que je suis ton ami. Même si tu tues tes amis quand ils te disent la
vérité. Regarde un peu tes patriotes ! Ils n'avancent pas, ils
marchent au pas. Ils ne détestent pas l'ennemi ; mais ils ont des
"ennemis héréditaires" qu'ils remplacent tous les dix ou
douze ans par d'autres; ils en font leurs "amis héréditaires"
et puis, après un certain temps, de nouveau leurs "ennemis
héréditaires". Ils ne chantent pas des chansons mais des
hymnes de guerre. Ils n'étreignent pas leurs femmes, il les
"baisent" tant de fois par nuit. Tu ne peux rien faire
contre ma vérité, petit homme ! Tout ce que tu peux faire c'est de
me tuer, comme tu as tué tes autres amis, Jésus, Rathenau, Karl
Liebknecht, Lincoln et j'en passe. Tu peux me "descendre",
comme on dit vulgairement. Mais à la fin, c'est toujours toi-même
qui "descends". Et cela ne t'empêche pas d'être un
"patriote".
Tu
aspires à l'amour, tu aimes ton travail, tu en tires ta subsistance
; ton travail se fonde sur mon savoir et sur celui d'autres hommes.
L'amour, le travail, la connaissance n'ont pas de patrie, pas de
tarifs douaniers, pas d'uniformes. Ils sont internationaux,
universels, et tout le monde les comprend. Mais tu préfères rester
un petit patriote, car tu as peur d'aimer, d'assumer tes
responsabilités, et tu as une peur bleue de connaître. C'est
pourquoi tu ne fais qu'exploiter l'amour, le travail et les
connaissances des autres : tu es incapable de tout effort créateur
personnel. Tu voles le bonheur comme un cambrioleur, la nuit ; tu
ne peux voir sans jalousie le bonheur des autres.
"Arrêtez
le voleur ! C'est un étranger, un immigré. Moi, je suis Allemand,
Américain, Danois, Norvégien !"
Halte-là,
petit homme ! Tu es, tu demeureras éternellement un immigré et un
émigré. Tu es venu en ce monde par accident, et tu le quitteras
sans crier gare. Tu hurles parce que tu as peur. Tu sens ton corps
qui se raidit, qui se dessèche. Voilà pourquoi tu as peur et
appelles la police. Mais ta police n'a aucune prise sur ma vérité.
Même ton policier vient à moi se plaindre de sa femme et de ses
enfants malades. Quand il endosse son uniforme, c'est pour cacher
l'homme qui est en lui ; mais de moi, il ne peut se cacher ; je l'ai
vu nu, lui aussi.
"Est-ce
qu'il s'est présenté à la Police ? Est-ce que ses papiers sont en
règle ? Est-ce qu'il a payé ses impôts ? Faites une enquête. Il
faut protéger l'Etat et l'honneur national !"
Oui,
petit homme. J'ai fait ma déclaration à la police, mes papiers sont
en règle, j'ai toujours payé mes impôts ! Ce qui te chagrine, ce
n'est pas le souci de l'Etat ou de l'honneur de la nation. Tu
trembles de peur que je ne puisse révéler ta vraie nature, telle
que je l'ai vue dans mon cabinet médical. C'est pourquoi tu essaies
de m'imputer à tort quelque crime politique pour me faire mettre en
prison pour des années. Je te connais, petit homme. Si tu es par
hasard un représentant du Ministère Public, c'est ton dernier souci
de protéger la loi ou le citoyen ; ce que tu cherches c'est un "cas"
te permettant de prendre de l'avancement. Voilà à quoi rêve un
petit procureur de la République ! Avec Socrate, ils ont fait la
même chose. Mais toi, tu ne sais pas profiter des leçons de
l'histoire : tu as assassiné Socrate ; et c'est pourquoi tu n'es
jamais sorti du bourbier. Oui, tu as assassiné Socrate et tu ne le
sais même pas. Tu l'as accusé de saper la moralité publique. Il
continue de la saper, petit homme. Tu as tué son corps, mais tu ne
peux tuer son esprit. Tu continues d'assassiner pour maintenir
l'"ordre", mais ta manière d'assassiner est lâche et
perfide. Tu n'oses me regarder dans les yeux quand tu m'accuses en
public d'immoralité. Car tu sais fort bien qui de nous deux est
immoral, pervers, obscène. Quelqu'un a dit un jour que parmi ses
nombreuses connaissances un seul homme n'a jamais fait une
plaisanterie scabreuse, et cet homme c'était moi.
Tu
as beau être un représentant du Ministère Public, un juge ou un
chef de la police, petit homme, je connais tes petites gauloiseries
et je sais d'où tu les tires. Aussi ferais-tu mieux de te taire ! Tu
réussiras peut-être à prouver que je dois cent dollars à mon
percepteur, que j'ai traversé la frontière d'un Etat des U.S.A. en
compagnie d'une femme, que j'ai parlé gentiment à un enfant dans la
rue. Dans ta bouche, chacune de ces accusations prend un accent
particulier, l'accent de la bassesse la plus obscène et la plus
équivoque. Et comme c'est tout ce que tu sais, tu t'imagines que je
suis comme toi : or, je ne te ressemble pas et je ne t'ai jamais
ressemblé en cette matière, petit homme !
Peu
importe que tu le croies ou non ; toi, tu as un revolver, moi j'ai la
science ! A chacun son rôle !
En
réalité, tu ruines ta propre vie, petit homme :
En
1924, j'ai proposé l'étude scientifique du caractère humain. Ta
première réaction a été l'enthousiasme.
En
1928, j'ai enregistré les premiers succès tangibles. Tu étais ravi
et m'as gratifié du titre de "spiritus rector".
En
1933, j'ai publié les résultats de mes recherches dans ta maison
d'édition. Hitler venait de prendre le pouvoir. J'avais apporté la
preuve qu'Hitler a pu s'emparer du pouvoir à cause de ta cuirasse
caractérielle. Alors tu as refusé de publier dans ta maison
d'édition le livre qui montrait comment tu produisais un Hitler.
Le
livre parut néanmoins et tu étais toujours enthousiaste. Mais tu as
essayé de faire le silence autour de mon ouvrage, parce que ton
"président" a déclaré qu'il le désapprouvait. C'est le
même qui a recommandé aux mères de réprimer les excitations
génitales des enfants en leur apprenant à retenir leur souffle.
Pendant
douze ans, tu as fait le silence autour d'un livre qui naguère
t'avait enthousiasmé. En 1946, il fut réédité. Tu l'as accueilli
comme un "classique". Encore aujourd'hui, tu es ravi de ce
livre.
Ainsi,
vingt-deux années mouvementées se sont écoulées depuis que
j'enseignais que le traitement individuel des maladies mentales est
bien moins important que leur prévention. Pendant vingt-deux
ans, je n'ai cessé de répéter que les gens tombent dans telle ou
telle folie, qu'ils se plaignent de ceci ou de cela, parce que leurs
corps sont raides, qu'ils sont incapables de donner l'amour ou d'en
jouir. Car, à la différence des autres animaux, ils sont incapables
de se donner entièrement et de frémir dans l'acte d'amour.
Vingt-deux ans après l'énoncé de mes thèses, tu racontes à tes
amis qu'il importe moins de traiter l'individu que de prévenir les
troubles mentaux. Et une fois de plus, tu agis comme tu as agi
depuis des millénaires : tu indiques l'objectif qu'il faut
atteindre, mais tu ne dis pas comment on peut y parvenir. Tu ne
fais pas mention de la vie sexuelle des masses. Tu prétends
"prévenir les troubles mentaux". Cela, n'importe qui peut
le dire ; c'est une affirmation inoffensive et respectable. Mais tu
veux y parvenir sans remédier à la misère sexuelle. Tu
évites même d'en parler ; tu n'en as pas le droit. Ainsi, comme
médecin, tu ne sors pas du bourbier. Que dirais-tu d'un technicien
qui parlerait de la technique du vol sans mentionner le moteur et
l'hélice ? C'est pourtant ce que tu fais, ingénieur de l'âme
humaine. Tu es un lâche. Tu veux retirer les raisins de mon gâteau,
mais tu ne veux pas prendre les épines de mes rosiers. Pendant ce
temps, tu te moques de moi et me qualifies, de "promoteur de
meilleurs orgasmes". Voilà ce que tu fais, petit psychiatre !
N'as-tu jamais entendu les cris des jeunes mariées violées par
leurs maris impuissants ? Ignores-tu l'angoisse des adolescents
crevant d'amour insatisfait ? Préfères-tu ta tranquillité à la
guérison de tes malades ? Combien de temps continueras-tu à placer
ta dignité avant ton devoir de médecin ? Combien de temps
continueras-tu d'ignorer que tes précautions tactiques coûtent la
vie à des millions d'êtres humains ? Tu préfères ta sécurité
à la vérité. Quand tu entends parler de l'orgone que j'ai
découvert, tu ne demandes pas : "Quel effet peut-il bien avoir
? Comment peut-il rendre la santé aux malades ?" Non, tu
demandes : "Est-ce qu'il est qualifié pour exercer la médecine
dans l'état du Maine ?" Tu ignores que tes petites patentes
peuvent tout au plus me gêner un peu, mais qu'elles sont incapables
d'arrêter mon œuvre. Tu ignores que je suis célèbre dans le monde
entier pour avoir découvert ta peste émotionnelle et ton énergie
vitale ; que pour prétendre me contrôler il faut d'abord en savoir
plus long que moi.
Parlons
de ton vertige de la liberté. Personne ne t'a jamais demandé,
petit homme, pourquoi tu étais incapable de conquérir la liberté
et pourquoi tu l'as aussitôt vendue à quelque nouveau maître si
d'aventure tu as pu y accéder.
"Ecoutez-moi
ça ! Il ose douter de la révolution des prolétaires de tous les
pays et de la démocratie !
A
bas le révolutionnaire et le contre-révolutionnaire !"
Ne
perds pas tes nerfs, petit Führer de tous les démocrates et
prolétaires du monde ! J'estime que ta liberté future réelle
dépend bien plus de la réponse à donner à cette seule
question que de centaines de "résolutions" votées par
tes Congrès du Parti.
"A
bas ! Il salit l'honneur de la nation et de l'avant-garde du
prolétariat révolutionnaire ! A bas ! Au poteau !"
Tes
hurlements ne feront pas avancer les choses, petit homme. Tu as
toujours cru que ta liberté était assurée si tu envoyais des
hommes au poteau. Tu ferais bien mieux de te regarder une fois
dans laglace.
"A
bas, à bas !"
Minute,
papillon ! Je n'ai pas l'intention de te traiter en quantité
négligeable, petit homme, je voudrais simplement t'expliquer
pourquoi tu es incapable de conquérir et de préserver ta liberté.
Cela devrait t'intéresser, je pense !
"A
bas !"
Bien,
je vais être bref. Je vais te montrer comment se comporte le petit
homme quand il a réussi à accéder à la liberté. Supposons que tu
sois étudiant dans une institution qui défend la liberté sexuelle
des enfants et des adolescents. Tu es enthousiasmé par cette "
merveilleuse idée" et tu désires participer à la lutte. Voici
comment les choses se sont passées dans ma maison : Les étudiants
étaient penchés sur leur microscope en train d'observer des bions
terrestres. Tu te tenais nu dans l'accumulateur d'orgone. Je t'ai
appelé pour que tu prennes part à nos travaux. Tu es sorti de ton
accumulateur et tu t'es montré dans le plus simple appareil aux
jeunes filles et aux femmes. Je t'ai aussitôt réprimandé mais tu
n'as pas compris. Je n'ai pas compris pourquoi tu n'as pas compris.
Plus tard, au cours d'une discussion prolongée, tu m'as dit que
c'était là ta manière de concevoir la liberté dans une
institution préconisant la santé sexuelle des petits enfants et de
chacun. Tu as bientôt compris que tu nourrissais un profond mépris
à l'endroit de l'institution et de son idée de base et que
c'était là la raison de ton attitude indécente. Un autre exemple
te fera comprendre comment tu compromets sans cesse ta liberté. Tu
sais, je sais, nous savons tous que tu vis dans un état d'excitation
sexuelle permanente ; tu regardes toute personne de l'autre sexe avec
convoitise, parler avec tes amis de l'amour, c'est pour toi faire des
plaisanteries scabreuses ; autrement dit, ton imagination se complaît
aux choses sales et pornographiques. Un soir, je t'ai entendu
hurler, avec tes amis : "Nous voulons des femmes !"
Pour
t'assurer un meilleur avenir, j'ai créé des organisations au sein
desquelles tu pouvais t'informer de la misère de ta vie et des
remèdes à apporter. Toi et tes amis veniez en foule aux réunions.
Pourquoi, petit homme ? J'avais d'abord pensé que tu désirais
sérieusement et honnêtement améliorer tes conditions de vie. Plus
tard, j'ai percé à jour tes mobiles véritables. Tu espérais
trouver un nouveau genre de bordel où tu pourrais trouver des filles
sans dépenser un sou. Ayant compris cela, j'ai dissous ces
organisations qui devaient pourtant t'aider à vivre. Ce n'est pas
parce que je crois qu'il y ait du mal à trouver une fille dans une
telle organisation, mais parce que tu y apportais un esprit ordurier.
Ainsi, ce fut la fin de ces organisations et, une fois de plus, tu
t'enfonçais dans ton bourbier... Tu voulais dire quelque chose ?
"C'est
la bourgeoisie qui a perverti le prolétariat. Mais les leaders
ouvriers y mettront le holà. Ils balaieront tout avec un balai de
fer. Et de toutes manières, le problème sexuel du prolétariat se
résoudra tout seul !"
Je
sais ce que tu veux dire, petit homme. C'est exactement ce qu'ils ont
fait dans la patrie de tous les prolétaires : ils ont laissé le
problème sexuel se résoudre "tout seul". Le résultat se
voyait à Berlin, quand les "prolétaires en armes"
violaient les femmes à longueur de nuit. Cela, tu le sais. Tes
"champions de l'honneur révolutionnaire", tes "soldats
du prolétariat mondial" t'ont déshonoré à tout jamais. Tu
dis que de telles choses arrivent "seulement en temps de guerre"
? Alors, je vais te raconter une autre histoire véridique : Un
Führer en herbe, gonflé d'enthousiasme prolétaire et dictatorial,
s'était passionné aussi pour l'économie sexuelle. Il vint me voir
et dit : "Vous êtes merveilleux ! Karl Marx a montré aux
masses comment se libérer au plan économique. Vous avez
appris aux gens à se libérer sexuellement". Vous leur
avez dit : "Allez et baisez à coeur joie !" Dans ta
bouche, tout cet art devient pervers, mon
étreinte
amoureuse se transforme en acte obscène. Tu ne sais même pas de
quoi je parle, petit homme.
Voilà
pourquoi tu t'enlises dans ton bourbier.
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