dimanche 25 mars 2018

Réflexions modestes sur le syndicalisme Article 4 : Un syndicalisme de lutte de classe ?





Débats et initiatives

Dans son analyse de mai-juin 2003 publiée dans Carré Rouge, François Chesnais observe fort justement que désormais la question décisive pour le mouvement social est celle de la confrontation entre les travailleurs et les appareils syndicaux. Le discrédit structurel des partis de gauche (en premier lieu ceux liés au gouvernement de la gauche plurielle- mais pas exclusivement) leur impuissance, incapacité ou absence délibérée de volonté de conduire une politique de défense du salariat oblige ce dernier à se battre lui-même et ne lui laisse que le seul terrain de l’action sociale pour préserver ses intérêts matériels et moraux. Le terrain électoral ? L’expérience de la Vème république aura montré que l’euphorie des soirées électorale gagnées annoncent les désillusions du lendemain et que les victoires (législatives, municipales, régionales, sénatoriales…) ne sont que le prélude aux défaites sociales et politiques !

Dans cette lutte acharnée pour la défense des intérêts du salariat, ce sont donc les organisations syndicales qui, bien malgré elles, se retrouvent en première ligne face aux attaques concertées des droites gouvernementales et patronales. Comme pouvait, dés 1995, l’écrire l’Encyclopédie des Nuisances dans ses Remarques sur la paralysie de décembre, «les beaux jours sont finis, les cogérants de la protection sociale doivent de nouveau gagner sur le tas leurs galons d’interlocuteurs représentatifs». Les salariés sont donc directement concernés par les orientations et décisions que prennent les syndicats. Mai-juin 2003 l’aura montré de manière dramatique: le mouvement contre la réforme des retraites aura en effet bien moins montré la (prétendue) faiblesse des organisations syndicales française que les ambiguïtés des directions confédérales (et de leurs relais locaux) et les tensions qui travaillent le monde syndical dans notre pays. Les enjeux d’une action syndicale anticapitaliste sont maintenant posés; ses perspectives se présentant après mai-juin 2003 de manière à la fois plus claires et plus vives. D’autant que se dessinent désormais très nettement les différents fronts de lutte qu’entendent engager le patronat et le gouvernement aussitôt après l’échéance électorale de mars: liquidation de la sécurité sociale, démantèlement des cadres d’organisation collective du salariat (statut pour la fonction publique et conventions collectives pour le secteur privé), privatisation des services publics.
La nécessité d’organiser un syndicalisme de lutte de classes se heurte à la difficulté d’élargir la base prête à s’inscrire dans un tel horizon. La rénovation des pratiques exige de rompre avec le corporatisme, l’esprit de boutique et les prestations de services clientèlaires qui dominent pour redonner un contenu interprofessionnel effectif à l’action syndicale : même si ce n’est que marginalement, il faut «faire bouger les lignes» ainsi que l’expérimente la démarche de Sud Education Val d’Oise qui s’efforce de réunir dans une même revendication militante l’ensemble des personnels (enseignants, agents techniques du public, personnel de nettoyage des sociétés privées) qui travaillent dans un même établissement.
Au corporatisme du mot d’ordre «à chaque patron son syndicat», Sud oppose «un site de production, un syndicat». Ce syndicalisme de lutte de classe oblige aussi à se prémunir et à rompre avec toute «phraséologie révolutionnaire », ces déclamations fiévreuses aussi prompte à stigmatiser le «réformisme» des uns qu’à déplorer l’absence de combativité des «masses» sur ses mots d’ordre révolutionnaires. La construction d’un front de résistance (un front unique comme disent les trotskistes) est une entreprise difficile. Elle exige de travailler l’unité d’action sur des revendications qui en même temps qu’elles renvoient à des réalités concrètes de la condition salariale sont en même temps des leviers pour ouvrir une brèche dans la domination de l’ordre social présent.
La défense intransigeante des conquêtes sociales et le projet de reconquête de ce qui a été entamé (les 37,5 pour tous par exemple, ou le trimestre de grâce) peuvent constituer la première étape d’une perspective offensive salariat (comme la revendication de l’extension du régime local d’assurance-maladie d’Alsace-Moselle à l’ensemble du salariat français : 90%pour tous !!!). La reconquête de l’indépendance syndicale nécessite enfin de combattre frontalement ou de saper les orientations majoritairement réformistes des appareils – et pas seulement au niveau des directions confédérales- qui contribuent à renforcer «l’intégration» du mouvement syndical au système de domination capitaliste. A cet égard, l’intégration des principales confédérations françaises à la CES consolident ce mouvement puisque c’est désormais (aussi) au niveau européen que les CGT, CFDT et FO cogèrent et co-légifèrent le démantèlement des conquêtes sociales (L’analyse du rôle pivot que joue la CES dans cette entreprise n’est plus à faire, mais elle reste à être rendue publique). La mise en œuvre d’un tel projet – un syndicalisme de lutte de classe de masse; un syndicalisme anti-corpo mais interpro à la base; un syndicalisme de combat pour l’autonomie du mouvement social - provoque de nombreux débats et a fait émerger plusieurs initiatives, dont il nous est déjà arrivé de rendre compte (cf. Appel interpro. Du bitterois, Appels de l’assemblée générale des travailleurs en lutte de Sud Ardèche…). Dans son numéro de janvier 2004, Courant Syndicaliste Révolutionnaire(1) examine les débats internes à plusieurs organisations syndicales et la manière dont se pose, pour chacune d'entre elles, un syndicalisme interprofessionnel de lutte de classes. Par ailleurs les 2 textes nous publions ici, l'un du Groupe Socialiste Internationaliste(2) et l'autre de Michel Tommasini, militant CGT, diffusé par la Lettre Liaisons(3) constituent les premières contributions à cette réflexion sur la manière d´organiser un mouvement social autonome. D'autres initiatives sont à relever comme, l'appel Interpro., la lettre ouverte de 121 militants à Bernard Thibault ou encore le manifeste des 500 sur lesquels nous reviendrons dès le prochain numéro.
Jean-MichelDelaye
1. Syndicaliste, Revue de Courant Syndicaliste Révolutionnaire, n°22, janvier 2004, - BP 9 95270 BELLOY
2. GSI, L´Internationaliste n° 50, décembre 2003, APIDO BP N 66, 94311 Orly Cedex
3. Lettre de Liaisons n° 84, liaisons@voila.fr

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