Débats
et initiatives
Dans
son analyse de mai-juin 2003 publiée dans Carré Rouge, François
Chesnais observe fort justement que désormais la question décisive
pour le mouvement social est celle de la confrontation entre les
travailleurs et les appareils syndicaux. Le discrédit structurel des
partis de gauche (en premier lieu ceux liés au gouvernement de la
gauche plurielle- mais pas exclusivement) leur impuissance,
incapacité ou absence délibérée de volonté de conduire une
politique de défense du salariat oblige ce dernier à se battre
lui-même et ne lui laisse que le seul terrain de l’action sociale
pour préserver ses intérêts matériels et moraux. Le terrain
électoral ? L’expérience de la Vème république aura montré que
l’euphorie des soirées électorale gagnées annoncent les
désillusions du lendemain et que les victoires (législatives,
municipales, régionales, sénatoriales…) ne sont que le prélude
aux défaites sociales et politiques !
Dans
cette lutte acharnée pour la défense des intérêts du salariat, ce
sont donc les organisations syndicales qui, bien malgré elles, se
retrouvent en première ligne face aux attaques concertées des
droites gouvernementales et patronales. Comme pouvait, dés 1995,
l’écrire l’Encyclopédie des Nuisances dans ses Remarques sur la
paralysie de décembre, «les beaux jours sont finis, les
cogérants de la protection sociale doivent de nouveau gagner sur le
tas leurs galons d’interlocuteurs représentatifs». Les
salariés sont donc directement concernés par les orientations et
décisions que prennent les syndicats. Mai-juin 2003 l’aura montré
de manière dramatique: le mouvement contre la réforme des retraites
aura en effet bien moins montré la (prétendue) faiblesse des
organisations syndicales française que les ambiguïtés des
directions confédérales (et de leurs relais locaux) et les tensions
qui travaillent le monde syndical dans notre pays. Les enjeux d’une
action syndicale anticapitaliste sont maintenant posés; ses
perspectives se présentant après mai-juin 2003 de manière à la
fois plus claires et plus vives. D’autant que se dessinent
désormais très nettement les différents fronts de lutte
qu’entendent engager le patronat et le gouvernement aussitôt après
l’échéance électorale de mars: liquidation de la sécurité
sociale, démantèlement des cadres d’organisation collective du
salariat (statut pour la fonction publique et conventions collectives
pour le secteur privé), privatisation des services publics.
La
nécessité d’organiser un syndicalisme de lutte de classes se
heurte à la difficulté d’élargir la base prête à s’inscrire
dans un tel horizon. La rénovation des pratiques exige de rompre
avec le corporatisme, l’esprit de boutique et les prestations de
services clientèlaires qui dominent pour redonner un contenu
interprofessionnel effectif à l’action syndicale : même si ce
n’est que marginalement, il faut «faire bouger les lignes» ainsi
que l’expérimente la démarche de Sud Education Val d’Oise qui
s’efforce de réunir dans une même revendication militante
l’ensemble des personnels (enseignants, agents techniques du
public, personnel de nettoyage des sociétés privées) qui
travaillent dans un même établissement.
Au
corporatisme du mot d’ordre «à chaque patron son syndicat», Sud
oppose «un site de production, un syndicat». Ce syndicalisme de
lutte de classe oblige aussi à se prémunir et à rompre avec toute
«phraséologie révolutionnaire », ces déclamations fiévreuses
aussi prompte à stigmatiser le «réformisme» des uns qu’à
déplorer l’absence de combativité des «masses» sur ses mots
d’ordre révolutionnaires. La construction d’un front de
résistance (un front unique comme disent les trotskistes) est une
entreprise difficile. Elle exige de travailler l’unité d’action
sur des revendications qui en même temps qu’elles renvoient à des
réalités concrètes de la condition salariale sont en même temps
des leviers pour ouvrir une brèche dans la domination de l’ordre
social présent.
La
défense intransigeante des conquêtes sociales et le projet de
reconquête de ce qui a été entamé (les 37,5 pour tous par
exemple, ou le trimestre de grâce) peuvent constituer la première
étape d’une perspective offensive salariat (comme la revendication
de l’extension du régime local d’assurance-maladie
d’Alsace-Moselle à l’ensemble du salariat français : 90%pour
tous !!!). La reconquête de l’indépendance syndicale nécessite
enfin de combattre frontalement ou de saper les orientations
majoritairement réformistes des
appareils – et pas seulement au niveau des directions confédérales-
qui contribuent à renforcer «l’intégration» du mouvement
syndical au système de domination capitaliste. A cet égard,
l’intégration des principales confédérations françaises à la
CES consolident ce mouvement puisque c’est désormais (aussi) au
niveau européen que les CGT, CFDT et FO cogèrent et co-légifèrent
le démantèlement des conquêtes sociales (L’analyse du rôle
pivot que joue la CES dans cette entreprise n’est plus à faire,
mais elle reste à être rendue publique). La mise en œuvre d’un
tel projet – un syndicalisme de lutte de classe de masse; un
syndicalisme anti-corpo mais interpro à la base; un syndicalisme de
combat pour l’autonomie du mouvement social - provoque de nombreux
débats et a fait émerger plusieurs initiatives, dont il nous est
déjà arrivé de rendre compte (cf. Appel interpro. Du bitterois,
Appels de l’assemblée générale des travailleurs en lutte de Sud
Ardèche…). Dans son numéro de janvier 2004, Courant Syndicaliste
Révolutionnaire(1) examine les débats internes à plusieurs
organisations syndicales et la manière dont se pose, pour chacune
d'entre elles, un syndicalisme interprofessionnel de lutte de
classes. Par ailleurs les 2 textes nous publions ici, l'un du Groupe
Socialiste Internationaliste(2) et l'autre de Michel Tommasini,
militant CGT, diffusé par la Lettre Liaisons(3) constituent les
premières contributions à cette réflexion sur la manière
d´organiser un mouvement social autonome. D'autres initiatives sont
à relever comme, l'appel Interpro., la lettre ouverte de 121
militants à Bernard Thibault ou encore le manifeste des 500 sur
lesquels nous reviendrons dès le prochain numéro.
Jean-MichelDelaye
1.
Syndicaliste, Revue de Courant Syndicaliste Révolutionnaire, n°22,
janvier 2004, - BP 9 95270 BELLOY
2.
GSI, L´Internationaliste n° 50, décembre 2003, APIDO BP N 66,
94311 Orly Cedex
3.
Lettre de Liaisons n° 84, liaisons@voila.fr
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