samedi 3 mars 2018

Bonhomme ( Jacques ) Encyclopedie Anarchiste Sébastien Faure


Jacques Bonhomme est le nom sous lequel on désigne souvent le paysan français, quand on veut faire ressortir la condition misérable qu'il dut jadis supporter. Taillable et corvéable à merci, Jacques Bonhomme fut un véritable esclave sur qui le Seigneur possédait tous les droits. Crevant souvent de faim, ne pouvant même pas disposer de sa personne, Jacques Bonhomme était moins considéré qu'une bête de labour. Et le degré d'avilissement du malheureux était devenu tel, qu'il supporta, pendant des siècles, son épouvantable situation. Il advint pourtant que, au cours du XIVe siècle (1358 - 1359), la misère et la souffrance du peuple des campagnes devinrent absolument intolérables. La famine sévissait avec une rigueur épouvantable et étendait un peu partout ses ravages ; les Anglais s'avançaient en vainqueurs à travers la France ; les paysans étaient réduits, pour ne pas mourir de faim, à se nourrir des herbes des champs. Le roi d'abord, les gentilshommes ensuite, rançonnaient impitoyablement les populations rurales. Aux murmures, aux plaintes, aux récriminations des malheureux pressurés à l'extrême, les seigneurs répondaient brutalement et en se moquant: « Bonhomme crie, bonhomme paiera. » Mais, exaspérés et révoltés par tant de froide cruauté, les paysans se groupèrent et se ruèrent en masse contre leurs bourreaux. Ce fut, alors, une effroyable boucherie de nobles, un carnage immense. Bientôt après, la lutte changea de face. Que pouvaient, en effet, des paysans épuisés par la fatigue et les misères, mourant de faim et sans autres armes que des socs de charrue, des fourches, des pelles et des pioches ? Que pouvaient-ils, malgré leur courage et la justice de leur cause, contre un ennemi entraîné aux choses de la guerre, bardé de fer, armé de pied en cap, en possession de forteresses crénelées, pouvant se réfugier dans ces sortes de nids d'aigle qu'étaient leurs manoirs, presque toujours haut perchés et dominant les alentours ? Aussi, à peine les nobles, s'étant à leur tour ligués, se prétèrent-ils un appui mutuel, que l'extermination des insurgés commença, pour ne s'arrêter que lorsque Jacques Bonhomme, meurtri, blessé, tué, torturé, pendu, fut complètement vaincu, écrasé. Le soulèvement des Jacques fut appelé du nom de ceux-ci, « Jacquerie », Après la défaite des Jacques, les paysans qui avaient survécu reprirent leur travaux et leur collier de servitude et de misère. Ils continuèrent à être, et de plus en plus, courbés sous le faix écrasant des tailles, aides, gabelles, dîmes et impôts de tous genres, jusqu'à ce que, ne se résignant plus à être plus maltraités, plus méprisés et plus pressurés que jamais, ils se révoltèrent à nouveau, firent la chasse à leurs maîtres, pillèrent leurs granges, incendièrent leurs châteaux et démolirent quelques-unes de leurs forteresses. Ce soulèvement de Jacques Bonhomme, à la veille de la prise de la Bastille, est magnifiquement décrit par Pierre Kropotkine, dans son livre remarquable « La Grande Révolution ». En 1789-1793, Jacques Bonhomme prit sa revanche : Suppression de la noblesse, renversement de la monarchie, triomphe du Tiers-Etat. Traqués à leur tour, obligés d'abandonner leurs terres et ne se sentant plus en sécurité dans leurs castels crénelés et fortifiés, détestés par leurs anciens vassaux, pourchassés par la Convention, les nobles émigrèrent en masse et, confisqués, leurs biens furent vendus au profit de la nation. Malheureusement, cette fois encore, Jacques Bonhomme fut odieusement berné. La bourgeoisie triomphante prit la place que la noblesse laissait vacante. Elle a, peu à peu, substitué la féodalité financière à la vieille féodalité. Pour celui qui cultive la terre sans la posséder, la situation ne s'est pas sensiblement améliorée. Il a, il est vrai, l'honneur discutable et l'avantage plus discutable encore d'être appelé, grâce au suffrage universel, à désigner, à choisir ceux qui le tondent et l'assujettissent, mais, en fin de compte, le sort du travailleur de la terre (voir : Agriculture, Travail agricole) est resté misérable. Quant Jacques Bonhomme prendra-t-il sa décisive, son ultime revanche ?

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