Jacques
Bonhomme est le nom sous lequel on désigne souvent le paysan
français, quand on veut faire ressortir la condition misérable
qu'il dut jadis supporter. Taillable et corvéable à merci, Jacques
Bonhomme fut un véritable esclave sur qui le Seigneur possédait
tous les droits. Crevant souvent de faim, ne pouvant même pas
disposer de sa personne, Jacques Bonhomme était moins considéré
qu'une bête de labour. Et le degré d'avilissement du malheureux
était devenu tel, qu'il supporta, pendant des siècles, son
épouvantable situation. Il advint pourtant que, au cours du XIVe
siècle (1358 - 1359), la misère et la souffrance du peuple des
campagnes devinrent absolument intolérables. La famine sévissait
avec une rigueur épouvantable et étendait un peu partout ses
ravages ; les Anglais s'avançaient en vainqueurs à travers la
France ; les paysans étaient réduits, pour ne pas mourir de faim, à
se nourrir des herbes des champs. Le roi d'abord, les gentilshommes
ensuite, rançonnaient impitoyablement les populations rurales. Aux
murmures, aux plaintes, aux récriminations des malheureux pressurés
à l'extrême, les seigneurs répondaient brutalement et en se
moquant: « Bonhomme crie, bonhomme paiera. » Mais, exaspérés
et révoltés par tant de froide cruauté, les paysans se groupèrent
et se ruèrent en masse contre leurs bourreaux. Ce fut, alors, une
effroyable boucherie de nobles, un carnage immense. Bientôt après,
la lutte changea de face. Que pouvaient, en effet, des paysans
épuisés par la fatigue et les misères, mourant de faim et sans
autres armes que des socs de charrue, des fourches, des pelles et des
pioches ? Que pouvaient-ils, malgré leur courage et la justice de
leur cause, contre un ennemi entraîné aux choses de la guerre,
bardé de fer, armé de pied en cap, en possession de forteresses
crénelées, pouvant se réfugier dans ces sortes de nids d'aigle
qu'étaient leurs manoirs, presque toujours haut perchés et dominant
les alentours ? Aussi, à peine les nobles, s'étant à leur tour
ligués, se prétèrent-ils un appui mutuel, que l'extermination des
insurgés commença, pour ne s'arrêter que lorsque Jacques Bonhomme,
meurtri, blessé, tué, torturé, pendu, fut complètement vaincu,
écrasé. Le soulèvement des Jacques fut appelé du nom de ceux-ci,
« Jacquerie », Après la défaite des Jacques, les paysans
qui avaient survécu reprirent leur travaux et leur collier de
servitude et de misère. Ils continuèrent à être, et de plus en
plus, courbés sous le faix écrasant des tailles, aides, gabelles,
dîmes et impôts de tous genres, jusqu'à ce que, ne se résignant
plus à être plus maltraités, plus méprisés et plus pressurés
que jamais, ils se révoltèrent à nouveau, firent la chasse à
leurs maîtres, pillèrent leurs granges, incendièrent leurs
châteaux et démolirent quelques-unes de leurs forteresses. Ce
soulèvement de Jacques Bonhomme, à la veille de la prise de la
Bastille, est magnifiquement décrit par Pierre Kropotkine, dans son
livre remarquable « La Grande Révolution ». En 1789-1793,
Jacques Bonhomme prit sa revanche : Suppression de la noblesse,
renversement de la monarchie, triomphe du Tiers-Etat. Traqués à
leur tour, obligés d'abandonner leurs terres et ne se sentant plus
en sécurité dans leurs castels crénelés et fortifiés, détestés
par leurs anciens vassaux, pourchassés par la Convention, les nobles
émigrèrent en masse et, confisqués, leurs biens furent vendus au
profit de la nation. Malheureusement, cette fois encore, Jacques
Bonhomme fut odieusement berné. La bourgeoisie triomphante prit la
place que la noblesse laissait vacante. Elle a, peu à peu, substitué
la féodalité financière à la vieille féodalité. Pour celui qui
cultive la terre sans la posséder, la situation ne s'est pas
sensiblement améliorée. Il a, il est vrai, l'honneur discutable et
l'avantage plus discutable encore d'être appelé, grâce au suffrage
universel, à désigner, à choisir ceux qui le tondent et
l'assujettissent, mais, en fin de compte, le sort du travailleur de
la terre (voir : Agriculture, Travail agricole) est
resté misérable. Quant Jacques Bonhomme prendra-t-il sa décisive,
son ultime revanche ?
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