dimanche 25 mars 2018

Réflexions modestes sur le syndicalisme : Article 9 : La Confédération Européenne des Syndicats, chape de plomb sur l’esprit de lutte




En 2003, un événement «syndical» est pratiquement passé inaperçu, et pourtant, du 26 au 29 mai, à Prague, étaient réunis, lors du 10ème Congrès de la Confédération des Syndicats européens, 650 délégués appartenant à 77 confédérations syndicales nationales, émanant de 35 pays.
Ce silence radio a pourtant une signification car, au cours de ce congrès, se jouait une partition que les travailleurs ne devaient pas entendre, celle d’une collusion manifeste entre le capital et les forces censées représenter le travail, pour mieux en accroître le taux d’exploitation. Curieuses effusions en effet : que Jacques Delors, lui qui a soutenu les contre-réformes sur les retraites, se fasse longuement ovationner peut paraître indécent, certes, mais que Valéry Giscard d’Estaing occupe longuement la tribune pour saluer «l’excellente participation et l’engagement dont a fait preuve votre dirigeant au sein de la Convention » adoptant le projet de Constitution européenne, laisserait supposer que l’on se trouve ailleurs, et bien non ! Et ce, malgré les multiples interventions susceptibles d’accroître le malaise.
Que le Président du patronat européen, le 1erMinistre tchèque, le Ministre du travail grec viennent palabrer doctement dans cette enceinte ne semblait pas effaroucher les congressistes … Les discours tenus, malgré langue de bois et euphémismes, furent pourtant clairs. Il s’agissait de l’avenir des syndicats, de leur accord pour la mise en œuvre de politiques de «modérations salariales», d’acceptation des contraintes externes, de la dure «loi de la concurrence» et des «exigences de la compétitivité entre Etats».
L’écrasement des salaires, les régressions sociales doivent en effet être admises avec l’assurance que la «paix sociale» sera maintenue. Le contexte n’est pourtant pas euphorique pour les délégués syndicaux, la «stratégie néo libérale » ou plus exactement de domination du capitalisme sauvage à dominante financière a déjà fait des ravages : le taux de syndicalisation a diminué partout, les travailleurs se reconnaissent de moins en moins dans ces syndicats qui sont incapables d’influer sur la répartition des richesses.
En 10 ans, de 1985 à 1995, pour ne prendre que quelques exemples, le taux de syndicalisation est passé de 47,7 % à 35,8 %, en Grande-Bretagne de 45,5 % à 32,9 %, en Allemagne de l’Ouest de 41,3 % à 28,9 % et en France de 14,5%à 9,1%1.

Pour comprendre la nature de ce Congrès de Prague, un retour en arrière s’impose. D’où vient la confédération européenne des Syndicats, telle est la première question à se poser, tout en cernant les rapports qu’elle entretient avec l’Union Européenne. Le Congrès de Prague même s’il a donné lieu à quelques contestations sur le programme imposé aux congressistes, ne constitue pas un tournant mais plutôt la confirmation d’une collusion manifeste entre un certain type de syndicalisme et le patronat européen.
Le programme de la CES est indéfendable, lourd de contradictions à venir, desquelles
pourrait émerger un autre type de syndicalisme.
I - Eléments d’histoire.

Origine. Fonctionnement.

La CES s’est créée tardivement, officiellement en 1973. Il faut se tourner vers ses géniteurs pour en saisir les particularités.

La Confédération Internationale des Syndicats Libres (CISL) qui s’oppose aux syndicats plus combatifs sous influence communiste regroupés dans la Fédération Syndicale Mondiale (FSM), fonde, en 1950, l’organisation régionale européenne des syndicats. Il s’agit en fait, par une proximité plus grande, d’accompagner le plan Marshall et, au delà de la prégnance américaine, de détourner les travailleurs de toute velléité révolutionnaire.
La période keynésienne semble s’y prêter ainsi que la montée en puissance des institutions européennes.
Deux ans après la création de la Communauté du charbon et de l’acier (CECA), un Comité des 21 syndicats affiliés se met en place, puis après le Traité de Rome (1958), est formé un secrétariat syndical européen. Tout se passe comme si la Communauté européenne générait, à côté d’elle, voire en son sein, une Confédération Européenne, acquise à la cogestion.
D’ailleurs, pour les syndicats ouvertement sociaux démocrates, comme en Allemagne, la nécessité de la lutte des classes pour obtenir satisfaction n’imprègne pas les esprits des salariés ; ils forment les gros bataillons de cette structure supranationale. Ce n’est qu’en 1974 que des syndicats d’obédience ou d’origine chrétienne (CFTC, CFDT) adhèrent à la CES. C’est donc au moment où la contre-révolution libérale commence son offensive et avant même la chute du mur de Berlin que ce regroupement de dirigeants syndicaux acquiert une réalité certaine. Ceux qui appartenaient à la FSM défunte ne tardent pas à la rejoindre, comme la CGT. De la cogestion, l’appareil est suffisamment intégré à une politique européenne pour passer
sans état d’âme à une politique d’accompagnement des politiques libérales.
D’autant que les statuts de la CES ne laissent percer aucune ambiguïté. La CES regroupe, non seulement les confédérations syndicales nationales affiliées, mais également les comités syndicaux européens, en d’autres termes, la bureaucratie intégrée depuis longtemps dans les institutions européennes. Ce syndicalisme de dirigeants et d’experts a donc, en quelque sorte, des mini ambassades de représentations qu’on veut bien leur octroyer dans les différentes commissions ad hoc. Ce mode de fonctionnement technocratique, coupé de la base, pénétré des idées de collaboration harmonieuse entre la capital et le travail, est totalement soumis aux impératifs de l’économie dont ils ne contestent pas la validité.
Sa dépendance financière, «partenariale », est d’ailleurs emblématique : 73,7 % de ses fonds proviennent de l’Union européenne, le reste des syndicats affiliés. Cette grande largesse des dominants doit donc être payée de retour.
D’ailleurs, dès le Traité d’Amsterdam (1997), la messe est dite : la langue de bois libérale ne doit pas faire illusion, il s’agit d’entamer un processus de renforcement de l’exploitation capitaliste des travailleurs. Afin de favoriser «un haut degré de compétitivité» et de «convergences », «la main d’œuvre doit être susceptible de s’adapter», «le marché du travail (doit) réagir rapidement aux changements économiques» et il convient, bien sûr ( !), de «moderniser les régimes de protection sociales, afin de les rendre plus favorables à l’emploi». Car, c’est bien connu, prouvé…la baisse des retraites, des prestations de santé pour les travailleurs, l’exonération des charges sociales pour les patrons, favoriseraient l’embauche ! On sait ce qu’il en est ! La régression sociale programmée et par conséquent la baisse du salaire indirect des travailleurs, n’ont qu’un sens, celui d’accroître les profits.
Comment se situe la CES dans cette configuration nouvelle par rapport à l’ère keynésienne, celle ouverte par l’Acte unique (signé en 1986, mis en œuvre au 1.1.1993), consacrant la libre circulation des marchandises et des capitaux, dans l’espace européen ? Quelle conception du syndicalisme entend-elle promouvoir face à l’attaque frontale du capital ?


II – La CES n’est pas une organisation syndicale (?)

Paradoxalement, malgré les syndicats qui y sont affiliés, la question mérite d’être posée. La définition que la CES donne d’elle-même, indépendamment de la politique suivie, est déjà très révélatrice : le syndicalisme est pour elle une «instance de régulation entre deux sphères, le public et le privé» qui «ne relève pas de la lutte des classes mais de l’institutionnalisation de la politique européenne», rien à voir donc avec la défense des intérêts collectifs de salariés qui seraient antagoniques avec ceux du patronat. Cette cogestion dans l’Union se déroule dans un lieu opaque, le «secrétariat des partenaires sociaux», créé «en collaboration avec les organisations d’employeurs et avec le soutien de la Commission européenne» (on ne peut mieux dire) qui se fixe comme but de promouvoir la domination du capital libéralisé ou pour
adopter la suffisance technocratique de la langue de bois des technocrates, « la cohérence de la gouvernance économique globale », c’est plus rassurant ! Mais, comme il faut bien faire référence à la réalité dramatique des licenciements boursiers,
l’on demandera aux travailleurs «leur participation (par l’intermédiaire de leurs syndicats) aux processus de restructuration y compris les fusions-acquisitions».

Comme l’interrogation sur la nature de cette Europe en construction est posée, avec de plus en plus d’acuité et d’ampleur via les luttes sociales, la persistance d’un chômage de masse, le développement de la précarité, Emile Gaboglio (2), dès 1997, se fit catégorique : «Abandonner Maastricht serait de la folie pure», car le protocole social de ce Traité serait une grande victoire. «Les partenaires sociaux et européens deviennent co-régulateurs dans le processus décisionnel», d’ailleurs les conventions collectives européennes (doivent) se substituer aux conventions nationales. La CES, en effet, comme l’Union Européenne, s’est dotée, sans consultation aucune des salariés des différents pays, d’un «rôle supranational », «semi-législatif» «garanti par les partenaires sociaux». En d’autres termes, et l’on va en mesurer les dégâts, les
accords cadres signés entre la CES et le patronat européen deviennent, automatiquement, des directives européennes.
Quant aux restructurations, aux privatisations, elles sont incontournables, tout comme les critères de convergence sont immuables… Sous les coups de boutoir des luttes, la présence de confédérations nationales en apparence plus combatives, la CES peut-elle évoluer ? Rien n’est moins certain. Le Congrès de Prague en est, d’une certaine façon, l’illustration.

III – Le Congrès de Prague, tournant ou confirmation des orientations libérales ?

Ce Congrès fut l’occasion, le 29 mai 2003, de remplacer l’équipe dirigeante. Ce fut une pure formalité. Emilio Gaboglio issu de l’Action catholique italienne, profondément opposé aux luttes sociales, ayant promu, inscrit dans la table de loi de la CES, l’activité de lobbying auprès des instances européennes, se retirait, de même son adjoint depuis 12 ans, Jean Lapayre de la CFDT. Les jeux de coulisse étaient fait ; ils furent remplacés par John Monks, secrétaire Général des TUC anglais, ayant pour adjoint Rainer Hoffmann du DGB, en fait un technocrate de cette organisation allemande qui, depuis des années, est détaché dans un institut de recherche syndical à Bruxelles. Gageons qu’il est un expert convaincu des «bienfaits » incontournables de la concurrence, des contraintes externes et de la nécessaire adaptation des travailleurs.
L’objet du Congrès était pourtant ailleurs. Il s’agissait d’adopter le programme d’actions de la CES. Le rapport d’activité de l’équipe sortante et la nature des amendements proposés au soi-disant programme en dit long sur la nature même de cette organisation et sur les contradictions-adaptations qui s’y sont exprimées.

Le rapport d’activité de la CES approuve à l’unanimité la stratégie européenne pour l’emploi qui doit être renforcée. Autrement dit, est accepté un document de la Commission Européenne, issu des discussions entre la CES et l’UNICE (3), daté du 8 avril 2003, qui précise :

«les Etats membres doivent promouvoir une organisation du travail plus flexible et réexaminer les réglementations du marché du travail…, la priorité (doit être)donnée à la réduction de la dette publique et à la réforme des systèmes de retraite et de santé».

Cette langue de bois, les salariés en ont appris la signification réelle : réduction du nombre de fonctionnaires, y compris dans les services sociaux et de santé publique, privatisation des services publics, voilà pour les moyens de réduire la dette auxquels s’ajoute la destruction des acquis sociaux par l’exonération ou la baisse des charges patronales visant à réduire le coût du travail au bénéfice des patronats européens. Les exploiteurs ne peuvent que se réjouir également de l’acceptation de leurs pratiques de licenciements boursiers, de délocalisations lucratives, les travailleurs doivent s’adapter…
En ces temps de régression et d’émergence des luttes, ce discours était difficilement acceptable. Le vent frais de la contestation est parvenu à souffler, à percer les murs dans lesquels étaient confinés les congressistes. Les représentants du DGB ont demandé un réexamen du pacte de stabilité. C’était dans la ligne de leur propre Gouvernement social libéral. Il n’empêche, cette motion majoritaire ne fut pas adoptée, elle ne parvint pas à recueillir les 2/3 des voix. Les statuts verrouillent la démocratie pour que rien ne change. D’autres minorités se sont fait entendre : les syndicats belges ont proposé de soustraire les services publics aux règles de la concurrence. REJETE. Ils ont proposé également, timidement, de «prévoir la possibilité d’un retour du régime de propriété privée au public». REJETE. Sur la voie du libéralisme, aucun retour en arrière n’est possible. FO a demandé que la CES soit indépendante des institutions de l’Union européenne. REJETE.
Quant aux syndicats français, leurs positions mériteraient d’être divulguées largement. Entre camouflage des desseins de la CES et surenchère libérale, on se demande si certains «syndicalocrates » ne visent pas des postes de responsabilité au sein de l’Union européenne.
La CGT, la CFDT et l’UNSA, d’un commun accord, ont en effet proposé de remplacer dans un amendement des termes qui pourraient choquer les salariés qu’ils sont censés représenter ; ils ont obtenu satisfaction : «Défendre le cadre juridique de l’Union européenne par l’instauration de fonds de pension professionnels» a disparu au profit «d’institutions de retraites professionnelles », termes utilisés comme synonyme dans de nombreux documents de la CES. Au delà de l’hypocrisie et du camouflage, les pudeurs des représentants de ces organisations dissimulent la volonté de se transformer demain en gestionnaires des fonds de pension, moyen pour eux de s’intégrer dans le capitalisme financier prévaricateur et de sauvegarder leurs appareils en déliquescence de représentativité.
D’autres amendements de ces organisations démontrent, si besoin en était, leur souci de reconnaissance.
Pour certains, comme la CGT, leur passé récent leur colle trop à la peau. Ainsi, cet amendement de complaisance appelant au « renforcement des services d’intérêt général », notion très chère à la Commission comme arme de guerre contre les services publics étatisés, tout cela enrobé bien évidemment d’une pétition de principe sans importance, mais qui confère le label de progressiste. En effet, ce renforcement des services d’intérêt général est censé, dans le cadre de l’élargissement de l’Europe, «contribuer au progrès économique et social, ainsi qu’à l’amélioration des conditions de vie et de travail».
Dont acte, le souffle de la contestation n’est qu’un mince filet d’air dans une atmosphère de putride collaboration. La CES reste instrument social libéral dont la finalité consiste à faire accepter la régression sociale dans l’espace européen et en aucune manière un moyen de lutte contre la machine de guerre qu’est l’Union Européenne élargie.


IV – La CES, instrument de combat du social-libéralisme

L’habillage idéologique est une nécessité pour l’instauration du capitalisme rentier, spéculatif, pour assurer sa suprématie et, dans une «relative paix sociale », anesthésier les consciences pour leur faire accepter volontairement leur servitude.
L’emploi abusif de notions pseudo-scientifiques, telles que modernité, adaptation ou d’euphémismes se substituant à licenciements, chômage, tels que les «sorties et retours sur le marché du travail », révèle bien la tentative cynique de faire admettre, comme un fait inéluctable la «nécessaire» destruction des acquis collectifs. Les citations qui suivent, émanant des documents de la CES, en démontrent la nature perverse.

«Les régimes de protection sociale, les retraites (doivent être) adaptées aux nouvelles formes de travail … au vieillissement démographique».

En effet, sous prétexte de «ne pas exclure les travailleurs âgés du marché du travail», de lutter contre la discrimination de ces travailleurs qui «n’auraient plus le choix» de
travailler après 65 ans, de bénéficier d’une retraite à la carte comme le demande avec insistance la CFDT, il faut «soutenir une politique d’allongement de la durée de la vie active» .

Puisque la modernité contraindrait les salariés «aux changements d’employeurs ainsi qu’aux sorties et retours sur le marché du travail», il conviendrait d’une part, sans être jusqu’au-boutistes, de soutenir «les politiques de mises au travail», mais le « recours à de telles mesures (doit être) pratiqué avec modération » car elles «pourraient aboutir à forcer les gens à accepter n’importe quel travail, notamment en limitant l’accès à l’aide sociale». Mieux vaut d’autre part, «remettre en cause la durée et le montant de l’indemnisation du chômage pour lutter contre la paresse assistantielle des chômeurs». Qu’en de termes choisis, cela est-il dit !

Convenons-en, l’on ne peut être contre les privatisations, il faut donc à la fois adopter à cet égard un principe de « neutralité » tout en s’opposant aux monopoles publics de gestion de biens communs, comme l’eau et l’électricité, tout en souhaitant, pour éviter tout excès, la mise en place d’une autorité de régulation pour accompagner les privatisations, comme le prévoit, dans sa grande sagesse, l’Union européenne !
Quant au droit au travail, cessons d’être utopiques, il doit se résumer au «droit de travailler et d’accès au service de placement lorsque le marché ne permet pas de l’exercer ». Seul le marché, ce Dieu tutélaire du libéralisme, permet en effet de se procurer ou non du travail. Quant à savoir ce qui a permis de créer les grandes infrastructures, mieux vaut ne pas soulever ce lièvre.
Ces incantations vertueuses au profit de l’esprit du Capital ne doivent pas occulter les acquis régressifs de la CES. A son actif, un certain nombre de contre-réformes intégrées au droit français éclairent son efficacité libérale.
Sous prétexte de l’égalité hommes femmes, la directive européenne de 1976, avec le consentement intéressé de la CES, a aboli l’interdiction du travail de nuit des femmes dans l’industrie. Et puisqu’il s’avèrerait que les salariés sont supérieurs en droit aux patrons, une directive européenne de 1989 prétend rétablir l’égalité de responsabilité entre employeurs et travailleurs. En effet, contrairement à la loi française de 1898 désignant les employeurs, maîtres de l’organisation du travail et de la sécurité de leurs salariés, comme responsables des accidents du travail, la nouvelle réglementation européenne considère que «les travailleurs (ou leurs représentants) et les employeurs sont coresponsables de la sécurité, ils doivent veiller, par une participation équilibrée, à la prise de mesures nécessaires de protection des salariés». Comme chacun peut le constater, dans les entreprises, les patrons ne sont plus maîtres chez eux, les salariés peuvent imposer leur «participation équilibrée » !

Flexibilité oblige, les à-coups de la production, les zéro-stocks et autres méthodes de management souple nécessitent une grande adaptation, vouant aux gémonies la réglementation archaïque d’un Code du travail qu’il convient d’enterrer ! Ainsi, la directive européenne de 1993 considère avec mansuétude que la «période minimale de repos quotidien est fixée à 11 heures, ce qui donne la possibilité à l’employeur de faire travailler les salariés jusqu’à 13 heures par jour». Gageons qu’un autre verrou réglementaire va bientôt sauter sous l’effet conjugué de l’entrée des nouveaux pays de l’Est dans l’Union et, sur l’insistance de Tony Blair : celui de la semaine de 48 heures maximales. Comme l’a souligné ce vieux Karl Marx, l’allongement de la journée (outre l’intensification du travail et le recours aux machines et autres robots qui intensifient la productivité du travail ) sont un des moyens d’accroître le taux de profit et donc d’exploitation de la force de travail.
Et, dans l’hypothèse qui ne saurait être exclue, où les salariés se révolteraient, la CES a même prévu son acceptation future de la répression. Noske, le chien sanglant de la « répression socialiste» contre le mouvement ouvrier doit, dans sa tombe, soupirer d’aise (4). Car, naturellement, «des restrictions (du droit de réunion, de manifestation, de liberté de pensée, de presse…) peuvent être apportées à l’exercice de droits fondamentaux, notamment dans le cadre (pour défendre !) d’une organisation commune de marché».

Petit aparté d'actualité, tous les militants syndicaux qui ont été emprisonnés, ou licenciés, comme Xavier Mathieu, Gaël Quirante aujourd'hui, le doivent à ceux de leurs confédérations qui siègent à la CES.

La possibilité est donc ouverte, selon «l’intérêt général des marchés», de les interpréter et de les restreindre. Et puis, il faut montrer beaucoup de mansuétude vis-à-vis des forces de maintien de l’ordre capitaliste : «la mort (ne peut être) considérée
comme infligée en violation du droit à la vie dans le cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire pour réprimer une émeute ou une insurrection». Bref, le droit de tirer dans la foule n’est aucunement une violation du droit à la vie. Amen !
Le mouvement syndical réel saura- t- il se dégager de cette gangue sociale libérale qui organise la défaite du mouvement ouvrier ?



Vers un nouveau type de syndicalisme, offensif et anticapitaliste ?

La CES n’est pas seulement un organisme inadapté à la nouvelle puissance du capital transnational qui favorise le dumping social des entreprises, la mise en concurrence fiscale des Etats européens. Elle n’est pas seulement une structure incapable de mobiliser les travailleurs contre les conséquences négatives du monétarisme et de la déréglementation européenne qui se traduisent par le recours au chômage massif, la précarité du travail, la pauvreté de fractions de la population et la marginalisation de régions entières délaissées par le capital nomade. La CES et l’UNICE, cet organisme qui représente le patronat européen, se considèrent, en effet, comme «acteurs de la législation sociale européenne». Cette collaboration a été formalisée dans un «protocole social» qui ne laisse percer aucune ambiguïté. La CES n’est pas une force d’opposition au capital et, naïvement l’on peut se demander pourquoi la CGT est embarquée dans cette galère, pourquoi Bernard Thibault dithyrambique, a fait l’éloge de Gaboglio, ce vieux «jaune» sur le départ, en proclamant que c’est «un dirigeant comme il les aime». Car, depuis au moins 1985, le bilan peut en être tiré. La CES a accompagné, voire orchestré à force de discours euphorisants et langue de bois, le recours à la précarité, aux temps partiels en louangeant la flexibilité, l’employabilité et la mobilité. L’acceptation du chômage de masse, la privatisation des services publics, l’accroissement de l’exploitation du travail font partie de ses prouesses.
Certes, la CES pourrait être secouée de contradictions,mais elles ne viendront pas de l’intérieur de cette forteresse sociale-libérale. Sans négliger le travail de regroupement, de dénonciations nécessaires formulées par les syndicalistes qui siègent ou ont connaissance de ce qui se trame dans cette structure, force est de constater que les bureaucraties frileuses, soucieuses de leur pérennité, ne sont pas des modèles d’ouverture aux aspirations des salariés, des chômeurs, des exclus.

Aujourd’hui, le défi à relever consiste pour les représentants des salariés à faire la démonstration de l’utilité et de l’efficacité des luttes. Et, contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, les exploités n’ont pas abandonné le combat, ils ne se sont pas résignés à subir les conditions de plus en plus dures pour eux et pour la génération qui vient. La CES est un anachronisme hérité des 30 Glorieuses, de la lutte anti-communiste qui comme son géniteur, l’Union européenne, s’est convertie aux vertus du libéralisme. Des contradictions vont apparaître. Les champs syndicaux et politiques sont travaillés par l’irruption des luttes sociales et par la désaffection des «citoyens» vis-à-vis des forces politiques traditionnelles. Certes, l’internationale syndicale a une génération de retard sur celle du capital, certes, la construction d’une alternative crédible, donnant un sens aux combats à mener, fait cruellement défaut. Mais le moteur de la lutte des classes, bien que grippé par les scories libérales, ne peut que, sous l’effet de la polarisation sociale en cours, redémarrer avec plus de force. Il est imprévisible.


GérardDeneux.
Sources pour cet article :
Le manifeste des 500 pour l’indépendance syndicale – n°60-61 de mai-juin 2003 Le Monde du 31.05.2003 - Le Monde Diplomatique – Refondre le syndicalisme – juin 1999 - LeMonde Diplomatique - Le retour des rebelles – mai 98 - Le Monde Diplomatique - Comment apprivoiser et fragiliser le syndicalisme – nov. 1997
1 le taux de syndicalisation n’est qu’un indicateur de désaffection parmi d’autres. Les traditions syndicales ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre. La prégnance des grèves, la création de syndicats plus contestataires, le poids de l’histoire sont d’autres paramètres, dont il faudrait tenir compte. Il n’empêche. Le taux de syndicalisation en 2004 doit encore être plus bas que ceux connus en 1995.
2 Dirigeant de la CES depuis son origine, abandonne ses mandats lors du Congrès de Prague.
3 UNICE : Union des Confédérations de l’industrie et des employeurs d’Europe. Organisation patronale européenne, c’est le MEDEF européen, en quelque sorte.
4 Noske, dirigeant social-démocrate allemand, au pouvoir, ordonna la répression sanglante contre le mouvement insurrectionnel qui embrasait l’Allemagne. Elle aboutit aux meurtres de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht. Surnommé pour ses états de service le chien sanglant par les ouvriers.



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