De l'identité nationale et des nations
Alain Badiou :
« L'héritage
du passé et le consentement, voilà des catégories totalement
passives dont l'unique logique est l'impératif « famille,
patrie ». Il s'agit d'un portrait de l'identité française
réactif et conservateur. L'héritage de la France, c'est un héritage
que je suis prêt à assumer quand il s'agit de la Révolution
française, de la Commune, de l'universalisme du XVIII° siècle, de
la Résistance ou de Mai 68. Mais c'est un héritage que je rejette
catégoriquement quand il s'agit de la Restauration ; des
Versaillais, des doctrines coloniales et racistes, de Pétain ou de
Sarkosy. Il n'y a pas « un » héritage français ?
Il y a une division constitutive de cet héritage entre ce qui est
recevable du point de vue d'un universalisme minimal, et ce qui doit
être rejeté précisèment parce que ça renvoie, en France, à
l'extrême férocité des classes possédantes et à l'accaparement,
par une oligarchie d'affairistes, de politiciens, de militaires et de
serviteurs médiatiques du motif de l' « identité
nationale ». »
Alain FinkielKraut
« La tâche
qui s'impose donc à nous, c'est la résiliation de tout prédicat
identitaire. C'est la désaffiliation. Pour être nous même, c'est à
dire, fidèles à notre vocation universelle, il faudrait effacer
tous nos signes particuliers. Pour n'exclure personne, il faudrait
faire le vide en soi, se dépouiller de toute consistance, n'être
rien d'autre, au bout du compte, que le geste même de l'ouverture. »
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Alain Badiou :
« La liste est incomplète mais exacte. Eh bien,
c'est une lourde responsabilité. J'ai aussi des amies de longue date
qui se réjouissaient que les Américains bombardent Kaboul parce que
c'était pour la libération des femmes. Ces choses-là, n'est ce
pas, vous pouvez vous amuser à les lancer localement, comme des
coquetteries identitaires, mais elles cheminent ensuite, elles
s'emparent des populations, elles deviennent un point de vue grossier
et sommaire selon lequel nous sommes très bien et ces gens là très
mauvais. Et on va les décrire dans ces termes de façon de plus en
plus systématique. Et des lois vont être votées, année après
année, d'orientation de plus en plus ségrégative et
discriminatoire. Dans toutes ces histoires civilisationnelles est
mise en route une machine d'introduction de l'identitaire dans la
politique que vous ne contrôlerez certainement pas. D'autres le
feront.
Alain
Finkielkraut :
« On voudrait nous faire croire aujourd'hui que
les Français sont en proie à la haine de l'autre, au rejet de
l'autre...Je rappelle quand même que l'école n'exclut personne,
elle exclut le foulard, ce qui est tout à fait différent. Je
rappelle que si peur il y a aujourd'hui, ce n'est pas la peur de
l'étranger, c'est la peur de la haine dont certains immigrés ou
enfants d'immigrés sont porteurs et qui n'a pas de précédent dans
les vagues d'immigrations antérieures. A cette haine, il ne s'agit
pas de répondre par la stigmatisation, mais de dire qu'il y a, en
France, des règles, des valeurs et des traditions qui ne sont pas
négociables. La beauté du monde, c'est aussi sa diversité. Les
ultralibéraux veulent un monde fluide, dépourvu de significations
particulières et de communautés politiques, et que la France ne
soit rien d'autre qu'une salle des pas perdus, un rassemblement
aléatoire d'individus affairés – mais nous, le voulons-nous ?
Voulons nous que la circulation soit le dernier mot de l'être, et
son dernier soupir ? Voilà. C'est tout ce que j'essaie de
dire. »
Alain Badiou à propos des jeunes des banlieues :
« ...Quand
vous dites qu'ils nous haïssent, ces gens-là...Ils haïssent qui,
quoi ? Ils ne haïssent pas la France, c'est tout à fait faux,
croyez-moi. J'ai fait de la politique avec eux, pendant des
décennies. J'aurais plutôt tendance à croire qu'ils sont les
derniers patriotes véritables : ils croient encore à la France
démocratique et révolutionnaire, ils sont encore étonnés et
meurtris qu'on les persécute. Au fond, ils sont patriotes parce que,
Alain Finkielkraut, ils espèrent que l'actuel discours identitaire
et hostile ne représente pas ce qu'est vraiment la France. Ils
haïssent uniquement dans la France ce qu'ils percoivent comme des
protocoles de stigmatisation. C'est la France telle qu'elle apparaît
dans votre discours fermé et identitaire qu'ils n'aiment pas. Il
faut dire que cette France n'a pas eu bonne mine ni aujourd'hui ni
autrefois. »
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Alain
Finkielkraut :
« Les jeunes de banlieue ne sont pas mes ennemis.
Ils ne l'ont jamais été, Alain Badiou, je vous le jure. Quand je
dis qu'il faut fixer des règles, je crois au contraire que je leur
tend la main, et c'est, au contraire, les abandonner à leur marasme
que de leur tendre un miroir flatteur et gratifiant.
Alain
Badiou :
« Ils sont bien avancés, avec votre main
tendue....Le destin positif et universel de ces jeunes, ce serait de
s'organiser dans la visée de la destruction de l'ordre établi :
ça, ce serait une issue sublimée et positive. Vous leur proposez
juste de devenir des toutous aux ordres de la société.
Alain
Finkielkraut :
« C'est votre radicalité qui les enfonce. C'est
votre poing levé qui les condamne. En leur offrant pour seule
alternative la destruction ou la soumission, vous ne les aidez pas,
vous bouchez toutes les issues possibles. Et j'en viens au bénéfice
psychologique de l'analogie perpétuelle avec les années noires. Si
Sarkosy c'est Pétain, alors vous êtes un résistant. Je vous
invite, vous et la gauche intellectuelle qui, sous votre égide,
devient complètement mégalomane, à cesser de vous raconter des
histoires. Sarkozy n'est pas un chef, c'est une cible. .L'insulte au
président de la République est devenue l'exercice le plus courant,
le plus grégaire, sur le net et dans les médias. Quand le pouvoir
politique tait fort, il y avait un conformisme de l'obséquiosité,
aujourd'hui, ce pouvoir est faible et il y a un conformisme du
sarcasme.
Alain
Badiou :
« Vous avez un axiome fondamental qui est de type
consensuel. Vivre ensemble. Vous
faites comme si on était dans des conditions où il ne
devrait pas y avoir d'ennemi véritable, où on devrait
nécessairement avoir des rapports de respect avec le sommet de la
République . Vous décrivez une scène politique virtuelle qui
n'a aucun rapport avec la scène réelle. Dans la vraie scène, il y
a des ennemis, des accapareurs du pouvoir, des inégalités
monstrueuses, toute une couche de la population qui se voit
discriminée dans la loi elle-même. Il y a des règles,
contrairement à ce que vous dites, mais des règles unilatérales.
Et dans cette situation-là, vous semblez considérer que ce qui doit
requérir l'attention d'un philosophe, c'est l'enthousiasme
provincial, comme on le connaît dans le sport, d'une deuxième
génération d'immigrés algériens pour la victoire de leur équipe
d'origine. Vous ne parlez que de problèmes insignifiants et vous en
parlez de manière d'autant plus dangereuse que vous investissez dans
ces problèmes une sorte d'affect totalement excessif. Je
souhaiterais que cet affect surnuméraire, vous l'investissiez en
direction des ennemis véritables. »
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