samedi 19 janvier 2019

L'explication Badiou/Finkielkraut Partie 1



De l'identité nationale et des nations

Alain Badiou :

« L'héritage du passé et le consentement, voilà des catégories totalement passives dont l'unique logique est l'impératif «  famille, patrie ». Il s'agit d'un portrait de l'identité française réactif et conservateur. L'héritage de la France, c'est un héritage que je suis prêt à assumer quand il s'agit de la Révolution française, de la Commune, de l'universalisme du XVIII° siècle, de la Résistance ou de Mai 68. Mais c'est un héritage que je rejette catégoriquement quand il s'agit de la Restauration ; des Versaillais, des doctrines coloniales et racistes, de Pétain ou de Sarkosy. Il n'y a pas « un » héritage français ? Il y a une division constitutive de cet héritage entre ce qui est recevable du point de vue d'un universalisme minimal, et ce qui doit être rejeté précisèment parce que ça renvoie, en France, à l'extrême férocité des classes possédantes et à l'accaparement, par une oligarchie d'affairistes, de politiciens, de militaires et de serviteurs médiatiques du motif de l' « identité nationale ». »

Alain FinkielKraut

« La tâche qui s'impose donc à nous, c'est la résiliation de tout prédicat identitaire. C'est la désaffiliation. Pour être nous même, c'est à dire, fidèles à notre vocation universelle, il faudrait effacer tous nos signes particuliers. Pour n'exclure personne, il faudrait faire le vide en soi, se dépouiller de toute consistance, n'être rien d'autre, au bout du compte, que le geste même de l'ouverture. »

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Alain Badiou :
« La liste est incomplète mais exacte. Eh bien, c'est une lourde responsabilité. J'ai aussi des amies de longue date qui se réjouissaient que les Américains bombardent Kaboul parce que c'était pour la libération des femmes. Ces choses-là, n'est ce pas, vous pouvez vous amuser à les lancer localement, comme des coquetteries identitaires, mais elles cheminent ensuite, elles s'emparent des populations, elles deviennent un point de vue grossier et sommaire selon lequel nous sommes très bien et ces gens là très mauvais. Et on va les décrire dans ces termes de façon de plus en plus systématique. Et des lois vont être votées, année après année, d'orientation de plus en plus ségrégative et discriminatoire. Dans toutes ces histoires civilisationnelles est mise en route une machine d'introduction de l'identitaire dans la politique que vous ne contrôlerez certainement pas. D'autres le feront.
Alain Finkielkraut :
« On voudrait nous faire croire aujourd'hui que les Français sont en proie à la haine de l'autre, au rejet de l'autre...Je rappelle quand même que l'école n'exclut personne, elle exclut le foulard, ce qui est tout à fait différent. Je rappelle que si peur il y a aujourd'hui, ce n'est pas la peur de l'étranger, c'est la peur de la haine dont certains immigrés ou enfants d'immigrés sont porteurs et qui n'a pas de précédent dans les vagues d'immigrations antérieures. A cette haine, il ne s'agit pas de répondre par la stigmatisation, mais de dire qu'il y a, en France, des règles, des valeurs et des traditions qui ne sont pas négociables. La beauté du monde, c'est aussi sa diversité. Les ultralibéraux veulent un monde fluide, dépourvu de significations particulières et de communautés politiques, et que la France ne soit rien d'autre qu'une salle des pas perdus, un rassemblement aléatoire d'individus affairés – mais nous, le voulons-nous ? Voulons nous que la circulation soit le dernier mot de l'être, et son dernier soupir ? Voilà. C'est tout ce que j'essaie de dire. »

Alain Badiou à propos des jeunes des banlieues :

« ...Quand vous dites qu'ils nous haïssent, ces gens-là...Ils haïssent qui, quoi ? Ils ne haïssent pas la France, c'est tout à fait faux, croyez-moi. J'ai fait de la politique avec eux, pendant des décennies. J'aurais plutôt tendance à croire qu'ils sont les derniers patriotes véritables : ils croient encore à la France démocratique et révolutionnaire, ils sont encore étonnés et meurtris qu'on les persécute. Au fond, ils sont patriotes parce que, Alain Finkielkraut, ils espèrent que l'actuel discours identitaire et hostile ne représente pas ce qu'est vraiment la France. Ils haïssent uniquement dans la France ce qu'ils percoivent comme des protocoles de stigmatisation. C'est la France telle qu'elle apparaît dans votre discours fermé et identitaire qu'ils n'aiment pas. Il faut dire que cette France n'a pas eu bonne mine ni aujourd'hui ni autrefois. »

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Alain Finkielkraut :
« Les jeunes de banlieue ne sont pas mes ennemis. Ils ne l'ont jamais été, Alain Badiou, je vous le jure. Quand je dis qu'il faut fixer des règles, je crois au contraire que je leur tend la main, et c'est, au contraire, les abandonner à leur marasme que de leur tendre un miroir flatteur et gratifiant.

Alain Badiou :
« Ils sont bien avancés, avec votre main tendue....Le destin positif et universel de ces jeunes, ce serait de s'organiser dans la visée de la destruction de l'ordre établi : ça, ce serait une issue sublimée et positive. Vous leur proposez juste de devenir des toutous aux ordres de la société.

Alain Finkielkraut :
« C'est votre radicalité qui les enfonce. C'est votre poing levé qui les condamne. En leur offrant pour seule alternative la destruction ou la soumission, vous ne les aidez pas, vous bouchez toutes les issues possibles. Et j'en viens au bénéfice psychologique de l'analogie perpétuelle avec les années noires. Si Sarkosy c'est Pétain, alors vous êtes un résistant. Je vous invite, vous et la gauche intellectuelle qui, sous votre égide, devient complètement mégalomane, à cesser de vous raconter des histoires. Sarkozy n'est pas un chef, c'est une cible. .L'insulte au président de la République est devenue l'exercice le plus courant, le plus grégaire, sur le net et dans les médias. Quand le pouvoir politique tait fort, il y avait un conformisme de l'obséquiosité, aujourd'hui, ce pouvoir est faible et il y a un conformisme du sarcasme.

Alain Badiou :
« Vous avez un axiome fondamental qui est de type consensuel. Vivre ensemble. Vous
faites comme si on était dans des conditions où il ne devrait pas y avoir d'ennemi véritable, où on devrait nécessairement avoir des rapports de respect avec le sommet de la République . Vous décrivez une scène politique virtuelle qui n'a aucun rapport avec la scène réelle. Dans la vraie scène, il y a des ennemis, des accapareurs du pouvoir, des inégalités monstrueuses, toute une couche de la population qui se voit discriminée dans la loi elle-même. Il y a des règles, contrairement à ce que vous dites, mais des règles unilatérales. Et dans cette situation-là, vous semblez considérer que ce qui doit requérir l'attention d'un philosophe, c'est l'enthousiasme provincial, comme on le connaît dans le sport, d'une deuxième génération d'immigrés algériens pour la victoire de leur équipe d'origine. Vous ne parlez que de problèmes insignifiants et vous en parlez de manière d'autant plus dangereuse que vous investissez dans ces problèmes une sorte d'affect totalement excessif. Je souhaiterais que cet affect surnuméraire, vous l'investissiez en direction des ennemis véritables. »


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