L'humanité
a connu - et connaît encore - l'ignoble institution de l'esclavage.
Montesquieu a écrit que c'était la pitié qui avait créé
l'esclavage ; pour ne pas tuer les prisonniers de guerre, on les
faisait esclaves. En réalité, c'était plutôt parce que le travail
était devenu sédentaire, l'agriculture naissant, on avait cherché
à se procurer des travailleurs par la guerre. Le christianisme s'est
vanté d'avoir aboli l'esclavage. L'histoire confond ce mensonge. Les
nations chrétiennes se sont largement servies de l'esclavage dans
les colonies où, pourtant, il y avait de nombreux prêtres et
missionnaires. En France, il a fallu des révolutions pour qu'en 1792
et en 1848, on abolisse légalement l'esclavage. Aux Etats-Unis, la
guerre de Sécession (1860-1865) a réussi à abolir l'esclavage. Au
Brésil, il a duré jusqu'aux dernières années du XIXème siècle.
L'émancipation des esclaves ne s'est faite nulle part sans une
farouche et souvent violente résistance des propriétaires
d'esclaves, et l'Eglise fut toujours du côté des maîtres.
Ce
qui a pu créer cette confusion dont profitent les prêtres, c'est
que l'abolition de l'esclavage en Europe se fit à peu près en même
temps que l'avènement du christianisme. La revendication des
esclaves, en cette période fortement mystique, fut imprégnée de la
nouvelle foi, et la bonne parole, l'Evangile, fut interprétée par
les masses cherchant leur émancipation comme un mot d'ordre de
libération. Mais, bien vite, l'Eglise, qui se constituait, s'est
séparée du mouvement des asservis : « Rendez à César ce qui est
à César », comme si les hommes pouvaient appartenir à un César,
et non à eux-mêmes.
D'ailleurs,
le servage qui se substitua à l'esclavage ne fut guère qu'une
transformation d'étiquettes. Les esclaves de la Grèce, traités
humainement, faisant partie de la famille, portés assez souvent à
des postes importants, considérés comme des hommes malheureux par
leurs maîtres qu'une adversité pouvait faire choir à leur rang,
étaient mieux traités que les serfs des premiers siècles de l'ère
chrétienne. Les tyrans consentent parfois à changer les étiquettes,
pour tromper mieux les asservis, mais se résolvent difficilement à
laisser porter atteinte à leurs droits et privilèges.
L'émancipation des esclaves mués en serfs fut une transformation de
façade. Il a fallu de nombreux siècles, des luttes incessantes, des
jacqueries dans les villages, le soulèvement des communes dans les
villes, pour que le servage devienne un peu plus humain, et que
quelques parcelles de liberté et de bien-être soient acquises par
les malheureux.
De
même, l'émancipation des serfs fut également une duperie, car elle
a fait place au salariat. Celui-ci arrive très fréquemment à
égaler ou dépasser en horreur le servage ou l'esclavage. On s'est
affranchi du joug du seigneur pour retomber sous celui du patron. On
a acquis la liberté de mourir de faim si on ne se courbe pas sous
l'autorité patronale. Les institutions répressives de l'Etat sont
toutes puissantes pour mater les réfractaires à l'exploitation
patronale. Là où les prolétaires n'ont pas assez de courage et de
conscience pour résister, non seulement le patron exige d'eux un
pénible travail pour un salaire dérisoire, mais encore il les
traite en véritables esclaves leur déniant, en dehors même du
travail toute liberté de conscience. En réalité, les appellations
différentes et les statuts juridiques n'ont jamais servi à
l'émancipation des opprimés. Il a fallu à ceux-ci, dans le passé,
comme il leur faudra dans l'avenir, des luttes constantes, acharnées
et terribles pour faire disparaître ou amoindrir leur servitude.
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