dimanche 20 janvier 2019

EMANCIPATION DES ESCLAVES. Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




L'humanité a connu - et connaît encore - l'ignoble institution de l'esclavage. Montesquieu a écrit que c'était la pitié qui avait créé l'esclavage ; pour ne pas tuer les prisonniers de guerre, on les faisait esclaves. En réalité, c'était plutôt parce que le travail était devenu sédentaire, l'agriculture naissant, on avait cherché à se procurer des travailleurs par la guerre. Le christianisme s'est vanté d'avoir aboli l'esclavage. L'histoire confond ce mensonge. Les nations chrétiennes se sont largement servies de l'esclavage dans les colonies où, pourtant, il y avait de nombreux prêtres et missionnaires. En France, il a fallu des révolutions pour qu'en 1792 et en 1848, on abolisse légalement l'esclavage. Aux Etats-Unis, la guerre de Sécession (1860-1865) a réussi à abolir l'esclavage. Au Brésil, il a duré jusqu'aux dernières années du XIXème siècle. L'émancipation des esclaves ne s'est faite nulle part sans une farouche et souvent violente résistance des propriétaires d'esclaves, et l'Eglise fut toujours du côté des maîtres.
Ce qui a pu créer cette confusion dont profitent les prêtres, c'est que l'abolition de l'esclavage en Europe se fit à peu près en même temps que l'avènement du christianisme. La revendication des esclaves, en cette période fortement mystique, fut imprégnée de la nouvelle foi, et la bonne parole, l'Evangile, fut interprétée par les masses cherchant leur émancipation comme un mot d'ordre de libération. Mais, bien vite, l'Eglise, qui se constituait, s'est séparée du mouvement des asservis : « Rendez à César ce qui est à César », comme si les hommes pouvaient appartenir à un César, et non à eux-mêmes.
D'ailleurs, le servage qui se substitua à l'esclavage ne fut guère qu'une transformation d'étiquettes. Les esclaves de la Grèce, traités humainement, faisant partie de la famille, portés assez souvent à des postes importants, considérés comme des hommes malheureux par leurs maîtres qu'une adversité pouvait faire choir à leur rang, étaient mieux traités que les serfs des premiers siècles de l'ère chrétienne. Les tyrans consentent parfois à changer les étiquettes, pour tromper mieux les asservis, mais se résolvent difficilement à laisser porter atteinte à leurs droits et privilèges. L'émancipation des esclaves mués en serfs fut une transformation de façade. Il a fallu de nombreux siècles, des luttes incessantes, des jacqueries dans les villages, le soulèvement des communes dans les villes, pour que le servage devienne un peu plus humain, et que quelques parcelles de liberté et de bien-être soient acquises par les malheureux.
De même, l'émancipation des serfs fut également une duperie, car elle a fait place au salariat. Celui-ci arrive très fréquemment à égaler ou dépasser en horreur le servage ou l'esclavage. On s'est affranchi du joug du seigneur pour retomber sous celui du patron. On a acquis la liberté de mourir de faim si on ne se courbe pas sous l'autorité patronale. Les institutions répressives de l'Etat sont toutes puissantes pour mater les réfractaires à l'exploitation patronale. Là où les prolétaires n'ont pas assez de courage et de conscience pour résister, non seulement le patron exige d'eux un pénible travail pour un salaire dérisoire, mais encore il les traite en véritables esclaves leur déniant, en dehors même du travail toute liberté de conscience. En réalité, les appellations différentes et les statuts juridiques n'ont jamais servi à l'émancipation des opprimés. Il a fallu à ceux-ci, dans le passé, comme il leur faudra dans l'avenir, des luttes constantes, acharnées et terribles pour faire disparaître ou amoindrir leur servitude.

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