samedi 19 janvier 2019

Journal de la Commune


TRIBUNAUX COUR D’ASSISES DU PAS-DE-CALAIS

Présidence de M. Bottin.

VOL DANS UNE ÉGLISE.

Trois accusés : Pierre Hénaux, vingt-sept ans ; Henri Rolland, dix-huit ans ; Philogène Honoré, dix-sept ans, tous trois sans profession, demeurant à Ferques. Dans la nuit du 1er au 2 janvier dernier, un vol fut commis à l’église d’Elinghem, commune de Ferques. On avait pénétré dans cette église en brisant les vitraux d’une fenêtre, deux troncs avaient été fracturés, on avait emporté ce qu’ils contenaient. On remarquait aussi des traces d’effraction sur la porte de l’édifice ; les malfaiteurs s’étaient d’abord attaqués à cette porte, mais sans succès.
Les soupçons ne tardèrent pas à se fixer sur trois individus mal famés du hameau d’Elighem, Hénaux, Rolland et Honoré.
Journal officiel de la Commune de Paris du 20 mars au 24 mai 1871. (1871) 665
Interrogé par le maire de Ferques, Hénaux prétendit que le vol avait été commis par Rolland, et qu’il s’était borné à l’accompagner. Devant le juge de paix de Marquises, il convint qu’il faisait le guet pendant que Rolland et Honoré étaient entrés dans l’église. Enfin, devant le juge d’instruction, il avoua qu’il avait eu le premier l’idée du vol, qu’il avait pénétré seul dans l’église, enlevé l’argent que renfermaient les troncs, pendant que ses coaccusés faisaient le guet dans le cimetière, et qu’ensuite tous trois s’étaient rendus chez Rolland pour opérer le partage.
Ces aveux furent confirmés par Honoré, dont les déclarations devant le juge de paix et le juge d’instruction s’accordèrent avec celles de Hénaux, sauf en ce point que d’après Honoré, Hénaux et Rolland auraient tous deux pénétré dans l’église, pendant que lui seul faisait le guet.
Malgré ces déclarations réitérées, Rolland repoussait toute participation au vol ; il reconnaissait toutefois, que dans la nuit du 1er au 2 janvier, Hénaux, qui devait partir pour la garde nationale mobilisée, était venu lui faire ses adieux vers une heure du matin, puis qu’il était revenu vers cinq heures avec une bourse renfermant environ 19 fr. en monnaie de billon et une pièce d’argent de 1 fr. Rolland aurait accepté cette pièce. A cela se seraient bornés ses agissements personnels.
Cependant l’information suivait son cours et les trois accusés pouvaient librement communiquer entre eux à la maison d’arrêt. Rolland et Honoré profitèrent de ces relations avec leur coaccusé Hénaux pour décider celui-ci à prendre toute l’affaire à sa charge. En effet dans un nouvel interrogatoire subi le 10 février, relativement à un autre vol, Hénaux revint tout à coup sur ses déclarations antérieures et prétendit que lui seul avait accompli les soustractions dans l’église d’Elinghem, sans le concours d’aucune autre personne.
Honoré, de son côté, rétracta également ses précédents aveux.
On ne discutera pas ici la valeur de ces rétractations, dont la portée est facile à juger et le mobile trop apparent pour qu’il soit utile d’insister.
Hénaux et Honoré ont aussi à répondre d’un autre vol, à l’existence duquel Honoré a fait spontanément allusion dans un de ses interrogatoires. Le 1er janvier au soir, la demoiselle Bonningue, qui dirige une ferme à Locquighem, commune du Réty, s’aperçut qu’on avait soustrait dans une écurie une couverture piquée et deux draps de lit en toile.
Journal officiel de la Commune de Paris du 20 mars au 24 mai 1871. (1871) 666
Lors de l’enquête faite à l’occasion du vol exposé ci-dessus, le gardechampêtre de Ferques eut la pensée d’interroger Honoré sur cette autre soustraction. Honoré avoua qu’il y avait pris part et ajouta que, pendant qu’il faisait le guet à la porte de la ferme, Hénaux était entré dans la cour et dans l’écurie où il avait pris la couverture et les draps ; il aurait donné l’un de ces draps à porter à Honoré, mais celui-ci ne l’aurait pas gardé et l’aurait laissé bientôt entre les mains de Hénaux.
Honoré a rétracté encore ses aveux en ce qui concerne ce second vol, qui est aussi dénié par eux.
Les antécédents des trois accusés sont mauvais. Hénaux a déjà subi trois condamnations : la première pour vol, en 1863, à quatre mois d’emprisonnement ; la seconde en 1865, pour coups de blessures, à huit jours de prison ; la troisième en 1868, pour mendicité, à six mois.
Rolland n’a pas encore été condamné, mais les renseignements recueillis le signalent comme ivrogne et paresseux ; son père s’étant remarié, il a quitté ce dernier pour vivre en concubinage avec sa belle-mère. Enfin, Honoré a été en 1863, à la suite d’un vol par lui commis, envoyé dans une maison de correction jusqu’à l’âge de seize ans.
Tels sont les faits reprochés aux trois accusés.
Devant la cour, et malgré les vives interpellations de M. le président, Hénaux persiste à déclarer qu’il est le seul coupable, que lui seul a escaladé et fracturé les vitraux de l’église, ce qui est matériellement impossible, dit un témoin.
Déclaré coupable par le jury, qui a admis des circonstances atténuantes en faveur de l’accusé Rolland, la cour condamne Hénaux à six ans de travaux forcés, Honoré à cinq ans de la même peine, et Rolland à cinq ans de réclusion.

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