RAPPORT DES
DÉLÉGUÉS DES CHAMBRES SYNDICALES
Au syndicat
général de l’Union nationale.
Messieurs,
Nous
voudrions, pour vous rendre compte de la mission que vous avez bien
voulu nous confier, provoquer une réunion du syndicat général, ou
même de tous les membres adhérents de l’Union nationale.
L’urgence des circonstances et les exigences mêmes de notre tâche
ne nous le permettent pas à l’heure présente. Nous vous supplions
donc de nous excuser si, à raison de ces motifs impérieux, nous
nous adressons à vous par la voie des journaux. Nous y trouverons
d’ailleurs l’avantage de porter ainsi, sans retard, à la
connaissance du grand public une communication d’intérêt public.
Ainsi que
les journaux l’ont annoncé la semaine dernière, le syndicat
général de l’Union nationale, représentant environ 7 à 8 000
commerçants et industriels de Paris, nous avait, de l’autre avec
les divers groupes entre lesquels se partage l’Assemblée
nationale, s’il n’y aurait aucune possibilité de terminer,
autrement que par les armes, le conflit qui désole tous les cœurs
français et menace de ruiner notre malheureux pays.
L’ordre
d’idées dans lequel nous devions nous placer, dans toute la série
de nos démarches, avait été déterminé, sur notre propre
initiative, par un vote du syndicat général. Il se résumait dans
les deux termes suivants :
Maintien et
affermissement de la république ;
Revendication,
pour la ville de Paris, des franchises municipales les plus larges et
les plus distinctes de l’action ou de l’ingérence du pouvoir
central.
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Sachant
d’avance que, sauf des questions de nuances ou de degrés, ce
programme était celui de la Commune, dont nous avions eu l’honneur
de voir officieusement quelques membres, nous crûmes devoir tout
d’abord vérifier l’état des choses et des esprits à
Versailles, où nous semblaient régner, touchant le mouvement de
Paris, bien des préjugés et des erreurs de fait qu’il était
important de combattre.
Quelques-uns
de nous avaient d’ailleurs mission spéciale d’agir,
conjointement avec d’autres délégués du commerce, pour obtenir
du gouvernement une organisation transactionnelle et provisoire du
service postal en vertu de laquelle l’échange des correspondances
entre Paris et la province su fût opéré sous la direction et la
responsabilité d’une commission neutre, composée de commerçants.
Nous devons
à la vérité de déclarer ici que M. Theisz, directeur général
des postes pour le compte de la Commune, montra, dans les
négociations relatives à cette affaire, les dispositions les plus
conciliantes et le zèle le plus empressé. Par malheur, après deux
voyages successifs à Versailles, les membres de la commission
spéciale des postes durent se convaincre que l’aggravation de la
situation politique affectait cette question plus que toute autre et
laissait peu de chances à un arrangement, le gouvernement ne se
souciant point de faciliter les relations entre Paris en révolution
et la province agitée.
Nous
n’insisterons donc pas autrement ici sur cette question des postes,
que l’on peut considérer comme écartée jusqu’à la solution
générale dans laquelle elle sera comprise, et nous en venons à
l’exposé sommaire des très humbles efforts que nous avons faits
en vue de cette solution générale.
Arrivés à
Versailles, le vendredi 7 avril, à cinq heures du soir, après neuf
heures de route, nous nous mîmes immédiatement en rapport avec
quelques députés, et, grâce plus particulièrement à l’obligeante
courtoisie de M. Paul de Rémusat, nous pûmes obtenir, presque à
l’heure même, la réunion, dans l’un des bureaux de la Chambre,
d’un certain nombre de membres de la droite, appartenant plus
spécialement à la nuance marquée par MM. Johnston, Germain et le
baron Lespérut.
Nus nous
appliquâmes, dans ce colloque, à éclairer la conviction de nos
honorables auditeurs, un peu troublée peut-être par l’atmosphère
de Versailles, par les bruits faux ou exagérés qui y circulent et
par le fâcheux empressement avec lequel certains journaux s’en
emparent pour irriter la querelle. Nous essayâmes de faire
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entendre à
ces messieurs qu’il ne faut point confondre le mouvement de Paris
avec la surprise de Montmartre, qui n’en a été que l’occasion
et le point de départ ; que ce mouvement est profond et général
dans la conscience de Paris ; que le plus grand nombre de ceux-là
mêmes qui, pour une cause ou pou une autre, s’en sont tenus à
l’écart, n’en désavouent point pour cela la légitimité
sociale et la fatalité historique ; que le démembrement des empires
est un legs fatal des excès de la centralisation ; que l’agitation
communaliste survenue à Paris et dans diverses localités de la
France est précisément la manifestation des forces de décomposition
latente qui s’agitaient sous l’unité triomphante de l’Empire ;
que ces forces ne pouvant, de leur nature, être comprimées, il
faut, en bonne politique, les seconder pour s’en rendre maître, et
non point les exaspérer en les combattant ; qu’ainsi dirigée et
réglée, l’expansion des tendances communalistes et même
provincialistes ne saurait être un danger pour le pays, mais qu’elle
serait, tout au contraire, le signe et le gage de sa renaissance,
puisqu’elle attesterait la reprise de la vie locale dans tout ce
grand corps exténué par la centralisation ; qu’en somme, en ce
qui concerne spécialement le mouvement de Paris, la vraie solution
politique serait, selon nous, de laisser à Paris la pleine liberté
et l’entière responsabilité de sa tentative d’initiation, en se
contentant de mettre le pays à couvert des chances qui pourraient en
résulter, c’est-à-dire en établissant ailleurs qu’à Paris, au
moins jusqu’à ce que la période critique soit passée, le centre
politique de la France.
Nous eûmes
la satisfaction d’être écoutés complaisamment par MM. les
députés de la droite, et même de nous concilier leur approbation
sur quelques points par où les tendances de la droite, en matière
de décentralisation et d’autonomie locale, confinent de plus près
qu’on ne le pourrait croire aux vues de la Commune de Paris.
Mais les
solutions que nous apportions semblèrent à ces messieurs trop
radicales pour faire l’objet d’une proposition parlementaire ; et
la question des rapports actuels entre le gouvernement de la France
et la Commune de Paris leur ayant paru ressortir plus spécialement
aux attributions du pouvoir exécutif, ils nous engagèrent à voir
M. Thiers, dont l’esprit, nous assurèrent ces messieurs, était
tout disposé aux transactions.
Nous prîmes
congé de MM. les députés de la droite, et, en attendant que nous
pussions aborder M. Thiers, nous voulûmes, dès le même soir, nous
mettre en
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communication
avec la gauche de l’Assemblée. A cet effet, nous nous rendîmes à
la salle du Jeu-de-Paume, lieu ordinaire de ses réunions. Nous y
fûmes accueillis par une commission de sept membres, qui avait été
désignée pour nous entendre, et qui se composait de MM. Carnot,
Bozérian, Ducarré, Ducuing, Magnin et Henri Martin.
Nous
exposâmes devant cette commission les mêmes vues que nous venions
de soumettre à une autre fraction de l’Assemblée, et nous devons
confesser que, sur la question des droits de Paris et de l’autonomie
communale en général, nous trouvâmes ici des réserves plus
accusées qu’ailleurs.
On admet
assez généralement, dans le parti républicain, que l’unité
française est une conquête glorieuse et inaliénable de la
Révolution, tandis que nous n’y verrions volontiers que l’œuvre
patiente, et excellente d’ailleurs, de la Monarchie française,
dont la Révolution ne fit en ceci que suivre les traditions et
emprunter les armes. Toutefois, comme nous étions venus à
Versailles chercher des éléments de conciliation et non débattre
des thèses, nous en arrivâmes à dresser, contradictoirement avec
les honorables commissaires de la gauche, une ébauche de transaction
voici le texte :
Considérant
que le conflit engagé entre Français sous les yeux de l’étranger
est à la fois un malheur et une honte, et qu’à ce double titre il
doit cesser au plus vite.
Les
soussignés, préoccupés des malheurs de la patrie, proposent :
De
constituer une commission de conciliation, laquelle aurait pour rôle
de se mettre en contact avec les membres du gouvernement et de la
Commune de Paris, sans engager ni l’un ni l’autre, et de
rechercher dans cet échange de rapports les moyens d’une solution
pacifique.
Ces moyens
nous paraissent consister principalement dans les dispositions
suivantes :
Acceptation
par la ville de Paris de la loi municipale provisoire qui va être
votée au premier jour par l’Assemblée ;
Elections
opérées dans Paris conformément à cette loi, c’est-à-dire sous
très peu de jours, par les soins de la commission de conciliation ;
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Faculté
pour le conseil municipal issu de ces élections de soumettre à
l’Assemblée un projet relatif aux conditions particulières à la
ville de Paris, conditions particulières dont le projet de loi
reconnaît déjà la nécessité à certains égards ;
En
conséquence, et pour faciliter les négociations relatives aux
propositions ci-dessus :
Suspension
de l’action militaire aussitôt après l’acceptation préalable
de ces préliminaires à Paris, sans préjuger, quant à présent, la
question d’armement ou d’organisation de la garde nationale,
question qui demeure réservée à l’examen ultérieur du conseil
municipal et aux décisions de l’Assemblée nationale sur la
réorganisation de la force armée en France ;
Amnistie
politique générale.
Ce fut sur
ces bases de transaction que nous recherchâmes, le lendemain samedi,
un entretien avec M. Thiers. M. Barthélemy Saint-Hilaire, que nous
vîmes tout d’abord, et qui nous témoigna les dispositions les
plus sympathiques, nous ménagea, pour quelques heures après, une
entrevue avec le chef du pouvoir exécutif.
M. Thiers, à
qui nous avions donné communication des termes du mandat que nous
tenions du syndicat général, y répondit très nettement sur les
deux points principaux que nous avons signalés au début de cette
note.
En ce qui
concerne le maintien de la République, il nous affirma « sur son
honneur », dans le langage le plus ferme et le plus catégorique, «
que jamais, lui vivant et au pouvoir, la République ne succomberait
». Il nous rappela qu’il avait déjà dit cela à la Chambre, et
nous autorisa à le redire en son nom à nos commettants et au
public. Il ajouta qu’en dépit des tendances particulières à
telles individualités ou à tel groupe de la Chambre, cinq cents
députés au moins le soutiendraient dans cet ordre d’idées, et
qu’en somme la république, si elle pouvait justement se défier
des excès des factions, n’avait rien à redouter des dispositions
de la Chambre.
Ces
assurances de M. Thiers, que nous accueillîmes avec joie, étaient
d’ailleurs conformes de tous points aux confiances que nous avaient
témoignées la veille les députés de la gauche.
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Sur le
second point, celui des franchises de Paris, M. Thiers nous déclara
que Paris n’avait à attendre du gouvernement rien de plus que
l’application du droit commun, tel qu’il résulterait de la loi
municipale que la Chambre allait voter. Nous évitâmes d’entrer à
ce propos dans un débat sans issue, car nous n’espérions point
convertir aux idées municipalistes ou fédéralistes le centralisme
bien connu de M. Thiers. Nous crûmes toutefois devoir lui donner
communication de la note dressée, dans la salle du Jeu-de-Paume,
avec les députés de la gauche.
M. Thiers en
écouta attentivement la lecture. Sans ratifier explicitement aucune
de ses dispositions, il n’en contesta formellement aucune, et les
explications qui furent échangées à propos de tel ou tel
paragraphe, notamment au sujet de l’amnistie, nous laissèrent tous
sous cette impression : que les termes de la note en question
pouvaient, en ce qui concerne le pouvoir exécutif, servir de base à
la discussion ultérieure d’un arrangement.
N’ayant
pas à l’heure présente, de pouvoirs qui nous autorisassent à
pousser plus avant cette discussion, nous dûmes prendre congé de M.
Thiers sur ce premier échange de vues, et nous rentrâmes à Paris
pour y interroger de plus près les dispositions de la Commune.
Nous
publierons dans un second document cette seconde partie de nos
démarches.
Les délégués
des chambres syndicales, présents à Versailles RAULT, LEVALLOIS,
HIPPOLYTE MARESTAING, LHUILLIER, JULES AMIGUES.
Paris, le 11
avril 1871.
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