samedi 19 janvier 2019

Journal de la Commune


RAPPORT DES DÉLÉGUÉS DES CHAMBRES SYNDICALES

Au syndicat général de l’Union nationale.
Messieurs,
Nous voudrions, pour vous rendre compte de la mission que vous avez bien voulu nous confier, provoquer une réunion du syndicat général, ou même de tous les membres adhérents de l’Union nationale. L’urgence des circonstances et les exigences mêmes de notre tâche ne nous le permettent pas à l’heure présente. Nous vous supplions donc de nous excuser si, à raison de ces motifs impérieux, nous nous adressons à vous par la voie des journaux. Nous y trouverons d’ailleurs l’avantage de porter ainsi, sans retard, à la connaissance du grand public une communication d’intérêt public.
Ainsi que les journaux l’ont annoncé la semaine dernière, le syndicat général de l’Union nationale, représentant environ 7 à 8 000 commerçants et industriels de Paris, nous avait, de l’autre avec les divers groupes entre lesquels se partage l’Assemblée nationale, s’il n’y aurait aucune possibilité de terminer, autrement que par les armes, le conflit qui désole tous les cœurs français et menace de ruiner notre malheureux pays.
L’ordre d’idées dans lequel nous devions nous placer, dans toute la série de nos démarches, avait été déterminé, sur notre propre initiative, par un vote du syndicat général. Il se résumait dans les deux termes suivants :
Maintien et affermissement de la république ;
Revendication, pour la ville de Paris, des franchises municipales les plus larges et les plus distinctes de l’action ou de l’ingérence du pouvoir central.
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Sachant d’avance que, sauf des questions de nuances ou de degrés, ce programme était celui de la Commune, dont nous avions eu l’honneur de voir officieusement quelques membres, nous crûmes devoir tout d’abord vérifier l’état des choses et des esprits à Versailles, où nous semblaient régner, touchant le mouvement de Paris, bien des préjugés et des erreurs de fait qu’il était important de combattre.
Quelques-uns de nous avaient d’ailleurs mission spéciale d’agir, conjointement avec d’autres délégués du commerce, pour obtenir du gouvernement une organisation transactionnelle et provisoire du service postal en vertu de laquelle l’échange des correspondances entre Paris et la province su fût opéré sous la direction et la responsabilité d’une commission neutre, composée de commerçants.
Nous devons à la vérité de déclarer ici que M. Theisz, directeur général des postes pour le compte de la Commune, montra, dans les négociations relatives à cette affaire, les dispositions les plus conciliantes et le zèle le plus empressé. Par malheur, après deux voyages successifs à Versailles, les membres de la commission spéciale des postes durent se convaincre que l’aggravation de la situation politique affectait cette question plus que toute autre et laissait peu de chances à un arrangement, le gouvernement ne se souciant point de faciliter les relations entre Paris en révolution et la province agitée.
Nous n’insisterons donc pas autrement ici sur cette question des postes, que l’on peut considérer comme écartée jusqu’à la solution générale dans laquelle elle sera comprise, et nous en venons à l’exposé sommaire des très humbles efforts que nous avons faits en vue de cette solution générale.
Arrivés à Versailles, le vendredi 7 avril, à cinq heures du soir, après neuf heures de route, nous nous mîmes immédiatement en rapport avec quelques députés, et, grâce plus particulièrement à l’obligeante courtoisie de M. Paul de Rémusat, nous pûmes obtenir, presque à l’heure même, la réunion, dans l’un des bureaux de la Chambre, d’un certain nombre de membres de la droite, appartenant plus spécialement à la nuance marquée par MM. Johnston, Germain et le baron Lespérut.
Nus nous appliquâmes, dans ce colloque, à éclairer la conviction de nos honorables auditeurs, un peu troublée peut-être par l’atmosphère de Versailles, par les bruits faux ou exagérés qui y circulent et par le fâcheux empressement avec lequel certains journaux s’en emparent pour irriter la querelle. Nous essayâmes de faire
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entendre à ces messieurs qu’il ne faut point confondre le mouvement de Paris avec la surprise de Montmartre, qui n’en a été que l’occasion et le point de départ ; que ce mouvement est profond et général dans la conscience de Paris ; que le plus grand nombre de ceux-là mêmes qui, pour une cause ou pou une autre, s’en sont tenus à l’écart, n’en désavouent point pour cela la légitimité sociale et la fatalité historique ; que le démembrement des empires est un legs fatal des excès de la centralisation ; que l’agitation communaliste survenue à Paris et dans diverses localités de la France est précisément la manifestation des forces de décomposition latente qui s’agitaient sous l’unité triomphante de l’Empire ; que ces forces ne pouvant, de leur nature, être comprimées, il faut, en bonne politique, les seconder pour s’en rendre maître, et non point les exaspérer en les combattant ; qu’ainsi dirigée et réglée, l’expansion des tendances communalistes et même provincialistes ne saurait être un danger pour le pays, mais qu’elle serait, tout au contraire, le signe et le gage de sa renaissance, puisqu’elle attesterait la reprise de la vie locale dans tout ce grand corps exténué par la centralisation ; qu’en somme, en ce qui concerne spécialement le mouvement de Paris, la vraie solution politique serait, selon nous, de laisser à Paris la pleine liberté et l’entière responsabilité de sa tentative d’initiation, en se contentant de mettre le pays à couvert des chances qui pourraient en résulter, c’est-à-dire en établissant ailleurs qu’à Paris, au moins jusqu’à ce que la période critique soit passée, le centre politique de la France.
Nous eûmes la satisfaction d’être écoutés complaisamment par MM. les députés de la droite, et même de nous concilier leur approbation sur quelques points par où les tendances de la droite, en matière de décentralisation et d’autonomie locale, confinent de plus près qu’on ne le pourrait croire aux vues de la Commune de Paris.
Mais les solutions que nous apportions semblèrent à ces messieurs trop radicales pour faire l’objet d’une proposition parlementaire ; et la question des rapports actuels entre le gouvernement de la France et la Commune de Paris leur ayant paru ressortir plus spécialement aux attributions du pouvoir exécutif, ils nous engagèrent à voir M. Thiers, dont l’esprit, nous assurèrent ces messieurs, était tout disposé aux transactions.
Nous prîmes congé de MM. les députés de la droite, et, en attendant que nous pussions aborder M. Thiers, nous voulûmes, dès le même soir, nous mettre en
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communication avec la gauche de l’Assemblée. A cet effet, nous nous rendîmes à la salle du Jeu-de-Paume, lieu ordinaire de ses réunions. Nous y fûmes accueillis par une commission de sept membres, qui avait été désignée pour nous entendre, et qui se composait de MM. Carnot, Bozérian, Ducarré, Ducuing, Magnin et Henri Martin.
Nous exposâmes devant cette commission les mêmes vues que nous venions de soumettre à une autre fraction de l’Assemblée, et nous devons confesser que, sur la question des droits de Paris et de l’autonomie communale en général, nous trouvâmes ici des réserves plus accusées qu’ailleurs.
On admet assez généralement, dans le parti républicain, que l’unité française est une conquête glorieuse et inaliénable de la Révolution, tandis que nous n’y verrions volontiers que l’œuvre patiente, et excellente d’ailleurs, de la Monarchie française, dont la Révolution ne fit en ceci que suivre les traditions et emprunter les armes. Toutefois, comme nous étions venus à Versailles chercher des éléments de conciliation et non débattre des thèses, nous en arrivâmes à dresser, contradictoirement avec les honorables commissaires de la gauche, une ébauche de transaction voici le texte :
Considérant que le conflit engagé entre Français sous les yeux de l’étranger est à la fois un malheur et une honte, et qu’à ce double titre il doit cesser au plus vite.
Les soussignés, préoccupés des malheurs de la patrie, proposent :
De constituer une commission de conciliation, laquelle aurait pour rôle de se mettre en contact avec les membres du gouvernement et de la Commune de Paris, sans engager ni l’un ni l’autre, et de rechercher dans cet échange de rapports les moyens d’une solution pacifique.
Ces moyens nous paraissent consister principalement dans les dispositions suivantes :
Acceptation par la ville de Paris de la loi municipale provisoire qui va être votée au premier jour par l’Assemblée ;
Elections opérées dans Paris conformément à cette loi, c’est-à-dire sous très peu de jours, par les soins de la commission de conciliation ;
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Faculté pour le conseil municipal issu de ces élections de soumettre à l’Assemblée un projet relatif aux conditions particulières à la ville de Paris, conditions particulières dont le projet de loi reconnaît déjà la nécessité à certains égards ;
En conséquence, et pour faciliter les négociations relatives aux propositions ci-dessus :
Suspension de l’action militaire aussitôt après l’acceptation préalable de ces préliminaires à Paris, sans préjuger, quant à présent, la question d’armement ou d’organisation de la garde nationale, question qui demeure réservée à l’examen ultérieur du conseil municipal et aux décisions de l’Assemblée nationale sur la réorganisation de la force armée en France ;
Amnistie politique générale.
Ce fut sur ces bases de transaction que nous recherchâmes, le lendemain samedi, un entretien avec M. Thiers. M. Barthélemy Saint-Hilaire, que nous vîmes tout d’abord, et qui nous témoigna les dispositions les plus sympathiques, nous ménagea, pour quelques heures après, une entrevue avec le chef du pouvoir exécutif.
M. Thiers, à qui nous avions donné communication des termes du mandat que nous tenions du syndicat général, y répondit très nettement sur les deux points principaux que nous avons signalés au début de cette note.
En ce qui concerne le maintien de la République, il nous affirma « sur son honneur », dans le langage le plus ferme et le plus catégorique, « que jamais, lui vivant et au pouvoir, la République ne succomberait ». Il nous rappela qu’il avait déjà dit cela à la Chambre, et nous autorisa à le redire en son nom à nos commettants et au public. Il ajouta qu’en dépit des tendances particulières à telles individualités ou à tel groupe de la Chambre, cinq cents députés au moins le soutiendraient dans cet ordre d’idées, et qu’en somme la république, si elle pouvait justement se défier des excès des factions, n’avait rien à redouter des dispositions de la Chambre.
Ces assurances de M. Thiers, que nous accueillîmes avec joie, étaient d’ailleurs conformes de tous points aux confiances que nous avaient témoignées la veille les députés de la gauche.
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Sur le second point, celui des franchises de Paris, M. Thiers nous déclara que Paris n’avait à attendre du gouvernement rien de plus que l’application du droit commun, tel qu’il résulterait de la loi municipale que la Chambre allait voter. Nous évitâmes d’entrer à ce propos dans un débat sans issue, car nous n’espérions point convertir aux idées municipalistes ou fédéralistes le centralisme bien connu de M. Thiers. Nous crûmes toutefois devoir lui donner communication de la note dressée, dans la salle du Jeu-de-Paume, avec les députés de la gauche.
M. Thiers en écouta attentivement la lecture. Sans ratifier explicitement aucune de ses dispositions, il n’en contesta formellement aucune, et les explications qui furent échangées à propos de tel ou tel paragraphe, notamment au sujet de l’amnistie, nous laissèrent tous sous cette impression : que les termes de la note en question pouvaient, en ce qui concerne le pouvoir exécutif, servir de base à la discussion ultérieure d’un arrangement.
N’ayant pas à l’heure présente, de pouvoirs qui nous autorisassent à pousser plus avant cette discussion, nous dûmes prendre congé de M. Thiers sur ce premier échange de vues, et nous rentrâmes à Paris pour y interroger de plus près les dispositions de la Commune.
Nous publierons dans un second document cette seconde partie de nos démarches.
Les délégués des chambres syndicales, présents à Versailles RAULT, LEVALLOIS, HIPPOLYTE MARESTAING, LHUILLIER, JULES AMIGUES.
Paris, le 11 avril 1871.

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