Par
extension : l'ensemble des fidèles d'un même culte, des personnes
qui se rallient exactement à un même système idéologique. C'est
dans ce sens que l'on a pu parler d'église socialiste, ou d'église
anarchiste, pour indiquer que certains protagonistes de ces systèmes
exagéraient dans la voie du sectarisme. D'après les théologiens,
l'Eglise englobe, non seulement le clergé, mais tous les adeptes,
tous les croyants, même les plus humbles. Son chef - invisible - est
Jésus-Christ. Il y a d'ailleurs une Eglise invisible, qui combat,
dans l'ombre, à côté de l'Eglise visible et qui est formée de
tous les saints trépassés, des anges, etc. Mais ceci est une autre
histoire. Au point de vue politique et social, la puissance de
l'Eglise a toujours été concentrée dans le clergé, c'est-à-dire
en la personne des hommes qui font profession de servir la religion.
C'est pourquoi, il est d'usage de donner au mot Eglise une
signification beaucoup moins étendue que celle que je viens
d'indiquer. L'Eglise, pour quiconque ne s'embarrasse pas de
théologie, c'est, avant tout, le groupement des prêtres d'un culte
donné, avec sa hiérarchie et ses chefs. Combattre l'Eglise, ce
n'est pas, à proprement parler, combattre tous ceux qui se réclament
des idées de cette Eglise, c'est surtout combattre ses dirigeants et
ses profiteurs, c'est combattre les castes sacerdotales. Je me
placerai donc à ce point de vue spécial et j'étudierai surtout la
vie de l'Eglise en tant que corporation. Les corporations de prêtres
sont bien antérieures, cela va sans dire, aux religions modernes.
En Egypte (et cette admirable civilisation a vécu 5.000 ans), les
villes et les provinces avaient leurs dieux particuliers - et leurs
prêtres. Dès l'origine, ce fut le régime théocratique,
c'est-à-dire le gouvernement des prêtres. Les institutions
évoluèrent, ce fut une sorte de féodalité qui s'imposa. Enfin,
l'ère des guerres étant venue (elles amènent toujours un
renforcement de l'autorité), ce fut le régime de la royauté
despotique. Mais : sous tous ces régimes, les prêtres gardèrent
leur puissance. Ces monarques absolus avaient besoin d'eux. Les rois
n'étaient-ils pas considérés comme des héros, comme des
demi-dieux? On leur dressait des autels et on les adorait. Le culte
des morts avait pris un développement incroyable et le peuple
obéissait à une foule de superstitions. Aussi chaque ville
importante avait son grand prêtre, chef absolu du clergé, lequel,
je le répète, était nombreux et indépendant, même sous le
despotisme royal, lorsque le gouvernement théocratique proprement
dit eut pris fin. L'exemple de l'Egypte (la plus vieille civilisation
humaine), nous permet de constater que le cléricalisme (domination
du clergé), est un phénomène social ancien. Sans doute est-il
aussi ancien que la religion elle-même. Les croyances, nées de la
peur et de l'ignorance, eurent à peine été formulées qu'il se
trouva des hommes, plus subtils et plus adroits que les autres, pour
les exploiter et en tirer profit. C'est le sorcier, le faiseur de
pluie, celui qui sait conjurer les sorts et qui connaît le secret
des destins : mots magiques, amulettes précieuses, incantations et
prières, Que les prêtres, dès l'origine, aient éprouvé le besoin
de s'entendre entre eux, on ne peut en douter. Assurément ils
étaient rivaux et se disputaient la clientèle mais une concurrence
trop vive, en dévoilant aux profanes le secret de leur imposture,
eût été très néfaste. Ils avaient le plus grand intérêt à se
prêter la main, et ils constituèrent ainsi des associations qui
allèrent en se développant, qui fixèrent le dogme, précisèrent
les rites et formulèrent les règles selon lesquelles le troupeau
des fidèles devait être conduit... et étrillé. Ouvrons la Bible,
au Lévitique. Nous y trouvons exposés les principes les plus
rigoureux de la théocratie juive. Le peuple de Moïse était
gouverné, et solidement, par ses prêtres (ou lévites). Tout est
prévu dans cette charte d'Israël : la nature des offrandes à faire
aux prêtres ; les péchés et les crimes réprouvés par Jahvé et
les châtiments dont les coupables doivent être frappés. Et tout
cela est dicté par Dieu lui-même, afin d'empêcher toute
protestation. Si nous nous transportions chez les Perses (sectateurs
de Zoroastre), ou dans l'Inde de Brahma et de Çakya Mouni, nous
pourrions faire d'identiques observations. Les Brahmes ont fait peser
sur le malheureux peuple indou une tyrannie aussi lourde et aussi
cruelle que celle des prêtres de Quetzalcóatl de l'Ancien Mexique -
ou du Pérou, ou de vingt autres peuples que nous pourrions énumérer.
Pour rendre nos critiques plus vivantes, bornons-nous à étudier les
Eglises de nos pays d'Europe. Nous sommes plus familiers avec leur
histoire et ma tâche sera facilitée (en raison du peu de place dont
je dispose). Mais, je le répète, en tous les temps et dans tous les
lieux, les prêtres ont formé des « églises » avides de pouvoir
et d'argent, étroitement solidaires des puissances sociales, comme
nous le verrons. La plus importante - et de beaucoup - des églises
qui ont régenté l'Europe (et dont l'activité s'est du reste
exercée dans le monde entier) est sans contredit l'Eglise
Chrétienne, également nommée Eglise catholique, apostolique et
romaine. Le christianisme, comme toutes les religions, a dû se
défendre contre des déchirements intestins, des divisions, des
schismes, des hérésies, que je ne pourrai indiquer que brièvement.
Certains rameaux se sont détachés du tronc central. Indiquons
rapidement, celles de ces « Eglises séparées » qui subsistent
encore aujourd'hui (car nombreuses sont les sectes schismatiques qui
ont complètement disparu, broyées impitoyablement et supprimées
par le massacre et les pires violences). Les Eglises orientales non
catholiques comprennent quatre églises mineures, ainsi nommées
parce quelles sont peu importantes. Ce sont : l'Eglise arménienne ;
l'Eglise syrienne (ou jacobite) ; l'Eglise chaldéenne (ou
nestorienne), et l'Eglise copte (dont le chef est le patriarche
d'Alexandrie). Chacune de ces Eglises est indépendante et se dirige
selon ses traditions propres. A côté d'elles, et beaucoup plus
importantes, il faut placer les différentes Eglises orthodoxes (ou
byzantines, car elles prétendent continuer l'antique Eglise de
Byzance). On les divise en trois branches : les helléniques, de
langue grecque ; les melkites, de langue arabe ; les slaves, de
langue russe. Elles englobent environ 150 millions de fidèles.
Contrairement à l'Eglise romaine, l'Eglise d'Orient déclare ne
faire aucune politique et se défend d'exercer la moindre pression
sur les Etats. On peut douter de la sincérité de ces principes,
quand on sait quelle place importante l'Eglise orthodoxe occupait en
Russie sous le tsarisme. Les prêtres touchaient 50 millions de
roubles par an (soit 150 millions de francs). Le Synode avait en
banque 70 millions de roubles en dépôt. Eglises et couvents
possédaient d'immenses domaines : 2.300.000 déciatines de terre
(soit environ 4 millions et demi d'hectares!) Il y avait en Russie
30.000 écoles paroissiales, avec 20.000 prêtres payés par
l'instruction publique. Juifs, Musulmans et Catholiques payaient des
impôts pour appointer les prêtres orthodoxes, au nombre de 65.000,
sans parler des moines, nonnes et novices, qui étaient plus de
80.000. On voit que l'orthodoxie est une plante aussi envahissante et
aussi parasitaire que la catholicité. La guerre mondiale et la
révolution russe ont porté un coup terrible à l'Eglise orthodoxe
(dont le tsar était le chef). Le patriarche de Constantinople a été
ruiné, lui aussi, et sa situation est restée ébranlée ; il
préside toujours l'Eglise grecque, mais celle-ci est divisée en une
infinité de petites Eglises nationales ayant leur propre chef. La
Papauté s'est appliquée de son mieux à tirer profit de cette
situation et à exploiter la déconfiture de ses rivales grecques et
orthodoxes. A côté du schisme grec, qui déchire les chrétiens
depuis plus de 1.200 ans, il faut placer le schisme protestant, plus
récent mais tout aussi redoutable pour Rome. La réforme est née en
réaction contre les crimes et, les turpitudes des prêtres
catholiques, elle voulut assainir et purifier la vieille bâtisse et
constitua pour l'Eglise une sérieuse menace, que les Papes
n'hésitèrent pas à combattre par le fer et par le feu. Elle gagna
rapidement l'Allemagne, l'Angleterre, la Suisse ; une partie de la
France, les Pays scandinaves, etc. Aujourd'hui, les Eglises
protestantes semblent perdre du terrain partout devant l'Eglise
romaine, plus habilement organisée. Les sectes protestantes
actuelles (les principales, car il y en a des centaines!) sont les
suivantes : d'abord, les méthodistes (secte fondée à Oxford en
1729, par les frères Wesley), qui groupent 20 millions d'adeptes en
Angleterre et aux Etats-Unis ; les Anglicans (Eglise anglicane),
parmi lesquels se dessinent des courants très différents, les uns
sont farouchement attachés aux traditions austères et bornées, les
autres ont des velléités libérales et avancées. Cette Eglise
renferme 25 millions d'adhérents, la plupart en Angleterre. Viennent
ensuite les Luthériens, ou Eglise réformée d'Allemagne. La chute
du Kaiser a porté un coup sensible à leur puissance. Les Eglises
réformées de Russie, de France, de Hollande, etc., se réclament
plutôt de Calvin que de Luther. Elles sont aussi divisées ; les
éléments démocratiques et pacifistes sont mal tolérés par les
partisans des traditions réactionnaires. Le protestantisme libéral
fait cependant de continuels progrès mais, en réalité, il
travaille involontairement pour la Libre Pensée, car il y a
incompatibilité entre l'esprit religieux et l'amour de la liberté
et du libre examen. Je n'indique que pour mémoire l'Armée du Salut,
les Mormons, les Scientistes (adeptes de la guérison par la
suggestion, ou Christian Science). Ce sont les plus connues parmi les
innombrables sectes protestantes qui pullulent en Angleterre et aux
Etats-Unis. Un rapide coup d'oeil sur l'histoire de l'Eglise
catholique nous fera voir comment elle est parvenue à conserver son
unité et à briser les tentatives de scission. Les autres Eglises
ont pu être aussi intolérantes et parfois aussi brutales que celle
de Rome, mais, d'une façon générale, il faut reconnaître que
celle-ci mérite la palme de la tyrannie. Son histoire sanglante est
entièrement dominée par le souci de s'enrichir, de subjuguer les
peuples et leurs dirigeants pour gouverner le monde à son seul
profit.
Le
développement du christianisme depuis ses origines est un phénomène
extrêmement curieux qu'il est intéressant d'étudier avec soin.
Nous voyons alors se former lentement et patiemment la plus lourde
institution despotique que l'humanité ait jamais supportée. Au
début, les chrétiens se différenciaient à peine des Juifs ; ils
demeuraient membres de l'Eglise israélite (comme Jésus lui-même,
du reste. Celui ci priait dans le Temple ; il a critiqué son
organisation et il a demandé - d'après les évangiles, il va sans
dire, car rien ne démontre qu'il ait véritablement existé – son
amélioration, mais il n'a prêché à aucun moment la fondation
d'une nouvelle église). Le christianisme serait aussi une petite
secte juive, si l'épileptique Paul de Tarse
(saint
Paul) n'était venu lui donner une impulsion toute particulière. Les
religions romaines s'adressaient surtout aux riches et ne
s'intéressaient guère à la plèbe. Celle-ci devait être
facilement touchée par les arguments d'une secte qui prêchait
l'égalité et le mépris des richesses. Car le christianisme fut, à
son début, faute de mieux, un mouvement égalitaire, qui recruta ses
adeptes dans les classes les plus humbles. Paul était ouvrier
tapissier et gagnait sa vie par son propre travail. Il disait : «
Celui qui ne travaille pas ne doit pas manger ». Il n'y avait pas de
prêtres ni d'évêques appointés, chez les premiers chrétiens.
Paul voyageait sans cesse, fondant un peu partout des groupes de
fidèles, qui restaient en correspondance entre eux. Les adeptes se
réunissaient pour prendre leurs repas en commun ; chacun apportait
ses vivres. Des chrétiens dévoués (diacres et diaconesses)
servaient leurs frères et leurs soeurs à table : ils le faisaient
gratuitement, par pur dévouement. Les premiers représentants de
l'Eglise catholique ont donc montré un désintéressement... que
nous ne retrouverons plus dans la suite des siècles. Chaque groupe
avait une caisse commune, dans laquelle chacun versait librement son
superflu ou son obole. Les Juifs orthodoxes voyaient d'un mauvais
oeil le développement de la nouvelle secte. Paul faisait appel, ô
abomination, à des non-circoncis ; il infligeait plus d'une entorse
à la vieille loi hébraïque. On voulut se défaire de lui, et il
s'en fallut de peu que le christianisme fût étouffé dans l'oeuf.
Entre juifs et chrétiens, ces frères ennemis, la querelle allait en
grossissant ; on en venait même aux mains. Paul faillit être
assommé. Il fut mis en prison, mais sa qualité de citoyen romain le
sauva. Après saint Paul, l'Eglise continua à se développer
lentement. Jérusalem avait été détruite et les Hébreux
dispersés. A défaut des polémiques entre Juifs et Chrétiens, les
Chrétiens vont à présent polémiquer entre eux, avec une âpreté
sans précédent jusqu'alors. Ils formaient alors des associations
quasi-clandestines et purement laïques. A côté des diacres et des
diaconesses dont j'ai parlé, ils avaient bien des évêques
(episcopos), mais ces personnages remplissaient tout simplement un
rôle de surveillants dans les assemblées. On les appelait aussi les
Anciens. Les Chrétiens se reconnaissaient à l'aide de signes
mystérieux et s'entouraient volontiers d'obscurité, bien qu'ils ne
fussent pas encore persécutés. On peut même penser que la haine du
peuple fut, en partie, éveillée par le caractère secret du
christianisme, qui suscita des méfiances et une forte animosité. De
là à leur attribuer la responsabilité des événements fâcheux
(pestes, incendies, etc.), qui pouvaient se produire, il n’y avait
qu'un pas à franchir. Les premiers chrétiens croyaient la fin du
monde imminente. Jésus l'avait annoncée. Ils attendaient son retour
d'un moment à l'autre, Cette croyance (dogme de la Parousie)
explique leur mépris des choses matérielles, du mariage et de
l'amour ; elle explique aussi leur communisme et leur souci de
travailler uniquement à leur salut spirituel, afin d'être prêts à
comparaître bientôt devant le grand juge. Les premiers actes
d'intolérance furent commis par les chrétiens eux mêmes, qui
allaient la nuit détruire et renverser les statues des « faux dieux
», ce qui exaspérait la superstition populaire. Autrement, on était
très libéral à Rome, en matière de religion et les cultes les
plus différents y voisinaient fraternellement sans se contrecarrer.
Tout cela changea avec le christianisme qui ne tarda pas à attirer
sur lui de terribles représailles.
L'ère
des persécutions est souvent évoquée par les chrétiens modernes.
Ils préfèrent nous parler des « martyrs chrétiens » que nous
causer... des crimes de l'Inquisition, par exemple. Il faut bien dire
que les premiers chrétiens n'ont jamais été persécutés d'une
façon aussi odieuse, aussi systématique que le furent les
hérétiques par l'Eglise. J'en donnerai une preuve : les chrétiens,
en dépit de cette persécution, ont pu résister et développer leur
Eglise, tandis que les Vaudois, les Albigeois et beaucoup d'autres
ont totalement disparu devant la répression savamment organisée par
les catholiques. Plus tard, le protestantisme fut étouffé
complètement en Espagne et en Italie, par des moyens aussi barbares.
Une persécution absolue peut tuer une idée et la noyer dans le
sang. Une demi-persécution la favorise au contraire, l'exalte et la
stimule. Ce fut le cas pour le christianisme. Les Empereurs, menacés
par les Barbares du dehors, n'avaient guère le loisir de le
combattre assidûment. Les chrétiens cherchèrent d'ailleurs à
échapper à cette répression. Ils utilisèrent certaines lois, très
libérales, sur les associations funéraires (Delaisi) et ils purent
ainsi posséder légalement, recevoir des dons, etc. L'évêque ne
fut plus simplement le surveillant, il devint l'administrateur et le
trésorier, et comme il donnait tout son temps à ses fonctions
absorbantes, il fallut le payer sur la caisse commune. Telle fut la
véritable origine de la caste sacerdotale chrétienne. Les
fonctionnaires appointés feront tous leurs efforts pour garder leur
situation, augmenter leurs ressources et conquérir des prérogatives
toujours plus grandes. C'est l'éternel phénomène que l'histoire de
toutes les religions sans exception (et l'on pourrait même dire de
tous les partis politiques et de tous les groupements sociaux) permet
de constater. A partir de ce moment, le rôle du clergé devint de
plus en plus prépondérant. Mais chaque Eglise (ou chaque groupe)
était autonome, obéissait aux prêtres quelle avait librement élus
et se dirigeait à son gré. Les divers groupes n'étaient pas
toujours d'accord, même en ce qui concernait les dogmes ; il en
résultait
de continuelles disputes entre toutes ces communautés, qui
s'injuriaient de leur mieux. Pendant les périodes de persécutions,
le nombre des abjurations était d'ailleurs considérable. Bien peu
de chrétiens avaient l'énergie de tenir tête à leurs
persécuteurs. Ils faisaient semblant de se soumettre et attendaient
tranquillement que la persécution ait cessé. La plupart des évêques
donnèrent l'exemple de cet opportunisme. Lesdits évêques étaient
toujours élus, mais on exigea bien vite qu'ils fussent de « bonne
naissance ». Progressivement, l'Eglise perdait son caractère
démocratique. Elle le perdit tout à fait le jour où les
persécutions prirent fin. Les Empereurs avaient d'abord essayé de
détruire la secte nouvelle, n'y parvenant pas, l'un d'entre eux,
Constantin, songea à s'en servir comme d'un moyen de gouvernement.
Ce Constantin, que l'Eglise a longtemps honoré comme un saint, est
le
type
du gouvernant machiavélique et du criminel sans scrupules. Au IVème
siècle, le christianisme existait à peine, en tant qu'Eglise. Il
n'y avait entre ses membres aucune unité de dogmes. En particulier,
l'arianisme soulevait de perpétuels et violents conflits. Constantin
sut exploiter cette situation. On rougit presque de dire sur quelles
insanités reposait la grande querelle arienne, qui retentit durant
plusieurs siècles et engendra tant de luttes, souvent sanglantes...
Arius se séparait de son collègue, l'évêque de Rome (il ne
prenait pas encore le titre de pape : par contre, plusieurs évêques
orientaux se faisaient appeler papes, sans y attacher une idée de
suprématie sur les autres évêques, prétention devant laquelle
personne ne se serait incliné) sur la question de la
consubstantialité de Dieu le Père avec Dieu le Fils (Arius ne
l'admettait pas de la même façon...) Ces chicanes faisaient la joie
des païens, ainsi que les polémiques que les chrétiens se
livraient sur la nature et l'origine du saint Esprit, sur l'époque
où il fallait célébrer la Pâque ; sur le Baptême (est-il valable
lorsqu'il est administré par un hérétique?), sur la personna1ité
de Marie qui n'était pas encore promue au rang de mère d'un dieu,
etc., etc. Telles étaient les ridicules disputes qui passionnaient
la chrétienté. On n'arrivait pas à se mettre d'accord, ni sur les
dogmes, ni sur les rites. Un concile (Elvire, 305), ne condamnait-il
pas la coutume païenne d'allumer des cierges? Les chrétiens ont
changé d'avis, depuis lors, puisqu'on vend 100.000 kilos de cierges
par an, rien qu'à Lourdes. Bref, Constantin - qui n'était pas
chrétien - s'interposa pour remettre un peu d'ordre dans l'Eglise.
Il blâma Arius « pour avoir imprudemment initié le peuple à des
mystères qui n'étaient point faits pour lui » (?!), il fit appel à
la modération des uns et des autres et il convoqua (325), le premier
concile oecuménique (c'est-à-dire universel). Il ordonna que les
prêtres seraient transportés gratuitement à Nicée, où devait se
tenir le Concile. 2048 évêques accoururent, de toutes les
provinces, « gens à tel point simples, ignorants et grossiers »,
mais pleins d'orgueil de se voir protégés par l'Empereur - alors
que les persécutions
dioclétiennes
étaient encore présentes à toutes les mémoires. Constantin
assista au Concile et participa aux discussions - je répète qu'il
n'était toujours pas chrétien, c'était en qualité d'Empereur
qu'il agissait ainsi, cherchant uniquement à mettre la religion au
service de ses intérêts, ainsi que l'ont fait par la suite les
monarques de tous les temps et de tous les lieux. Arius fut exilé et
Constantin se rallia aux consubstantialistes. Mais l'arianisme
continua de se répandre et le madré Constantin ne tarda pas à
rappeler l'hérésiarque, à donner son appui aux idées ariennes et
à envoyer promener les orthodoxes. Nous saisissons là, sur le vif,
l'attitude gouvernementale à l'égard des cultes. Elle n'est pas
dictée par la croyance ou la foi, mais par les calculs politiques.
Ajoutons que c'est seulement à son lit de mort que Constantin se
décida à recevoir le baptême. C'est néanmoins grâce à lui et à
ses combinaisons intéressées que l'Eglise chrétienne avait été
tirée du néant, qu'elle avait acquis quelque puissance et qu'elle
commençait à en imposer aux populations crédules. Il m'est
impossible de relater par le détail tous les avatars de l'Eglise,
ses luttes avec les pouvoirs établis, ses efforts pour réaliser son
unité et développer sa puissance. De plus en plus, l'évêque de
Rome chercha à imposer sa tutelle à l'ensemble de l'Eglise ; il ne
se contenta plus de détenir une primauté théorique sur les autres
évêques, mais il voulut gouverner tyranniquement le clergé et le
soumettre entièrement à ses caprices et à ses intérêts. Bien
entendu, c'est le peuple, la masse des producteurs et des opprimés,
qui fit toujours les frais de ces compétitions entre évêques,
papes, rois et empereurs. Les bergers se disputaient la laine, mais
le troupeau était toujours tondu. Pour arriver à ses fins, l'Eglise
se montra toujours intolérante. Les rebelles, les insoumis furent
toujours impitoyablement réprimés. Il en fut ainsi dès les
origines, puisque Constantin, pour complaire aux catholiques, édicta
la peine de mort contre tous ceux qui posséderaient des écrits de
l'hérésiarque Arius (en attendant de se réconcilier avec celui-ci,
par calcul). Le christianisme donnait donc, dès le IVème siècle,
l'exemple d'une férocité doctrinaire à laquelle le monde barbare
n'avait pas été habitué. Les successeurs de Constantin, en
particulier Théodose, donnèrent à l'Eglise de Rome un appui très
large et l'arianisme fut rapidement étouffé. Quant au paganisme, il
subsista plus longtemps et il parvint même à pénétrer et à
imprégner profondément les rites de la nouvelle religion. A
l'exemple de leurs empereurs, les riches romains se rallièrent au
christianisme - les uns et les autres obéissaient au souci de
conserver leurs privilèges. La religion du Christ avait été, au
début, favorablement accueillie par les esclaves et les humbles,
auxquels elle faisait entendre un langage vaguement égalitaire - se
gardant bien, d'ailleurs, de leur conseiller la révolte. Au
contraire, Saint-Paul avait dit : « Esclaves, obéissez à vos
maîtres, dans la simplicité de votre coeur, avec crainte et
tremblement, comme à Jésus-Christ lui-même » (Ephésiens, VI, 5).
La plupart des premiers Pères de l'Eglise, Saint-Ignace,
Saint-Cyprien, etc., tinrent le même langage et conseillèrent aux
esclaves, à l'instar de Saint-Paul, « de servir encore mieux ».
Les nobles romains comprirent qu'ils n'avaient rien à craindre des
chrétiens et que leurs privilèges seraient au contraire consolidés
par cette religion toute de résignation. Effectivement, sous
Théodose, empereur très chrétien, il y a toujours des esclaves et
des maîtres, rien n'est changé au sort des opprimés. Plus tard,
l'esclavage fera place au servage, mais ce phénomène sera la
conséquence de l'évolution économique. Le serf restera attaché à
la terre et sera aussi cruellement exploité que l'esclave antique -
sous le regard complice de la Sainte Eglise. Saint-Hilaire de
Poitiers, Saint-Basile, Saint-Isidore, ont pris la défense de
l'esclavage. Saint-Augustin y voit une juste punition du péché. Le
doux Chrysostome lui-même, qui compatit aux souffrances des
esclaves, n'en déclare pas l'illégitimité. Saint-Bernard proclame
que les possesseurs de serfs ont le droit de les corriger.
Saint-Thomas d'Aquin, le grand docteur catholique, dira plus tard que
la nature a désigné certains hommes pour être esclaves et Bossuet
légitimera l'esclavage par un prétendu droit de conquête
guerrière. Touchante unanimité à travers les siècles! Du reste,
l'Eglise possédait aussi des esclaves et des serfs et ce n'étaient
pas les mieux traités - on sait que cet état de choses s'est
prolongé en France jusqu'à la Révolution de 1789 et que les
derniers serfs étaient… dans un monastère. Tout ceci n'empêche
pas certains casuistes d'affirmer que l'Eglise a supprimé
l'esclavage! Non seulement elle n'a rien supprimé, mais elle a
permis l'esclavage des noirs, qui n'existait pas avant le
christianisme et qui se développa durant plusieurs siècles, sous
son aile charitable!! L'Afrique fut décimée, le Nouveau Monde fut
mis au pillage, des millions d'hommes, de femmes, d'enfants, furent
violentés, asservis, torturés par des rois très chrétiens, des
soudards et des marchands de chair humaine - tous munis des
bénédictions et des encouragements de l'Eglise. Lorsque l'Empire
romain s'écroula définitivement, l'Eglise de Rome, qui s'était
appuyée sur lui et sur son aristocratie, demeura un moment
désorientée dans le chaos et la confusion qui régnèrent alors en
Occident. Elle ne tarda pas cependant à perdre toute inquiétude.
L'Eglise était une des rares forces organisées qui n'ait pas été
emportée par la tourmente. Elle bénéficia au contraire de cet
immense bouleversement. Il n'y avait plus d'empereur à Rome, mais il
y avait toujours un pape et il héritait, en partie, du prestige des
anciens Césars, aux yeux des peuples habitués depuis si longtemps à
obéir aux directives romaines. L'unité romaine impériale était
abattue et morcelée, mais l'unité catholique demeurait. C'est au
Moyen-âge, et particulièrement au Vème siècle, qu'elle connaîtra
l'apogée de sa puissance et qu'elle fera trembler les peuples
barbares et leurs chefs grossiers et ignorants, proie plus docile
encore, pour le prêtre, que les aristocrates affinés du régime
impérial. C'est également le prestige conservé par Rome,
l'ancienne ville des Césars, qui permit à la Papauté de s'imposer
à l'Eglise. Les autres évêques durent subir la loi de celui de
Rome ; il leur fallait un chef unique, une direction centralisée. Où
choisir ce chef, où placer cette direction, sinon dans la ville la
plus célèbre du monde? On ne fit intervenir que par la suite les
arguments théologiques ; on fabriqua même de toutes pièces des
documents. Par exemple, les fausses décrétales, 94 lettres papales,
qui revendiquaient le pouvoir spirituel absolu pour la papauté ; la
fausse donation de Constantin, qui fut invoquée pendant tout le
Moyenâge, pour justifier la puissance temporelle des papes (d'après
Guignebert ce document aurait été fabriqué dans la seconde moitié
du VIIIème siècle). Pour le faux, le mensonge, la duplicité,
l'autorité, le charlatanisme, l'Eglise grandissait en puissance et
en richesse. Dès ce moment (750 à 800), les Etats de l'Eglise sont
constitués et possèdent à peu près la superficie qu'ils
occupaient en 1870, lorsque le pouvoir temporel fut aboli. En Gaule,
l'Eglise n'avait pas tardé à s'appuyer sur les chefs barbares. La
conversion de Clovis fut conduite avec habileté. Le roi des Francs
fut manoeuvré par sa femme Clotilde, dirigée elle-même par Rémi,
évêque de Reims. Combien de fois l'Eglise a-t-elle utilisé la
femme naïve et dévote! Combien de crimes ont été commis par les
rois et les princes, pour plaire aux confesseurs de leurs femmes ! Ce
Clovis, qui fut l'élu des prêtres, était l'être le plus
sanguinaire et le plus cruel que l'on puisse imaginer ; il fit
assassiner perfidement tous les autres rois francs pour s'emparer de
leurs terres. « Tout lui réussissait, dit Grégoire de Tours (qui
fut béatifié par l'Eglise!) parce qu'il marchait le coeur devant
Dieu ». Les évêques sont les meilleurs courtisans de l'assassin
royal - et cela se comprend : à chacun de ses crimes, pour obtenir
une facile absolution, Clovis faisait des largesses au clergé. C'est
à ce moment qu'il faut placer l'origine de la fortune mobilière du
clergé en France. L'Eglise reçut de Clovis des domaines immenses et
sa fortune devint scandaleuse. Elle en fut, moralement, la première
victime, car le haut clergé fut profondément gangrené par l'amour
du luxe. Il se vautra dans les pires débauches et commit tant
d'excès que des efforts seront tentés, à maintes reprises, pour
réformer l'Eglise, mais ces efforts seront toujours étouffés par
l'oligarchie sacerdotale. C'est au Vème siècle que se développe en
Occident le monachisme. Les couvents, fondés parfois par des âmes
sincères et justes, parfois par des fanatiques avides de dominer la
société. Des milliers d'hommes et de femmes allèrent vivre dans
les couvents et les monastères. Ces institutions étaient d'abord
isolées et se gouvernaient elles-mêmes, sous la tutelle de
l'Eglise, mais par la suite elles furent reliées et formèrent ces
redoutables congrégations répandues dans le monde entier et
obéissant à une direction centrale. Les congrégations et le
monachisme ont contribué pour une large part à la puissance de
l'Eglise. Inutile d'ajouter que la société n'y gagna rien. Le
peuple eut à nourrir des centaines de milliers de fainéants et de
mendiants qui passaient leur temps dans l'oisiveté ou dans la prière
improductive. Trop souvent les couvents étaient le théâtre des
pires turpitudes, de folles orgies et de débordements luxurieux.
L'Eglise s'adapta à la barbarie germanique, comme elle s'était
adaptée naguère à l'impérialisme décadent de Rome, comme elle
s'adaptera tour à tour, par la suite, à la féodalité, à la
monarchie absolue, à la république parlementaire même, toujours
soucieuse de faire valoir des « droits » et ne s'estimant jamais
satisfaite des concessions obtenues. A partir du Vème siècle,
l'audace des Papes ne connaît plus de bornes. Ils veulent gouverner
la terre entière et la soumettre à leur loi. On connaît la théorie
des deux glaives, proclamée par saint Bernard. Le glaive spirituel
appartient à l'Eglise ; le glaive temporel appartient aux princes,
mais sous le contrôle de l'Eglise. Celle-ci revendiquait donc, en
somme, la direction absolue des âmes et des corps. Les rois et les
princes se sont toujours appuyés sur l'Eglise et la religion, pour
maintenir les peuples dans la sujétion, mais ils ont toujours
résisté aux empiétements du monde clérical - qui ne visait à
rien moins, en dernier ressort, qu'à les déposséder. Lorsque
Charlemagne fait l'apologie de l'Eglise (« Nous ne pouvons
comprendre comment ceux qui seraient infidèles à Dieu et à ses
ministres, nous seraient fidèles à nous-mêmes », Laurent I, 195),
il raisonne absolument comme Louis XIV dictant ses volontés
dernières à son fils : « Vous devez savoir avant toute chose, mon
fils, que nous ne saurions montrer trop de respect pour celui qui
nous fait respecter de tant de millions d'hommes » (cité par
l'Action Française, 20 mars 1926). Les rois ne peuvent se passer des
prêtres, ni les prêtres des rois (à moins qu'ils ne soient rois
eux-mêmes). Il est vrai qu'on a vu bien des rois se faire prêtres
et même dieux... Excellent moyen de se faire adorer et d'imposer ses
volontés! Un grand sujet de querelle entre l'Eglise et le Pouvoir
civil a toujours été la question des investitures, la nomination
des Évêques. Le pape déclare posséder, de droit divin, la faculté
de nommer les évêques. Pourtant, à l'origine, ils étaient élus
par les fidèles, comme je l'ai dit plus haut. Mais les rois, à
l'instar de l'empereur Charlemagne, voulaient nommer eux-mêmes les
évêques. C'était pour eux une source de gros bénéfices et un
moyen de caser leurs créatures. Précisément, parce que cette
nomination produisait de fructueuses ressources, Rome entendait bien
être seule à l'exercer. Le conflit était fatal et renaissait sans
cesse. La « Simonie » régnait dans toute la chrétienté et les
sièges d'évêques et d'archevêques étaient vendus au plus
offrant. Que ce soit en Allemagne, en France, en Angleterre, etc.,
des luttes longues et rudes furent livrées autour de ces prébendes
- et elles se terminèrent souvent... à Canossa -, car les Papes
étaient généralement supérieurs aux princes dans le génie de
l'intrigue et du machiavélisme. Le Moyen-âge est l'époque des
Conciles. Les évêques se réunissent souvent et prennent d'un
commun accord (parfois après de répugnants marchandages et de
cyniques comédies) les décisions concernant la vie et
l'organisation de l'Eglise, la définition des dogmes. De bonne
heure, les Papes virent d'un mauvais oeil cette autorité fonctionner
à côté (et même au dessus) de la leur. Il y eut des conflits
entre Papes et Conciles. Puis les Papes parvinrent à les rendre
inoffensifs et à les régenter d'autant plus aisément que leur
pouvoir personnel avait grandi et s'était fortifié. Au sommet de
leur tyrannie, les Papes avaient la prétention de déposer les rois,
de leur enlever leur royaume pour en faire cadeau à des princes plus
méritants. Ce triomphe fut éphémère et l'Eglise dut se montrer
moins exigeante. Si elle avait réussi, l'humanité toute entière
eut été soumise au régime effroyable d'une théocratie, dont le
despotisme n'aurait connu aucune limite et n'aurait été modéré
par aucun contrepoids. Cependant, l'Eglise conserva son indépendance
absolue et des privilèges très étendus. Les prêtres étaient
exempts de toutes charges ; ils échappaient aux juridictions
ordinaires et ne pouvaient être jugés que par leurs pairs, ce qui
leur assurait l'impunité, la plupart du temps. L'Etat civil était
entre les mains des ecclésiastiques, qui instruisaient également un
grand nombre d'affaires laïques, en particulier toutes celles qui
intéressaient les « crimes » contre la religion, le blasphème,
l'hérésie et même l'adultère. L'Empereur d'Allemagne, Frédéric
Barberousse, soutint une guerre épique contre la Papauté, qu'il dut
renoncer à subjuguer. Le roi de France Philippe le Bel lutta
également contre les papes et parvint
à
leur arracher quelques bribes d'indépendance. (Il fut excommunié et
le pape Boniface VIII eut même la prétention de « donner » le
royaume de France à Albert d'Autriche). Ce fut le germe du «
gallicanisme ». A travers les siècles, d'innombrables efforts
seront faits pour assurer au clergé de France (Gallican), une vie
indépendante. Ces efforts tiendront en échec, pendant longtemps, la
tyrannie romaine. C'est seulement au XVème siècle que celle-ci
triomphera et que l'ultramontanisme supplantera le gallicanisme dans
notre pays. On doit le regretter car ce dernier obéissait à des
traditions plus libérales ; il était moins absurde et moins
fanatique. La victoire du romanisme, l'assujettissement des clergés
nationaux à la puissance internationale catholique (dirigée en fait
par les Jésuites actuellement) a marqué une recrudescence de
l'obscurantisme et de l'esprit réactionnaire. Il est un domaine où
l'Eglise et la Royauté surent toujours fraternellement s'entendre :
je veux parler de la répression des hérésies. L'Eglise, par une
suprême hypocrisie, déclarait ne pas vouloir verser le sang
elle-même (elle le faisait pourtant dans les Etats de l'Eglise), et
elle remettait les hérétiques au pouvoir civil pour qu'ils soient
punis et châtiés. Odieuse comédie, dont personne n'est plus dupe.
La responsabilité des hécatombes d'hérétiques incombe directement
à l'Eglise et à son intolérance, dont les rois ont été les
odieux complices. Lors de leur sacre, l'Eglise imposait aux rois de
France le serment solennel d'exterminer les hérétiques. Au
lendemain du massacre de la Saint-Barthélemy, le Pape fit sonner les
cloches à Rome et envoya ses félicitations à Charles IX, avec une
médaille commémorative. Des centaines d'exemples du même genre
pourraient être donnés, si l'on n'était fixé sur la mansuétude
et la douceur de l'Eglise - de ses inquisiteurs et de ses
tortionnaires. Cette Eglise, qui fera grise mine au mouvement
libérateur des communes et cherchera à le contrecarrer partout où
elle y aura intérêt, cette Eglise va donner toute sa mesure dans la
répression des hérésies apostoliques, vaudoises, albigeoises, etc.
Tous ces hérétiques sont des gens qui réclament naïvement la
réforme d'un clergé pourri de vices. On les massacre sans pitié et
le Pape excite à la dévastation de provinces entières.
L'extermination des Albigeois dura 20 ans ; c'est une des pages les
plus sanglantes de l'histoire. C'est également la Papauté qui
organise ces guerres imbéciles, ces criminelles expéditions connues
sous le nom de Croisades. Elles dressèrent l'une contre l'autre deux
civilisations faites pour s'équilibrer et engendrèrent une période
de misères et de famines cruelles. Ces expéditions barbares sont la
honte de l'Eglise du Moyen-âge. En 1302, le pape Boniface publie sa
bulle Unam Sanctam dans laquelle il déclare que la soumission au
pontife romain est pour toute créature humaine une condition de
salut. Déjà le Concile de Latran (1215) avait jeté les bases de
l'Inquisition, pour briser l'hérésie par le mouchardage et la
délation. L'Inquisition est une des institutions les plus néfastes
que la malfaisance ecclésiastique ait imaginées. Mais l'Eglise trop
riche et trop puissante va être déchirée et divisée ; en
conséquence même de son avidité. Les cardinaux se disputent autour
de la tiare divine ; leurs votes sont trafiqués, les compétitions
s'enveniment, et c'est le grand schisme d'Occident : deux papes
règnent en même temps, l'un à Rome, l'autre à Avignon. Ils ont
chacun leurs partisans, rois, cardinaux et évêques, qui les
soutiennent - ils ont chacun un troupeau de fidèles qu'ils oppriment
et escroquent de leur mieux. A un moment donné, il y eut même trois
papes à la fois... Mais l'Eglise n'en était pas moins féroce,
puisque c'est à ce moment que le grand penseur tchèque Jean Hus fut
condamné à mort par le Concile de Constance (1417), où il avait
été traitreusement attiré (on lui avait promis la vie sauve s'il
venait s'expliquer... et on l'envoya au bûcher. Voilà l'âme de
l'Eglise!) Après la mort de Hus, de longues guerres religieuses
éclatent en Bohème, préparant le terrain à l'esprit de révolte,
qui produira plus tard la réforme et le protestantisme. C'est encore
à cette époque (1431) que l'Eglise Française encanaillée avec le
roi d'Angleterre, fit brûler Jeanne d'Arc pour lui plaire. Toujours
à la solde des puissants, l'Eglise s'associe volontiers à leurs
crimes. Plus tard, les Anglais étant vaincus et le roi de France
(Charles VII) ne voulant pas être considéré comme le complice
d'une sorcière, l'Eglise acceptera de la réhabiliter. Depuis, elle
l'a même canonisée et se sert de sa malheureuse victime pour
exploiter la crédulité patriotique et remplir ses coffres. Après
la prise de Constantinople par les Turcs (1453), les savants et les
artistes grecs se réfugièrent en Occident, où l'on sentait le
besoin de réagir contre la torpeur interminable du Moyen-âge. Ce
fut la Renaissance, qui vit le réveil des arts et de la pensée,
l'épanouissement trop longtemps comprimé des facultés humaines.
Les Papes essaient encore de s'imposer aux rois. Le pape Jules II
(1510) émet la prétention de donner le royaume de France au roi
d'Angleterre. Il échoue. Par la suite, devenus plus subtils, les
Papes renonceront à ces méthodes brutales ; ils se contenteront de
gouverner les rois d'une façon occulte et sournoise. D'ailleurs,
c'est la Réforme qui éclate (1517), jetant l'anathème à la face
d'une Eglise impure et corrompue. Les hontes du clergé, ses vols,
ses crimes, sont marquées au fer rouge. Des peuples entiers
(Allemagne, Angleterre, Pays scandinaves, Suisse, etc.) se séparent
de l'Eglise. En France, une lutte implacable met aux prises les
catholiques et les huguenots. Partout, le catholicisme est ébranlé,
sans que ses chefs consentent à le réformer - ce qui donnerait
raison à l'adversaire. Le Concile de Trente (il dura, avec des
intermittences, de 1545 il 1563), vint raffermir l'autorité
chancelante de l'Eglise et serrer les rangs autour du Saint Siège.
Ce Concile était composé des créatures du Vatican en majorité
(189 Italiens contre 66 prélats seulement des autres nationalités).
La direction de l'Eglise (et les profits qui en résultent!) se
concentre ainsi de plus en plus entre les mains du clergé italien.
Il en est encore de même aujourd'hui, et l'on sait que, depuis très
longtemps, le pape est toujours de nationalité italienne. Le Concile
de Trente édicte des prohibitions sévères contre les hérétiques
et leurs ouvrages. Il publie un catéchisme détaillé, qui inspire
encore, en matière de foi, les théologiens catholiques. C'est
également à cette époque (1600), que Giordano Bruno est brûlé
vif à Rome, et que l'Eglise enferme et condamne (1633) le grand
astronome Galilée. En France, les luttes religieuses s'étaient
calmées. Elles ne devaient pas tarder à reprendre en raison de
l'intolérance catholique, des excitations d'une société de
fanatiques, la compagnie du Saint Sacrement et surtout d'une secte
nouvellement créée par un ancien soldat espagnol Ignace de Loyola,
sous le nom de Compagnie de Jésus. Ce groupement, mi-religieux,
mi-militaire devint une phalange entièrement dévouée à la
Papauté. Il exigeait de ses membres l'obéissance la plus servile et
il domestiquait leur conscience et leur volonté par des procédés
abrutisseurs dont les Exercices spirituels nous offrent un vivant
exemple. Grâce aux Jésuites, la dissolution de l'Eglise fut arrêtée
; la lutte contre les protestants fut organisée plus efficacement ;
les disciplines intérieures du clergé se resserrèrent. La
mentalité des prêtres ne fut pas améliorée, loin de là, mais ils
devinrent plus prudents, plus dissimulés. On n'assista plus aux
débordements d'un Alexandre VI (Borgia), ce pape lubrique,
empoisonneur et assassin, de ses acolytes et de ses successeurs. On
ne vit plus un Léon X créer d'un seul coup 31 cardinaux, pour
emplir ses caisses, qui étaient vides. Les formes furent mieux
respectées et l'on sauvegarda les apparences. Si l'on veut diviser
l'histoire de l'Eglise en périodes, je propose la classification
suivante :
1°
La période héroïque, ignorante et miséreuse ; le dogme n'est pas
encore défini et la cléricaille n'existe pas ; 2° La période
d'adaptation, après Constantin. Le dogme est violemment discuté
entre évêques qui recherchent les faveurs du pouvoir ; 3° Période
d'épanouissement. L'Empire est tombé. L'Eglise manoeuvre à travers
les siècles barbares ; elle assujettit les princes ; elle amasse des
richesses. Le pouvoir des Papes se dessine, très limité encore par
les Conciles ;
4°
La période du triomphe. Les Papes se grisent de leur puissance,
essaient de briser les rois et de dominer le monde entier. Ils noient
les hérésies dans le sang ;
5°
La période de la jouissance. L'Eglise est en rut. Les festins et les
orgies succèdent aux supplices de libres penseurs et d'hérétiques
;
6°
La période du jésuitisme. Instruits par l'expérience, les chefs de
l'Eglise ont appris à louvoyer et à mentir, à cacher leurs tares,
à frapper dans l'ombre, à agir d'une façon souterraine pour
diviser et dominer les peuples sans se compromettre. Cette période
dure encore aujourd’hui. C'est grâce aux Jésuites et à leur
enseignement perfide que ces méthodes ont été adoptées - non sans
résistance, au début. (Un pape fut même obligé, sous la pression
de l'opinion publique, de les dissoudre). Ces méthodes, nous les
voyons à l'oeuvre dans l'assassinat des rois Henri III et Henri IV,
coupables de montrer un zèle trop modéré en faveur de l'Eglise ;
nous les retrouvons dans la lutte menée contre les Jansénistes,
violemment persécutés ; dans la révocation de l'Edit de Nantes et
la chasse aux protestants, torturés, envoyés aux galères, obligés
de s'enfuir à l'étranger au nombre de 400.000! Cette épouvantable
oppression valut à Louis XIV (dont les confesseurs étaient Jésuites
et dont les maîtresses étaient également les instruments de
l'Eglise) les remerciements du Vatican et les plats éloges du vil
courtisan Bossuet. Nous arrivons ainsi à la Révolution Française.
Le peuple était las de ses misères ; la bourgeoisie aspirait à
secouer le joug des nobles et des prêtres. L'Eglise était très
puissante et le clergé était, en 1789, le premier ordre de l'Etat.
« Il
comprenait
environ 130.000 individus, dont 60.000 religieux ou religieuses et
60.000 curés ou vicaires. Les domaines, au bas mot, valaient 3
milliards et donnaient un revenu net de 80 à 90 millions. La dîme
en produisait à peu près autant. Avec les dons de toutes sortes, on
peut estimer à 5.200 millions de livres les revenus du clergé. Il
disposait ainsi d'une rente annuelle égale aux deux cinquièmes du
budget de l'Etat. » (Desdevizes du Dézert, l'Eglise et l'Etat en
France.) « Notre budget étant, en 1925, de 30 milliards, le clergé
percevrait donc par an douze milliards, si nous n'avions pas fait la
Révolution » (Dr Mariavé). De tels chiffres devraient faire
réfléchir ceux qui ne sont pas encore convaincus de la malfaisance
sociale de l'Eglise. Le petit clergé était du reste exploité par
ses évêques et ses archevêques ; beaucoup de curés de campagne
virent d'un oeil favorable le nouvel état de choses basé sur
l'égalité et la liberté. Au début, la Révolution ne fut pas
dirigée contre l'Eglise. La plupart des révolutionnaires étaient
du reste des croyants et des chrétiens convaincus. Toute leur
ambition se bornait à restreindre les appétits dominateurs du haut
clergé. Ils mirent la main sur les immenses domaines de l'Eglise et
promulguèrent la constitution civile du clergé. Mais le Pape (Pie
VI) poussa ses ouailles à la résistance ; pour conserver une source
de revenus importants, il n'hésita pas à mettre la France à feu et
à sang. L'insurrection catholique déchira la Bretagne, la Vendée
et trente autres départements. Puisque les curés agissaient en
contre-révolutionnaires ardents, la Convention n'hésita pas à
engager la lutte contre eux et à prendre des mesures contre l'Eglise
d'abord, contre la Religion ensuite. Le nombre des athées allait
d'ailleurs en augmentant, en dépit des efforts tentés pour fonder
une « religion laïque », le culte de la Raison d'abord, la
Théophilanthropie ensuite. Mais la Révolution avortait dans les
déchirements des factions et les rivalités des politicailleurs.
Bonaparte prenait le pouvoir et songeait immédiatement à se servir
de l'Eglise, bien qu'il fut personnellement incroyant et même
antipapiste. L'Eglise accepta avec joie le Concordat qui lui était
offert, et le Pape vînt sacrer Napoléon - chacun des deux confrères
espérait bien rouler l'autre et garder pour luimême tout le profit
de l'entreprise. Napoléon ne se laissa pas faire ; il eut à lutter
avec l'Eglise (assez servile pour introduire la saint Napoléon au
calendrier... mais toujours aussi avide et ambitieuse). Il alla
jusqu'à faire enfermer le Pape. Néanmoins, l'Eglise avait retrouvé
sa puissance disparue, et lorsque le brigand corse eut été abattu,
ce fut elle la grande victorieuse. A travers le XIXème siècle, nous
la voyons consolider patiemment ses positions, mettre la main sur
l'enseignement (loi
Falloux),
couvrir la France du pullulement de ses congrégations voleuses et
abrutisseuses. Nous la voyons s'adapter successivement aux divers
régimes et passer indemne à travers les révolutions. En 1848, par
exemple, l'archevêque de Paris, Affre, se hâte de reconnaître la
République ; il est suivi par tout l'épiscopat français - et les
curés bénissent les arbres de la liberté! -. Les Jésuites sont
partout et font une propagande fructueuse ; les communautés
religieuses se multiplient sous le regard niaisement favorable des
républicains. Mais... dès le lendemain du coup d'Etat de 1851,
l'Eglise faisait volte face et se prosternait aux pieds de Napoléon
III. Il se trouvait même un évêque, celui de Nancy, pour prononcer
la phrase cyniquement célèbre : « Monseigneur, vous êtes sorti de
la légalité pour rentrer dans le droit! » Partout, l'Eglise
retrouvait sa force. L'hérésie protestante avait cessé de se
développer, et la plupart des rois, effrayés par la Révolution
mettaient toute leur confiance dans la religion - l'opium des
peuples! Cependant, l'Italie était travaillée par le désir de
réaliser son unité nationale. Grâce à l'impulsion d'énergiques
républicains athées (comme Garibaldi, Mazzini, etc.), le pouvoir
temporel des papes fut aboli. C'était un rude échec pour l'Eglise.
Mais le Vatican, loin de s'incliner, fit proclamer (1870), le dogme
de l'infaillibilité du pape. La Papauté n'a pu jusqu'ici
reconquérir sa puissance temporelle, et il paraît improbable
qu'elle y parvienne. L'Eglise a du reste tiré très habilement parti
de la situation qui est faite à son chef et s'est employée à en
tirer une sorte d'auréole morale, qui a facilité la propagande
catholique à travers le monde. Le rayonnement de l'Eglise s'est
encore étendu. Le protestantisme est en recul et en décroissance
dans tous les pays d'Europe. A Genève (la « Rome » du calvinisme),
les catholiques sont plus nombreux que les protestants. En Hollande,
en Angleterre, dans les Pays scandinaves, l'Eglise romaine fait de
continuels progrès. En France, les réformés ne sont qu'une petite
minorité. Mais c'est surtout aux Etats-Unis que les catholiques ont
travaillé, mettant à profit le libéralisme trop complaisant de la
République américaine (si dure pour la classe ouvrière et si
favorable à la clique romaine, qui en a profité pour s'insinuer
partout et s'emparer de la moitié des postes de l'Etat). Les
Etats-Unis sont à la veille de nouveaux conflits religieux ; ils
devront briser la puissance catholique s'ils ne veulent pas être
subjugués par elle. En France, la situation de l'Eglise est moins
compromise que ne le disent ses partisans. Après l'affaire Dreyfus,
au cours de laquelle l'Eglise était apparue comme la fidèle
associée de l'Etat-major, la séparation des Eglises et de l'Etat
fut votée, sous la pression d'une ardente campagne populaire. Mais
cette loi, escamotée et viciée par un Briand, ne fut pas appliquée
intégralement. Ses prescriptions concernant la formation des
associations cultuelles sont restées lettre morte et l'Etat Français
continue à laisser gratuitement à l'Eglise la jouissance des
édifices qui appartiennent cependant à la Nation. Tandis que les
travailleurs manquent de locaux et sont obligés de se réunir chez
les marchands de vins, des centaines d'églises et de chapelles
(propriétés nationales) sont abandonnées à l'Eglise - qui se dit
persécutée, par dessus le marché - sans un centime de redevance ou
de location. C'est le Pape Pie X (1907), qui a empêché les
catholiques français de former des associations cultuelles, sous
prétexte que ces associations violaient les droits de la hiérarchie
ecclésiastique, base essentielle de l'Eglise. On voit que le
catholicisme entend demeurer ce qu'il a voulu être depuis
Constantin, une monarchie absolue. L'an dernier (1925), les cardinaux
français ont publié un manifeste virulent contre les idées
laïques. Ce manifeste mérite d'être considéré comme le
prolongement des célèbres encycliques lancées par le pape Grégoire
XVI le siècle dernier ; son esprit est identique à celui du
Syllabus, publié en 1864, par Pie IX. L'Eglise maintient donc toutes
ses prétentions. Entre elle et le monde moderne, l'esprit de
libération scientifique, l'effort pour un monde plus juste et plus
heureux, la lutte ne saurait prendre fin. Certains efforts ont été
tentés, au sein même de l'Eglise, pour atténuer son autoritarisme
et pour la réconcilier avec les tendances libérales de la société.
Ces efforts ont-ils été toujours sincères ? Ne constituent-ils
pas, plus souvent, une subtile manoeuvre destinée à donner le
change aux naïfs, en les trompant sur les véritables sentiments de
l'Eglise? Le pape Léon XIII lui-même, en fin diplomate, a cru
nécessaire de consentir quelques concessions superficielles (et
purement verbales au surplus), aux idées du siècle. Lorsqu'il s'est
agi de prendre position, Léon XIII lui-même, après avoir
tergiversé et hésité, a désapprouvé formellement les tendances
libérales. Comment la Papauté pourrait-elle faire droit à
certaines revendications libérales, à celles, par exemple, qui se
plaignent que le pape, depuis la séparation, ait nommé les nouveaux
évêques sans consulter le clergé français ? Ce serait la fin de
son absolutisme - et elle a lutté pendant mille ans pour le
cimenter! Le catholicisme libéral a donc été vaincu et
solennellement réprouvé à plusieurs reprises. Le Sillon fondé par
Marc Sangnier a dû se soumettre également (il a laissé place à un
mouvement de même inspiration, moins audacieux pourtant : la Jeune
République, qui s'attache à entretenir l'équivoque et la
confusion, pour empêcher les partis avancés de reprendre la lutte
nécessaire contre le cléricalisme et l'obscurantisme religieux).
Dans le domaine scientifique, les intransigeants l'ont également
emporté sur les libéraux. Le modernisme fut condamné avec éclat.
Le libéralisme de ces catholiques d'avant-garde il toujours été
très relatif, il faut le dire. Dès qu'il s'agit de défendre les
privilèges de l'Eglise, ils y renoncent rapidement et font bloc avec
les ennemis du progrès. N'a-t-on pas vu, en 1829, les libéraux
s'indigner contre la nomination du protestant Guizot à la Sorbonne?
En 1862, ne s'élevèrent-ils pas contre l'entrée du libre penseur
Renan, au Collège de France, et Dupanloup ne prenait-il pas
l'engagement de faire tout son possible pour le faire chasser de
l'enseignement? Il se disait pourtant libéral et on l'aurait
indigné, ainsi que ses amis, en le traitant de clérical. En 1910 -
hier - Pie X ne faisait-il pas une orgueilleuse déclaration, faisant
l'apologie du passé de l'Eglise (de ce passé honteux dont je viens
de donner un très modeste aperçu), et n'osait-il pas prononcer les
réactionnaires paroles suivantes : « Qu'ils soient persuadés que
la question sociale et la science sociale ne sont pas nées d'hier ;
que, de tout ont suscité dans ce but des organisations fécondes ;
que l'Eglise, qui n'a jamais trahi le bonheur du peuple par des
alliances compromettantes, n'a pas à se dégager du passé et qu'il
lui suffit de reprendre, avec le concours des vrais ouvriers de la
restauration sociale, les organismes brisés par la Révolution et de
les adapter, dans le même esprit chrétien qui les a inspirés, au
nouveau milieu créé par l'évolution matérielle de la société
contemporaine. Car les vrais amis du peuple ne sont ni
révolutionnaires, ni novateurs, mais traditionalistes ». Leurs
traditions nous les connaissons. Je n'y insisterai donc pas. Il
s'agit simplement de savoir si nous resterons indifférents devant
cette institution néfaste, - et si puissante encore. M. Houtin
dénombrait récemment l'armée catholique, d'après l'Annuaire
pontifical pour 1924. Cette armée comprend 1.024 évêques latins,
87 évêques orientaux (dépendant de Rome), 18.304 jésuites, 17.000
frères mineurs, 9.650 capucins, 7.038 bénédictins, etc., etc. ;
des curés et des vicaires par centaines de milliers, des
congrégations innombrables et des missionnaires dans tous les pays
du monde. De toutes les Eglises actuellement existantes, l'Eglise
romaine est, sans contredit, et de beaucoup, la plus solidement
organisée, la plus riche et la plus redoutable. Que sont, en face
d'elle les confréries de marabouts et de muezzins musulmans, les
rabbins juifs, les pasteurs protestants divisés en nombreuses sectes
hostiles ou les lamas du Tibet perdus dans leurs montagnes lointaines
? Des centaines de milliers de femmes sont également domestiquées
fanatisées, suggestionnées par l'Eglise, au point de lui consacrer
leur existence, de renoncer à l'amour et à la maternité et de se
soumettre à la plus insupportable tyrannie dans les couvents et les
maisons religieuses. L'Eglise est devenue très habile, On l'a vu
récemment, par son attitude à l'égard du dictateur Mussolini.
Celui-ci ne peut gouverner sans l'Eglise et cet ancien socialiste
révolutionnaire fait risette au Pape pour obtenir son concours. Quel
rapprochement édifiant! Comme Bonaparte autrefois, Mussolini aide
l'Eglise à abrutir le peuple - pour l'asservir plus facilement.
N'avons-nous pas vu, au cours de cette rapide et insuffisante
promenade à travers l'histoire des peuples, que les Eglises - toutes
les Eglises - ont toujours été associées aux autorités - à
toutes les autorités? Le prêtre n'est-il pas le complice du
seigneur, du riche, du guerrier? Un monde meilleur restera chimérique
aussi longtemps que les Eglises ne seront pas réduites à
l'impuissance, que les castes sacerdotales ne seront pas dispersées
sans pitié, que le cerveau de l'enfant ne sera pas radicalement et
définitivement soustrait à leur déformation abêtisseuse. Toute
faiblesse à l'égard de ces malfaiteurs serait une coupable faute
pour l'avenir de l'humanité.
-
André LORULOT.
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