Pendant
la première et la seconde enfance l'enfant a vécu d'ordinaire dans
le milieu familial ; lors de la troisième enfance le milieu scolaire
jouera un grand rôle dans son développement. Mais, qu'il s'agisse
du milieu scolaire ou du milieu familial, des éducateurs, parents et
maîtres doivent avant tout se préoccuper d'obtenir l'attachement de
l'enfant. Nulle action éducative n'est possible si l'enfant n'aime
pas les éducateurs.
Pendant
la première et la seconde enfance, mais surtout pendant la première,
il s'agit surtout de donner à l'enfant de bonnes habitudes et de
veiller à son développement sentimental et moral.
L'attachement
est nécessaire à la culture de la soumission et un bon
développement sentimental et moral permet un bon usage de
l'intelligence. Il convient de préciser ce que nous entendons par la
soumission. Telle que nous la concevons, elle n'est pas la servitude.
Se soumettre c'est prendre conscience d'une supériorité, ce n'est
que vers sept ans que les enfants prennent une telle conscience ;
tout petits, ils ne se rendent pas compte qu'ils sont moins forts,
moins instruits, moins capables de se diriger que les adultes. Ainsi,
la soumission que nous désirons obtenir de l'enfant peut se traduire
par un refus d'obéissance de celui-ci en présence d'adultes qui se
montrent inférieurs à lui intellectuellement et moralement. Ce que
nous voulons obtenir, c'est la soumission volontaire. Nous voulons
que l'enfant, ayant pris conscience des imperfections de son
développement et de son savoir, recherche dans son entourage les
personnes qui pourront l'aider de leurs lumières lorsqu'il n'aura pu
découvrir par lui-même la bonne manière d'agir et nous voulons
aussi qu'il obéisse aux adultes. Point n'est besoin d'ajouter qu'en
revanche ces derniers doivent user de leur autorité d'une façon
mesurée ainsi que nous l'avons indiqué au début de cette étude.
Depuis sa naissance jusqu'au milieu de la troisième enfance l'enfant
est surtout un petit égoïste. L'égoïsme, ou plutôt
l'égocentrisme de l'enfant, n'est pas un défaut car il donne de la
force à la personnalité naissante. Vers huit ou neuf ans l'enfant
commence à s'intéresser vraiment aux jeux collectifs et les adultes
doivent favoriser de tels jeux qui non seulement le préparent à la
vie sociale mais encore développent son individualité. Si, dans la
société actuelle, l'individu est trop souvent opprimé, il n'en
faut pas conclure à la nécessité d'un individualisme antisocial.
La volonté humaine est un produit de la vie sociale ou plus
exactement de la réaction de l'individu contre le milieu. Suivant
ses tendances personnelles et celles de ses parents, l'enfant unique
vivant dans le seul milieu familial devient sans peine un esclave ou
un tyran. Au contraire, l'enfant parmi des enfants, à peu près du
même âge et de même force, se sent moins faible, il ne s'habitue
pas à une dépendance amollissante et comme ses petits camarades en
font tout autant, comme il sent que des volontés, pas trop fortes,
se heurtent à la sienne, sa propre volonté et son individualité se
développent. La troisième enfance marque aussi l'apparition des
intérêts abstraits et le développement de la pensée logique. Ce
n'est que vers 11 à 12 ans que l'enfant devient capable de
véritables raisonnements logiques et l'école ne tient pas
suffisamment compte de cet éveil tardif. Certes, bien plus tôt, les
enfants font des problèmes avec « raisonnement » complexe mais en
réalité leur « raisonnement » n'est la plupart du temps qu'un
acte de mémoire et la répétition de formules apprises. Si on les
interroge, ils répondent plutôt : « il faut faire une addition,
une soustraction... » que par un raisonnement véritable. On use
trop tôt, à l'école, d'idées abstraites et générales que les
enfants emmagasinent dans leur mémoire mais ne comprennent pas. Ceci
n'est pas seulement inutile par suite du manque de compréhension,
mais c'est encore dangereux parce que les idées dont la formule a
été confiée à la mémoire sont considérées comme toujours
vraies par l'enfant qui ne se donne plus la peine, plus tard, de
s’efforcer de les comprendre. Les prêtres de toutes les religions
le savent si bien qu'ils s'efforcent d'enseigner leurs dogmes dès le
plus jeune âge. Pendant la dernière période de l'enfance, l'enfant
est facilement suggestible, a une imagination vive et manque d'esprit
critique. Il s'ensuit que les enfants de cet âge altèrent souvent
la vérité sans le vouloir. Il faut évidemment que les adultes
évitent de laisser passer de telles déformations involontaires de
la vérité ; mais il importe aussi qu'ils les distinguent des
mensonges vrais. Ce serait cultiver le mensonge que de punir des
erreurs involontaires. Dans l'éducation de l'enfant, la punition
doit être considérée comme un pis-aller et les éducateurs doivent
s'efforcer d'en éviter l'emploi comme aussi, d'ailleurs, celui des
récompenses. Pour corriger ces « mensonges » involontaires, il
faut s'attaquer à leurs causes en apprenant à l'enfant à bien
observer, à formuler sa pensée avec précision, à régler son
imagination, à faire usage de l'esprit critique. A la fin de la
troisième enfance, l'enfant devient un idéaliste, il s'intéresse
aux grandes oeuvres, aux nobles actions, à la vie des grands hommes.
De cet intérêt enfantin il est évident que l'éducation doit tirer
parti, soit en racontant de belles vies de travailleurs, de
bienfaiteurs de l'humanité, de martyrs de la liberté et en
particulier de la liberté de pensée ; soit en montrant les grandes
oeuvres réalisées par l'entraide ; soit aussi en montrant les
méfaits des grands conquérants, des tyrans, etc... qu'on fait
encore trop souvent admirer dans les écoles d'aujourd'hui.
Rappelons, pour finir, la nécessité des loisirs et celle des
travaux libres, individuels ou collectifs dons nous avons parlé plus
longuement au mot « Ecole ».
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