On
désigne sous ce nom celui qui est autorisé par la loi de participer
à une élection,
c’est-à-dire
choisir quelqu’un et l’élever à une charge ou à une fonction.
Autrefois
on
donnait ce nom aux princes allemands chargés d’élire l’empereur.
Ils étaient au
nombre
de sept à l’origine (1356), mais par la suite ce nombre fut porté
à neuf, puis
à
dix.
De
nos jours et dans les pays gouvernés par le suffrage universel, tous
les hommes
ayant
atteint un certain âge, fixé par une loi, sont électeurs ; il est
même des pays
qui
commencent à accorder aux femmes le droit de vote.
En
France avant 1848, était électeur tout citoyen ayant atteint 25 ans
d’âge et
payant
au moins 200 fr. de contributions directes ; depuis cette date, tout
français
âgé
de 25 ans et jouissant de ses droits civils et politiques peut
concourir à une
élection.
Le droit de vote pour les femmes n’existe pas encore en France.
Lorsqu’en
juin 1848, après la chute de Louis-Philippe le peuple français
obtint le
suffrage
universel. - « Il a fait des révolutions pour obtenir ce droit »,
- il s’imagina
avoir
conquis le bonheur et la liberté. Il était enfin électeur ; tout
allait changer. Le
bulletin
de vote était aux yeux du travailleur une garantie de justice et de
liberté.
Grâce
à lui, tout comme un bourgeois, il allait avoir dans les assemblée
locales ou
nationales,
dans les parlements, des représentants directs chargés de le
soutenir et
de
le défendre. Électeur, le travailleur pensait devenir « le maître
», son bulletin de
vote
le faisant l’égal de tous les citoyens ; et puisque le nombre des
opprimés, des
parias,
des malheureux était supérieur à celui des privilégiés et des
satisfaits, il
n’était
pas douteux que les représentants des misérables seraient les plus
nombreux.
Quelle
illusion !
Le
principe électoral et le suffrage universel doivent leur fortune à
des apparences
et
avoir fait admettre au peuple, au travailleur, qu’électeur il est
maître de ses
destinées,
est peut-être la plus grande victoire remportée par la bourgeoisie
sur la
classe
ouvrière. L’illusion a si profondément pénétré l’esprit de
l’électeur, que c’est
aujourd’hui
un travail formidable que d’essayer de l’arracher à son erreur.
Le
raisonnement de l’électeur est simpliste et ses arguments sont
enfantins. Enfin,
nous
dit-il « nous sommes une population de quarante millions d’habitants
; il est
impossible
que tous les individus se réunissent ensemble pour discuter ; il est
donc
indispensable
de nommer des délégués pour accomplir cette tâche. Étant
électeur,
j’ai
la liberté de voter pour qui me plaît, et de choisir un
représentant partageant
mes
opinions. Si le nombre d’électeurs du même avis que moi est en
majorité, il est
indéniable
que je sortirai victorieux de la lutte que je mène contre mes
adversaires.
Le
parlement m’appartiendra, et puis le gouvernement, et puis je serai
le maître. Je
ferai
des lois, je publierai des décrets, en un mot, je transformerai du
tout au tout la
société
moderne. »
Telle
est la théorie qui anime l’électeur. C’est depuis la révolution
de 48, avonsnous
dit,
que chacun en France est électeur ; ce qui n’empêcha du reste pas
le
prince
Napoléon de faire, le 2 décembre 1851, un coup d’État et de se
faire nommer
empereur
des Français. Ce premier choc, à peine trois ans après un
mouvement
insurrectionnel
eut dû faire réfléchir la population. Non pas ; trompée par les
apparences,
elle persista dans son aveuglement et dans son erreur. Elle continua
à
avoir
confiance en ces assemblées de fantoches et de charlatans, complices
intéressés
de la classe bourgeoise.
Des
années ont passé, les expériences se sont répétées, les
exemples se sont
multipliés,
les trahisons sont devenues plus fréquentes, l’électeur vote
toujours, sans
se
lasser, espérant toujours former un parlement où il aura la
majorité et où il pourra
de
sa puissance écraser la bourgeoisie.
Que
de fois ne lui a-t-on dit que rien de bon ne pouvait germer du
parlementarisme
et
que son action était stérile ; que de fois ne lui a-t-on prouvé la
subordination du
parlement
par le capital ? Il ne veut pas comprendre, il ne veut pas entendre,
il ne
veut
pas voir. L’électeur est un religieux qui veut rester plongé dans
son obscurité.
«
J’ai peut-être le droit, dit Laisant, de parler avec liberté du
parlementarisme, ayant
passé
dix-sept années de ma vie au parlement (de 1876 à 1893). J’y
étais entré à
l’époque
de ma jeunesse, au lendemain de la guerre, avec toutes les illusions,
et j’en
suis
sorti de mon plein gré, après cette trop longue expérience. J’ai
cherché à y faire
du
bien, et je n’y ai pas réussi. Bien certainement, je ne saurais
avoir la prétention
de
m’être trouvé seul dans ce cas ; et je ne peux pas condamner ceux
qui sont
encore
aujourd’hui les victimes et les dupes des illusions qui jadis
furent les
miennes,
et que partagèrent mes électeurs. J’ai eu conscience de tenter de
remplir
mon
mandat, d’empêcher les iniquités, d’introduire dans nos
institutions un peu
d’humanité
et de justice. La chose était impossible ; le gouvernement de la
bourgeoisie
s’y oppose par sa nature même, et les lois n’ont pour objet que
de
régulariser
l’injustice, d’assurer la domination des plus forts sur les plus
faibles. Le
système
exige la cruauté, la férocité, alors même que les individus qui
l’appliquent
seraient
humains et bons. » (A. Laisant :L’illusion parlementaire.)
Les
anarchistes ont depuis longtemps déjà compris tout le mensonge
électoral, et
c’est
en 1879 qu’ils se séparèrent des socialistes avec lesquels ils
avaient marché
jusqu’alors.
Les socialistes d’hier, de même que les communistes d’aujourd’hui
ne
pardonnent
pas aux libertaires de se livrer à une action anti-électorale et de
chercher
à
éloigner l’électeur de la symbolique urne démocratique.
Au
cours des campagnes électorales, alors que ne réclamant rien, nous
venons
auprès
des électeurs pour les initier et leur faire partager nos
aspirations, que de fois
n’avons-nous
pas été accusés d’être des agents de réaction et de division
sociale. Et
pourtant
existe-t-il en France, parmi la classe ouvrière, un électeur, un
seul, qui
puisse
prétendre que son action ait été profitable à la cause qui lui
est chère ; que le
bulletin
de vote dont il s’est servi l’ait libéré de son esclavage et de
la contrainte
qu’il
subit depuis si longtemps ; que l’intervention de son représentant
ait amélioré
son
sort, diminué ses souffrances, élargi le domaine de sa liberté ?
Depuis
près de 80 ans, qu’en France, tout citoyen âgé de 21 ans est
électeur, est-il
une
conquête qui n’est pas le résultat de la lutte révolutionnaire,
et les diverses
réformes
consenties par la bourgeoisie ne le furent-elles pas en raison
directe de la
puissance
de l’action populaire ? Le parlementarisme s’est manifesté
inopérant dans
tous
les domaines intéressant la classe ouvrière, et à maintes
reprises, la critique en
fut
faite, avec talent, par des savants, des philosophes et des
écrivains.
Nous
ne devrions pas avoir à revenir sur un sujet qui a soulevé bien des
polémiques,
et la faillite du parlementarisme, et l’action électorale est si
flagrante
que
nous sommes surpris qu’il y ait en France encore un homme assez
naïf ou
inconscient
pour être fier d’être électeur.
Plus
que jamais l’électeur devrait être fixé, aujourd’hui, sur la
valeur de sa
puissance
et sur le cas que l’on fait de sa volonté. Les élections de 1924
ne furentelles
pas
un symbole de fourberie et de trahison ?
Après
dix ans de guerre atroce, après avoir consenti des sacrifices
inimaginables
pour
sauver sa liberté, après avoir consenti à se laisser gouverner
aveuglément pour
sauver
la « Patrie en danger », le peuple dans la plénitude de ses
droits, le 11 mai
1924,
affirme sa volonté de voir se terminer une politique de rapine et de
vol, de
nationalisme
dangereux ; il réclame pour ceux qui furent victimes de la folie
d’un
ministre
lorrain, une amnistie pleine et entière, il demande qu’on le
débarrasse du
cléricalisme
qui, petit à petit, envahit à nouveau le territoire, il affirme son
désir de
voir
écraser les bandes fascistes qui commencent à l’exemple de
l’Italie de terroriser
la
nation ; il balaye le « Bloc National » et, confiant dans les
promesses de ses
candidats
unis dans un « Bloc des gauches », il vote librement, sincèrement,
espérant
voir la République se refaire enfin une virginité.
Deux
ans s’écoulent, et les résultats sont là terrifiants. Deux ans
s’écoulent, et
malgré
la volonté de l’électeur, l’homme de mort dirige encore et
préside aux
destinées
de la France républicaine.
Les
promesses ? Elles se sont envolées comme un brin de paille ;
l’amnistie ne fut
pas
votée ; le cléricalisme est plus puissant que jamais et le fascisme
fait de rapides
progrès.
Le peuple, l’électeur, avait demandé la paix ; il eut la guerre
du Maroc, il
eut
la guerre de Syrie, il aura d’autres guerres demain ; il avait dit
: « Nous avons
faim
et nous souffrons ». La vie est dure. Les impôts sont devenus plus
lourds, le
coût
de l’existence a augmenté. Qu’a-t-on fait de ta volonté, pauvre
électeur, pauvre
imbécile,
qui une fois de plus t’es laissé griser, leurrer, par les belles
paroles de tes
candidats
?
Cela
suffit-il à t’éclairer ; es-tu fixé à présent ? Non.
L’électeur a encore confiance.
Après
avoir voté pour le républicain, il a voté pour le radical, il a
voté pour le
socialiste,
il vote maintenant pour le « communiste ». A qui le tour ensuite ?
D’autres
pantins viendront après ceux-là ; avec les mêmes paroles, avec les
mêmes
mensonges
ils obtiendront les mêmes succès. A moins que...
Car
tout de même, ce n’est pas en vain que chaque jour nous déchirons
le rideau de
la
politique. L’accroc est devenu tellement grand que l’on voit
maintenant ce qui se
passe
dans les coulisses, et dégoûté par la comédie, une minorité
déserte déjà les
urnes.
Cette minorité va grandir, bientôt elle deviendra une majorité
puissante qui
s’imposera
non plus par le bulletin de vote, mais par l’action.
Il
ne suffit pas évidemment de ne pas voter. Celui qui, par lassitude,
par dégoût, par
paresse,
ne vote pas et reste tranquillement chez lui, attendant d’un
miracle la
transformation
de la société et l’amélioration de son sort, n’est pas plus
intéressant
que
l’électeur inconscient. Il l’est moins, pourrait-on dire, car
l’électeur croit
remplir
une action utile en accomplissant son acte ; il se trompe, mais
l’esprit même
de
son erreur rend cette erreur respectable et une fois éclairé, il
viendra grossir les
rangs
de tous les révoltés qui oeuvrent sainement pour conquérir le
bien-être et la
liberté.
Électeurs,
abandonnez les urnes. « Développez-vous physiquement et
cérébralement,
prolétaires de tous les pays ; cultivez et appliquez la grande loi
de la
solidarité.
Renoncez à l’illusion parlementaire, portez vos efforts sur
l’organisation
syndicale,
sur l’association consciente. Et la libération désirée,
l’avènement d’un
régime
moins cruel, seront moins éternellement reculés. Un sang généreux
coule
dans
vos veines ; ne faites pas la folie de le sacrifier pour une
chimère.. » (C.-A.
Laisant.)
Car
ce n’est véritablement qu’une chimère, que le parlementarisme.
Dans une
société,
dit Jean Grave « où l’activité de l’individu est bornée par
la possession
d’espèces
monétaires, où tout se paie, tout se vend, il ne peut y avoir de
liberté que
pour
celui qui possède. Et l’on aura beau reconnaître le plus
solennellement
possible,
tous les droits voulus, à tous indistinctement, cela ne signifiera
rien, tant
que
tous n’auront pas la possibilité d’user de ces droits ». Et
cela est tellement vrai,
que
dans un pays, où seul le peuple ouvrier est électeur, où seul il a
le droit de
nommer
des représentants, il est tout de même asservi à la classe
bourgeoise.
En
Russie, le bourgeois n’est pas électeur. Ce « privilège » n’est
accordé qu’au
paysan
pauvre et à l’ouvrier. C’est ce qui permet au gouvernement russe
de se parer
du
titre de « Gouvernement ouvrier et paysan ». Mais si l’on
demandait à un
bourgeois,
à un exploiteur de changer sa position, sa situation économique et
sociale
avec
celle de l’homme qu’il exploite et qui est électeur, il
s’empresserait de refuser,
car
il comprend bien lui, que la force ne réside pas en un morceau de
papier, mais
en
la puissance économique que l’on exerce.
Voilà,
ce qu’il faut comprendre à ton tour, électeur opprimé. « Il
faut conquérir la
puissance
économique. » La puissance politique est un leurre, et voterais-tu
plus
rouge
encore que tu n’as jamais voté, tu resteras un esclave tant que tu
n’auras pas
aboli
les causes de ton mal.
Organise-toi,
électeur, avec tous ceux qui, comme toi, sont les victimes d’une
société
perfide pour « réaliser » l’émancipation intégrale de la
classe ouvrière et,
avec
elle, de l’humanité toute entière.
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