dimanche 27 janvier 2019

ENFANT n. m. (lat. infans ; de in, non et tari, parler) Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




Il est d'usage de diviser la vie humaine en trois périodes : 1° la jeunesse qui comprend l'enfance et l'adolescence ; 2° l'âge mûr ou âge adulte ; 3° la vieillesse.
Autrefois l'enfant était considéré comme un adulte en réduction, un « homonculus », ses tendances particulières, ses manières propres de sentir, d'agir, de penser paraissaient être autant de défauts ou d'erreurs dont il fallait s'empresser de le corriger pour l'amener au plus tôt au degré d'adulte.
Aujourd'hui, seuls des parents plus aimants que clairvoyants, continuent d'admirer les enfants qui singent les grandes personnes et ont, en apparence, des raisonnements d'adultes. Physiologistes et psychologues savent bien que l'enfant n'est pas tout à fait une réduction d'homme bien qu'il ne soit pas absolument différent de ce qu'il sera plus tard, ils le considèrent comme un être qui évolue. Le développement physique de l'enfant n'est pas uniforme, tantôt la croissance est ralentie ou arrêtée, tantôt elle est accélérée. Les accélérations rapides, crises de croissance, varient avec le sexe, la race, l'état de santé et les conditions sociales. Les enfants des familles pauvres ont un développement physique entravé par des conditions alimentaires et hygiéniques défectueuses. Les crises de croissance en poids ne correspondent pas aux crises de croissance en taille : l'enfant grandit plus qu'il ne grossit tandis que l'adolescent grossit plus qu'il ne grandit.
La grandeur relative de la tête par rapport à l'ensemble du corps varie d'une façon importante ; proportionnellement le nouveau-né a la tête sept fois plus grosse que l'adulte. La rapidité de la respiration varie également dans de fortes proportions : le nouveau-né respire environ trois fois plus vite que l'adulte ; l'enfant de six ans environ deux fois plus vite.
Le nouveau-né est un être à actions réflexes, ces activités peuvent s'exercer sans l'aide du cerveau imparfaitement développé (voir : cerveau, p. 314, 2ème col.).
Au point de vue psychologique l'enfant ne diffère pas moins de l'adulte : « l'enfant vit dans le présent ; l'adolescent découvre l'avenir ; l'adulte vit dans l'avenir ; le vieillard vit dans le passé » F. Challaye. L'enfant est, a-t-on dit, un être sensori-moteur. Les sensations et les mouvements occupent en effet une large place dans la conscience de l'enfant, Les tendances enfantines, dont la satisfaction produit l'intérêt, naissent les unes après les autres en un ordre constant, elles n'apparaissent ni ne disparaissent subitement mais elles atteignent toujours un point culminant ; c'est ainsi que l'intérêt glossique (au langage) atteint un tel point entre deux et trois ans. De cette prédominance des tendances on a parfois retiré une classification de l'enfance en stades : du suceur, du regardeur, de l'attrapeur, du trotteur, du parlotteur, etc... En résumé les enfants ne sont pas entièrement différents des adultes mais ne sont pas non plus des réductions d'adultes. Ce sont des êtres qui évoluent suivant une certaine périodicité qui varie sous l'influence de multiples facteurs : les sexes, les individus, etc... Les classifications des âges de l'homme, des stades de l'enfance, de l'évolution des intérêts enfantins s'appliquent à des individus moyens qui n'existent pas en réalité ; elles nous renseignent sur l'évolution de l'espèce mais non sur l'évolution individuelle. Tous les individus normaux d'un même âge ont des caractères communs : à un âge donné les enfants sont tous aux mêmes stades de leur développement, physique, affectif et mental et les lois de ce développement sont valables pour eux. Mais tous ces individus ont en propre des hérédités congénitales et ont été modifiés par des éducations différentes selon les sujets.
Il en résulte que chaque enfant présente une double évolution, spécifique et individuelle qui fait qu'il ressemble à tout autre enfant et en diffère.
Conséquences pédagogiques.
On sait bien que le développement physique de l'enfant exige qu'il ne soit pas traité comme un petit homme, que par exemple son alimentation doit différer de celle de l'adulte non seulement en quantité mais encore en qualité. Tout n'est certes pas parfait dans le mode d'alimentation et dans l'hygiène des enfants mais cependant on s'en préoccupe et l'on s'empresse de faire venir le médecin si la santé et le développement physique d'un enfant laissent à désirer.
Quelle différence en ce qui concerne le développement intellectuel et moral! Les mêmes parents qui s'efforçaient de tenir compte du développement physique et de la santé du corps ne s'inquiètent point de ce qui a trait au bon développement intellectuel et affectif. Pour faire de l'enfant un homme on ne sait qu'ordonner et réprimer. Parents et maîtres sont généralement des despotes et l'enfant doit obéir sans discussion. La grande affaire n'est pas de savoir ce qui lui plait, de connaître ses désirs et ses intérêts, mais de l'obliger à agir selon le bon plaisir des adultes.
Les anarchistes, vraiment conscients, qui ont souffert de l'autorité agissent parfois d'une façon tout à fait opposée à celle de ces parents tyranniques. Certains pensent que pour faire de leurs enfants des individualités libres il convient de les laisser grandir dans la liberté la plus absolue. Admis d'un côté des éducateurs qui veulent faire des hommes en traitant les enfants comme des esclaves, qui veulent que chaque enfant réalise un idéal qu'ils se sont créé sans souci des intérêts et des possibilités de l'enfant lui-même ; de l'autre, des éducateurs ennemis de toute contrainte et qui laissent l'enfant agir selon son caprice.
Ces éducateurs ont besoin de la leçon du jardinier.
Lorsque cet artisan veut amener un arbre à fruit, il s'informe de son espèce, il étudie son mode de végétation, car il sait que les poiriers ne se traitent pas comme les pêchers, que parmi les poiriers certaines variétés exigent une taille ou plus courte ou plus longue et qu'enfin deux arbres d'une même variété présentent toujours des différences dont ils doivent tenir compte.
Or le jardinier ayant étudié chacun de ces arbres ne les laisse pas à l'abandon, il courbe, pince, taille, mais n'allez pas croire qu'il taille tout ce qui n'est pas bourgeon à fruit, il sait que chaque bourgeon à fruit ne devient pas tel du jour au lendemain et que tel bourgeon pourra devenir bourgeon à fruit ou bourgeon à bois selon la taille qu'il appliquera au rameau tout entier.
Ainsi font les bons éducateurs qui considèrent les enfants en leur devenir, en leurs possibilités. Pas plus que le jardinier ne se disait : ce bourgeon n'a pas de fruit, il faut le couper, ils ne se disent : cette tendance, cet intérêt ne sont pas utiles à l'homme, il faut les supprimer ; mais quels rôles peuvent-ils jouer dans l'évolution de l'enfant, de cet enfant?
Pour faire vraiment des hommes libres aux individualités fortes il faut d'abord se rendre compte de ce qui caractérise vraiment la liberté et la volonté et il faut ensuite savoir ce que peut chaque enfant, quels germes sont en lui qu'il faut soigneusement cultiver, développer pour le rendre capable d'être libre et lui apprendre à vouloir.
Etre libre, ce n'est pas faire tout ce qu'on veut mais vouloir tout ce qu'on fait et la liberté de chacun est limitée par la liberté des autres. Ceux qui ont une forte individualité ne sont pas ceux qui font tout ce qui leur passe par la tête, mais ceux qui sont capables de faire un choix raisonné parmi un certain nombre d'actions possibles et de se conformer à ce choix. Vouloir n'est pas seulement agir, c'est d'abord juger, déterminer l'action à faire en tenant compte des possibilités, des probabilités, des nécessités, etc., et c'est ensuite juger et déterminer encore à propos des moyens d'action à employer.
Par suite laisser à l'enfant - qui n'a pas encore acquis le développement intellectuel nécessaire - la liberté de faire tout ce qu'il lui plaît, rien que ce qui lui plaît et quand cela lui plaît, ce n'est pas lui donner la possibilité de vouloir et c'est sûrement lui faire acquérir l'habitude d'agir selon ses impulsions, le rendre esclave de ses tendances bonnes ou mauvaises.
L'homme esclave des mauvais penchants que lui ont légués l'hérédité et le milieu n'est pas plus notre idéal que l'homme esclave de la Société. Il est un juste milieu entre la contrainte extérieure, l’abus de l'autorité et l’entière liberté qui apparaît clairement lorsqu'on considère l'enfant comme un être qui évolue. Pour préparer des hommes libres, des individualités fortes il faut tenir compte de la nature même des enfants. Il faut saisir toutes les occasions d'amener les enfants à agir, à se décider par eux-mêmes, à faire preuve d'initiative. Il faut par conséquent ne les guider, les servir, les commander, les dispenser d'efforts que dans la mesure où la chose est indispensable.
Les enfants doivent acquérir progressivement une capacité croissante d'efforts choisis et déterminés par eux. Parce qu'ils ne sont pas encore capables de juger et de se déterminer en toutes choses il est nécessaire que les adultes, dans leur intérêt, jugent parfois à leur place mais il doivent leur permettre de faire preuve d'initiative toutes les fois que la chose est possible.
Il est souhaitable que les enfants aient conscience que les ordres reçus ne résultent pas du caprice des parents ou des maîtres, qu' ils en comprennent les raisons et qu'enfin il leur soit laissé la plus large initiative dans le choix des moyens.
Les ordres bien définis, auxquels les enfants doivent obéir immédiatement devront être aussi rares que possible et il est désirable que les enfants comprennent qu'ils résultent d'une réelle nécessité ; par suite il faut éviter les ordres capricieux, irréguliers et contradictoires.
Les jeunes enfants, lorsqu'ils sentent qu'on les aime et qu'on les commande dans leur intérêt sont rarement désobéissants. L'enfant qui se sent incapable de bien juger obéit aisément, ce n'est que l'adolescent plus apte à reconnaître, à discuter et à raisonner qui obéit avec peine lorsqu'on n'accompagne pas l'ordre des raisons de l'exécuter.
La plupart des désobéissances des jeunes enfants proviennent des maladresses des parents qui n'ont pas su agir de telle façon que les enfants sentent qu'on les commande dans leur propre intérêt. A vrai dire certains parents sont des tyrans égoïstes mais ce ne sont pas les seuls qui ne savent pas user de leur autorité.
Certains parents multiplient les ordres et interviennent à tout propos dans la vie de l'enfant, ne lui laissant nulle occasion d'agir de sa propre initiative ; d'autres substituent sans cesse des contre-ordres aux ordres donnés, soit que les contre-ordres du papa s'appliquent aux ordres de la maman ou vice-versa, soit qu'ils marquent la faiblesse de l'adulte en présence des pleurs, cris ou révolte de l'enfant. Il ne suffit pas que les éducateurs permettent aux enfants de juger, de raisonner, de choisir, de se déterminer et d'agir d'après leur propre initiative toutes les fois que leur développement intellectuel et affectif le leur permet. Les éducateurs doivent encore s'ingénier à fournir aux enfants des occasions de développement. Ils doivent organiser un milieu éducatif dans lequel l'enfant pourra agir et où ses qualités individuelles et sociales pourront se développer. Chaque enfant a des tendances, des intérêts qui pour le bon éducateur sont des points de départ ; il s'agit pour l'adulte de voir où ils peuvent mener l'enfant et de placer sur le chemin de ce dernier de multiples occasions d'agir, et par conséquent d'apprendre à juger, à se déterminer, à vouloir, conformément à ces intérêts. Il est évident que ces occasions que l'éducateur offre ainsi à l'enfant ne sont pas des occasions quelconques, qu'elles résultent d'une sélection faite par l'éducateur qui choisit tout ce qui peut stimuler l'épanouissement de l'individualité enfantine dans le sens convenable.
En résumé, l'adulte ne renonce pas à intervenir dans la vie de l'enfant, mais il y intervient le moins possible, toujours dans l'intérêt de ce dernier et il s'efforce de développer progressivement la capacité de vivre sans l'autorité d'une contrainte extérieure.
* * *
Les psychologues divisent l'enfance en un certain nombre de périodes mais suivant le point de vue auquel ils se sont placés leurs subdivisions varient. Enfin les divisions et les subdivisions sont approximatives en raison des variations sexuelles et individuelles.
En se plaçant au point de vue de la croissance, Claparède établit les divisions suivantes :
1. Première enfance... jusqu’à 7 ans jusqu’à 6-7 ans
2. Seconde enfance... de 7 à 12 de 7 à 10
3. Adolescence.......... de 12 à 15 de10 à 13
4. Puberté.................. de 15 à16 de13 à 14
Au point de vue des intérêts le même auteur établit un plus grand nombre de divisions :
0 à 1 an ; 1 an à 3 ans ; 3 à 7 ans ; 7 à 12 ans ; 12 à 18 ans, etc...
Au même point de vue Nagy propose la division suivante : 0 à 2 ans ; 2 à 7 ans ; 7 à 10 ans ; 10 à 15 ans ; après 15 ans.
Halle a proposé trois divisions qui comportent d'ailleurs des subdivisions : 0 à 7 ans ; 7 à 15 ans ; 15 à 25 ans, etc...
Le Dr Bertillon divise la vie humaine en 17 périodes dont quatre pour la vie intra-utérine ; dans sa classification la première enfance, divisée en trois périodes, prend fin vers 7 ans.
Lacassagne propose : 0 à 7 mois ; 7 mois à 2 ans ; 2 ans à 7 ans ; 7 à 15 ans ; 15 à 20 ans. Verrier donne la division : 0 à 7 ans ; 7 à 14 ans ; 14 à 21 ans. Sringer : 0 à 2 ans ; 2 ans à la puberté (10 à 12 ans) : etc... ; Cruchet : 0 à 2 ans ; 2 à 7 ans ; 7 à 14 ans. La division de Luckey est plus intéressante :
1er Cycle : Enfance
1° de la naissance à 2 à 3 ans : stade affectif.
2° de 2 à 3 ans à 7 à 8 ans : stade volitif.
3° de 8 ans à 12-13 ans : stade intellectuel.
2e Cycle : Adolescence
1° de 13-14 à 16 ans : stade effectif (nouvelle naissance, nouvelle croissance physique entraînant de nouveaux désirs, etc.).
2° de 16-à 18 ans : stade volitif.
3° de 10 à 25 ans : stade intellectuel.
Ferrière propose une division semblable à celle que Claparède était au point de vue de la croissance mais il subdivise cette division en se plaçant au point de vue de l'évolution des intérêts.
Si nous négligeons les différences que présentent ces classifications pour nous attacher aux ressemblances nous constatons que tous distinguent nettement l'enfance de l'adolescence, que presque tous placent dans l'enfance un point de division vers 7 ans et enfin qu'une autre subdivision vers 2 à 3 ans est proposée par la plupart.
En l'un des plus récents ouvrages consacrés à « La psychologie de l'enfant et de l'adolescent » le Dr Vermeylen propose la division suivante :
Première enfance : de 0 à 3 ans.
Deuxième enfance : de 3 à 7 ans.
Troisième enfance : de 7 à 12 ans.
Adolescence : de 12 à 18 ans.
Pour la commodité de notre étude nous adopterons cette division, en rappelant qu'elle est quelque peu arbitraire et que les âges indiqués ne sont qu'approximatifs.

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