dimanche 27 janvier 2019

LA PREMIERE ENFANCE (de 0 à 3 ans) Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




Dès les premiers jours de son existence l'enfant exprime quelques émotions : plaisir, déplaisir, désir, crainte.
La peur se manifeste très tôt et accompagne les impressions nouvelles brusques et intenses qu'il importe d'éviter à l'enfant : bruits violents, secousses brusques. Plus tard la peur est provoquée par des impressions visuelles : visages ou êtres inconnus. Tout d'abord les peurs de l’enfant ne sont pas motivées, l'enfant ne connaît pas le danger. Ensuite ses craintes deviennent plus motivées, l'imagination y joue un grand rôle.
L'éducateur doit s'efforcer de corriger les enfants de ce sentiment. D'abord ils ne le provoqueront pas eux-mêmes, donc pas de menaces, pas de violences, pas de railleries, pas de contes fantastiques ou d'histoires dramatiques. Ensuite par leur exemple, leur appel à la confiance, une action lente, méthodique, progressive pour les habituer à l'obscurité, aux bruits, par la suggestion, ils s'efforcent de guérir l'enfant et de le persuader qu'il n'est pas peureux.
II en est de la peur comme de la colère, elle dépend en une certaine mesure des conditions physiques et il convient de s'attaquer à toutes ses causes ; il faut donc, lorsque besoin est, rendre l'enfant plus fort, mieux portant, plus souple soit par l'alimentation, soit par des exercices de gymnastique et des jeux de plus en plus violents, soit au besoin grâce à des médicaments fortifiants et toniques du système nerveux.
Certains enfants sont tout à la fois timides et peureux ; mais la vraie timidité est distincte de la peur et s'observe beaucoup plus chez les adolescents que chez les enfants. Dans la plupart des cas elle est le fruit d'une éducation trop sévère qui n'a pas permis le développement normal de la personnalité enfantine. La colère ne se manifeste d'ordinaire que vers deux ou trois mois, elle est généralement brève et intense ; l'enfant trépigne, crie, frappe du pied, se roule par terre, veut donner des coups, etc... La colère dépend de la nervosité, de l'état atmosphérique, elle est souvent provoquée par les gronderies, les emportements des éducateurs (parents et maîtres) ou leurs faiblesses... La guérison de la colère s'obtient en s'attaquant aux causes de la colère qui proviennent de l'enfant lui-même ou de l'extérieur. En ce qui concerne l'enfant lui-même, il convient de distinguer les enfants neurasthéniques, de santé délicate aisément irritables, des enfants vigoureux, hypersthéniques. Les premiers ont avant tout besoin d'un régime fortifiant qui les guérisse de leur débilité, il leur faut des aliments riches en principes nutritifs mais non excitants, au besoin un peu d'huile de foie de morue l'hiver et des préparations phosphatées l'été ; il convient aussi de les habituer à mener une vie bien régulière : coucher et lever aux mêmes heures, etc... Les seconds ont besoin d'une alimentation moins tonique, plus végétarienne, d'une vie active au grand air ; des bains et l'emploi de certains médicaments (bromure de potassium, etc... ) peut être utile. Beaucoup d'enfants-colères de cette dernière catégorie doivent leur tempérament à l'alcoolisme des parents. En ce qui concerne l'influence du milieu, il est évident qu'il importe d'abord d'éviter les motifs de crise, de faire preuve d'un grand calme. Non seulement l'adulte ne doit pas donner l'exemple de la colère, mais il doit conserver son calme lors de la colère enfantine, en évitant tout ce qui pourrait entretenir la crise : ironie, punition (dans la mesure du possible et en tous cas jamais excessive mais toujours appliquée), coups, etc... L'esprit de révolte qui est une des formes de la colère ne se manifeste d'ordinaire qu'après la première enfance ; il survient presque toujours chez l'enfant lorsque celui-ci constate qu'il va être, ou vient d'être, injustement puni. La bouderie est plus fréquente chez les jeunes, elle résulte des premières manifestations du sentiment de la personnalité en conflit avec la volonté d'un adulte. Il importe donc que les adultes évitent de tels conflits lorsqu'ils le peuvent et que, dans les cas où ils se produisent, ils fassent preuve de douceur, de patience et de fermeté. Ce n'est que vers un mois et demi que l'enfant est capable de pleurer et ses premières larmes ne sont qu'un simple reflexe déterminé par l'irritation du nez ou des yeux. Vers quatre ou six mois seulement les larmes de l'enfant peuvent provenir de la douleur morale. Le sourire qui apparaît à la fin du premier mois est tout d'abord un reflexe ; la joie ne se manifeste pas avant le troisième mois ; enfin ce n'est qu'au bout de quatre ou cinq mois que l'enfant éprouve de la sympathie ou de l'antipathie.
Au moment de sa naissance l'enfant ne s'intéresse qu'à ses besoins organiques (besoin d'air, d'aliments, de chaleur, de repos, etc... ) mais bien vite il éprouve le besoin de regarder, d'écouter, de tâter et jusqu'à six mois ce seront les intérêts perceptifs qui prédomineront. Ces intérêts continueront de se développer plus tard mais d'autres intérêts deviendront prépondérants à leur tour. Ce seront en premier lieu l'intérêt pour les mouvements que les petits associeront à leurs perceptions. L'enfant de six mois à deux ans s'intéresse surtout aux mouvements : il s'exerce à prendre, à commander à ses muscles, il apprend à marcher, etc... De deux à trois ans l'intérêt prédominant de l'enfant va au langage et le langage comprend aussi une acquisition motrice et le langage du jeune enfant est dans les débuts un mouvement d'un genre particulier, ce n'est qu'au bout d'un certain temps que l'enfant songe à l'utiliser comme moyen de communication de la pensée. « La première période de la vie de l'enfant, s'étendant jusqu'à trois ans, est en somme occupée par l'acquisition des mouvements nécessaires à la mise en train des activités élémentaires de l'individu : préhension, marche, langage. L'enfant s'y intéresse presque exclusivement. L'acquisition des moyens d'action est le but final de ses mises en oeuvre sensuelles, intellectuelles et affectives et on peut parler d'une période motrice vers l'âge de trois ans. C'est que le mouvement a une importance primordiale dans le développement de la vie psychique et qu'il constitue la base et le substratum de toutes les acquisitions ultérieures. Non seulement il peut seul assurer les réactions adéquates de l'individu, mais il pénètre toute notre vie représentative et affective, et même notre vie inconsciente ... » (Dr Vermeylen.) Rappelons une fois de plus que, par suite des grandes diversités individuelles, l'âge de trois ans n'est qu'approximatif.
Ajoutons que l'intérêt de l'enfant pour le mouvement se prolonge pendant toute l'enfance. D'abord l'enfant agit pour agir ; jusque vers cinq ans, nous le verrons ainsi traîner une brouette à cause du bruit qu'elle fait et de l'occasion de marcher ou de courir qu'elle lui procure. La satisfaction motrice passe avant tout : il coupe pour couper, frappe pour frapper, crie pour le plaisir de crier, etc... Il faut bien se garder de croire que tout cela est inutile, plus il agira, soit qu'il marche, coure, crie, frappe, coupe, déchire, etc... et plus il accumulera d'expériences personnelles. A force de voir certains actes provoquer certains effets, il utilisera ces actes dans le but d'obtenir les effets ou résultats correspondants ; il criera pour faire accourir sa mère, il traînera sa brouette pour porter plus commodément quelque chose, etc...
Après avoir agi instinctivement pour dépenser toute l'énergie qui est en lui, l'enfant agira avec réflexion en vue d'atteindre un but qui donne satisfaction à ses intérêts.
Conséquences pédagogiques.
La colère, la peur et tous les autres sentiments enfantins étant pour une large part le résultat d'une mauvaise santé physique, les parents doivent d'abord se soucier de leur rôle de procréateurs. Les enfants de parents malades, alcooliques, etc... sont les victimes de leurs parents. Après la naissance, les parents doivent continuer de s'efforcer d'assurer à leurs enfants une bonne santé physique. Beaucoup ne savent pas donner à leurs enfants l'alimentation convenable et les soins d'hygiène les plus nécessaires. Cependant les livres de puériculture ne manquent pas et les parents ont le devoir d'étudier de tels ouvrages.
La santé physique n'est pas seulement nécessaire à la santé morale ; elle est encore indispensable au bon développement intellectuel. La pensée naît de l'action. Pour qu'un enfant devienne intelligent, il est nécessaire que, dans son jeune âge, il multiplie les mouvements qui lui permettront d'acquérir un riche trésor de perception et d'expériences.
Plus l'enfant fera d'efforts pour marcher, parler, tâter, frapper, etc., et plus cette application soutenue le préparera à réaliser certains buts. La première éducation de la volonté consiste à permettre et à favoriser cette activité enfantine qui ne résulte pas encore de la volonté, mais qui éveillera la volonté tout comme les premières paroles prononcées sans but de communiquer la pensée éveillent l'idée du langage volontaire.
Ainsi donc le premier souci des éducateurs doit aller à la santé physique de l'enfant nécessaire à son développement moral et intellectuel. Leur second souci devant être de permettre et de stimuler l'activité enfantine. Il est bon que les tout petits enfants soient remuants, bruyants, bavards.
Ceci ne suffit pas pour assurer à l'enfant un développement convenable. Comme nous l'avons vu, les parents devront agir par leur exemple, ils devront éviter un excès de faiblesse qui permettrait à certains enfants de devenir de petits tyrans, Il ne faut pas toujours prendre un enfant qui crie, car alors bien souvent l'enfant crie et pleure parce qu'il a constaté que ses cris le font enlever de son berceau ; d'autre part, il faut éviter un excès de sévérité ; il faut par exemple s'efforcer de reconnaître les cris qui proviennent de quelque souffrance. Pour la santé physique et morale, il est nécessaire aussi d'assurer au petit enfant une vie aussi régulière que possible aussi bien en ce qui concerne les repos que pour les repas.
Enfin il faut au tout petit des règles simples et sans exception. Combien de parents, par exemple, qui, après avoir donné à leur enfant un vieux catalogue qu'ils l'ont vu déchirer en souriant, se fâchent et même donnent une fessée au bébé lorsque celui-ci agit de même façon avec un livre ou une brochure laissés à sa portée. Il faut que les parents apprennent à se placer au point de vue des petits. Pour bien des mamans, avoir des ciseaux et découper dans un vieux torchon c'est bien, découper de même dans un mouchoir c'est mal, mais en faire autant dans la robe de la grande soeur c'est si mal que ça mérite une correction. De même jeter du sable sur le plancher non balayé ne tire pas à conséquence ; mais le faire cinq minutes plus tard provoque des cris sinon des coups. Ainsi, dans tous les cas où l'action d'un enfant nous parait mauvaise, il est légitime que nous songions à éviter le retour d'actions semblables mais nous devons nous efforcer d'y parvenir à l'aide d'une meilleure compréhension de l'enfant souvent moins coupable que nous.

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