APPEL
AUX CITOYENNES DE PARIS
Paris
est bloqué, Paris est bombardé…
Citoyennes,
où sont-ils nos enfants, et nos frères, et nos maris ?… Entendez
vous le canon qui gronde et le tocsin qui sonne l’appel sacré ?
Aux
armes ! La patrie est en danger !…
Est-ce
l’étranger qui revient envahir la France ? Sont-ce les légions
coalisées des tyrans de l’Europe qui massacrent nos frères,
espérant détruire avec la grande cité, jusqu’au souvenir des
conquêtes immortelles que depuis un siècle nous achetons de notre
sang et que le monde nomme liberté, égalité, fraternité ?…
Non,
ces ennemis, ces assassins du peuple et de la liberté sont des
Français !…Ce vertige fratricide qui s’empare de la France, ce
combat à mort, c’est l’acte final de l’éternel antagonisme du
droit et de la force, du travail et de l’exploitation, du peuple et
de ses bourreaux !…
Nos
ennemis, ce sont les privilégiés de l’ordre social actuel, tous
ceux qui toujours ont vécu de nos sueurs, qui toujours se sont
engraissés de notre misère… Ils ont vu le peuple se relever en
s’écriant : « Pas de devoirs sans droits, pas de droits sans
devoirs !… Nous voulons du travail, mais pour en garder le produit…
Plus d’exploiteurs, plus de maîtres !… Le travail et le
bien-être pour tous, — le gouvernement du peuple par lui-même, —
la Commune, vivre libres en travaillant, ou mourir en combattant !…
»
Et
la crainte de se voir appelés au tribunal du peuple a poussé nos
ennemis à commettre le plus grand des forfaits, la guerre civile !
Citoyennes
de Paris, descendantes des femmes de la grande Révolution, qui, au
nom du peuple et de la justice, marchaient sur Versailles, ramenant
captif Louis XVI, nous, mères, femmes et soeurs de ce peuple
français, supporteron snous plus longtemps que la misère et
l’ignorance fassent des ennemis de nos enfants, que père contre
fils, que frère contre frère, ils viennent s’entre-tuer sous nos
yeux pour le caprice de nos oppresseurs, qui veulent l’anéantissement
de Paris après l’avoir livré à l’étranger ?
Citoyennes,
l’heure décisive est arrivée. Il faut que c’en soit fait du
vieux monde ! Nous voulons être libres ! Et ce n’est pas seulement
la France qui se lève, tous les peuples civilisés ont les yeux sur
Paris, attendant notre triomphe pour, à leur tour, se délivrer.
Cette même Allemagne, — dont les armées princières dévastaient
notre patrie, jurant la mort à ses tendances démocratiques et
socialistes, — est elle-même ébranlée et travaillée par le
souffle révolutionnaire ! Aussi, depuis six mois est-elle en état
de siège, et ses représentants ouvriers sont au cachot ! La Russie
même voit périr ses défenseurs de la liberté que pour saluer une
génération nouvelle, à son tour prête à combattre et à mourir
pour la République et la transformation sociale !
L’Irlande
et la Pologne, qui ne meurent que pour renaître avec une énergie
nouvelle, — L’Espagne et l’Italie qui retrouvent leur vigueur
perdue pour se joindre à la lutte internationale des peuples, —
l’Angleterre, dont la masse entière, prolétaire et salariée,
devient révolutionnaire par position sociale, — l’Autriche, dont
le gouvernement doit réprimer les révoltes simultanées du pays
même et des pouvoirs slaves, — cet entrechoc perpétuel entre les
classes régnantes et le peuple n’indique-t-il pas que l’arbre de
la liberté, fécondé par les flots de sang versés durant des
siècles a enfin porté ses fruits ?
Citoyennes,
le gant est jeté, il faut vaincre ou mourir ! Que les mères, les
femmes qui se disent : « qu’importe le triomphe de notre cause, si
je dois perdre ceux que j’aime ! » se persuadent enfin que le seul
moyen de sauver ceux qui leur sont chers, — le mari qui la
soutient, l’enfant en qui elle met son espoir, — c’est de
prendre une part active à la lutte engagée, pour la faire cesser
enfin et à tout jamais, cette lutte fratricide qui ne peut se
terminer que par le triomphe du peuple, à moins d’être renouvelée
dans un avenir prochain !
Malheur
aux mères, si une fois encore le peuple succombait ! Ce seront leurs
fils enfants qui paieront cette défaite, car pour nos frères et nos
maris, leur tête est jouée, et la réaction aura beau jeu ! De la
clémence, ni nous ni nos ennemis nous n’en voulons !…
Citoyennes,
toutes résolues, toutes unies, veillons à la sûreté de notre
cause ! Préparons-nous à défendre et à venger nos frères ! Aux
portes de Paris, sur les barricades, dans les faubourgs, n’importe
! soyons prêtes, au moment donné, à joindre nos efforts aux leurs
; si les infâmes qui fusillent les prisonniers, qui assassinent nos
chefs, mitraillent une foule de femmes désarmées, tant mieux ! le
cri d’horreur et d’indignation de la France et du monde achèvera
ce que nous aurons tenté !… Et si les armes et les baïonnettes
sont toutes utilisées par nos frères, il nous restera encore des
pavés pour écraser les traîtres !…
Un
groupe de citoyennes.
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