mardi 8 janvier 2019

Journal de la Commune


APPEL AUX CITOYENNES DE PARIS

Paris est bloqué, Paris est bombardé…
Citoyennes, où sont-ils nos enfants, et nos frères, et nos maris ?… Entendez vous le canon qui gronde et le tocsin qui sonne l’appel sacré ?
Aux armes ! La patrie est en danger !…
Est-ce l’étranger qui revient envahir la France ? Sont-ce les légions coalisées des tyrans de l’Europe qui massacrent nos frères, espérant détruire avec la grande cité, jusqu’au souvenir des conquêtes immortelles que depuis un siècle nous achetons de notre sang et que le monde nomme liberté, égalité, fraternité ?…
Non, ces ennemis, ces assassins du peuple et de la liberté sont des Français !…Ce vertige fratricide qui s’empare de la France, ce combat à mort, c’est l’acte final de l’éternel antagonisme du droit et de la force, du travail et de l’exploitation, du peuple et de ses bourreaux !…
Nos ennemis, ce sont les privilégiés de l’ordre social actuel, tous ceux qui toujours ont vécu de nos sueurs, qui toujours se sont engraissés de notre misère… Ils ont vu le peuple se relever en s’écriant : « Pas de devoirs sans droits, pas de droits sans devoirs !… Nous voulons du travail, mais pour en garder le produit… Plus d’exploiteurs, plus de maîtres !… Le travail et le bien-être pour tous, — le gouvernement du peuple par lui-même, — la Commune, vivre libres en travaillant, ou mourir en combattant !… »
Et la crainte de se voir appelés au tribunal du peuple a poussé nos ennemis à commettre le plus grand des forfaits, la guerre civile !
Citoyennes de Paris, descendantes des femmes de la grande Révolution, qui, au nom du peuple et de la justice, marchaient sur Versailles, ramenant captif Louis XVI, nous, mères, femmes et soeurs de ce peuple français, supporteron snous plus longtemps que la misère et l’ignorance fassent des ennemis de nos enfants, que père contre fils, que frère contre frère, ils viennent s’entre-tuer sous nos yeux pour le caprice de nos oppresseurs, qui veulent l’anéantissement de Paris après l’avoir livré à l’étranger ?
Citoyennes, l’heure décisive est arrivée. Il faut que c’en soit fait du vieux monde ! Nous voulons être libres ! Et ce n’est pas seulement la France qui se lève, tous les peuples civilisés ont les yeux sur Paris, attendant notre triomphe pour, à leur tour, se délivrer. Cette même Allemagne, — dont les armées princières dévastaient notre patrie, jurant la mort à ses tendances démocratiques et socialistes, — est elle-même ébranlée et travaillée par le souffle révolutionnaire ! Aussi, depuis six mois est-elle en état de siège, et ses représentants ouvriers sont au cachot ! La Russie même voit périr ses défenseurs de la liberté que pour saluer une génération nouvelle, à son tour prête à combattre et à mourir pour la République et la transformation sociale !
L’Irlande et la Pologne, qui ne meurent que pour renaître avec une énergie nouvelle, — L’Espagne et l’Italie qui retrouvent leur vigueur perdue pour se joindre à la lutte internationale des peuples, — l’Angleterre, dont la masse entière, prolétaire et salariée, devient révolutionnaire par position sociale, — l’Autriche, dont le gouvernement doit réprimer les révoltes simultanées du pays même et des pouvoirs slaves, — cet entrechoc perpétuel entre les classes régnantes et le peuple n’indique-t-il pas que l’arbre de la liberté, fécondé par les flots de sang versés durant des siècles a enfin porté ses fruits ?
Citoyennes, le gant est jeté, il faut vaincre ou mourir ! Que les mères, les femmes qui se disent : « qu’importe le triomphe de notre cause, si je dois perdre ceux que j’aime ! » se persuadent enfin que le seul moyen de sauver ceux qui leur sont chers, — le mari qui la soutient, l’enfant en qui elle met son espoir, — c’est de prendre une part active à la lutte engagée, pour la faire cesser enfin et à tout jamais, cette lutte fratricide qui ne peut se terminer que par le triomphe du peuple, à moins d’être renouvelée dans un avenir prochain !
Malheur aux mères, si une fois encore le peuple succombait ! Ce seront leurs fils enfants qui paieront cette défaite, car pour nos frères et nos maris, leur tête est jouée, et la réaction aura beau jeu ! De la clémence, ni nous ni nos ennemis nous n’en voulons !…
Citoyennes, toutes résolues, toutes unies, veillons à la sûreté de notre cause ! Préparons-nous à défendre et à venger nos frères ! Aux portes de Paris, sur les barricades, dans les faubourgs, n’importe ! soyons prêtes, au moment donné, à joindre nos efforts aux leurs ; si les infâmes qui fusillent les prisonniers, qui assassinent nos chefs, mitraillent une foule de femmes désarmées, tant mieux ! le cri d’horreur et d’indignation de la France et du monde achèvera ce que nous aurons tenté !… Et si les armes et les baïonnettes sont toutes utilisées par nos frères, il nous restera encore des pavés pour écraser les traîtres !…
Un groupe de citoyennes.

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