L'enfant
naît, masse ronde aux membres frêles et sans muscles. Seule, la
respiration fonctionne chez lui comme chez l'adulte et pour qu'il se
nourrisse normalement, sept années lui seront nécessaires. Vers 13
ou 14 ans, sous nos climats, des troubles nerveux et digestifs,
l'apparition de poils sur les organes sexuels et aux aisselles
révèlent qu'un mystérieux travail s'est accompli en lui : l'enfant
est pubère, la fonction sexuelle a acquis une place importante dans
sa vie organique et affective. Le squelette se développe rapidement,
la graisse disparait, les membres s'allongent, les muscles se
forment. Vers la 23 année - un peu plus tôt chez les filles - le
développement physique de l'enfant est achevé. Quant au cerveau, il
se développe à peu près régulièrement jusqu'au seuil de la
vieillesse. Il convient de tenir compte de ces détails
physiologiques. Chaque stade a besoin de son régime particulier. Le
nouveau-né ne peut que respirer et - difficilement – digérer :
procurons-lui de l'air pur, une nourriture adéquate. Puis,
favorisons l'épanouissement sain de ses besoins sentimentaux et leur
transition en besoin sexuel. C'est l'âge de l'activité modérée
nécessaire aux muscles en formation : jeux, gymnastique, jardinage,
sports légers, travaux de ménage, etc. Ce n'est qu'à l'âge adulte
qu'il supportera les grandes fatigues. Quant à la nourriture
intellectuelle, elle augmentera progressivement, comme le cerveau
lui-même, pendant toute la vie. Ceci soit dit en général : le
développement de chaque être étant soumis à un rythme particulier
dont il faut aussi tenir compte.
Enfant
et parents.
Ce
n'est certainement pas pour le bien du petit à venir, dont on ne
peut prévoir si les joies compenseront les peines, que les parents
l'appellent à la vie ; force nous est d'admettre que c'est l'égoïsme
qui en est cause : besoin affectif, quelquefois ; le plus souvent,
ignorance de la préservation de la grossesse, peur de l'opinion et
de la loi, résignation à un sort qu'on croit inévitable, bref :
irresponsabilité. L'irréparable accompli, l'enfant une fois venu,
il faut bien s'en accommoder et l'élever : les parents, d'ordinaire,
s'en acquittent tant bien que mal. A ce titre, ils sont les premiers
bienfaiteurs de l'enfant. Celui-ci, d'ailleurs, ne se figure guère
que ces bienfaits pourraient lui manquer, et n'en éprouve de
reconnaissance... qu'après des sommations réitérées. Au
contraire, les parents forment d'abord exclusivement le milieu pour
l'enfant, avec tout ce qu'il comporte d'hostile ; c'est à eux de le
nettoyer, de le coucher, de lui refuser certaines choses, de lui en
administrer d'autres de force... ils sont ses premiers ennemis. Cette
hostilité peut s'atténuer par la suite, se transformer en
reconnaissance, mais bien souvent, elle subsiste sous des formes
différentes : hypocrisie, mensonge, obstination secrète à ne pas
satisfaire l'ambition paternelle. Arrivés à point, les parents se
voient continuellement obligés de recourir à la contrainte ; de
plus en plus ils deviennent les ennemis de leurs enfants, bien que
leurs préjugés moraux empêchent les uns et les autres de le
reconnaître. La 1oi confère d'ailleurs généreusement aux parents
le droit de châtier « justement » leur enfant, de le surmener par
ambition, de décider contre son gré de son avenir, d'empêcher son
mariage jusqu'à 21 ou 25 ans, de le faire interner s'il regimbe.
Mieux : elle leur fait un devoir de l'empoisonner de religiosité, de
patriotisme, au risque de lui enlever à jamais toute saine notion
des choses. Ceci pour l'enfant de bourgeois. Quant au jeune
prolétaire, il grandit « comme l'herbe pousse », ses parents
n'ayant pas la moindre notion de la puériculture, de pédagogie.
Incapables même de se nourrir intelligemment, comment pourraient-ils
songer à s'écarter de leur routine? Bon nombre de tout petits
passent leurs jours de la semaine dans l'urine, les dimanches dans
les bistros - car les ouvriers modernes et évolués « sortent »
leur femme! L'air enfumé rougit les tristes paupières, irrite la
gorge sature les bronches... Tard dans la soirée, on s'en retourne à
la maison. Chose étrange, le petiot n'a pas faim - il est vrai qu'à
plusieurs reprises, on lui a permis de boire - oh si peu! histoire de
calmer ses pleurs - au verre maternel, et qu'on lui a donné un bon
gros morceau de charcuterie - il l'aime tant! Que nous voici loin des
principes énoncés tantôt : air pur, nourriture et culture
choisies...
Enfant
et Société.
Outre
les droits que la Société confère aux parents, il en est qu'elle
s'attribue à elle-même. Le plus abominable, bien que le moins
combattu, tant on y est accoutumé, est celui d'imposer à l'enfant
une nationalité. On s'est à peu près affranchi de l'emprise
officielle des religions, mais la religion nationaliste reste, et il
semble même paradoxal de « refuser » une nationalité, comme on
écarte de nos jours la religion. Il est interdit de refuser de
payer, de la sorte, les dettes des autres. Nous sommes « amis » des
habitants d'une contrée, « ennemis » de ceux de la contrée
voisine. De même que les parents ont décrété tantôt que leur
poupon sera marchand de vins et radical et protestant, l'Etat décrète
qu'on haïra ses ennemis, et qu'on trimera pour équilibrer le
budget! Pour parfaire le tout, on force les enfants mâles à
apprendre le métier des armes et à faire usage de ces nobles
connaissances contre le premier désigné : chose d'autant plus grave
que le conscrit est encore, légalement, un enfant, puisque mineur.
Et de fait, bien peu de conscrits comprennent la gravité de cette
participation à l'armée ; beaucoup prétendent plus tard qu'ils s'y
seraient refusés, s'ils avaient su plus tôt... L'enfant est aussi
astreint, dans nombre de pays, à recevoir une instruction de premier
degré. Le système d'enseignement varie suivant les pays, mais en
tout cas, son but semble beaucoup plus être la propagande en faveur
d'une doctrine sociale ou religieuse que le bien de l'enfant (v.
enseignement). L'Etat s'occupe avec une sollicitude touchante de la
réglementation de la filiation. Les enfants nés de parents mariés
ensemble sont légitimes, et ont des droits sur le patrimoine de
leurs parents ; les autres sont... naturels! Il y a d'ailleurs
plusieurs façons de naître naturellement. En France, l'enfant
naturel simple – dont les parents n'ont pas d'engagements légaux
ailleurs - a droit, dans une certaine mesure, à leur succession ; il
peut être reconnu et légitimé. Quant aux enfants nés de parents
ne pouvant se marier ensemble - étant liés ailleurs - la loi en
fait d'office des orphelins ; ils ne peuvent être ni reconnus, ni
légitimés ; ils n'ont droit qu'à des aliments. Encore au-dessous
de ces parias dans l'estime populaire, les enfants naturels
incestueux, dont les parents - ne serait-ce que par alliance - sont
de la même famille, jouissent des mêmes « droits» que les
précédents...
L'enfant
et les anarchistes.
Plus
que tout autre, l'anarchiste s'intéresse au problème de l'enfance :
le charme de celle-ci, les possibilités qu'elle porte en germe
expliquent amplement ce fait. Par la force, l'enfant est
irrémédiablement condamné à être la propriété de quelque
tuteur. Contre l'un de ses tuteurs, l'Etat, l'anarchiste a pris
nettement position : institution néfaste, il n'y a qu'à le forcer à
disparaître au plus vite (voir Anarchisme, Etat).
Restent
les tuteurs naturels : les parents. Ceux-ci ne sont guère qu'un «
mal inévitable » pour l'enfant ; parents par malchance, ils
considèrent leurs rejetons comme un fardeau haïssable : la
propagande anticonceptionnelle diminue chaque jour le nombre des uns
et des autres. Les anarchistes ont toujours été à peu près les
seuls à la mener activement, les partis ouvriers la trouvant
immorale. En France, elle est actuellement interdite. Un instinct
puissant pousse d'ailleurs la plupart des parents à se soucier de
l'intérêt de leur progéniture. Au nom de cet intérêt,
l'anarchiste va s'adresser à ces derniers. Il leur montrera combien
ils vont à l'encontre de leur but, en apprenant à l'enfant à tout
sacrifier : fierté, indépendance, à une ambition à la vue courte,
la plus grande richesse pour chacun étant de se sentir, soi-même,
une valeur.
Aidée
par la psychologie, la pédagogie moderne seconde d'ailleurs
précieusement les anarchistes dans cette tâche. Depuis Fröbel et
ses « jardins d'enfants » jusqu'au système Dalton, elle accorde
chaque jour plus d'autonomie à l'enfant. En haut lieu, on est peu
pressé de mettre en pratique ces dernières acquisitions en matière
pédagogique : c'est qu'elles poussent à l'individualisme. Aussi les
anarchistes accordent-ils de plus en plus d'attention aux questions
touchant l'enfance.
-
L. WASTIAUX.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire